70 Humeurs & opinions - novembre 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 24 novembre 2020

Le masque


Après avoir moulé son masque en résine, Bernard Vitet l'avait peint argenté. Plus tard il fera le mouvement inverse en se teignant en noir les cheveux et la barbe, me faisant penser au Masque de Maupassant que Max Ophüls adapta au cinéma dans Le Plaisir. Bernard avait découpé un trou rond à l'endroit des lèvres, au diamètre de l'embouchure de sa trompette. Celle qui lui servait à produire son timbre velouté était évidemment derrière le masque, une fausse coulissant du tuyau jusqu'au lèvres pour faire illusion. Lorsqu'il tombait le masque, la trompette, ou le bugle, restait accrochée à ce visage semblable au sien. À la fin des années 70, pour une photo de groupe réalisée par Guy Le Querrec, dans le cadre de Jazz Magazine, réunissant la plupart des musiciens ayant joué avec Michel Portal, je ne sais plus qui s'était dévoué pour le porter en l'absence de Bernard. Mon camarade, qui ne terminait presque jamais ce qu'il avait commencé, m'imposa une séance pénible pour fabriquer également un masque à mon effigie, des pailles me sortant du nez pour respirer pendant qu'il étalait le plâtre sur mon visage. Mais il n'est pas allé jusqu'au bout...
Enfant j'adorais me déguiser en détournant les tissus de leur propos initial. J'ignore pourquoi cela déplaisait à mon père qui parlait de chienlit. Je portais des loups, des masques de carton, des postiches comme font les gosses, avec un col en fourrure en guise de barbe ou un bouchon de liège chauffé pour se dessiner des moustaches.


Rien à voir avec le torchon dont on nous oblige à nous couvrir le nez en plein air et que tout le monde tripote avec ses mains sales. Suffoquant, je n'en porte que dans les espaces fermés. Ma petite insuffisance respiratoire me le rend insupportable. Encore Le Masque d'Ophüls. J'en ai pourtant de très amusants commandés en Pologne chez Mr Gugu, Anonymous pour exprimer mon désaccord, le Joker terrorisant, coloré pour le quotidien, dragonisant très élégant, bandana intégré pour l'hiver aux références cosmique, Douanier Rousseau ou Klimt selon l'humeur. Le masque est devenu un accessoire vestimentaire comme les chaussettes et les chaussures, le bonnet et la ceinture...
Je me demande qu'est-ce que Bernard inventerait aujourd'hui. Il adorait bricoler des trucs auxquels personne n'aurait jamais pensé. La plupart du temps, il s'en serait passé, avec le prétexte de son éternelle clope au bec. Je l'ai vu en allumer une troisième alors qu'il en avait déjà une aux lèvres et qu'une seconde fumait seule dans le cendrier. Il a malheureusement fini sous assistance respiratoire, comme une sorte de masque mortuaire, mais il fumait toujours à côté de la bombonne d'oxygène au risque de faire exploser la baraque. Mon camarade ne faisait rien comme tout le monde, prenant souvent le pied inverse de l'évidence, avec une chance de tomber juste, tant les hommes se trompent. J'ai appris de lui à me demander s'il ne faudrait pas faire le contraire de ce qui est exigé ou attendu. Ce n'est pas systématique, mais c'est toujours une bonne question... Bernard me manque.

samedi 14 novembre 2020

Hold-Up contre hold-up


J'ai envoyé, très tôt et sans commentaire, un lien vers Hold-Up à quelques amis avant de le regarder moi-même. Ayant pressenti que ce "film" allait faire polémique, j'ai pensé qu'il fallait mieux le voir (dans son intégralité) avant de lire les réactions de chacun/e, les lecteurs se contentant le plus souvent de reproduire les réactions de la presse aux ordres. Si Hold-Up est un fourre-tout aussi mal fichu sur le fond que sur la forme, il aborde néanmoins certaines questions intéressantes. Comme d'habitude, les lecteurs se contentent de peu avec les articles du Monde ou de Libé qui sont aussi superficiels que le film qu'ils critiquent. Le débat n'a pas lieu. Il le mériterait pourtant, analyse sérieuse à l'appui. D'une certaine manière, la mise au point de Monique Pinçon-Charlot amorce ce dont il est question...
J'ajoute que les qualificatifs conspirationniste ou complotiste qui fleurissent empêchent de réfléchir, même lorsqu'il s'agit d'inepties infondées... Quant aux fake news, les États en sont les spécialistes et les initiateurs, bien avant les réseaux sociaux qui leur emboîtent le pas... L'ambiance sociale est toujours pyramidale, le ton étant donné au plus haut niveau, que ce soit à la tête des États ou des entreprises... On s'inquiétera donc, par exemple, de la brutalité et de l'arbitraire du pouvoir actuel...

Illustration : André Robillard

jeudi 12 novembre 2020

La haine est le salaire des pauvres


Depuis cet article du 27 juillet 2007, les propriétaires de certaines plateformes se sont érigés en censeurs et des lecteurs en délateurs. C'est le lot du bénévolat participatif anonyme. La brutalité des échanges virtuels n'a rien à voir avec la nécessité de composer dans la vie réelle en général.
Quant à la haine, elle se retranche derrière la liberté d'expression. Je chantais alors "Moins on en parle mieux on se porte." comme ma mère le répétait lorsqu'un journal pointait l'antisémitisme en gros titre de sa une. Les médias aux ordres qui dénoncent les crimes de désaxés en les attribuant à une quelconque idéologie savent très bien qu'ils créent des vocations morbides. Et ces leurres cachent les vrais problèmes, jamais abordés au Journal de 20 heures. Les faits, amplifiés ou édulcorés, remplacent l'analyse et la réflexion. Chaque fois que l'État interdit abusivement, il fabrique ce qu'il est censé combattre. Parfois sous contrôle, d'autres fois cela lui échappe simplement. Bête et méchant. Nocif, certainement...
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Hier [26 juillet 2007] j'ai dû effacer un paquet de propos racistes sur YouTube en commentaires de mon film Le sniper et j'ai techniquement interdit à leurs auteurs de continuer de se répandre. Internet favorise les échanges, mais certaines limites s'imposent. Libre à chaque rédacteur de jouer son rôle de modérateur en excluant la haine de son site.
Les commentaires qui y sont commis, souvent sous couvert d'anonymat, sont aussi de la responsabilité légale de celui qui les gère. Il est parfaitement attaquable en justice même si les phrases litigieuses ont été supprimées très vite. Cela explique que les commentaires de certains blogs nécessitent de passer par l'acceptation d'un modérateur avant de pouvoir être publiés.
N'empêche que cette haine est un douloureux retour à la réalité, même et surtout si elle est niée et bafouée. En 1991, je chantais Der Hass ist der Armen Lohn sur le disque Kind Lieder d'Un Drame Musical Instantané, une chanson que j'écrivis en partie en allemand avec en tête Un survivant de Varsovie, une des dernières œuvres d'Arnold Schönberg :



Der Rassenhass.
Je weniger davon dir Rede ist, um so besser fühlt man sich.
La haine raciale
Profitverschleierung'
La haine Le profit.

Der Hass ist der Armen Lohn
Je weniger davon dir Rede ist, um so besser fühlt man sich.
Denn diejenigen, die ihn einimpfen, wollen seinen Pelz,
Sein Robbenfell oder seine Schlangenhaut:
Elefanten Sterne!
Profit,
Je mehr davon die Rede ist, um so besser wird man sich fühlen.

La haine est le salaire des pauvres.
Moins on en parle mieux on se porte.
Targui, Palestiniens,
Le profit, source des maux,
Vous arrache la peau.

Was gibt es gerechteres als man selbst, der sich vermengt?
Völker in der Mehrzahl der Arten
Geben wir Cäsar das wenige, das ihm gebührt.
Für jeden einzelnen ist es viel,
Für alle zusammen ist es alles.

Photo de l'expo Kiefer au Grand Palais
Le texte du sniper - Exposition à Soft Target (Utrecht)
Texte original d'Un survivant de Varsovie (1947)

dimanche 1 novembre 2020

La privatisation en marche


Blog spécial Toussaint !
Des amis défendent les choix de nos gouvernements en matière de gestion de la crise dite sanitaire en prédisant que la France compterait 300 000 morts au lieu de 30 000 si on laissait faire les choses. D'abord, pourquoi toujours opposer le pire scénario comme s'il n'y avait que deux options : confinement général avec privation des libertés les plus élémentaires ou hécatombe absolue ? Ensuite, c'est oublier de compter les milliers de morts collatéraux par suicides, dépressions, violence conjugale, malades qui préfèrent éviter les hôpitaux surchargés, etc. On fait payer à la population la politique criminelle de nos gouvernements successifs en matière de santé... Les nocifs au pouvoir sont aussi malveillants qu'incompétents. Par exemple, il n'y a qu'à constater le délire actuel sur les livres et les disques, c'est un autodafé sans flammes, tout se fait en douceur sous couvert de protéger la population qui obéit comme un seul homme !
Les gouvernements qui sont presque tous aux mains des banquiers fabriquent une crise économique sans précédent sans que les licenciés, nouveaux chômeurs par millions, puissent se révolter, et quand leurs pays seront à genoux ils n'offriront d'autres solutions que la privatisation généralisée. C'est la tactique à l'œuvre en France par exemple depuis des années (Poste, SNCF, etc.). Et puis les gros rachèteront les petits. On les savait cyniques, mais ils manient si bien la peur que les citoyens sont anesthésiés et ont perdu toute réflexion politique pour ne plus être capables que d'aligner des chiffres que la presse aux ordres (que dis-je aux ordres, leurs patrons sont les donneurs d'ordres) assène à coups de graphiques, comme si les statistiques étaient la règle d'or... On en reparlera dans quelques années, si nous sommes encore là !