70 Humeurs & opinions - novembre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 30 novembre 2016

Penser par soi-même a toujours été un exercice difficile


Je pratique peu les billets politiques, parce que les spécialistes sont extrêmement nombreux (les autres aussi). Je préfère en distiller au gré de mes articles culturels évoquant des sujets rarement traités, défendant des initiatives locales ou digressant au quotidien. Espérant faire la lumière sur mes positions actuelles, j'ai pensé utile (au moins à moi-même !) de répondre au flot d'attaques visant le seul candidat aux prochaines élections présidentielles qui se rapproche pour l'instant de mes idées.
Je suis autant gêné que d'autres par l'agressivité maladroite de Jean-Luc Mélenchon ou la vulgarité de ses affiches du type "qu'ils dégagent !". On l'attaque parce que c'est un tribun remarquable, mais les mêmes admirent probablement De Gaulle, sauf que le Général contre qui nous luttions en 1968 avait un sacré sens de l'humour et de l'absurde qui lui fait défaut.
On l'attaque parce qu'il n'a pas voulu participer à une primaire de gauche, mais de quels autres candidats de gauche parle-t-on ? Ne me dites pas que vous considérez encore le PS comme un parti socialiste et que Hollande, Valls, Montebourg, Macron sont des hommes de gauche, vous plaisantez à votre tour ! On l'attaque pour sa stratégie que d'aucun juge suicidaire, mais les suicides du PCF (depuis son adhésion au Programme Commun, sans parler de ses connexions naïves avec l'URSS avant cela), du PS (je suis en train de lire le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme montrant un Hollande consternant, sans parler des lois et pratiques liberticides et économiques honteuses dont ses gouvernements sont les auteurs), ni des petits partis trotskystes qui ressassent éternellement les mêmes slogans... Après une campagne présidentielle très forte, l'épisode Hénin-Beaumont était certes une vraie connerie, un coup de roulette russe qui lui a nui considérablement.
On l'attaque donc sur sa stratégie, comme les mêmes vont voter aux primaires de droite, en pensant bien faire en choisissant le moindre mal. Un jour on pourrait ainsi aller voter aux primaires du FN Marine Le Pen contre Marion Maréchal ! Les stratèges se trompent souvent. Les médias qui sont au mains de neuf milliardaires, marchands de canons et banquiers, évitent soigneusement de parler d'idéologie. Ils préfèrent publier les photos de Mélenchon grimaçant ou passer en boucle l'extrait vidéo où il envoie paître un journaliste qui lui marche sur les pieds...
On l'attaque (pas forcément les mêmes) parce qu'il imposerait seul son point de vue sans faire monter de jeunes autour de lui pour assurer la relève. Le programme élaboré par les Insoumis permettrait d'éviter ces travers. Encore faut-il changer de constitution ! Une sixième république permettrait d'élire (ou de tirer au sort, j'avoue que j'y croirais un peu plus) des personnes issues de la société civile plutôt que des politiciens très loin de la réalité vécue par l'ensemble de la population. "Je voudrais être le dernier président de la 5e République et rentrer chez moi sitôt qu’une Assemblée constituante, élue pour changer de fond en comble la Constitution, ait aboli la monarchie présidentielle et restauré le pouvoir de l’initiative populaire." Partage des richesses ? Son programme est clair, les propositions ne manquent pas et ce ne sera pas de tout repos s'il faut se battre contre la mafia internationale qui a pris le pouvoir ici et ailleurs, réduisant la plupart des gouvernements au statut de marionnettes. Jamais aucun candidat écologiste n'a été aussi loin dans les propositions pour sauver la planète, ses points de vue se rapprochant de ceux de Naomi Klein dans son dernier livre, Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique. Il remet en question les traités européens et la dette inextinguible. Etc.
Il faut sortir de la manipulation d'opinion scandaleuse que sont les sondages et du story-telling honteux du Journal de 20 heures. La peur est mauvaise conseillère. Hélas un petit attentat à la veille des élections ou son déjouement inespéré suffisent à tout faire basculer. Il faut lire les programmes, regarder s'ils sont en accord avec nos idées ou pas. Ensuite on pourra décider de voter ou pas pour les candidats qui se seront effectivement présentés. On aura le choix entre ne pas y aller, voter blanc (vote soutenu dans le programme des Insoumis) ou bien croire en une démocratie qui n'en porte plus que le nom.
Le Capital a réussi à semer le doute dans nos esprits. Le seul moyen que nous ayons de les retrouver est de lire les programmes, en espérant que les futurs élus s'y tiennent, ou pas... Nous devons nous rappeler ce pourquoi nous vivons et pourquoi nous ne désarmons pas, l'espoir de virer toute cette mafia qui saigne la planète, et vivre en paix dans la solidarité de tous et toutes. Cela inclut le reste du monde. Je n'arrive pas à m'intéresser vraiment à la politique nationale quand 40000 enfants meurent chaque jour de malnutrition, que les guerres pour les métaux rares, les hydrocarbures ou le cacao font rage, nous permettant au passage de vendre les armes que notre pays fabrique, que les femmes restent opprimées même ici (les religions s'y sont toujours employées), et que nous fassions fi de toutes les autres espèces qui nous prennent pour des tribuns qui ne pensons qu'à notre gueule en protégeant nos sacro-saints acquis d'êtres humains qu'on appelle les Droits de l'Homme, sans assumer nos Devoirs...

lundi 28 novembre 2016

L'âge du capitaine


De temps en temps un ami, ou une amie, dont l'âge est très différent de celui de son conjoint ou de sa conjointe, se trouve confronté/e à des interrogations métaphysiques. Ce n'est pas tant le présent qui les inquiète, mais l'avenir, quand l'un des deux risquera d'être diminué. Ce genre de préoccupation est plus courant chez les hommes à la recherche d'une partenaire plus jeune, mais l'inverse n'est pas aussi rare que l'on pourrait le croire. À se regarder dans les yeux de l'autre on se sent évidemment plus fringuant. Le hiatus est d'autant plus flagrant à l'âge limite des femmes pour procréer, mais les quinquagénaires ou sexagénaires n'ont pas forcément envie de reproduire une situation paternelle dont ils connaissent les aléas ! Libre à chacune et chacun de faire ses choix en connaissance de cause...
Mais est-il bien raisonnable de se préoccuper de l'avenir relativement lointain à une époque où les liaisons sont plus éphémères que par le passé ? La question se pose d'ailleurs le plus souvent à des couples qui ont déjà connu la famille recomposée. De plus, les mystères de la vie rendent fragiles les spéculations sur la longévité des uns et des autres. Il sera bien temps de se préoccuper de la différence d'âge quand le moment sera venu. Il vaut mieux profiter de l'amour lorsqu'il se présente, quitte à apprendre à l'entretenir pour que chaque jour vous sourit. Et n'oubliez pas de continuer à honorer votre compagnon ou votre compagne des mille petites attentions qui l'avaient séduit/e à votre rencontre, sinon quelqu'un d'autre risque de s'en charger ! N'essayez pas non plus de le ou la changer, même si ce qui vous avait séduit/e vous énerve avec le temps. Le secret de la longévité des couples est d'apprendre à accepter l'autre, plutôt que d'espérer le ou la faire changer. Dans le premier cas c'est vous qui faites le boulot, dans le second vous exigerez vainement que l'autre le fasse !
Voilà pour aujourd'hui, c'étaient les conseils de Tonton Jean-Jacques. Quant à l'âge du capitaine, Gustave Flaubert en donnait une version en écrivant à sa sœur Caroline : « Puisque tu fais de la géométrie et de la trigonométrie, je vais te donner un problème : Un navire est en mer, il est parti de Boston chargé de coton, il jauge 200 tonneaux, il fait voile vers Le Havre, le grand mât est cassé, il y a un mousse sur le gaillard d'avant, les passagers sont au nombre de douze, le vent souffle Nord-Est-Est, l'horloge marque trois heures un quart d'après-midi, on est au mois de mai… On demande l'âge du capitaine ? » Il est bien avancé. Bien avancé d'avoir expérimenté quantité de cas de figures que l'amour sait dessiner !

lundi 21 novembre 2016

Faut-il se réjouir de la fermeture d'un site comme What.cd ?


Jeudi dernier, la Gendarmerie Nationale, plus précisément les militaires du centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N), a saisi 12 serveurs du tracker torrent privé What.cd chez l'hébergeur de sites OVH à Lille et Gravelines, ainsi qu’une machine chez Free, sur plainte de la Sacem. En page d'accueil, What.cd annonce avoir fermé définitivement et ne jamais revenir sous sa forme initiale. Notez l'ambiguïté ! Le site nie pourtant que sa base de données ait été saisie, mais que l'intégralité a été effacée, y compris la liste des utilisateurs. Le site pirate comptabilisait plus de 2,6 millions de torrents regroupant 1 050 000 albums de 860 000 artistes. Sur sa page FaceBook, le producteur Jacques Oger se demande s'il faut se plaindre de cette fermeture ?


Le manque à gagner des producteurs n'est pas si évident.
1. D'abord parce que la plupart des jeunes sont abonnés à des plateformes comme Deezer ou Spotify qui leur offrent légalement un choix incroyable de disques qu'ils n'auraient pu acquérir avec leurs minces revenus, d'autres vont sur YouTube & Co qui ont passé des accords avec la Sacem qui ne profitent qu'aux majors et nullement aux artistes. Cela pose aussi la question du prix du disque. Par exemple, les intermédiaires trop gourmands sont en train de tuer le retour du vinyle.
2. Les sites illégaux comme What.cd sont des encyclopédies vivantes (pour What.cd c'est plutôt mort !) qui permettent de trouver des disques qui ont disparu de l'offre légale, dont les producteurs ou les distributeurs ont fait faillite, etc. Grâce à ces sites, certaines œuvres sont sauvées de l'oubli, réhabilitées... Ce sont des médiathèques incomparables pour un chercheur. Discogs, site marchand spéculatif, rassemble quantité d'informations, mais sans une note de musique.
3. Les disques que nous produisons, petits indépendants d'œuvres de niche, sont rarement piratés. C'est le mainstream des majors qui en souffre essentiellement, ceux-là-mêmes qui ont en douce assassiné le disque en favorisant la dématérialisation des supports parce que cela leur permettait des compressions de personnel et la suppression des stocks...
4. Si nous voulons vendre des supports matériels, fabriquons des objets incopiables en soignant le graphisme et tout ce qui n'est pas directement la musique, comme le font par exemple le label nato ou le Surnatural Orchestra. Le disque est un support, l'album est un objet, ce n'est pas la musique.

Le label GRRR que je dirige depuis 1975 a choisi d'offrir 138 heures d'inédits en écoute et téléchargement gratuits, multipliant ses auditeurs et élargissant son audience aux confins de la planète. Ce ne sont que des mp3, un format qui formate hélas gravement les oreilles des auditeurs. Les vinyles et CD sont toujours en vente sur le site, distribués en France par Orkhêstra et Les Allumés du Jazz, mais c'est à l'étranger, essentiellement aux USA et Japon, que nous en vendons. La plupart des musiciens écoulent efficacement leurs disques à la fin des concerts, mais les ventes ont considérablement chuté pour tout le monde. Je tiens à préciser que, perfectionniste, j'ai très rarement gagné de l'argent avec la production discographique. À de rares exceptions près, j'en aurai plutôt perdu. Aujourd'hui comme hier, hors show-biz le disque est avant tout un outil de communication.

Le système de la licence globale ayant été repoussé par les sociétés d'auteurs et l'État, des accords ont été passés avec de gros acteurs du marché comme Universal au détriment des artistes et des petits producteurs indépendants. Les auditeurs, qui ont toujours copié les disques, ont été criminalisés. Comme dans tous les secteurs de l'économie, l'État entretient un flou qui n'a rien d'artistique pour ne pas débattre honnêtement de ce qui est en jeu. D'un côté les majors voudraient se débarrasser des sociétés d'auteurs, privant les ayant-droits de leurs revenus ou les tenant à leur merci, et d'un autre côté ces sociétés privées continuent à privilégier les gros acteurs qui rapportent (la Sacem touche, par exemple, environ 18% en moyenne de ses perceptions), condamnant trop souvent les petits à réclamer leur dû s'ils en ont le courage et l'opiniâtreté. Le secrétaire général de la Sacem, David El Sayegh, évalue le préjudice causé par What.cd à plus de 40 millions d’euros pour les créateurs qu'elle représente, mais sa fermeture rapportera-t-elle le moindre kopek ? La fermeture de MegaUpload n'a rien changé au piratage. Le site What.cd était apparu après la fermeture de Oink. On peut prévoir que naîtra d'ici peu un nouveau site qui protégera ses serveurs dans quelque paradis informatique à l'instar des paradis fiscaux dont le Capital a le secret. L'État, ici sous pression des sociétés d'auteur, a trois métros de retard. On l'a vu avec Hadopi qui se polarise sur l'échange de fichiers PeerToPeer tandis que les internautes sont passés au streaming.
Nombreuses questions soulevées ici mériteraient un débat ouvert, car comme partout l'ignorance et le story-telling font les choux gras du Capital.