70 Humeurs & opinions - février 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 20 février 2020

Plein le dos


Plein le dos rassemble une sélection de 365 photographies, une par jour si vous aimez les calendriers de l'avent, ou sept chaque samedi si vous préférez aller de l'avant ! Cela n'est pas près de s'arrêter, du moins tant que la mafia des banques occupera l'Élysée. Les dos de Gilets Jaunes racontent la colère de celles et ceux qui souvent ne s'étaient pas manifesté.e.s jusque là, leurs espoirs de changement, leurs blagues. La résistance à l'exploitation semblait n'être l'apanage que du service public et des grandes entreprises. S'affichent ainsi, comme des phylactères, les témoignages, slogans, commentaires de citoyens qui n'arrivent pas à boucler les fins de mois, de personnes courageuses qui se dressent contre la brutalité des CRS, les Cerveaux Rarement Sollicités comme ils sont appelés dans les commissariats. Ce gouvernement ne tient que par la force, et la manipulation électorale d'un système pseudo démocratique.
J'ignore qui a eu la géniale idée de se saisir d'un gilet jaune comme emblème de la lutte, mais c'est brillant. Le jour, la nuit. Sur les ronds-points de province ou les Champs Élysées. Aux péages ou piquets de grève... Jusqu'ici le jaune était réservé aux non-grévistes qui cassent les mouvements. On préférait le rouge ou le noir. Rien n'empêche aujourd'hui d'enfiler un gilet par dessus. Il est même recommandé de s'exprimer sur son dos, comme des graffitis. Mais dans l'épais livre de 372 pages, les photographies des dos sont en noir et blanc. Le collectif Plein le dos en a recueilli des milliers dès novembre 2018, depuis le début du mouvement. Voilà un an et demi que les Gilets Jaunes se battent contre un régime qui fait des cadeaux aux riches avec l'argent des pauvres. Qui peut être encore dupe de ces opportunistes incompétents qui siègent à l'Assemblée ? La préface des éditeurs et l'avant-propos du collectif sont clairs. En fin de volume les notes replacent les textes dorsaux dans leur contexte historique et le titre des cinquante premiers Actes est rappelé, samedi après samedi. De plus, tout est bilingue, français-anglais, de manière à ce que le mouvement soit compris à l'étranger où il a fait tant de petits. C'est un beau travail. Un travail utile à celles et ceux qui ploient sous la stupidité de celui qui leur est imposé. Tout est à revoir. À repenser. Le système s'essouffle. Le problème, c'est que la planète aussi est moribonde. Que restera-t-il de nos vies ?
J'avais pensé donner des exemples de ce que chacun.e a écrit sur son dos, et puis non, c'est l'ensemble qui fait corps. Pour une fois qu'une collection vernaculaire fait sens sans être récupérée par un photographe malin qui fait son beurre ! Cela peut se lire aussi comme on ouvre un livre d'oracles, une page, tirée au hasard, la révolution qui s'entrevoit...

Plein le dos, 365 gilets jaunes, novembre 2018 – octobre 2019, Les éditions du bout de la ville, 21cm x 21 cm / épaisseur : 2,9 cm / poids : 1,10 kg = 20€ (les bénéfices de la vente seront reversés à des caisses de solidarité avec les blessé.e.s et les inculpé.e.s.)

jeudi 13 février 2020

Être ≠ Dire et Faire


Je n'aime pas ce que je suis. Contrairement à ce que je dis ou je fais. Lorsque j'écris, lorsque je parle, mes réflexions sont évidemment d'ordre intellectuel. Lorsque j'agis je mets les mains dans le cambouis. Ces deux activités définissent le champ de ma liberté d'expression, mes créations. Elles définissent l'idéale association théorie/pratique. Si je ne mettais pas en pratique mes idées, elles n'auraient pas le même impact.
C'est ainsi, par exemple, que je me suis retrouvé à Sarajevo pendant le Siège. On m'avait proposé d'y réaliser des films. Si je n'avais pas bravé ma peur d'y aller, mon engagement m'aurait semblé n'avoir plus aucune valeur, des mots pieux d'un intellectuel qui ne se mouille qu'en paroles. D'un autre côté, lorsque je commets des actes, j'ai besoin de savoir pourquoi, de comprendre ce qui m'y pousse, parfois inconsciemment, même si la question reste sans réponse. Dans le cas de Sarajevo, le fantôme de mon père ne m'avait pas laissé le choix. Il s'était battu à la canne contre les Camelots du Roi, s'était engagé dans la Résistance, avait sauté du train qu'il emmenait vers les camps de la mort, toute sa vie il s'était battu. J'aurai mis un an pour me remettre de mon séjour dans la ville martyre et cette expérience aura changé ma vie. Je n'aurai désormais plus peur de la mort. On verra bien.
Écrire et parler sont de l'ordre du rêve éveillé. Comme ma musique. Je l'imagine parfois en amont ou dans l'instant lorsque j'improvise. Si j'affirme que toutes mes activités artistiques son de l'ordre de l'échappatoire, c'est bien d'ordre qu'il s'agit. Le désordre vient d'ailleurs. De la société, de la famille, de l'humanité. Je voudrais fuir ces carcans qui m'emprisonnent et m'étouffent. Je hais l'argent, la propriété, l'exploitation de l'homme par l'homme. Comme tout le monde je dois faire avec, ces obligations définissent ce que je suis au quotidien, un être en proie aux petits arrangements avec un absurde qui n'a rien de productif. Bien au contraire, cet "être" est destructif. Il détruit ses congénères, les autres espèces, la planète. Je n'aime pas ce que je suis. Je ne peux donc aimer personne dans l'absolu autant que nous sommes tous et toutes. Mais dès lors que nous commençons à rêver, à revendiquer nos désirs, à nous cabrer contre ce que nous sommes, ce qu'on a fait de nous en toute complicité, je retrouve la sérénité. L'amour devient possible. Il n'y a pas que le verbe et le geste. Il suffit parfois d'un regard. Un sourire, une moue de dégoût, un rictus de colère, un éclat de rire nous sauvent.
Pascal me faisait remarquer que ce que j'oppose à l'être y participe, mais ce sont des pansements. Ils cachent les plaies ouvertes et les cicatrices.
Lorsque j'avais 25 ans, je me souviens avoir raconté à mes camarades Francis et Bernard, avec qui je produisais de la musique quotidiennement, que j'aimerais que l'homme que j'étais ressemble à mon art. Je devais me battre contre mes douloureuses contradictions alors que ma musique respirait une saine dialectique. Toute ma vie j'ai cherché à embellir le quotidien, dans mon environnement domestique, les couleurs, le jardin, dans mon travail, l'imagination au pouvoir, pouvoir matérialiser nos rêves, dans cette colonne militante, évoquer celles et ceux dont on ne parle pas ailleurs ou trop peu, soutenir la jeunesse que le vieux monde néglige, les amis en détresse, une fleur, un oiseau... Par les mots et les gestes j'ai tenté sans cesse de contrebalancer l'être imposé par son environnement qu'on dirait aujourd'hui "politiquement correct". Paraître est une autre histoire.

jeudi 6 février 2020

Petit entretien bagnoletais


Habitant Bagnolet depuis 20 ans et payant des impôts locaux considérables, il est normal que je m'interroge sur la gestion des finances de la ville. La Cour des Comptes (via le Figaro !) note tout de même que nous nous sommes passés de la troisième à la première place des villes les plus endettées de France (par habitant). Il est donc étonnant qu'en réponse aux questions que se posent tous les Bagnoletais, des responsables de la Mairie menacent d'engager des poursuites judiciaires alors qu'il s'agit d'un débat politique normal à la veille des élections municipales. Je note avec humour que mes propres impôts locaux avaient été réévalués de 130% au lendemain des précédentes élections municipales où je m'étais déjà engagé contre l'équipe gagnante, probablement un hasard.
Moins polémique, le soir de la publication de mon article, Bagnolet en Commun mettait en ligne un court entretien vidéo sur la culture que mes camarades avaient sollicité...


En voici le contenu :
L’art est le dernier rempart contre la barbarie.
Lorsqu’on a du mal à supporter le monde, on s’en invente de nouveaux. C’est ce que font les artistes. Ce privilège doit être partagé par le plus grand nombre. Il faut favoriser le monde associatif, donner à chacune et chacun le moyen de s’émanciper.
Godard disait que la culture est la règle mais que l’art est l’exception. Il faut redonner les moyens de rêver aux citoyens qui sont écrasés par la réalité. Or cette réalité, nous ne l’avons pas choisie. Elle nous est imposée par une clique cynique et inique.
Souvent on vote contre ses intérêts de classe. Parce qu’on connaît sa souffrance et l’on craint toujours que ce soit pire. Or le pire c’est de se résigner à souffrir.
Il y a des moyens de se sortir de cette machine infernale qui nous broie, nous aveugle et nous enferme. On peut par exemple programmer des spectacles avec des pratiques amateurs en première partie. Cela n’a pas besoin d’être long. C’est mettre le pied à l’étrier parfois, mais aussi faire venir des spectateurs qui imaginent que l’art ce n’est pas pour eux. On peut redonner des couleurs à notre ville que tous ceux et toutes celles qui ont siégé jusqu’ici à la Mairie ont rendue grise. Les artistes de Bagnolet pourraient se fédérer et dresser des ponts vers d'autres villes.
Nous avons les outils pour cela à Bagnolet, la médiathèque, le Cin’Hoche, le Théâtre de l’Échangeur, le Colombier, le Samovar, le Conservatoire, mais nous les utilisons timidement, et combien de Bagnoletais y sont jamais allés ne serait-ce qu’une seule fois ? La plupart pense que ce n’est pas pour eux, alors que c’est là, dans les rencontres, dans ces lieux, que l’on peut espérer sortir de sa condition, quelle qu’elle soit. S’ouvrir au monde et surtout le changer…

mardi 4 février 2020

Bagnolet en commun


Aux prochaines élections municipales je figure sur une liste électorale sans étiquette (soit sans parti ni mouvement pour la téléguider). Comme il est difficile de changer le monde de là où je suis, et malgré mes efforts incessants depuis plus de cinquante ans, il me reste le combat de proximité, histoire de participer à l'amélioration de la vie de mes voisins et concitoyens.
Enfin, pas tous mes voisins, car malgré l'environnement particulièrement sympathique du quartier où je compte quantité d'amis, je suis pris en sandwich par deux vilains qui n'ont de cesse de me pourrir la vie. Pas qu'à moi : ils sont abonnés à la méchanceté envers leurs congénères et ne vivent que pour emmerder le monde. J'ai fini par m'en faire une raison, et à regarder leurs manigances avec détachement. Jacques Brel disait "qu'il n'y a pas de gens méchants, il n'y a que des gens bêtes". Cela n'est pas gentil pour les animaux. Je raconte cette histoire de voisins malintentionnés juste pour signaler que je comprends les personnes qui votent contre leurs intérêts de classe, celles et ceux qui se laissent "acheter" par le maire sortant ou par les promesses de ceux qui s'y voient déjà, et puis ceux qui en croquent ou en ont croqué et que cela ne gêne pas de se représenter à la mairie de la ville la plus endettée de France ! Le maire actuel fait porter le chapeau à son prédécesseur, mais tente de faire oublier que la Cour des Comptes vient de l'épingler en soulignant que la dette s'est considérablement accrue sous sa mandature. En tout cas, s'intéresser à la gestion de sa ville est passionnant. On y découvre un clientélisme récurrent, un nombre ahurissant d'emplois fantômes et une tambouille qui au mieux ressemble au marché de l'emploi.
J'ai donc d'excellentes raisons de soutenir la liste menée par Edouard Denouel qui est le seul candidat de gauche à n'avoir jamais été élu, ni maire ni adjoint, et donc à n'avoir jamais trempé dans aucune combine, en particulier dans des affaires immobilières qui ont transformé Bagnolet en ville de béton. Il y a cinq ans je m'étais investi dans la liste du Front de Gauche, mais celle de Bagnolet en Commun est d'un autre niveau. Au lieu d'évoquer alors exclusivement la sécurité et la propreté comme les autres candidats, les réunions sont passionnantes lorsqu'il s'agit par exemple d'éducation, de santé ou de culture. Au départ je pensais soutenir les efforts de La France Insoumise, mais la direction nationale a imposé à ses militants Raquel Garrido, l'épouse de notre député Alexis Corbière, ceux-ci refusant le vote pour désigner le meilleur candidat. Ce putsch, qui me rappelle les agissements du Comité Central, a fait fuir presque tous les militants qui ont décidé de continuer leur liste sans parti, sans mouvement, sans étiquette. Des écologistes, des socialistes, des communistes et surtout nombre de citoyens non organisés comme je le suis ont rejoint Bagnolet en Commun. Nous ne voulons plus d'une ville gérée à distance par des instances nationales. De son côté, après une tentative infructueuse de se rapprocher des Verts qui l'ont envoyée aux pelotes, la chroniqueuse de l'émission Balance ton Poste ! présentée par Cyril Hanouna (incroyable, mais vrai) s'est acoquinée avec le PCF dont la liste est menée par Laurent Jamet, ancien adjoint de Marc Everbecq, le maire qui a mis à genoux Bagnolet et qui a le toupet de se représenter, probablement prêt à se désister pour une liste qui lui offrirait quelques avantages professionnels si elle remportait la mairie. C'est cocasse si l'on se souvient du flot d'insultes déversé par ces mêmes communistes sur Mélenchon et La France Insoumise depuis les élections présidentielles. Quant aux Verts qui ne nous ont pas rejoints, certains se sont ralliés au maire socialiste sortant Tony Di Martino, un autre dirige la liste LREM (Jadot envisage bien des accords avec la droite !) ou d'autres ont conservé leur propre liste. Contre ce Dallas du 93, notre candidat pourrait faire figure de candide s'il n'était épaulé par une équipe qui a véritablement envie de rendre Bagnolet à ses habitants. J'ignore si nous avons la moindre chance de gagner les élections, mais nous aurons au moins fait avancer la réflexion sur la gestion de notre ville, sur les moyens de résorber l'énorme dette (nous étions en 3e position des villes les plus endettées de France, avec Di Martino nous avons atteint la première place en haut du podium), sur le désir de faire profiter à toutes les populations locales des ressources existantes ou à créer.
Une chose me tracasse pourtant. Les promesses des tracts de toutes les listes sont très proches. Comme les affiches qui toutes se ressemblent. Comment se distinguer alors des autres ? Comment souligner notre sincérité lorsque d'autres feraient exactement le contraire de ce qu'ils avancent ? C'est le principe des politiques aujourd'hui. On se souvient de "Mes ennemis c'est la finance" de Hollande ou que beaucoup ont pu croire que Macron était de gauche alors qu'il n'a été placé là par les banques que pour dépouiller le pays en le vendant au privé. Je ne vois que la nécessité d'éviter toute langue de bois qui endort les citoyens, de proposer des réformes radicales profitant à toutes les communautés qui font la richesse culturelle de Bagnolet, d'être créatifs, graphiquement, dans les réunions et les témoignages comme les petites vidéos mises en ligne régulièrement. Je me suis d'ailleurs prêté à l'exercice en abordant la question de l'art et de la culture, facteurs d'émancipation pour chacune et chacun. J'imagine que le petit entretien que j'ai donné sera bientôt accessible sur Internet...