70 Le son sur l'image - mars 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 mars 2019

Le son sur l'image (36) - Somnambules 4.6.2


Somnambules

Parallèlement aux modules de Flying Puppet, nous imaginons un Piano Graphique sur la proposition de Jean-Luc Lamarque qui nous a offert son code pour nous permettre de réaliser Sudden Stories. Pour éviter de ressembler aux autres modules de son site, pianographique.com, très rythmiques et souvent technoïdes, je suggère que nous composions un univers dramatique, presque cinématographique. Trois pistes se mélangent. La première rangée de lettres de A à P est remplie de boucles symphoniques, c’est la musique du film. Les deux autres rangées, de Q à M, et de W à N accueillent des bruitages. Contrairement à nos habitudes de travail, je réalise d’abord les vingt-six sons dont Nicolas s’inspire ensuite pour peindre ses tableaux animés. Nous avons choisi les sons et les images pour forcer le joueur à ralentir ses gestes, alors qu’avec les autres modules de ce site, il est habitué à faire réagir les animations rythmiques au doigt et à l’œil.

Épuisés de travailler sans rémunération sur Internet, nous décidons de demander des subventions à différents organismes, en l’occurrence le Thécif et le CNC , pour produire une œuvre plus ambitieuse dans sa durée, et surtout avoir la possibilité d’engager chorégraphe, danseurs et musiciens. J’ai toujours été attiré par la danse contact improvisation, à mes yeux l’équivalent du jazz et des nouvelles musiques improvisées. J’ai déjà travaillé avec Lulla Card Chourlin pour Zappeurs-Pompiers et 20 000 lieues sous les mers, et avec Didier Silhol pour différents projets. Pour le lancement du CD-Rom Carton au Web Café, Didier utilise toute la hauteur du puits central des étages intérieurs, éclairé par les torches du photographe Michel Séméniako, et pour celui de Machiavel, il doit improviser avec un spectateur en transe devant la scène du Glaz’Art ! Il est en France l'un des précurseurs de cette danse contact improvisation, qui joue avec les lois physiques et les rapports humains à travers la gravité et l'expansion, l'altruisme et la résistance, l'inertie et l'impulsion, l'acceptation et le refus, toutes sortes de données qui trouvent leur résolution dans la danse, et pourquoi pas, dans la programmation informatique. Nous lui demandons de se plier aux exigences du medium, par exemple danser en boucle, devant des pendrions de velours noirs pour que Nicolas intègre facilement ses mouvements et ceux de Anne-Catherine Nicoladzé à ses tableaux animés. Les deux danseurs improvisent en s’inspirant des cadres que nous leur imposons et des gestes que nous leur suggérons. Dans différents studios dont celui de Carolyn Carlson à la Cartoucherie de Vincennes, nous filmons à trois caméras, chacun la sienne, plus une sur pied. Nicolas choisit ensuite les plans qui conviennent au projet. Somnambules devient un spectacle chorégraphique et interactif en douze tableaux et leurs préludes, au départ conçu pour l'Internet, réunissant la danse contact, la peinture, la vidéo et la musique. Les mouvements filmés des danseurs s'inscrivent dans des décors construits à partir d'éléments peints par Nicolas, jouant avec la matière et la transparence, comme nous en avons pris l’habitude. Avec l'interactivité, tant plastique que musicale, nous cherchons à placer l'utilisateur au cœur de la chorégraphie. Le spectateur se confond avec l'interprète. L'auteur lui cède le contrôle de son œuvre. C’est une question de générosité : offrir à tous le même plaisir que celui que je ressens lorsque j’improvise avec mes instruments, plaisir du jeu, plaisir du jouet, partage. Composant la musique, interactive, avec l’idée de renouveler à l’infini les émotions, dans sa confrontation aux images, je n’utilise que des instruments acoustiques ou la voix, accompagné de temps en temps par le trompettiste Bernard Vitet ou le violoncelliste Didier Petit.


Dans ce paragraphes, ma description risque d’être un peu longue, car Somnambules est un bon sujet d’analyse du fonctionnement de notre système interactif. Encore plus qu’ailleurs, il est conseillé de lire ces lignes en se connectant directement au site pour en suivre les explications qui, sinon, pourraient apparaître plutôt rébarbatives. Le sommaire propose l’accès direct aux douze scènes, douze comme les douze notes de la gamme. Pas une de plus, nous convenons de ne pas dépasser ce chiffre, quitte à supprimer des scènes ou à en fondre deux en une. Dans la passion de l’action, nous avons tous la fâcheuse habitude d’en faire toujours plus et même un peu trop. Il est préférable de frustrer que de saturer. Jusqu’au sommaire, les pages sont sonorisées par un bruit d’écriture. Arrivé là, on entend le public qui bruisse chaque fois qu’on s’approche des icônes représentant l’une ou l’autre scène. L’ensemble des sons des pages qui entourent l’œuvre proprement dite signalent l’analogie avec un spectacle vivant. Chaque scène et son prologue obéissent à des lois musicales qui leur sont propres. Le premier loader qui tient lieu de prélude est un petit tintement dont la hauteur varie selon la distance entre le curseur et le centre de l’image. La boucle musicale d’Ouverture se superpose à des pas lents tandis que Didier Silhol se présente, s’inclinant et se relevant dans la longue et profonde respiration de son salut ; son corps devenu objet, sa tête sonne comme des maracas ; enfin, des voix s’ajoutent à une troisième boucle orchestrale, les pas s’accélèrent, des bras envahissent la scène. La scène se répète en boucle, mais les séquences musicales varient à la deuxième écoute, avec une référence explicite à la musique romantique. Un petit clic sur l’icône en bas à gauche et nous retournons au menu, sur la flèche en bas à droite et nous voguons vers la deuxième scène, Ghost. Le nouveau prélude se joue en entrant et sortant de l’image : chaque fois résonnent une note ou un accord de piano. Mélodie épurée. Chaque prélude anticipant la scène qui le suit, le piano enchaîne, avec en fond le gratouillis d’une aiguille sur un microsillon 78 tours : une note chaque fois qu’on sort, une phrase chaque fois qu’on clique. Dans Pluie, les entrées et sorties de champ annoncent un rituel orageux, averse, tonnerre, gouttes. Les modules se jouent donc en cliquant et en bougeant la souris. Machination rappelle le moteur d’interactivité de Trauma, module de Flying Puppet : la promenade sur quatre cadres génère trois boucles rythmiques simultanées. J’ai demandé à Didier Petit de produire des bruits et des sons de percussion avec son violoncelle. La mélodie engendrée par le clic nous emmène vers un second tableau où l’unique cadre associe percussions à l’intérieur et pizzicati sur son pourtour… La musique mécanique accompagne la répétition des corps. Dans Slow Down, les frottements de l’archet sont plus ou moins rapides en fonction de la vitesse des figures, tandis que les notes du bugle de Bernard Vitet accompagnant les flexions de la danseuse sont transposées vers le haut ou vers le bas selon la position du curseur. La danse exigeant certains effets de synchronisme avec la musique, partout dans Somnambules je cherche à les pervertir en suivant les mouvements des danseurs ou de la souris.


Lorsque Nicolas m’envoie Frontal, je pense instantanément à des culbutos. J’imagine des angklungs, percussions balinaises de bambous secoués. Pour donner l’impression de conversation, j’enregistre une vingtaine d’instruments, flûte, trompette à anche, orgue à bouche, cornet, violon, piano jouet… Nicolas les monte bout à bout de manière à en faire des phrases nerveuses et aléatoires. Lorsqu’on s’éloigne d’un des deux danseurs solistes, on entend l’intégralité de la mélodie free jazz qui se termine, aigue sur la danseuse, grave pour son comparse. J’imite le procédé vidéographique à l’œuvre dans Docks en empilant quatre couches de son qui s’additionnent au fur et à mesure que l’on s’approche du centre de l’image : d’abord une ambiance seule, des pas, la respiration et enfin une boucle dansante. Ici encore, je livre plusieurs fichiers de chaque couche pour éviter la monotonie et faire évoluer la scène dans le temps. Nicolas fait suivre cette règle aux images. Le curseur, qui ressemble ici à un empilement de petits traits, indique sur quelle couche on se trouve. Le duo de Fragile, sur fond de murmures, est accompagné par la guitare et la trompette, dans un style qui rappelle la sérénité de certaines pièces de Bill Frisell. La guitare égrène ses notes chaque fois qu’on passe sur le danseur au premier plan tandis que la trompette joue des phrases complètes sur celui à l’arrière-plan… En recherchant des images d’archives de Didier que j’avais tournées quelques années auparavant à la Ménagerie de Verre, je tombe par hasard sur un duo avec Anne-Catherine dont je n’avais aucun souvenir. Cette séquence va donner sa matière à Melting, où l’écran est partagé en quatre zones correspondant à quatre boucles rythmiques de violoncelle qui se mélangent selon la position du curseur. Le clic ajoute des mélodies à un mixage déjà bien plein. C’est une scène très lyrique, la seule où les corps se sont réellement touchés pendant la prise. Les autres fois, seul le code de Nicolas les réunit à l’écran ! On agit sur le prélude de High comme avec la coulisse d’un trombone. La scène est directement inspirée des films de Jean Cocteau, filmée depuis les cintres, afin que Didier Silhol semble voler en état d’apesanteur. Les ambiances composées à partir de voix enregistrées avec un processeur en temps réel se succèdent lorsqu’on inverse le sens de déplacement du danseur. Un bruit de feuillage frissonne lorsqu’il lui arrive de tomber. Le clic déclenche une trompette transformée électro-acoustiquement. La Coda rappelle la musique, les bruits et les ambiances de l’ensemble de l’œuvre.


Somnambules est mon premier long-métrage sur le Net ! Il semble que le support se prête mieux aux formes courtes. Il est plus aisé de regarder un petit module qu’une longue suite. De plus, les sites sonores sont encombrants : au bureau on se fait vite remarquer, alors que l’on zappe facilement des pages luettes à l’arrivée du patron. À la maison, c’est pareil, on surfe en écoutant de la musique. Les sites sonorisés demandent un effort particulier. Somnambules.net s’approche difficilement de la centaine de milliers de visiteurs, alors que Flying Puppet a largement dépassé le demi-million et LeCielEstBleu son deuxième million ! Ce n’est pas mal pour des sites de création sur le Net, mais ce ne sont pas des chiffres exceptionnels. Cela ne veut pas dire grand chose non plus : combien de temps reste un visiteur sur le site ? A-t-il téléchargé les plug-ins nécessaires ou zappe-t-il aussitôt ? Les statistiques sont complexes. Les sites de création personnels ont une très forte visibilité, ils font couler l’encre des journalistes, attirent les récompenses et, surtout, génèrent les commandes des circuits institutionnels et commerciaux. Mais ils ne permettent pas d’en vivre. Pour l’instant, l’absence de modèle économique sur la Toile et le désir de projeter ces œuvres en grand, dans l’obscurité, dans de bonnes conditions acoustiques, vont nous pousser à nous produire en spectacle d’une part, et d’autre part à nous lancer dans des projets d’installations muséographiques tout aussi interactives, mais instituant de nouveaux enjeux.


Ce mouvement s’est amorcé avec Sarajevo suite et fin au Festival des 38ièmes Rugissants à Grenoble. J’avais déjà effectué quelques tentatives réussies en invitant Murielle Lefèvre et Frédéric Durieu à improviser en images avec Un Drame Musical Instantané. Cette fois, Benoît Thiebergien me propose de participer à la Nuit des Remix avec une relecture du projet Sarajevo. En 1994, avec Corinne Léonet, j’avais assuré la direction artistique d’un disque réalisé au profit de la reconstruction de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Bosnie-Herzégovine à Sarajevo détruite par des bombardements serbes en août 1992. Près d’un million et demi de manuscrits, livres, incunables et périodiques avaient été anéantis par le feu, menaçant ainsi une partie de la mémoire des civilisations des Balkans. Sarajevo Suite était une création collective, témoignage de notre opposition à toute forme d’intolérance et de fascisme, autour de textes du poète bosniaque Abdulah Sidran. La soixantaine de participants, musiciens, comédiens, producteurs, ingénieurs du son, photographes, maquettistes, photograveurs, avaient accepté d’y contribuer bénévolement. C’est un des disques dont je suis le plus fier également d’un point de vue artistique. Benoît Thiebergien m’avait alors demandé de transposer ce travail sur scène. Aussi avais-je réuni les orchestres de Lindsay Cooper et Henri Texier, le Quatuor Balanescu, Pierre Charial, Bernard Vitet, pour un spectacle de plus de deux heures. Le rôle du récitant était tenu par Claude Piéplu. Dix ans plus tard, me voilà revenu à Grenoble, pour ce remix ! J’ai tout de suite pensé élargir le débat en prenant Sarajevo comme modèle de la barbarie qui l’a suivie et qui fait notre quotidien planétaire. J’ai toujours pensé que la guerre des Balkans avait été le blanc-seing pour l’invasion de la Tchétchénie, de l’Afghanistan, de l’Irak, pour les massacres du Rwanda, etc., sonnant le trépas de l’ONU et laissant les grandes puissances intervenir en toute impunité où et comme elles le souhaitent. Je demandai donc à Nicolas Clauss de produire des images qui posent la question de l’horreur sur toute la planète, et j’appelai la chanteuse Pascale Labbé à se joindre à nous, pour ce remix « world contemporain ». Sarajevo suite et fin est construit en trois parties. Pour Le début de la fin, scène chaotique qui plonge ses racines dans tous les conflits du passé, je fournis à Nicolas les plans d’un film que j’avais monté en 1974 à partir d’images d’archives de la guerre de 14-18. De son côté, il me fabrique une petite application qui me permet de jouer, sur le clavier de mon ordinateur portable, des extraits de la pièce que j’ai composée dix ans plus tôt avec Bernard Vitet pour le Quatuor Balanescu. L’ambiance est rouge sang. La seconde partie, Lucifer, est une partie lente, un blues de nulle part chanté par Pascale sur un texte que j’ai écrit pour l’occasion, avec en fond sonore les bombardements de Sarajevo. J’y joue du synthétiseur, grave et menaçant, Nicolas fait évoluer les images très lentement, imperceptiblement. Le troisième mouvement, Worst World Waste, aux cyniques initiales, reprend le quatuor original mais cette fois, tel qu’il avait été écrit, tempo plus rapide, essoufflement garanti, avec la voix de Pascale et ma flûte roumaine se mêlant à la nouvelle orchestration mécanique. Nicolas y laisse briller quelques lueurs d’espoirs dans une hypothétique relève de la jeunesse. Cette expérience nous a donné envie de continuer de nous produire sur scène, cette fois avec un spectacle complet intitulé Off-Line, qui comprend également une version scénique de Sommambules et White Vibes. Il y a un fossé entre les projets et la réalité, pourtant j’ai l’impression d’avoir toujours eu la chance de réaliser mes rêves, juste une question de temps !


Plus tard, avec Nicolas et parfois Sacha Gattino, Pascale Labbé, Didier Petit, Étienne Brunet, Éric Échampard ou Sylvain Kassap, nous ferons des spectacles live, comme Somnambules et Le bruit des ombres...

jeudi 28 mars 2019

Le son sur l'image (35) - Flying Puppet, le WWW en peinture 4.6.1


Flying Puppet & Somnambules, le WWW en peinture

Ces questions concernant l’art et la manière, le rôle de chacun, sa part d’auteur, alimentent couramment nos discussions avec Nicolas Clauss. Il n’est pas facile de délimiter la quantité de travail de chacun, ni très sérieux de le comptabiliser en heures passées devant la machine. Le temps de la réflexion économise considérablement la durée de la mise en œuvre, le succès d’une œuvre collective dépend souvent d’un petit rien. Nous dépassons tous le rôle que nos fonctions nous assignent a priori, l’élaboration de nos pièces interactives étant le fruit d’un continuel aller et retour, fait de propositions, de critiques, de maturations, d’ajustements multiples. Si je définis un auteur par celui qui véhicule un monde propre à lui-même, un regard original doublé d’une mise en œuvre personnelle, je pense que la création collective peut obéir aux mêmes lois. Il est difficile de quantifier l’apport de chacun, d’autant que cet apport est double, le temps passé sur le projet proprement dit et celui qui lui est antérieur, où l’on s’est formé, où l’on a acquis connaissances, sensibilité, maîtrise, et qui ne demande pas de nouveau délai, du moins très peu, si on le compare à celui que requiert un novice ou un artiste bordélique ! Savoir qui est artiste ou ne l’est pas est une question très à la mode. Elle est induite par l’écran de fumée que les technologies dites nouvelles tendent devant nos yeux comme une toile dans laquelle plus d’un et d’une se sont englués. Les logiciels informatiques font prendre à nombre d’utilisateurs leurs vessies pour des lanternes, et alors, comme disait Pierre Dac, ils se brûlent. Il ne s’agit pas de savoir, je dirais même, bien au contraire. C’est la nécessité, l’urgence, le refus, l’utopie, la révolte, la morale qu’on se fabrique, qui font l’œuvre et définissent son auteur. Le pourquoi des choses est capital, comme la peine qui ne peut être abolie avec la loi. Il vaut mieux, parfois, être un génial ingénieur qu’un artiste de troisième catégorie. Les techniciens appliquent les désirs des auteurs, les artisans manient leurs outils avec virtuosité, les artistes sont souvent gauches et maladroits, tentant de donner au réel les allures d’un autre monde. L’art est une œuvre de l’esprit, fut-il inconscient ou naïf. Ceux qui l’appliquent sont des artisans. Il n’est pas non plus interdit de faire la navette entre les deux selon les projets. L’art appliqué existe souvent parallèlement, il est même couramment pratiqué pour les musiciens, habitués à se mettre au service d’autres arts. Un artiste est conditionné par l’univers qui l’entoure. Il réfléchit ce monde à travers un prisme déformant, retour à l’envoyeur d’une mauvaise balle, inutile de s’en plaindre après coup ! Ces questions sont plus cruciales pour les développeurs que pour le peintre ou le musicien. Comme il est d’usage de les appeler artiste peintre et artiste musicien, ceux-ci n’ont pas besoin de s’interroger sur leur statut social. J’insiste, persiste et signe : un artiste est défini par une morale ou une vision qui ne peuvent être que personnelles, libre à celui ou celle qui la consomme de la faire sienne, mais sa place est tout autre, spectateur, auditeur, visiteur, consommateur… L’art est critique et n’a rien à voir avec la mode, c’est même tout le contraire, ce qui justement explique qu’il perdure au-delà des effets de mode. L’art est l’expression d’une souffrance, d’un refus du monde tel qu’il nous est offert, il prend forme par refus de cette souffrance. Cela se passe en deux temps, inadaptation sociale suivie de la tentative d’y trouver une place viable. Faute de quoi, il n’y aura d’autres issues que dans la folie, la délinquance ou le suicide. Heureusement pour nombre d’entre nous, l’art, cette révolte, peut s’exercer dans l’allégresse, dans la résistance active et la persévérance. Car la seule chose qui « paie », c’est la durée. Même si vous faites de la merde aux yeux de certains, le fait d’en vivre depuis trente ans vous apportera leur considération. Le seul regret sera d’avoir été sans ne jamais être, du moins aux yeux et aux oreilles de vos anciens détracteurs devenus vos fidèles supporters ! L’artiste ne connaît justement que le présent, même s’il lui est douloureux. L’amnésie permet d’avancer, de se renouveler, de rester critique ; la biographie n’est qu’une assurance. Le futur est un leurre, une carotte tenue au bout d’un bâton. Qu’il est réconfortant d’avoir fait, qu’il est excitant de rêver à l’avenir meilleur ! En tout état de cause, je ne connais qu’aujourd’hui, ignorant si je serai là demain.

Long préambule, certainement très naïf aux yeux de certains, pour évoquer mon travail avec Nicolas Clauss. C’est pourtant bien le genre de nos conversations, qui parfois nous donnent matière à créer… Avant de se lancer dans la programmation, Nicolas était artiste peintre, il peignait de vrais tableaux, avec de la croûte, de l’épaisseur, objets collés, intégrés à la toile, lettres volées, photos jaunies, transparence des couches successives, mémoires anonymes, strates incompréhensibles des drames de chacun, parfois un cadre, le cadre. Déjà attiré par les ordinateurs, Nicolas découvre le CD-Rom Alphabet à une exposition organisée par ART 3000 au Forum des Images. Apprenant que c’est réalisé avec Director, il abandonne ses pinceaux pour le lingo, langage utilisé par ce logiciel de programmation. Il prend contact avec dadamedia, lie sympathie avec Frédéric Durieu qui lui apprend les rudiments de la programmation et me le présente. Passionné de musique improvisée et de nouvelles musiques, Nicolas possède depuis longtemps deux albums du Drame. Il me montre une sorte de remix sur trois écrans simultanés qu’il a fait de Machiavel en récupérant les médias du CD-Rom. C’est habile et original. Quelques mois plus tard, Nicolas quitte LeCielEstBleu, dont il est l’un des cofondateurs avec Fred et Kristine, pour monter son propre site, flyingpuppet.com, en avril 2001. Bosch est notre première collaboration, née de sa déception de ne pas participer à notre Jardin des délices. À cette époque, nous lui opposons qu’il n’est pas encore prêt pour assurer la direction artistique d’un projet de cette envergure. Le chemin parcouru depuis montre la vitesse à laquelle il a atteint ses objectifs. Son chef d’œuvre, De l’art si je veux, l’atteste : maîtrise esthétique, humour critique, analyse dramatique, appropriation du passé pour réaliser une œuvre totalement nouvelle. De l’art si je veux met en jeu le regard de jeunes gens sur l’art moderne, auquel ils prêtent leurs voix tandis qu’ils produisent du matériau iconographique s’en inspirant, images fixes et mobiles, pour qu’ensuite Nicolas les organise dans le style de chaque artiste réfléchi. Arman, Bacon, Basquiat, Ben, les frères Chapman, Duchamp, Munch, Spoerri sont passés à cette moulinette. Les choix ne se sont pas innocents, ce sont parmi les références fondatrices du travail de Nicolas. L’aspect le plus époustouflant de L’art est le regard aiguisé des participants de cet atelier, aussi essentiels que les œuvres qu’ils commentent, de l’art à l’état brut avec en toile de fond les réflexions de l’année 2004 et en finition l’intelligence picturale et l’émotion interactive de l’artiste responsable. L’installation que Nicolas réalise avec Jean-Noël Montagné à L’Espal est aussi réussie. L’obscurité d’abord nous aveugle. Dans une salle immense qui rappelle un planétarium sont exposées plusieurs tableaux projetés. On se dandine sur un fauteuil équipé de capteurs pour faire évoluer les visages de Bacon, on avance sur un proscenium en se tenant à une rampe pour voir tous les cris du Munch, le Duchamp est un terrain de football où l’on se repasse la balle… Les enfants s’en donnent à cœur joie, le spectacle est total.


Bosch pose les limites techniques que Nicolas s’autorisera longtemps : une boucle sonore sous chacun des quatre côtés du cadre, un son au centre. Dans le second tableau, résonne une boucle supplémentaire, monastique, lorsqu’on enfonce la souris vers le bas de l’écran. C’est simple, efficace. Je compose un mélange baroque de sons de synthèse et de voix pour une musique répétitive, genre que Nicolas affectionne particulièrement. Je suis moi-même fasciné par le travail de Steve Reich depuis la première heure. Clauss n’est pas développeur, son code n’arrive pas à la cheville de celui de Durieu, Schmitt ou Koechlin, mais il sait programmer ce dont il a besoin. Je me reconnais en lui. Je n’ai jamais su jouer d’autre musique que la mienne. J’accepte ses contraintes car je sais bien que ce n’est pas la technique qui fait l’artiste. Nicolas a un monde pictural qui lui est propre, antérieur à sa prise en main des machines. Il sera amusant de constater qu’avec le temps, il retrouvera le style de ses tableaux après s’en être écarté un moment, le temps d’appréhender sa nouvelle boîte à outils. Les couches de transparence vont faire réapparaître la croûte.
Pour Dark Matter, j’utilise les sons électroniques, et pour Résurrection, un orchestre symphonique virtuel, référence à mes amours malheriennes d’antan. Nicolas insiste sans cesse pour que j’utilise plutôt de véritables instruments acoustiques et des sons réels. Derrière le tiroir inaugure cette demande, même si j’avais déjà sonorisé ses Mini Paint et Typed Paint de petits sons d’interface discrets. Pour Dark Matter, les sons s’enchaînent en suivant les mouvements de la souris, des boucles se succèdent automatiquement, les touches fonctionnelles sont sonorisées. Pour Résurrection, c’est encore plus simple : une boucle de cordes à gauche, une à droite, les bois sous les clics de la souris. La musique de Moon Tribe comporte sept sons/pistes/boucles de percussion synchronisés avec chaque danseur, mais qui se décalent les uns par rapport aux autres selon le moment où l’on clique avec la souris sur chacun des danseurs.

Derrière le tiroir est un premier pas vers le rêve. En introduction, une petite boucle du hérisson qui marche, poupée retrouvée dans l’enfance du peintre, une bulle qui crève donnant l’indice d’où cliquer ici et plus tard. Le vent ou un train dans la nuit, je ne sais plus, à vous de choisir, sur lequel viennent se poser de lugubres oiseaux, des verrous, on frappe à la porte au-delà du bord cadre de droite, un chien aboie à gauche, parfois on entend des ricanements d’enfants. Le clic ouvre un tiroir : murmures, chœur d’hommes, une boîte à musique fait apparaître le tableau suivant, avec valse de François Baxas sur fond de bal. Le tiroir se referme tandis que tous les sons entendus se mélangent dans la tête du hérisson et que le bal s’éloigne. Retour à la case départ. Je commence à me mêler de ce qui ne me regarde pas, nous partageons les critiques sur les images comme sur les sons et la navigation. Chassé-croisé entérine l’idée de castelet qui était sous-jacente. Le hors champ devient un élément déclencheur des modules de Nicolas. Une sanza, piano à pouces africain fait de lames de métal pincées, et un erhu, violon vietnamien à deux cordes, se mélangent. Les boucles se succèdent comme on entraîne les personnages dans les coulisses à gauche ou à droite. Une voix d’homme et une voix de femme accompagnent les deux personnages de Bosch tandis qu’on glisse la souris vers le haut ou le bas. Les apparitions et disparitions de ce jeu de cache-cache déclenchent les sons et construisent la partition miniature. Un accord annonce le dramatique Massacre. Je m’inspire de l’Enfer du CD-Rom sur le Jardin des délices en partageant l’écran en quatre boucles vivaldiennes dont le mixage est réalisé par la place du curseur, question de dosage. Au centre, sont déclenchés des bruits de bataille, cris, chevauchées, lames entrecroisées, tandis que le clic produit un bruit de drap déchiré et réverbéré. En découvrant le module muet, j’ai tout de suite pensé à la Saint Barthélemy alors que Nicolas avait Duchamp à l’esprit. Nous commençons à nous entendre réellement, la complicité prend forme. Pour Sorcière, j’utilise la messe que Bernard Vitet a enregistré à Saint Nicolas du Chardonneret, le fief des intégristes, et qu’il diffuse à l’envers, ainsi que des flammes ralenties et des rires féminins diaboliques. Aux entrées et sorties de champ de L’étranger, je joins un rythme lent ostinato, des percussions jouées sur ma bicyclette et une flûte japonaise, rencontre improbable d’un cycliste en canotier du début du siècle et d’une geisha avec ombrelle. Travelling est accompagné par un triple piano, programme qui me permet de jouer simultanément du piano, un autre retourné mais en quarts de tons, et le troisième accordé modalement. Le mixage de boucles s’effectue en se promenant dans l’image, souris appuyée pour y zoomer. Pour Nicolas, c’est l’entrée dans le monde de la vidéo, dont il va trouver la place déterminante avec Dervish Flowers, en l’incrustant à l’intérieur de ses tableaux.


Pour moi aussi, Dervish Flowers marque un tournant, peut-être parce que Nicolas finit par y programmer une mélodie interactive qui se construit lorsqu’on caresse les fleurs, ou bien est-ce ma palette sonore qui devient plus homogène ? Les cinq boucles musicales se succèdent et évoluent chaque fois que les danseurs disparaissent du cadre. C’est une nouvelle phase de notre collaboration qui débute, plus affirmée dans ses choix esthétiques, avec l’entrée de la vidéo me permettant d’avancer en terrain connu. J’y suis plus à l’aise qu’avec la peinture ou le code. Les mêmes principes régissent Ulchiro : recomposition des mouvements des danseurs image par image à partir de vidéos, boucles musicales invariables sur lesquelles viennent se superposer des séquences de sons qui s’enchaînent aléatoirement. Détournement est de la même eau, chorégraphie pirate qu’on prend en main comme un jeu de ping-pong en construisant de toutes petites boucles vidéographiques, tandis que Jazz permet de mixer un quartet, sax, piano, contrebasse, batterie, et d’ajouter accords et trompette sous les clics de la souris. Avec Jean-Jacques Birgé by himself, Nicolas me propose de réaliser mon autoportrait à quatre mains. Je lui fournis les images et les sons, il les met en scène. Je pioche quelques bribes orchestrales dans mes disques, joue de ma flûte préférée, on entend ma fille chanter, lorsqu’on clique viennent s’ajouter des phrases prises dans la radiophonie de Zappeurs-Pompiers 2 : « nous cherchons toujours le bonheur, nous encodons tous les objets, jets de pierres contre grenades lacrymogènes, on s’arrête là si vous n’avez pas eu le temps de noter, vous avez souri quand c’est passé à l’image, pourquoi ?, les terroristes ne regrettent rien, miracle l’image apparaît… » Les sons et les images apparaissent lorsqu’on sort du cadre en haut et en bas. Pour Avant la nuit, nous enregistrons la voix de Pascale Labbé et la flûte zavrila de Jean Morières dans leur cuisine du Gard ; remonté à Paris j’ajoute la contrebasse. Je cherche chaque fois une ambiance particulière, adaptée aux images de Nicolas. Souvent, nous ne découvrons l’objet que lorsqu’il est terminé. Nous en cherchons ensemble le titre. Nicolas trouve une astuce pour sonoriser interactivement les loaders qui font patienter l’utilisateur pendant que les modules se chargent dans la mémoire vive de la machine, il découpe un son en petites tranches qui sont jouées en ordre aléatoire.

Dans la gueule du loup est créé à partir d’essais réalisés avec sa nouvelle caméra : le chat n’arrête pas de râler pendant qu’on peut jouer du balafon, du clavecin ou de bizarres frottements, en promenant la souris sur les lames de bois, le choix de l’instrument s’exerce dans la verticalité du tableau ; il faut toquer un certain nombre de fois à la porte pour la faire céder et que le félin apparaisse, un pas en avant pour ses rugissements, un pas en arrière pour entamer le clavecin… On retrouve là des constantes, le castelet, des déplacements de sens, transpositions d’échelles, la marionnette du loup qui frappe dans ses mains, qui dévore-t-elle en coulisses ? Dans Pénélope, les vagues, le vent, les voiles qui claquent, les cordages qui grincent, les plaintes des marins, le chant des sirènes sont toujours générés par les entrées et sorties de champ, ou en gardant la souris appuyée. Pour chaque module, le jeu consiste à composer un imaginaire sonore qui colle avec l’image sans être illustratif, et techniquement, à s’appuyer sur les lois qui régissent déjà l’image. Il faut que je comprenne d’abord la navigation pour connaître les limites qui me sont a priori imposées. Ensuite je me laisse aller à rêver, en tentant de ne pas fermer l’interprétation pour que chacune et chacun puissent à son tour se l’approprier. Je vois Jumeau Bar et Heritage comme des documentaires. Pour le premier, situé dans un café à la campagne, Nicolas me demande des sons réalistes qui soient sémantiquement décalés par rapport à l’action mais synchrones. C’est une longue boucle vidéo qu’on peut découper en petites boucles en laissant aller la souris vers la gauche ou la droite. Les sons changent selon la direction de lecture du film. Avec le second, il m’envoie des extraits des discours des présidents Bush, père et fils, pour que je les choisisse et leur donne un sens. J’ajoute la voix des GI américains qui comptent, 1, 2, 3, 4, une respiration profonde et angoissée, des battements de cœur et les balbutiements d’un bébé, le son des puits de pétrole et une cavalcade de chevaux, afin de révéler la névrose du fils à travers les propos partagés avec son père à quelques années de distance.


Le dernier module que nous réalisons au moment où j’écris ces lignes est inspiré de la scène de la douche de Psychose. Je suggère à Nicolas de nous échapper de la terreur du film d’Hitchcock et de n’en conserver que son aspect érotique, voire de l’exacerber. Son traitement graphique surexposé me donne l’idée de sonoriser chaque plan du film avec du papier et les instruments de dessinateur : crayon, gomme, taille-crayon, etc. J’ajoute quelques murmures dont il est difficile de dire s’ils sont dus au plaisir ou à la souffrance, et de longues boucles musicales d’orchestre les plus légères possibles, comme suspendues à un fil…

vendredi 15 mars 2019

FluxTune - Mode d'emploi


J'ai retrouvé dans mes archives le mode d'emploi que j'avais rédigé pour l'application FluxTune. Je le reproduis ici afin de montrer la logique compositionnelle de l'objet qui échappe à celle de tous les autres séquenceurs. C'est évidemment langage de spécialistes, mais les musiciens sauront apprécier l'ampleur du travail que nous avions fourni avec Frédéric Durieu et l'originalité de la démarche. FluxTune fonctionne encore parfaitement sur de vieux systèmes OSX comme le 10.6.8 qui équipe mon ancien MacBook Pro.

INTRODUCTION

Comme La Pâte à Son et contrairement aux séquenceurs basés sur le système des voix parallèles, FluxTune est un logiciel de composition musicale permettant de créer une polyphonie complexe à partir d’une mélodie simple.

Les notes, envoyées par des émetteurs, voyagent sur un circuit où elles rencontrent des instruments. Des aiguillages les orientent et les organisent, tandis que des obstacles les dévient. Dessiner des boucles les réinjecte dans le circuit, le laisser ouvert les éjecte.

Les paramètres de l’interface sont :
- les réglages généraux
- les émetteurs
- les instruments : internes, externes (non implémentés sur la version online), midi (en développement)
- les obstacles : sens uniques, réflecteurs, trous
auxquels s’ajoutent différents boutons basiques (nouveau, ouvrir, le crayon et la gomme, etc.), ainsi que différents raccourcis clavier.

En dessinant un ou plusieurs circuits sur le damier et en y déplaçant des éléments, on construit progressivement sa propre machine, labyrinthe constitué de lignes, d’émetteurs, d'instruments et d’obstacles.
Au lancement du programme, un modèle est proposé. De nombreux autres exemples peuvent être chargés grâce au bouton Ouvrir.
Si l’on part d’un damier vide, il est conseillé de commencer par des configurations simples.
Les notes sont figurées par des points colorés. À chaque couleur correspond une hauteur invariable.
Dessiner des aiguillages (deux ou plusieurs lignes partant du même point), créer des boucles (réinjection des notes dans le circuit), insérer des obstacles, multiplier les instruments ou les émetteurs complexifient la musique.
Une ligne ouverte laisse échapper des notes qui disparaissent. Sans ouverture, le circuit peut se trouver saturé.
La suite dépend de la fantaisie des expérimentateurs...
Le circuit le plus simple consiste en un émetteur, un segment et un instrument.

Le mode Plein Ecran fait disparaître l’interface, offrant plusieurs modes d’affichage.



RÉGLAGES GÉNÉRAUX

Boutons :

Nouveau – Ouvrir – Sauver - Sauver sous – Pause/Play – Retour à zéro – Undo – Redo - Mode plein écran
N.B. : la sauvegarde n’est pas accessible sur la version on-line gratuite.
Le crayon permet de dessiner le circuit, la gomme d’en effacer des bouts ainsi que n’importe quel objet figurant sur le damier.
La barre d’espace change le curseur en main pour déplacer des morceaux de circuit. Option-Clic duplique l’élément sélectionné.

Réglages :

2 façons de régler :
- Cliquer sur l’icône en glissant la souris horizontalement ou verticalement (le point rouge se transforme en ligne)
- Cliquer à gauche ou à droite de la valeur affichée
Volume (0-100) – Tempo (1-600) – Transposition (±36)

Le signe + donne accès à des paramètres plus poussés :

Switch indique le type d’aiguillage, nerf de FluxTune, toute son originalité !
Les 11 modes proposés décident de la direction prise par la note suivante.
Un aiguillage peut avoir 2 ou 3 branches de chaque côté.
Next Way 1 Side : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la suivante à droite uniquement dans le sens où elle se déplace.
Next Way 2 Sides : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite des deux côtés de l'aiguillage.
Next Way 2 Sides Reverse : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite dans le sens où elle se déplace et vers la gauche de l'autre côté de l'aiguillage.
Random Way 1 Side : une note change l'orientation de l'aiguillage de manière aléatoire, uniquement dans le sens où elle se déplace.
Random Way 2 Sides : une note change l'orientation de l'aiguillage de manière aléatoire des deux côtés de l'aiguillage.
Next Way 2 Sides Same : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite dans le sens où la particule se déplace. L'aiguillage de l'autre côté est placé dans le même sens.
Next Way Other Side : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite uniquement dans le sens opposé à son déplacement.
Pitch of the note : une note change l'orientation de l'aiguillage vers la droite dans le sens où elle se déplace, plus ou moins fortement en fonction de la hauteur de la note (1,2,3,4 de 1; 5,6,7,8 de 2; 9,10,11,12 de 3).
Like Pate à Son 1/2/3 sont des programmes plus complexes convenant souvent aux compositions musicales…
4 paramètres (0-100) règlent la Reverb :
Level (niveau) – Width (largeur) – Size (Taille) – Damping (Amortissement)
Pour en être affecté, il faut régler l’envoi de chaque instrument dans la réverbération.

La Modulation transpose l’ensemble des notes, modulant d’une tonalité dans une autre :
±7 (incréments par demi-ton selon le cycle des quartes ou des quintes) – RANDOM – OFF – MOD1/2 (si les notes les plus jouées ne correspondent à aucun mode prévu, le programme cherche celui qui s’en approche le plus)
La Fréquence de modulation (1/200) est déterminée par le nombre de notes jouées par le circuit en temps réel (x). Le changement s’opère en calculant 5000/x, soit, par exemple, si la fréquence est à 100 la modulation aura lieu toutes les 50 notes jouées.



ÉMETTEURS

Bien qu’inféodé aux réglages généraux, chaque émetteur est indépendant.
En cliquant une fois dessus, on a accès à ses paramètres.
Recliquer revient à en changer la direction.
Un simple roll permet d’écouter ce qui sort de cet émetteur en mode solo.
Un glissé-déposé déplace l’objet.
Sur la grille Melody, les 7 notes d’une gamme inscrites sur 7 pas suffisent souvent à générer une polyphonie complexe. On pourra choisir l’une des gammes majeures, l’un des exemples proposés ou composer soi-même sa mélodie de départ sur 1 à 30 pas (Steps).
Une couleur différente est affectée à chacune des 12 notes de la gamme chromatique permettant de repérer ces hauteurs immuables sur la grille et sur le circuit.
Le Play Mode permet de retarder le début d’une émission (utile en cas de plusieurs émetteurs), de jouer un certain nombre de notes, d’émettre un silence suivant un nombre de pas et de boucler ces deux derniers paramètres de façon à alterner une séquence de notes et du silence.
Ainsi, le Start Delay rendra muettes jusqu’à 9999 notes avant qu’elles ne deviennent audibles. Le Play Time indique le nombre de notes jouées (1-9999), le Silent Time le nombre de notes muettes (0-9999), et retour au notes du Play Time… Le nombre de Cycles va de l’infini INF à 999. Current n’est pas réglable mais il indique le nombre de cycles qui a déjà été joué.
Random Read permet de jouer les notes de la Melody dans un ordre aléatoire (ON/OFF). Random Elision est le pourcentage de notes remplacées par des soupirs (0/100).
Volume règle le niveau d’un émetteur par rapport au volume général.
Transmitter Tempo comprend un multiplicateur et un diviseur pour créer des tempi différents de celui du réglage général.
Duration raccourcit la durée des notes (0-100, 100 jouant l’intégralité de l’échantillon).
Density affecte le nombre de notes émises (0-10), ce qui n’affecte pas le tempo pour autant.
Octave est une transposition de 3 octaves, avec la possibilité de jouer sur plusieurs octaves avec ou sans aléatoire (± 3 octaves, Random -1/-2/±1/±2).

INSTRUMENTS

Bien qu’inféodé aux réglages généraux, chaque Instrument est indépendant.
En cliquant une fois dessus, on a accès à ses paramètres.
Un simple roll permet d’écouter ce qui sort de cet émetteur en mode solo.
Un glissé-déposé déplace l’objet.
Il y a 3 manières de sélectionner chacun des 39 instruments échantillonnés :
- en cliquant et glissant sur l’icône Instrument
- en cliquant à gauche ou à droite de son nom
- en utilisant les menus déroulants
N.B. : les sons externes ne sont pas accessibles sur la version on-line gratuite.

Le bouton ON/OFF permet de mettre l’instrument hors jeu.
Octave permet de le transposer (±3) indépendamment des réglages généraux.
Reverb Send dose l’envoi de chaque instrument dans la réverbération (0-100).
Volume règle le niveau d’un instrument par rapport au volume général et à celui de son émetteur (0-100).
Duration raccourcit la durée des notes (0-100, 100 jouant l’intégralité de l’échantillon) indépendamment de celle indiquée dans les réglages de l’émetteur.
Low Pass est un filtre passe-bas (0-100).
Ces trois derniers paramètres ont un réglage Random (0-100) offrant des variations aléatoires de volume, de durée et de filtre.

OBSTACLES

Reflector est un mur sur lequel rebondissent les notes qu’elles arrivent d’un côté ou de l’autre. One-Way est un mur que d’un seul côté. Hole absorbe les notes comme lorsqu’elles sortent du circuit.
Ces trois obstacles sont affectés d’un coefficient d’efficacité, Efficient, et d’une option aléatoire, Random. Le One-Way possède en outre un bouton ON/OFF qui réfléchit les notes d’un côté, mais les absorbe de l’autre au lieu de les laisser passer.



MODE PLEIN ÉCRAN

Le mode Plein Écran possède trois modes d’affichage accessibles par le bouton de tabulation, transformant la machinerie en feu d’artifices. Le retour à l’interface s’exécute par la touche Esc.
Le mode Interface passe automatiquement en Plein écran au bout d’une minute.

RACCOURCIS CLAVIER

Cmd-N New
Cmd-O Open
Cmd-S Save
Cmd-Shift-S Save as
Cmd-P Pause/Play
Cmd-R Reset (retour à zéro)
Cmd-Z Undo (multiples)
Cmd-opt-Z Redo (multiples)
Cmd-M Modulation
t Emetteur
i Instrument
o One-Way
r Reflector
h Hole
Cmd-F Full Screen On/Off (Plein écran)
Tab (Mode Plein Écran) - 3 styles de Full Screen
Une boîte de dialogue s’ouvre automatiquement dans certains cas proposant de sauver ou pas ou d’annuler la commande
Cmd-Flèche Gauche/Droite (mode Plein Écran seulement) Enchaîne les exemples les uns après les autres dans la version bridée on-line ou les circuits sauvés dans la version complète.
Esc (Mode Plein Écran) Mode Interface
Esc (une seconde fois) Quit

RECOMMANDATIONS TECHNIQUES

Ce jeu nécessite le plug-in Shockwave, une connexion câble ou ADSL, une résolution d’écran de 1024X768 et un ordinateur avec un processeur de 1GHz minimum. Il est conseillé de quitter tout autre application pendant que l’on joue avec FluxTune.

CRÉDITS

Conception Frédéric Durieu, Jean-Jacques Birgé, Kristine Malden
Développement Frédéric Durieu
Music Design Jean-Jacques Birgé
Graphic Design Jean-Philippe Goussot, Frédéric Durieu, Kristine Malden

Remerciements à Bernard Vitet pour ses conseils harmoniques et à Antoine Schmitt pour son X-Tra

© LeCielEstBleu 2005-2009

Toute utilisation commerciale de FluxTune est soumise aux réglementations en vigueur concernant les droits d’auteur, selon qu’il s’agisse des sons, de la musique, des images ou de FluxTune sous quelque forme que ce soit.

Le son sur l'image (34) - FluxTune


Pour évoquer FluxTune je reprends un article du 29 septembre 2005 qui ne figurait pas à l'origine dans Le son sur l'image, puisqu'il fut écrit juste après le work in progress inédit que je publie ici en épisodes depuis quelque temps :

Journées enthousiasmantes à régler la nouvelle boîte à musique réalisée avec Frédéric Durieu. Je commence chaque matinée, de très bonne heure, en découvrant la version que Fred a améliorée la veille. Nous en sommes à la v62 et il reste encore beaucoup de travail, mais ça a trouvé sa forme.
L'Xtra Fluid d'Antoine Schmitt est une bénédiction pour les bien entendants. Macromedia Director n'a jamais été très concerné par ce qui passe par le conduit auditif, ne parlons pas de Flash qui nous fait revenir à une époque que je n'ai pas connue tant c'est rudimentaire et compliqué (pour pas grand chose !). La FluidXTra renferme à la fois un sampler et un séquencer. Elle nous permet de jouer sur un nombre de pistes illimité, d'assigner une réverbération générale ; il y a aussi un chorus, un oscillo basse fréquence, un filtre, un pitchbend, une horloge stable, etc., le tout programmable dans Director. Antoine a développé son Xtra en Open Source à partir du fluidsynth de Peter Hanappe. On ne pourra plus s'en passer.

FluxTune, prononcer fleuxtioune, est une forme adulte et très poussée de La Pâte à Son. On dessine des circuits sur une trame simple mais dont les ramifications sont complexes, d'ailleurs tout ici est simple d'accès mais d'un potentiel énorme donc complexe. Sur le parcours, on place des émetteurs et des instruments (j'en ai samplé 32 sur une octave, certains courent sur plus comme le piano sur 5 octaves avec 2 banques différentes selon le volume, tous sont transposables au delà du raisonnable, vers le haut comme vers le bas). Les notes s'échappent des émetteurs et se dispersent au gré des aiguillages, se rassemblent ou s'évaporent à l'extérieur du dessin. D'une mélodie hyper basique, on peut construire une polyphonie extrêmement fournie. Fred n'arrête pas d'ajouter de nouveaux réglages à l'interface, nous tentons de ne conserver que ceux que nous jugeons adéquats avec la philosophie de notre machine à musique : tempo, pitch, réverbération pour le réglage général ; diviseur et multiplicateur de tempo, densité, ordre et élisions aléatoires, nombre de pas de la mélodie programmable, durée et arrêt des émissions pour chaque émetteur ; volume avec option aléatoire, octave, envoi vers la réverbe pour chaque instrument ; deux autres outils programmables, un sens unique et un double réflecteur, complètent une liste qui n'est pas terminée, je pense que Fred va d'ailleurs bientôt rajouter un filtre par instrument ;-)

Suivre les particules sur le circuit est vertigineusement hypnotique. Le mode plein écran offre un très joli spectacle de feu d'artifices synchronisé avec la musique d'où l'interface a disparu. Jusqu'à hier, la musique était de type répétitif, variations quasi infinies, mais depuis ce matin nous avons implémenté la possibilité de démarrer ou arrêter cycliquement chaque émetteur. On aborde ainsi le couplet/refrain aussi bien que les tuilages progressifs. Presque tout ce qu'on tente avec FluxTune sonne bien, c'est très encourageant d'entendre des musiques aussi variées, nous sommes impatients d'entendre ce qu'en feront les futurs utilisateurs, mais avant cela, il faut terminer le moteur, le graphisme et décider ce qui sera offert avec la version gratuite et ce qui sera vendu, et puis comment et combien... Pour une fois qu'on tient un(e) machin(e) sur Internet qui peut rapporter des sous ! On pourrait même vendre la technologie développée pour FluxTune pour dessiner des signatures, des mots, des noms, en les rendant musicaux et animés... (en fait FluxTune restera expérimental, je m'en servirai seulement en concert ou lors de workshops) Je n'aurais qu'à fabriquer l'orchestre qui convient au propos. Pour FluxTune, j'ai programmé une large palette qui va de choses basiques comme le piano, l'orgue, la basse ou la percussion à des timbres plus riches et personnels. Nous avons ajouté la voix d'Elsa, c'est très joli...


Le 10 janvier 2009 j'ai annoncé les extraits vidéo de FluxTune que Frédéric Durieu avait figés pour YouTube :

Fred a récemment mis en ligne des enregistrements réalisés avec FluxTune, notre nouvel instrument virtuel qui attend depuis quatre ans que nous lui trouvions des conditions satisfaisantes pour le rendre public. Fred a commencé par placer Rave Party sur YouTube, emballement de percussions sur rythmique techno dont j'ai réalisé les sons avec mon Ensoniq VFX-SD en cherchant à retrouver les effets produits par alternance rapide de plusieurs programmes. C'est souvent en cherchant à reproduire un geste musical que j'invente des timbres et des modes de jeu. Les deux autres exemples, ComeBack et Aubade, sont réalisés à partir d'échantillons de piano sur cinq octaves et deux couches de timbres...


Depuis son château du sud de la France, Fred a programmé les algorithmes, secondé par Kristine Malden qui a apporté sa patte graphique tandis qu'à Paris je tentais de rendre mélodieuses nos élucubrations qui dans les premiers temps d'expérimentation n'avaient rien de très musical ! J'ai raconté comme il fut passionnant de devoir exprimer en mots ce dont je rêvais en termes musicaux à un mathématicien sans aucune compétence musicale et dont les algorithmes m'échappent au point que je les conçoive comme des équations poétiques ! Empiriquement nous nous sommes progressivement approchés de ce que nous imaginions l'un et l'autre au début du projet. Il reste encore quelques ajustements à faire. J'ai demandé par exemple à Fred qu'il soit possible de contrôler des instruments midi depuis FluxTune plutôt que de devoir se cantonner à ceux que j'ai échantillonnés note à note. Du sien, il affine l'interface et la présentation graphique. Nous continuons à avancer doucement, lorgnant une opportunité pour conclure, comme un nouveau début !



En 2011 je présentai encore FluxTune. C'est terriblement dommage qu'aucune version ne soit plus jouable sur Internet... Nous avions l'habitude d'en offrir des copies contre la promesse de nous renvoyer les créations réalisées... Je tente là de livrer une petite idée du potentiel énorme de notre système de composition / interprétation.


Vous avez ici accès au mode d'emploi de notre machine diabolique et Fred possède certainement ses lignes de code écrites en langage Lingo. Comme tout ce que nous avons créé de 1995 à 2005 environ, pas seulement nous, mais des centaines d'artistes emballés par les possibilités de l'informatique, FluxTune s'est évanoui dans les limbes du temps. Les pouvoirs publics, soit en France le Ministère de la Culture, comme les fabricants de matériel et de logiciels ont sacrifié cet immense patrimoine sur l'autel du profit. À leur suite il est probable que notre époque marquera un trou de mémoire total dans l'Histoire de l'humanité, s'il reste encore quelqu'un un jour pour s'interroger...

Précédents chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2 / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma ! 1 / 2
IV. L'auteur multimédia : L'auteur multimédia / Carton / Machiavel / Alphabet, la poésie interactive / LeCielEstBleu, du Zoo à... / LeCielEstBleu, La Pâte à Son / FluxTune

À suivre :
Flying Puppet, le WWW en peinture / Somnambules / Les Portes, vers de nouvelles interfaces...

vendredi 8 mars 2019

Le son sur l'image (33) - LeCielEstBleu : La Pâte à son 4.5.2


La Pâte à son

Cela faisait un moment que nous n’avions rien réalisé ensemble lorsque la Cité de la Musique nous passa une commande pour son site Internet dédié à la jeunesse. Depuis Alphabet, les Girafes, Le jardin des délices et les trois modules de Time, nous n’avions rien créé d’important ensemble. La Pâte à Son est une boîte à musique programmable qui ressemble à un labyrinthe de tuyaux de plomberie dans lesquels circulent des gouttes, notes de musique qui déclenchent des instruments sur leur passage. L’originalité vient du fait qu’à partir d’une mélodie simple on crée une polyphonie complexe, grâce à un système d’aiguillages, de réinjections, d’évaporations… En piochant des éléments sur un tapis roulant et en les disposant sur le damier, on construit progressivement sa propre machine, labyrinthe constitué de tuyaux et d'instruments. On peut jouer dans toutes les tonalités, même des séries dodécaphoniques ! On peut faire varier le tempo, introduire des élisions aléatoires… Des modèles sont proposés pour aider le joueur plutôt que de lui imposer des explications fastidieuses, même si un mode d’emploi est proposé à ceux ou celles qui voudraient en connaître toutes les composantes. Le plus simple est de vous livrer ce mode d’emploi. Trop souvent nous oublions de résumer par écrit le résultat final de nos tâtonnements, et nous ne nous souvenons plus de la complexité des lois progressivement élaborées. Pour une fois, j’ai conservé ce précieux document :

On peut jouer avec La Pâte à Son sans aucun apprentissage ni explication préalables. Elle convient donc à tous les âges. Cela n’est pas sans poser quelques graves questions de fond, car le compositeur le plus confirmé ne produira pas forcément une musique plus extraordinaire qu’un enfant de cinq ans ! En fabriquant La Pâte à Son, ses auteurs ont plus souvent visé la surprise que le contrôle. Néanmoins, le ? en bas à droite de l’écran renvoie à la table des légendes, tandis que les notes qui suivent tentent de donner quelques explications à celles et ceux qui souhaitent comprendre un peu mieux les règles de composition musicale de cette drôle de machine.

Le principe :
La pâte qui circule dans les tuyaux produit des notes lorsqu'elle rencontre des instruments. En piochant des éléments sur le tapis roulant et en les disposant sur le damier, on construit progressivement sa propre machine, labyrinthe constitué de tuyaux et d'instruments. Au lancement du programme, un modèle parmi une quinzaine est proposé pour faciliter la compréhension du jeu. Si on part d’un damier vide, il est conseillé de commencer par des configurations simples. Certains modules complexifient la musique (intersections, boucles, rebonds) en réinjectant la pâte dans le circuit, tandis qu’un tuyau ouvert laisse échapper des notes qui s’évaporent. La suite dépend de la fantaisie des expérimentateurs... On peut même imaginer certains ou certaines instrumentistes s’accompagnant avec La Pâte à Son...

Les modules :
Chaque élément est orientable grâce aux deux petites flèches situées en haut et en bas à droite du module. On peut aussi isoler l'écoute d'un instrument en posant le curseur en bas à gauche du module. Enfin on peut transposer certains instruments d'une octave vers le haut ou vers le bas, en cliquant en haut à gauche du module (sur les percussions, une flèche brisée peut indiquer un ordre aléatoire des sons).
Il y a 11 instruments différents. On peut ramasser 6 exemplaires de chaque instrument mélodique (flûte, pavillon, guitare, gong), 3 de chaque instrument rythmique (tambour, maracas, plaque, charleston, cymbale, poire) et 1 seul faisceau (cordes). Il y a 25 exemplaires de chaque sorte de tuyau (tube, coude, double coude, T, croix, pont, boucles de 4 et 8 pas). On peut accélérer l’apparition d’un module précis sur le tapis roulant en laissant la souris (sans cliquer) sur un exemplaire déjà présent sur le damier. Une couleur différente est affectée à chacune des 12 notes (dans l’ordre du do au si : rose, rouge, orange, jaune, vert pomme, vert foncé, turquoise, bleu ciel, bleu foncé, violet, brun, gris). Les petites particules dorées indiquent un silence.

Les réglages :
Une quinzaine de modèles sont proposés lorsqu’on appuie sur le gros bouton en bas à gauche. Les deux robinets, placés de chaque côté du damier, offrent un très grand choix de boucles mélodiques : 7 notes successives (ascendant, descendant, ascendant-descendant, notes surprises) ou succession infinie de notes aléatoires… Ces 5 mélodies tonales sont suivies de 8 phrases mélodiques et d’un mode dodécaphonique qui court-circuitent le système tonal … La première position permet tout simplement de fermer le robinet et de purger le circuit. Le graduateur tout en haut à droite permet de choisir parmi les 12 tonalités majeures dans l'ordre des quintes. Ces gammes affectent donc seulement les 5 premières positions des robinets. Attention, la gamme commence ici rarement par la fondamentale, la suite de notes ayant été volontairement échantillonnée en commençant par des hauteurs différentes selon les instruments. Au-dessus du robinet de droite, un autre réglage (deux niveaux d’intensité au choix) offre la possibilité d’introduire des variations aléatoires dans la composition musicale globale, voire d’y ajouter des élisions (silences), tandis qu’une tirette permet de purger les tuyaux et que le gros bouton efface l’ensemble de la programmation. Le tempo est fixé par la manette en bas à droite. Accélérer la vitesse de la machine risque de la faire souffrir, à moins que l’ordinateur soit extrêmement puissant ! Enfin, en bas à gauche, une manette arrête ou relance le tapis roulant qui fournit tuyaux et instruments (il est d’ailleurs conseillé d’arrêter le tapis, lorsqu’on n’a plus besoin d’éléments, pour optimiser le rendement de la machine). Attention ! La machine ne peut pas jouer plus de 8 sons simultanés. Si on choisit trop d’instruments, il y a surchauffe et ça commence à fumer ! Retirez alors des instruments ou ajoutez des aiguillages qui dispersent les notes, ou encore aménagez des échappements de pâte. En cas de surcharge, il arrive aussi que certaines notes ne produisent pas de son. Mais rien ne vaut l’expérimentation !

Explication (là ça se complique vraiment) :
Un instrument placé tout de suite à la sortie d'un robinet produit une note sur tous les temps. Plus on intègre d’intersections dans le circuit et plus on éloigne les instruments des robinets, moins les notes jouent souvent. Ainsi, par exemple, on a souvent intérêt à rapprocher les percussions des robinets (sons courts) et à en éloigner les instruments produisant des sons longs comme le faisceau. De même, les transpositions à l’octave inférieure, doublant la durée de la note initiale, fonctionnent mieux lorsque les sons sont rares ou que le tempo n’est pas trop rapide. Une intersection en X ou en T divise le flux de notes par 3 ou par 2 en orientant alternativement les notes vers chacune des directions possibles (on peut même orienter ces aiguillages en cliquant dessus). Chaque case est dotée d’un pas de 4. Si on choisit les boucles de 7 notes du système tonal majeur (4 premières positions du robinet), et si on en place un tuyau sur le chemin des notes, on décale de 4 pas la progression mélodique. Plus exactement, on produit un intervalle qui, selon le nombre de cases, construit, dans l'ordre suivant, une quinte, une seconde, une sixte, une tierce, une septième ou une quarte avec la note initiale.
En changeant la tonalité ou en cliquant sur un robinet (selon les modes sélectionnés), on relance les boucles sans que la machine s’arrête. Si les passages d’une mélodie à l’autre produisent quelque cacophonie involontaire, il suffit de purger les tuyaux avec la tirette.
De plus en plus complexe : en choisissant de faire jouer une boucle modale ou dodécaphonique à un robinet, on force l’autre émetteur à suivre ce mode. Si on arrête l’émission de la première mélodie, le second robinet continue dans ce mode ; mais si on affecte ensuite une mélodie tonale au premier robinet, les deux émetteurs sont à nouveau affectés par les 12 gammes majeures. Si on affecte une mélodie modale différente à chacun des deux robinets, chacun joue dans son propre mode, etc. Alors que la pâte afflue parfois de toutes parts et se croise dans les deux sens, il devient de plus en plus difficile d’analyser le comportement programmé de la machine. La machine à fabriquer de la Pâte à Son obéit donc à des lois fixées par ses auteurs, mais libre à chacun et chacune d’en inventer d’autres qui les complèteront astucieusement…


Ce fut très amusant d’inventer à trois notre Pâte, sortie presque toute seule après deux brainstormings avec Frédéric Durieu et Kristine Malden. La réalisation fut beaucoup plus longue ! Thierry Laval réalisa les illustrations en leur donnant l’aspect enfantin que désirait la Cité de la Musique. Fred passa des semaines à affiner la programmation. Nous espérons pouvoir bientôt continuer à fabriquer d’autres drôles de machines comme celle-ci, les prochaines avec un design plus « adulte ». Tout cette entreprise, ici résumée en quelques lignes, est très longue, surtout en programmation. Après que j’ai envoyé mes sons et les règles qui les accompagnent, il reste beaucoup de travail, de réglages, de réenregistrements, et il n’est pas rare que des erreurs de compréhension entre nous, les limites du programme utilisé ou des tentatives expérimentales nous poussent à réviser nos méthodes de manière à retrouver nos intentions de départ.


Après ces lignes nous avons inventé FluxTune, une machine cent fois plus puissante que La Pâte à son, mais qui restera hélas, trois fois hélas, confidentielle... On peut en avoir une petite idée avec les vidéos postées sur YouTube...

Précédents chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2 / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma ! 1 / 2
IV. L'auteur multimédia : L'auteur multimédia / Carton / Machiavel / Alphabet, la poésie interactive / LeCielEstBleu, du Zoo à... / LeCielEstBleu, La Pâte à Son

À suivre :
FluxTune / Flying Puppet, le WWW en peinture / Somnambules / Les Portes, vers de nouvelles interfaces...

jeudi 7 mars 2019

Le son sur l'image (32) - LeCielEstBleu, du Zoo à ... 4.5.1


LeCielEstBleu

Le CD-Rom d’auteur, puis le CD-Rom culturel, perdant donc avec dommage leur crédit auprès des éditeurs, la suite se passe sur Internet. On abordera plus loin comment les choses pourraient évoluer dans l’avenir. En 2001, je rejoins Frédéric Durieu qui vient de créer le site LeCielEstBleu avec Kristine Malden et le peintre Nicolas Clauss. Le métier de développeur est l’authentique nouvel apport au monde de l’audiovisuel. La musique, le cinéma et les arts graphiques existaient, mais c’est l’ajout de l’interactivité qui fait révolution. Il s’agit de programmer le moteur qui va permettre à tous les médias de fonctionner ensemble, et au niveau d’un Schmitt ou d’un Durieu, l’interactivité élève l’algorithme au niveau des autres modes d’expression. Ce ne sont plus des techniciens, mathématiciens brillants, mais des partenaires de création à part entière.

Pour une meilleure compréhension des œuvres qui vont être évoquées ici, il est conseillé d’aller chaque fois sur le site référent et de jouer avec les modules dont il est question en suivant les commentaires dévoilés (vœu pieu, 15 ans après avoir écrit ces lignes, alors que tout ce patrimoine a disparu dans une obsolescence programmée vendue sous le nom de progrès).

Le premier module que Fred et moi créons sur LeCielEstBleu est Flying Giraffes. Le succès est immédiat, des centaines de milliers d’internautes vont affluer sur le site. D’autres animaux suivront pour constituer le Zoo : Lucanus Cervus, Mosquito, Penguins, Equus. J’ai voulu sonoriser les mouvements des girafes avec un seul instrument, une percussion africaine appelée lala, de larges rondelles de bois qui s’entrechoquent sur un axe : léger lorsque marchent les girafes, rythmique de danse africaine lorsqu’on les attrape, déglingué lorsqu’on les relâche, un petit choc synchrone à l’atterrissage. J’ai dû ajouter une grappe de grelots ralentis lorsqu’on les fait voler dans le ciel.


Le deuxième animal à se laisser martyriser est un gros scarabée, le Lucanus Cervus. Je dis martyriser à dessein : Fred a été terriblement blessé d’apprendre qu’il n’avait pas obtenu de prix au Transmediale de Berlin à cause de la maltraitance exercée sur les animaux de notre Zoo. Lui qui ne ferait pas de mal à une mouche ! Ne supportant plus les villes, il vit dorénavant à la campagne où il peut enfin passer du temps couché dans l’herbe à photographier plantes et insectes, à cueillir des champignons et à cultiver son jardin. Même si notre scarabée a le don de réincarnation après avoir volé en éclats, il est certain que ces jeux ne sont pas innocents. Ils évoquent parfois la cruauté de l’enfance. Je sonorise le scarabée avec des sons de synthèse lourds et inquiétants pour lui donner des allures de machine de guerre. Son pas est martial, sa volte-face agressive. Un petit son de plus si on s’en saisit. On peut jouer une mélodie de cordes grave et dramatique en le promenant sur l’écran blanc. Au relâchement de la souris, les quatre vingt quinze parties du corps animé se répandent au son d’une explosion pesante et métallique.


Je sonorise le moustique, Mosquito, avec ma bouche, bruits de lippe narquois transposés à des hauteurs aléatoires. Un son de marais travaillé électroacoustiquement crée un univers imaginaire. Une goutte d’eau hors champ fait exister l’étang lorsque chute un moustique. Pour les pingouins, je cherche des sons réalistes qui collent à la chromo carte postale de l’image, mais je ne peux résister à l’envie d’accentuer l’humour de la scène en jouant moi-même le rôle d’un d’entre eux lorsqu’on l’attrape et l’immobilise dans les airs. Tous les animaux du Zoo obéissent à la même règle, il faut les attraper au vol.


Même les chevaux d’Equus se manipulent comme des pantins, mais cette fois la musique est ridiculement emphatique : une boucle de boléro tourne en fond, des percussions rythment leur pas, des cuivres soulignent leurs cabrioles, des cloches ponctuent leurs figures, et le bruit de leurs naseaux rappelle leur chair. La plupart des sons du Zoo sont générés par les mouvements de la souris : clic, relâchement et déplacement… Frédéric Durieu a une manière bien à lui de programmer ses modules. Comme pour Alphabet, il se débrouille toujours pour que les objets s’animent même si l’utilisateur est inactif. Cet aspect génératif de sa programmation remplace ainsi astucieusement une « aide » en montrant l’exemple. De plus, il y a chez lui une élégance dans la jouabilité : une navigation réussie ne devrait pas susciter de recherche laborieuse pour comprendre ce qu’on a à faire, tout doit être évident pour éviter à l’utilisateur les tâtonnements fastidieux et lui permettre de se laisser aller, à jouer tout simplement.
Les animaux du Zoo ont conduit Frédéric Durieu à créer un outil, muet, qui offre à chacun d’animer ses propres pantins, ils ajoutent une femme, une araignée de mer et, surtout, un pupitre de commande qui permet d’agir sur tous les paramètres de PuppetTool.
Un soir de désœuvrement, je propose à Fred de sonoriser son cinétique Moiré, réalisé quatre ans auparavant. En superposant les deux disques composés de cercles concentriques on déclenche quatre boucles sonores qui s’empilent au fur et à mesure que les cercles se confondent, avec crescendo progressif de chaque couche sonore : un son aigu avant que les deux disques ne se rencontrent, un moteur d’hélicoptère quand ils commencent à s’interpénétrer, des cordes lorsque les circonférences touchent les centres, une déflagration de percussions à l’instant où les centres se superposent. L’effet cinétique m’ayant fait penser au générique de Vertigo d’Alfred Hitchcock, dessiné par Saul Bass, j’eus l’idée de cette tension musicale très inspirée par le compositeur du film, Bernard Herrman.


Même protocole avec Week-End. Fred m’envoie par mail le module muet : des oiseaux dans le ciel composent des figures en étoiles en fonction des mouvements de la souris. La scène s’inscrit dans un cadre noir circulaire, comme à travers une lunette télescopique. Trouvant la narration trop gentille et trop simplette, je propose de la sonoriser avec un contre-champ d’accidents de voitures et de sirènes que la transposition de hauteur (pitch) indique de police, de pompiers ou d’ambulance. Il n’y a toujours que quatre petits fichiers sons : l’ambiance ville, une sirène, un coup de frein, un accident… Mais cette fois, aucune interactivité ne les guide, la partition sonore est totalement aléatoire. Je m’inspire encore du cinématographe, ici Che cosa sono le nuvole ?, le court-métrage de Pier Paolo Pasolini, et Crash de David Cronenberg. Dans le premier, les marionnettes d’Othello et Iago jouées par Toto et Ninetto Davoli, lapidées par la foule, se retrouvent jetées à la décharge ; les deux pantins couchés sur le dos découvrent, émerveillés, ce que sont les nuages ? Le second met en scène des accidents automobiles… Mais ce qui me plaît ici, c’est le potentiel d’interprétations que la scène recèle. Chaque fois que j’ai montré ce petit module en public et que j’ai demandé aux spectateurs ce qu’ils ou elles avaient imaginé, j’ai entendu autant de versions qu’il y avait de témoins !

Les trois modules musicaux de Time obéissent à des lois radicalement différentes. L’interface de Big Bang consiste à simplement agrandir deux rectangles, l’un compris à l’intérieur de l’autre et en poussant les bords. La symphonie électroacoustique personnelle à chaque manipulateur que ces mouvements déclenchent au fur et à mesure que grandissent les rectangles est une évocation chaotique de la création du monde. Ce module ouvrait le pilote de notre projet d’adaptation du Jardin des délices de Jérôme Bosch sur CD-Rom. Les parallélépipèdes noir et le blanc sont censés représenter la matière et l’anti-matière qui se frottent l’une à l’autre jusqu’à produire le petit résidu qui sonna notre origine ! Dans le passé, j’avais plusieurs fois tenté de parvenir à ce résultat musical sans en être satisfait, une improvisation agissant sur de grosses masses orchestrales. Frédéric Durieu m’offre cette fois de réaliser mon rêve. Je lui livre quatre banques de sons : cinq fichiers de cuivres, cinq de percussion, cinq de sons électroniques et treize extraits radiophoniques. La position de la souris sur l’écran joue le rôle de mixeur pour les trois premières catégories de sons tandis qu’on la promène en roll over. On peut activer et désactiver les cuivres en cliquant. Les citations radiophoniques se déclenchent quand les rectangles reprennent leur taille initiale. Au lancement du programme, les sons sont transposés dans le grave, mais plus on joue avec Big Bang plus la transposition s’opère vers le haut, jusqu’à totalement disparaître dans le spectre ultrasonore.


Le deuxième module de Time est également issu du Jardin des délices, réalisé avec la graphiste Veronica Holguin. Forever produit une musique répétitive infinie, différente à chaque redémarrage : un choix aléatoire de cinq instruments s’effectue parmi onze possibles, ainsi que la tonalité, le tempo, le mode binaire ou ternaire. Ensuite, cet hommage à Steve Reich évolue tout seul grâce à un système programmé d’élisions et d’additions de notes, de règles strictes (les combinaisons rythmiques évoluent toutes les huit mesures) et de choix aléatoires (la hauteur des notes). Les cinq instruments distribués dans l’espace stéréophonique sont des percussions à clavier (marimbas, celeste, cloches tubulaires), des bois (flûte, cor anglais, clarinette basse, basson), des cordes pincées (pizzicati). Ce sont tous des instruments qui supportent d’être courts et dont le clonage est moins pénible que des cuivres ou des cordes frottées. Au bout de quelques minutes, de nouveaux instruments remplacent les premiers. Toutes les notes ont la même longueur et s’enchaînent les unes derrière les autres. Nous avons dû ajouter un silence de la même durée pour créer des rythmes, et ajouter sans cesse de nouvelles règles pour que la musique finisse par nous plaire, en rééquilibrant les basses et le reste, en accélérant certaines progressions, en évitant les répétitions malheureuses, en changeant de tonalités toutes les trente deux mesures, de tempo toutes les quarante huit, et tutti quanti. Il y a vingt-quatre notes par instrument, soit deux cent soixante-cinq sons. Les touches numériques de 1 à 0, commandes secrètes destinées aux présentations en public, permettent de fléchir un peu le système musical : 0 remet tout à zéro, 1 monte l’ensemble d’un demi-ton, 2 passe en binaire, 3 en ternaire, 4 change les cinq instruments en cours, 5 à 9 correspondent au changement de tel ou tel instrument situés dans la stéréo. Pendant que la musique évolue toute seule, les libellules dessinent des étoiles qui elles-mêmes se transforment sans cesse, et ce grâce à une erreur programmée, l’arrondissement à la décimale supérieure de l’algorithme concerné.



Le premier module de Time, Big Bang permet d’improviser en promenant la souris sur l’écran, le second, Forever, est musicalement génératif. Pour le troisième, PixelbyPixel, chaque pixel de l’écran propose une combinaison musicale différente, soit 1024x768 = 786 432 possibilités qui, chacune, varient dans une infinité de propositions ! On improvisera, comme pour le premier, une musique électroacoustique en promenant la souris, mais cette fois, ce n’est pas le mouvement qui est important mais la position, abscisse et ordonnée. Les deux éléments de l’algorithme sont la distance de la souris avec le centre et l’angle ainsi formé. Ces spécifications m’ayant été préalablement fournies, j’envoie vingt-deux percussions mono dont un piano (sur cinq des huit pistes disponibles), trente-six boucles stéréo sur toute l’étendue possible (trois pistes), et quatre sons de passage mono. Je dis « j’envoie » car nous correspondons à la fois par mail (sons et règles) et par téléphone (explications et ajustements). Nous avons, depuis, ajouté à cette panoplie une petite caméra vidéo qui nous permet de communiquer en visioconférence. La base de cette œuvre musicale est constituée des boucles stéréo, sons électroniques créés sur un synthétiseur–échantillonneur que j’ai préalablement programmé avec mes propres sons, et qui sont répartis autour du centre en trente-six zones comme des parts de tarte. Les boucles sont transposées dans le suraigu lorsque la souris s’approche du centre et dans l’extrême grave en se rapprochant des bords du cadre. Leur durée étant proportionnelle, plus on s’éloigne du centre, plus la boucle est longue. La hauteur des percussions s’appuie sur la règle inverse : plus on s’éloigne du centre plus elles sont courtes et nerveuses. Leur tempo et leur rythme sont donnés par un algorithme complexe qui s’appuie sur une combinaison binaire de 0 et 1, toujours suivant la position de la souris, abscisse et ordonnée. On peut supprimer les percussions pendant un moment avec la touche espace. C’est particulièrement intéressant lorsque l’on joue très près du centre. Pour chacun des modules musicaux que je compose, j’aime laisser une part de découverte et d’invention au joueur, que l’espace de transgression soit préservé !


De son côté, Fred répond en ajoutant sans cesse de nouvelles règles, certaines n’agissant parfois qu’après une durée de jeu conséquente. Soudain de nouveaux sons apparaissent en même temps que les objets animés adoptent de nouveaux et surprenants comportements. C’est par exemple la cas de l’iMac Show, un iMac qui fait des pirouettes comme la lampe de Pixar mais en réagissant aux titillements de la souris et à son humeur du moment ! Je définis avec Fred la liste des adjectifs caractérisant chacun de ces comportements, puis j’enregistre ma voix en tâchant de conserver la légèreté du graphisme et l’élégance des mouvements tout en cherchant à humaniser notre timide iMac. Je devrais écrire cabotiner tant il fait penser à un petit chien. Nous faisons de petites transpositions pour gommer l’aspect trop mécanique et panoramiquons la cinquantaine de sons suivant la place de l’objet. Mon travail ressemble ici plutôt au bruitage de dessin animé qu’à de la musique interactive, contrairement au module Free Zerpo que nous réalisons pour le site Internet de Nike.


Cette fois, chaque lettre du clavier de l’ordinateur correspond à une figure acrobatique d’un danseur et à une boucle sonore qui l’accompagne. Je place cinq boucles rythmiques sur les lettres en bout de rangée et une sixième, un break, sous la barre espace. Le passage d’une boucle à une autre est camouflé par un son de passage, il y en a cinq tirés en aléatoire. Les vingt et une lettres restantes sont superposées à ces rythmes. Certaines obéissent à des lois exceptionnelles comme de ne jouer qu’au contact du sol plutôt qu’à la frappe sur la touche, une autre le fait se tortiller jusqu’à ce qu’on la relâche… Lorsque l’on attrape le danseur, une nouvelle banque de cinq sons, tirée parmi trois possibles, se superpose pour composer une mélodie aléatoire, tantôt cordes frottées, tantôt xylophone, ou petits bruits bizarres.



De nombreux projets ne virent jamais le jour, comme toujours, essais abandonnés en cours de route, faute d’une conception erronée ou d’un manque de subsides. Il en est ainsi de Loopy Loops, tentative avortée de musique infinie composée avec Bernard Vitet à partir d’un système cellulaire, ou Le Jardin des délices resté à l’état de pilote. Je regrette beaucoup le Jardin proprement dit, où poussaient plantes, fleurs et champignons aux formes plus que suggestives, vulves et phallus suggérés par ces photographies de nature prises en forêt et dans les champs. Le rythme variait chaque minute tandis que des flûtes mélodiques accompagnaient les apparitions, on entendait les herbes écartées, les caresses portées aux fleurs généraient des râles de plaisir. Les rythmes de cette forêt d’émeraude y étaient moites, les flûtes si calmes qu’elles nous laissaient respirer à notre tour… Dans L’Enfer du Musicien, défilait l’histoire de la musique pendant qu’un eugénisme imbécile et cruel résolvait avec terreur la question démographique.


Planète Circus est le dernier CD-Rom resté à l’état de pilote : belle interface qui évoluait au gré de la météo et numéro d’équilibre sur un fil avec flopée d’animaux savants.

P.S.: relisant ce que j'ai écrit en 2005, je suis totalement dépité que toutes ces créations aient disparu dans la faille de l'obsolescence programmée. Certaines fonctionnent encore sur un vieil iBook blanc que j'ai pieusement conservé et qui m'a permis de réaliser les captures-écran, mais il me lâchera un jour comme toutes mes machines. Je n'ai aucune trace d'autres comme le danseur de Free Zerpo et ma collection exceptionnelle de CD-Rom dort au grenier...

Précédents chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2 / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma ! 1 / 2
IV. L'auteur multimédia : L'auteur multimédia / Carton / Machiavel / Alphabet, la poésie interactive / LeCielEstBleu, du Zoo à...

À suivre :
LeCielEstBleu, La Pâte à Son / Flying Puppet, le WWW en peinture / Somnambules / Les Portes, vers de nouvelles interfaces...