70 Multimedia - avril 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 avril 2007

Retour de Masse


Fan de Francis Masse depuis le milieu des années 70, je scrute depuis vingt ans sans succès les rayonnages des bandes dessinées. Même pas une petite réédition pour faire cadeau à un ami ! Son dernier album était La mare aux pirates paru chez Casterman en 1987. Je savais que Masse habitait Grenoble, qu'il avait fait du cinéma, c'est tout. En 88, je m'étais inspiré de Elle court, elle court la Zup figurant dans le premier volume de L'Encyclopédie de Masse (Les Humanoïdes Associés, 1982), pour écrire Le couple idéal, musique composée par le Drame pour le ballet Ecarlate de Jean Gaudin. "N'en profite pas pour te prélasser à la fenêtre". Nous avions transposé l'action en bruitages en essayant de préserver le rythme et l'absurde de la BD, mais rien ne pourra jamais égaler ce chef d'œuvre d'humour, j'allais répéter absurde, mais rien n'est absurde chez Masse qui s'appuie toujours sur les recherches scientifiques les plus sérieuses pour délirer à loisir. Ses études de mœurs imaginaires, qui décalquent le réel par renversement ou rétrogradation, lui confèrent un statut philosophique universel. Ses perspectives placent l'infini en abîme par une série d'aller et retour de la 3D à la 2D. Le syllogisme c'est le bonneteau intellectuel. Le temps s'arrête. Critique de la vitesse. Le théâtre et son double. Chez lui, l'Auguste sert le clown blanc. Rien de grave : c'est mathématique. Masse incarne tous ses personnages. Les deux du balcon sont une seule et même personne. Le trait vibre entre les gravures d'Hetzel et les oreilles de Mickey, le décor entre Escher et Canaletto. La BD, c'est du free jazz : on pose le thème, et place à l'impro. Plus le thème est solide pour se raccrocher, plus on peut prendre de risques dans l'impro. Et le scénario coule tout seul. En fait, ce n'est pas le scénario, qui est le plus important. C'est la règle mécanique de la partie. Comme pour le vivant, c'est la forme du squelette qui va induire toutes les possibilités de la vie future (un oiseau vole grâce à la forme de son squelette. Le squelette de l'homme ne lui permettra jamais de voler. Pas plus que celui de l'autruche ou du dodo, malgré leurs plumes !). La boucle est bouclée : les mécanismes de la création sont les mêmes que ceux du vivant. Et l'observation scientifique de ces mécanismes dans la nature m'instruit tout autant sur eux.
En entrant jeudi au Monte-en-l'air rue des Panoyaux, je ne m'attendais pas à trouver trois nouveaux livres, plus la réédition en un seul volume de L'avalanche (Les Humanoïdes Associés, 1983). Avec le recueil inédit L'art-attentat (Le Seuil) est offert un facsimilé d'une histoire de ses débuts, Le roi de le monde qui me fait penser à Copi ou Bosc. Comme je commence l'album je retrouve instantanément l'invention époustouflante du scénario, la qualité du dessin, l'humour kafkaïen. Je suis encore plus impressionné par le catalogue de l'exposition qui est présentée aux Sables d'Olonne au Musée de l'Abbaye Sainte-Croix jusqu'au 17 juin, car j'y découvre que Masse a ensuite pratiqué la sculpture (aucune photo disponible, mais somptueux croquis !) et surtout son entretien mérite les mêmes qualificatifs que son œuvre, ou plutôt elle en fait partie. Je me demande même si Masse ne s'auto-interviewe pas à l'image du célèbre texte de Glenn Gould interviewant Glenn Gould à propos de Glenn Gould. Son Spectacle à petit budget (paru la première fois dans l'album de L'écho des savanes, 1976) est resté pour moi un modèle conjuratoire chaque fois que j'ai affaire aux institutions : pendant que le héros fait le pitre, son dernier phylactère indique "J'espère qu'ils verront pas que c'est subversif...".


Je recommande donc vivement d'acquérir tout ce que vous trouverez de cet immense artiste, le catalogue des Trames sombres de Masse (en contradiction avec la Ligne Claire), L'art-attentat, On m'appelle l'avalanche (L'Association), et maintenant que j'ai dévoré les propos de Masse je crois que je vais craquer pour le luxueux portfolio de 36 pages en sérigraphie trois couleurs, Tsunami au Musée (Le dernier cri). Il est compliqué de parler d'une œuvre si complexe comme il est difficile de faire partager un enthousiasme aussi débordant. Il est peu d'auteurs qui m'ont emporté ainsi : Frank Zappa, Charles Ives, Edgard Varèse, Jean Cocteau, C.F. Ramuz, Freud, Carpaccio, Jean-Luc Godard, Gould... Je cite seulement quelques uns des révolutionnaires qui ont marqué mon récit. Au dos de L'encyclopédie est imprimé : Encyclopédie de macrorhino-épistémologie. (La Macrorhino-épistémologie : science moderne issue de la lointaine prose chère à Monsieur Jourdain et de la plus proche pataphysique, consistant à parler des autres sciences, sans connaissances particulières, simplement en mettant en scène des personnages à grands nez.). C'est juste. J'ai envie de tout relire. Doucement, parce que c'est dense. Dense par les mots, par les images, par les idées. En découvrant Marc-Antoine Mathieu j'avais senti un air de famille. C'est sympa, il se côtoient alphabétiquement sur leur étagère. Mais je suis contrarié de ne pouvoir mettre la main sur mon exemplaire du 30x40 publié en 85 par Futuropolis, qui a disparu de ma bibliothèque. Ses albums m'ont inspiré plus d'une fois, dans ma fréquentation de l'humanité et dans l'évocation onirique qu'offre la critique constructive.
Extraits sur le Net : 1 2
Illustration : catalogue verso-recto

mardi 24 avril 2007

Venez nous voir et nous entendre jeudi 3 mai au Triton !


Jeudi 3 mai 2007, 21h au Triton, 11bis rue du Coq Français, 93260 Les Lilas,
à 50 mètres du Métro Mairie des Lilas
Ouverture des portes : 20h30 - Réservations 01 49 72 83 13

SOMNAMBULES, spectacle multimédia (création)
Jean-Jacques Birgé – claviers, trompette à anche
Étienne Brunet - sax alto, cornemuse
Éric Échampard - batterie
Nicolas Clauss - images interactives sur grand écran

En 1ère Partie :
ÉLECTROFICATION, un atelier que j'ai dirigé avec neuf élèves des Conservatoires de Musique de Romainville, Pavillon-sous-Bois et des Lilas, dans le cadre de Jazz 93. Les stagiaires ont programmé des modules musicaux interactifs projetés sur l'écran, composé eux-mêmes la musique et ils jouent dessus en direct.
Avec Hamel (flûte), Laurent (sax), Tony (trompette), Théophile (trombone), Daniel et Laurent (guitare), Clément (basse), Jean-François (percussion), Baptiste (batterie).

En ce qui concerne Somnambules, je n'ai joué qu'une seule fois avec Étienne Brunet. C'était un concert pour casques au Placard où il manipulait des sons électroniques, son fils Léo jouait de sa Game Boy et j'étais au Theremin ! Étienne organise chacun de ses albums avec un concept différent : B/Free/Bifteck, Les épîtres selon synthétique, Postcommunism Atmosphere, La légende du franc rock 'n roll, etc. Son dernier cd vient de paraître chez Saravah, il s'intitule Love Try. Comme moi, il lui arrive d'écrire des articles dans la presse musicale.
J'ai rencontré Eric Echampard pour la musique que j'avais composée pour le film 1+1, une histoire naturelle du sexe. J'ai tout de suite été séduit par le timbre de ses fûts, j'en oubliai que c'était de la batterie ! Nous avons ensuite improvisé plus de trois heures pour la soirée de clôture des Rencontres d'Arles de la Photographie il y a trois ans. J'en oubliai qu'il était percussionniste. Un musicien hors pair que j'ai admiré avec Marc Ducret, Kimmo Pohjonen et bien d'autres...
Quant au plasticien Nicolas Clauss, j'ai réalisé avec lui de nombreuses créations interactives (somnambules.net, Les Portes, flyingpuppet.com). Il programme et manipule les images et les sons. C'est la deuxième version de Somnambules que nous présentons ensemble. Toutes les pièces sont nouvelles.
Le quartet, se jouant du modernisme comme des archaïsmes, propose cinq pièces aussi variées qu'inattendues : Jumeau Bar (un zinc franchouillard en boucle), White Rituals (du SM dans un univers immaculé), Heritage (avec Bush Père et fils), Les marcheurs (un bol d'air frais) et L'ardoise (montage politique de dessins d’enfants).

Ne manquez pas ce concert exceptionnel,
c’est rare de pouvoir nous entendre sur scène !

En cliquant sur les liens des modules, vous pouvez jouer sur votre ordinateur avec les versions interactives de Nicolas Clauss (à condition d'avoir installé le plug-in Shockwave). Pour le spectacle du 3 mai, nous supprimons les musiques existantes en ligne, mais nous conservons les voix d'Heritage (Bush père et fils, amen) et L'ardoise (où celles des enfants donnent un éclairage politique à toute cette affaire).

mercredi 18 avril 2007

Enchaînements


Aujourd'hui je ne suis pas là. C'est bon de sortir un peu après des journées enfermé dans le studio à enregistrer Bettina, Adriana, Hillary, Magali, les nouvelles voix du lapin Nabaztag, pour l'Allemagne, l'Italie, l'Amérique du Nord et l'Espagne. Leur faire jouer la comédie, trouver le ton de la complicité est un moment plutôt sympa que je partage avec Maÿlis qui a écrit les textes et prête sa voix à la version française. Traiter ces milliers de fichiers est beaucoup moins rigolo. Vérifier le choix des prises noté sur le rapport son, découper les fichiers, nettoyer le début et la fin de chaque son, expulser les pétouilles, remonter le niveau de telle ou telle syllabe, homogénéiser l'ensemble, faire un petit effet ici ou là, la répétition des tâches est fatiguante. J'ai mal au poignet à force de faire marcher la souris comme si j'étais aux pièces, mon épaule se coince et mon dos se réveille. Le Di-Antalvic est magique, mais il est temps d'aller voir ailleurs si j'y suis.
Je suis à l'École des Gobelins pour la journée où je fais mon numéro de designer sonore. Commencer par mon autoportrait pour clarifier la démarche, le pourquoi et le comment on en est arrivé là. La multiplicité des approches : "J'ai tant de casquettes qu'on dirait un chapeau". Montrer l'exemple, rentrer dans les détails, anecdotes significatives, lever les tabous. Donner ensuite quelques pistes comment utiliser le son avec des images : complémentarité, hors champ, classification, voix, bruits, musique, droits d'auteur, rapports avec l'équipe ou dans l'entreprise, avec les clients et les collaborateurs, emploi du temps, réflexion, action, technique négligeable, sensibilité indispensable, solidarité et persévérance... Et l'interactivité, évidemment. Ma parole, je révise. À l'heure de la pause, je n'ai encore rien montré. Défileront ensuite Alphabet (commencer avec ça, c'est du nanan) et LeCielEstBleu, Somnambules et Flyingpuppet, Les Portes et Nabaz'mob... Je parle de tout le reste (Carton, Machiavel et tous les autres CD-Roms, les expos, etc.), mais je n'ai pas le temps de le montrer. L'après-midi, je préférerais voir ce qu'ils ont fait, prendre leurs travaux comme prétextes à continuer, chaque projet réclame une façon particulière de penser, il n'y jamais qu'une seule solution, la sienne...
Le soir, je reprends le métro. Ça me change de la bicyclette. Je plonge dans le social. L'ours sort de sa tanière, les yeux grands ouverts, les oreilles à l'affût. J'avale le monde dans un état semi-comateux. Transmettre est crevant, il faut une vigilance de chaque instant, saisir un regard, espérer une question qui me déstabilise et m'oblige à trouver un nouvel équilibre. La foule devient un océan où je flotte. Demain, je m'enferme à nouveau dans le studio, mais j'ai la visite d'Étienne Brunet pour préparer le concert du 3 mai au Triton. Éric Échampard est déjà passé lundi. C'est agréable de travailler avec des musiciens aussi charmants. Il restera à retrouver Nicolas qui est en résidence à La Friche Belle de Mai pour son nouveau projet...