70 Humeurs & opinions - novembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 26 novembre 2019

Pourquoi les hommes tuent ?


Pourquoi y a-t-il tant de féminicides ? Je ne peux pas me poser la question en ces termes. J'aurais besoin de pouvoir comparer leur nombre avec celui des homicides. Il est évidemment important de mettre la violence des hommes envers les femmes, envers "leurs" femmes, à l'index, mais n'est-ce pas camoufler la violence des hommes en général ? Combien tuent pour leur patrie, pour leur honneur, pour leur propriété ? Considèrent-ils leurs compagnes comme leurs propriétés ? Les féminicides étaient tus probablement parce que ces exutoires à leur violence caractéristique n'ont rien de glorieux. C'est carrément minable. Lorsque j'étais enfant, mon père m'avait appris que "l'on ne bat pas une femme, même avec une fleur".
J'ai donné un jour une gifle à ma première copine qui tentait de m'étrangler, pour la réveiller. Séparation houleuse. Je n'étais pas fier. Pendant la semaine qui suivit mes copains s'extasiaient sur mes suçons alors que c'était la marque de ses doigts sur mon cou. Mes très rares accès de violence ont concerné quelques objets et la honte m'étreignit aussitôt. C'était il y a longtemps. Cela n'arriverait plus. J'ai été confronté à une violence plus redoutable lorsque j'étais à Sarajevo pendant le Siège en 1993. La question s'est lourdement posée alors. J'avais été non-violent pendant quarante ans, mais, confronté à tant de haine, je rentrai de la ville martyre en espérant une intervention militaire internationale. Il m'est impossible de regarder un match de boxe dans un film, mais les polars et le sang au cinéma me dérangent moins. Ils mettent pourtant en scène toute la rage de l'humanité. Si elle est généralement le fait des hommes, comment se fait-il que les femmes ne l'empêchent pas ? Lysistrata s'y opposa en prônant la grève du sexe. Les femmes laissent leurs fils, leurs frères et leurs maris s'entretuer. De temps en temps elles deviennent les victimes de ces pratiques absurdes que seuls de rares pacifistes non-violents condamnent, objecteurs de conscience préférant la prison à l'assassinat.
Ma Sehnsucht s'exprime dans ce mal à l'homme qui me prend face à toute violence, peu importe à qui elle s'adresse. Si la dénonciation actuelle des féminicides pouvait interroger la violence humaine, elle dépasserait ce dramatique épiphénomène de la "nature" humaine. Car là où l'homme passe la nature trépasse. La force semble le refuge de l'impuissance. Quand les mots leur manquent, ils usent de leurs bras, de leur sexe brandi comme une arme. On peut le constater ailleurs comme dans la répression policière qui éborgne et mutile ici, qui viole et tue un peu plus loin. Seule l'éducation dès le plus jeune âge permettrait peut-être d'éradiquer les crimes qui jonchent notre Histoire. Les millions de morts que les guerres et la colonisation, aujourd'hui déguisée, causent sans cesse par intérêt économique, sont les victimes de l'abrutissement de masse soigneusement entretenu. Le machisme est valorisé. Les femmes en font certes les frais, mais elles en sont les complices tant qu'elles accepteront que l'on fabrique des armes, que l'on exploite les plus faibles, que l'on glorifie les héros, que la religion les rabaisse, que leurs salaires soient moindres, et tant qu'elles se soumettront aux désirs unilatéraux de leurs compagnons de vie. Et ce n'est pas en condamnant quelques boucs-émissaires que l'on réglera la question. C'est en chacun et chacune d'entre nous qu'il faut rechercher la réponse.

Nicolas Poussin, L'enlèvement des Sabines, 1634-1635, Metropolitan Museum of Art

lundi 25 novembre 2019

Sur l'écran blanc de mes nuits noires


J'ignore l'impasse de la page blanche. Il suffit de contourner l'obstacle en s'attaquant à un autre versant. Comme puiser dans le stock d'images en attente ou laisser simplement l'inspiration de marionnettiste guider mes doigts de somnambule. La place pour projeter est cadrée par les livres. Ce pourrait être aussi bien des films, des disques, des arbres, des étoiles, des mots, des rêves. Le cahier des charges impose ses limites. L'imagination a besoin de ces contraintes. Plus ou moins l'infini tournerait court. Une phrase en appelle une autre. Elles roulent en double sens. Il fallait juste passer le permis. Cela ne s'est pas fait tout seul. J'ai failli laisser tomber. Mais ma mère m'a dit que je n'étais pas plus bête qu'un autre. Il y a tant de chauffards que cela fait froid dans le dos. Nous sommes tous des rescapés. Combien de bip bip ont évité le précipice ? Un peu moins de huit milliards à l'heure actuelle. De quoi faire chavirer la planète. Mais tous ne pèsent pas le même poids. Sans liberté ni fraternité l'égalité est une carotte à laquelle les possédants préfèrent la viande. Ils ont appelé démocratie leur stratagème. Il n'y a même plus de carotte au bout de leurs ficelles. Leur cynisme est de rigueur. À force de croire qu'ils y échapperont, ils finiront pas s'étouffer. Mais combien crèveront avant eux ? La tâche n'est pas sur l'écran, mais sur l'objectif.