70 Humeurs & opinions - juin 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 30 juin 2017

"Police, milice, flicaille, racaille !"


Le quartier se transforme, mais on n'y gagne pas au change. Nos charmants voisins africains ont été expulsés par de sinistres brutes. On me dit que le nouveau propriétaire du bâtiment occupé depuis trois ans par ces travailleurs "sans papiers français" voudrait en faire un centre de remise en forme. Il est certain qu'après tout ce temps et dans les conditions spartiates où ils étaient relégués les Baras en auraient bien besoin ! Comble d'humour noir, en agrandissant l'une des photos prises hier matin, je m'aperçois qu'avenue Gambetta à Bagnolet les CRS à la poursuite des récalcitrants s'échauffaient justement devant un autre de ces centres...


Je continue à jouer à Blow Up avec mes photos de l'intervention musclée de la police qui n'a pas seulement viré les Baras de la rue rené Alazard, mais qui les a pourchassés jusqu'à la Mairie, puis de Gallieni jusqu'à sous l'échangeur de la Porte de Bagnolet en les sommant de se disperser. Je ne peux m'empêcher de fredonner les paroles du film de Jacques Demy, Une chambre en ville. Aux flics qui ordonnent "Dispersez-vous, rentrez chez vous, nous ne voulons pas d'incident, retirez-vous dans l'ordre et le calme !" les grévistes répondent "Laissez-nous passer, nous ne partirons pas, nous sommes ici pour défendre nos droits, pour nos femmes et nos enfants et les enfants de nos enfants, POLICE MILICE, FLICAILLE RACAILLE..." Derrière le visage avenant du CRS qui me menaçait, sur le camion chargé des parpaings que d'autres Africains cimenteront toute la journée pour empêcher l'accès au local, on peut lire Trouillet. Mais c'est plutôt de l'énervement qui sort partout des fenêtres des riverains insultant sur leur passage la meute des Robocops...


Tout le quartier est en émoi. Nous avions presque tous et toutes sympathisé avec ces deux cents jeunes hommes, plus tranquilles qu'aucun autre voisin. Les maires de Bagnolet et des Lilas ont du souci à se faire pour leur avenir s'ils continuent à nous balader de paroles en promesses sans se bouger pour trouver une solution humaine au problème des Baras. Daniel Guiraud et Tony di Martino prétendent qu'il n'y a aucun bâtiment vide pouvant les accueillir alors que des réquisitions sont évidemment nécessaires. Déjà que les socialistes ont perdu les législatives dans toutes les villes limitrophes de Pantin à Montreuil au profit de la France Insoumise, cette manifestation de leur impuissance ou de leur complicité n'arrangera pas leurs affaires (immobilières).

jeudi 29 juin 2017

200 Baras expulsés manu militari à Bagnolet


Ce matin les CRS ont expulsé les 200 travailleurs sans papiers du Collectif des Baras qui squattaient depuis 3 ans un bâtiment inoccupé de Bagnolet en attendant que les tractations aboutissent entre le nouveau propriétaire (Natixis lui avait vendu entre temps), la Mairie, les associations comme RESF et la Ligue des Droits de l'Homme et ceux que l'armée française a chassés de Libye suite à la guerre contre Khadafi. La plupart de ces Africains sont maliens, mais sept autres pays d'Afrique centrale sont représentés.


Ils en ont lourd sur le cœur. Ils croyaient ce qu'on leur avait appris, que la France était la patrie des Droits de l'Homme, mais ils savent maintenant que la colonisation continue sous un autre visage. Sans papiers français, puisqu'ils ont ceux de leurs pays respectifs et même des papiers européens reconnus en Italie mais pas chez nous, ils sont exploités par des entrepreneurs peu scrupuleux qui les payent au noir largement en dessous du SMIC. Eux ne rêvent que d'une chose, qu'on leur donne ces papiers qui leur permettraient de travailler légalement, de louer un logement, de vivre comme nous en avons le loisir. On va les regretter dans le quartier. On n'a rarement eu de voisins aussi tranquilles et charmants !


Je n'avais encore jamais vu un policier arborant une écharpe tricolore. On me dit que c'est la loi et qu'il représente le Commissariat des Lilas. Ils y étaient dès 6h30. Tony di Martino, Maire socialiste de Bagnolet, avait promis de nous prévenir dès qu'il serait averti de l'intervention. Il n'en a rien fait. Pourtant il le savait en amont, c'est la loi. Comme nous n'étions que deux au petit jour avec une jeune fille à jouer les témoins pour éviter des débordements des Robocops, je lui faisais remarquer que certains gradés avaient une tête de facho, ils m'ont menacé de garde-à-vue. Je ne les avais pas insultés directement, c'était une messe-basse. Ils répétaient comme des machines : "Vous ne connaissez pas mes origines". C'est vrai, mais je sais ce qu'ils sont devenus. C'est triste de voir ces prolos endosser l'uniforme pour cogner sur les plus démunis.


Un des Baras à qui ils refusaient de récupérer leurs affaires et les documents officiels dont ils ont cruellement besoin s'est énervé. Ils vont lui coller un rapport monstrueusement exagéré. Je les entendus en parler en se frottant les mains. Les Baras qui étaient à l'intérieur du bâtiment ont pris ce qu'on peut tirer avec deux mains, mais une dizaine des travailleurs de nuit qui rentraient n'ont rien eu le droit de récupérer. Les policiers leur avaient pourtant promis. Ils ont argué qu'il y avait eu violence et qu'il faudrait revenir dans les jours suivants avec huissier. En attendant les parpaings montent devant les vitres de l'ancienne Antenne Pôle Emploi désaffectée où ils logeaient tant bien que mal depuis 3 ans. Comme s'il n'y avait pas assez de SDF dans la rue, la police de Macron en a rajouté 200.

jeudi 15 juin 2017

La peur est mauvaise conseillère


Invité par Antonin-Tri Hoang qui présente avec la photographe SMITH une installation photographique mise en musique sur 16 pistes spatialisées, j'arpentais les salles du Palais de Tokyo au vernissage de l'exposition Le rêve des formes, les yeux fatigués par l'accumulation d'œuvres de jeunes artistes rassemblés par Alain Fleischer et Claire Moulène à l'occasion du vingtième anniversaire du Fresnoy - Studio national des arts contemporains. Je reviendrai plus tard sur ma visite...
Au détour d'un couloir, je croise Daniela Franco qui me reconnaît dans la pénombre. En 2010 j'avais participé à son projet Face B sans l'avoir jamais rencontrée. Elle porte des lunettes surmontées de verres fumés qui se relèvent ou s'abaissent comme des persiennes. Mes clics magnétiques sont moins adaptés à l'éblouissement que produit chez moi tout visite muséale. Notre "amitié" sur FaceBook nous permet de savoir que nous partageons pas mal de vues sur la situation politique. Nous nous interrogeons ainsi sur l'absurdité des élections récentes. La catastrophe annoncée chez nous n'a évidemment rien à voir avec celle du Mexique, mais le simulacre démocratique interroge partout nos pratiques citoyennes.
Le tour de passe-passe qui consiste à substituer le mouvement En Marche au Parti Socialiste est magistral. Il aura suffi de rebaptiser les mêmes olibrius pour que le désaveu total de leur politique apparaisse comme un renouveau dynamique. On avait tenté en vain de nous faire croire que le PS était un parti de gauche et l'on nous refait le coup cinq ans plus tard sans que la plupart de la population s'en aperçoive. C'est très fort, même si la manipulation est simple. Par sécurité Hollande fait sortir Macron de la Primaire socialiste. Hamon gagne, mais la plupart des ténors ne respectent pas le verdict des urnes et rejoignent Macron. Hamon, complice ou candide, siphonne les voix de Mélenchon. De l'autre côté, on agite la peur du fascisme qu'incarnerait Le Pen et on dézingue Fillon en dévoilant des affaires connues depuis belles lurettes, mais gardées sous le coude. Tout cela n'est possible parce que le futur président de la république est soutenu par la quasi totalité de la presse écrite et télévisuelle (parmi les quotidiens, seuls L'Humanité et La Croix n'appartiennent pas à l'un de ces milliardaires, banquiers ou marchands de canons) ainsi que par le Capital, international d'autant que les États Unis ont trouvé en Macron le vassal idéal. Mélenchon se sert habilement des nouveaux médias, mais Internet ne fait pas encore le poids devant les médias traditionnels. Il est à parier que dans le futur la droite fera tout ce qu'elle pourra pour réglementer et contrôler Internet, préoccupation partagée par la plupart des pouvoirs en place sur la planète. Et voici, comment l'on met des croix dans des carrés en se gargarisant de démocratie pour finalement hériter d'un pantin entre les mains de ses maîtres, financiers sans scrupules dont l'avenir de la planète est le cadet de leurs soucis.
Pour que toute cette mascarade prenne corps il est absolument nécessaire de tabler sur la peur. Si les Français votent en dépit du bon sens, c'est parce qu'ils connaissent leur souffrance et craignent d'en subir une autre dont ils ne savent rien. "On sait ce qu'on a, mais pas ce qu'on n'a pas." Des familles vivent dans la rue sur des matelas pourris, mais la majorité protège son confort (certes relatif) chèrement acquis. Lorsqu'on a une famille à nourrir et des traites à rembourser chaque mois, la révolte semble de l'ordre de l'impossible. L'accession à la propriété, le besoin de posséder sa voiture, d'avoir le dernier modèle de portable ou je ne sais quoi nous laissent pieds et poings liés. Et nombre d'irréductibles d'aller voter Macron au second tour, affolés par les sondages manipulateurs et le bourrage de mou de la diabolisation. Or dans la cité comme dans tous les aspects de notre vie nous savons pourtant que "la peur est mauvaise conseillère". Combien sont malheureux en amour, subissent leur travail comme une torture, pensent que le système est pourri, mais agissent contre leur intérêt, ou plutôt s'empêchent d'agir ?
Il faut absolument comprendre que chaque fois que la peur montre le bout de son nez elle annonce que nous allons faire une bêtise ! Ce signal d'alarme nous pétrifie au lieu de nous prévenir que nous risquons de commettre un impair. S'il est impossible de l'empêcher, on peut la canaliser et s'en servir astucieusement. S'obliger à retrouver son calme, ne pas y croire, penser que demain est un autre jour, refuser de se laisser guider par la peur, les jours heureux sont à portée de main.

mercredi 14 juin 2017

Tribute to Lucienne Boyer


On peut déjà prédire un beau succès au programme Tribute to Lucienne Boyer porté par le Grand Orchestre du Tricot. Les chansons de "La Dame en Bleu" arrangées par Roberto Negro, Théo Ceccaldi ou Valentin Ceccaldi mélangent d'exquises mélodies piquantes des années 30 et 40 à un orchestre puissant où le rock et le free jazz fabriquent de trépidantes excroissances. Angela Flahault a laissé de côté le chant lyrique pour adopter la gouaille minaudière de Lucienne Boyer, toupet plein d'humour que reprend l'orchestre avec autant de finesse que d'énergie communicative. Les thèmes glissent inexorablement vers des contrées déglinguées pour revenir soudain vers de suaves harmonies où les musiciens peuvent mettre en valeur le timbre de leurs instruments respectifs.


Les bois ou cuivres de Sacha Gillard, Gabriel Lemaire, Quentin Biardeau, Fidel Fourneyron, les cordes d'Eric Amrofel, Théo Ceccali, Valentin Ceccaldi, Stéphane Decolly, les claviers de Roberto Negro et la batterie de Florian Satche qui assume là le rôle de directeur artistique dressent un pont entre l'entre-deux-guerres et notre époque dangereusement équilibriste. Ces gamins facétieux adorent jouer avec le feu le plus désuet, ne serait-ce que des sparkling sticks se réfléchissant dans le strass. Évoquant même la période de l'Occupation nazie où l'activité de l'interprète de Parlez-moi d'amour fut plutôt douteuse, ils n'ont certainement pas froid aux yeux. Une fois de plus, les musiciens du Tricollectif soignent tous les aspects de leurs créations sans négliger les images qui les mettent en scène.

→ Grand Orchestre du Tricot, Tribute to Lucienne Boyer, CD Tricollectif, 12,99€, sortie le 29 juin 2017
→ en vrai à la Dynamo de Banlieues Bleues le 24 juin à Pantin, dans le cadre d'une soirée Tricollectif avec Danse de salon et Bo Bun Fever

mardi 13 juin 2017

Les fans de radis, entretien avec Olivier Degorce sur Radio Gâtine


Sur Radio Gâtine, radio associative en Poitou-Charentes, Olivier Degorce m'interroge sur mon parcours musical atypique. Ces soixante minutes sont ponctuées d'extraits musicaux de quelques disques que j'ai enregistrés entre 1975 et 2017. Le besoin de résumer 45 ans d'activité en une heure m'oblige à un débit incroyable, comme si j'avais sniffé de la cocaïne. Dans sa présentation, Amandine Geers écrit : "Attachez vos ceintures (ou pas) ! Les Fans de Radis vous emmène en voyage dans l'univers de Jean-Jacques Birgé. Prêts au décollage ?" Voilà certainement une émission à réaction ! Le fait d'avoir rencontré Olivier à Londres lors de l'ouverture de l'exposition Voyage dans le paysage électronique français, dans un contexte éminemment techno, oriente ma façon de raconter une histoire qui aurait pu prendre d'autres voies, un autre ton, alimentée d'autres anecdotes, voire même ne plus y ressembler du tout tant ma suractivité ressemble à une schizophrénie créative.
Cette idée de la schizophrénie pour un artiste polymorphe n'avait pas du tout plu à François Bon alors que je l'évoquais comme un compliment à son propos. Maldonne et quiproquos. Je tentais de définir l'ubiquité unifiée où les différentes personnalités du pseudo schizophrène seraient des décalcomanies les unes des autres. Une sorte de dieu indien, Shiva ou Kali ? Shiva a quatre bras, Kali huit. L'une et l'autre revendiquent la préservation et la transformation, mais Shiva est le créateur, dissimulateur et révélateur tandis que Kali, dans son ombre, détruit le mal et l'ignorance. Je n'y connais rien, donc j'écris certainement des bêtises, la multiplication des bras ayant pour moi plus à voir avec Tex Avery qu'avec l'hindouisme. Il n'empêche que l'écrivain, qui m'avait encouragé lors de mon premier roman sur publie.net, l'avait tellement mal pris que je me suis longtemps demandé si je n'avais pas appuyé sur un endroit douloureux sans le savoir. J'eus beau m'excuser et m'expliquer, rien n'y fit. À mon grand dam.
J'adore faire plusieurs choses à la fois comme j'aime les esprits vifs, les ellipses, les montage cut et la dialectique. L'émission d'Olivier Degorce est donc un marathon compressé, une sorte de nouveau réalisme musical entre Tinguely, Spoerri, Arman et César. Bricolage, ready-made, accumulation, compression. J'y aborde surtout mon travail musical, mais également le cinématographe, le multimédia, l'écriture. En réécoutant notre entretien je comprends aussi que mon incisive manquante en attente d'implant me pousse à un forcing exténuant. En septembre prochain il aura fallu un an avant de retrouver mon élocution naturelle !

N.B.: L'émission de juin en question sur SoundCloud
P.S.: ce sont les deux photos d'Olivier Degorce qui illustrent ma page FaceBook !