70 Multimedia - mai 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 23 mai 2008

Blu fait bouger les murs


Muto est une "animation ambiguë" de 7 minutes 26 secondes, peinte sur les murs de Buenos Aires, accompagnée par une bande son grinçante du percussionniste italien Andrea Martignoni, co-fondateur de l'inventif Laboratorio di Musica e Immagine dans les années 90. Son auteur, qui a également grandi à Bologne, porte le pseudonyme de Blu.
Blu n'utilise pas de bombes ni d'échafaudages, il rallonge les manches de ses brosses, retrousse les siennes et il peint, il efface, il recommence, se transporte, et il prend le temps de bloguer ! Blu badigeonne ainsi les murs de Berlin, Londres, Sao Paulo, Bethlehem, Vérone, Milan, Bologne, au Mexique, au Guatemala, au Nicaragua, au Costa Rica... De plus, ses sujets n'ont rien d'innocent. Ils sont sévères, critiques, incisifs et réfléchis.
Son site est un carnet de croquis dont les onglets se nomment murs, dessins, nouvelles, liens, vidéos, boutique. Blu ne perd pas le nord. S'il sait garder le contact avec un public qui le regarde travailler, il apprend à négocier avec les galeries et les musées et il commet de fantastiques films d'animation dont le support sort du cadre habituel pour investir l'espace urbain, souvent en collaboration avec d'autres artistes de la rue.
Muto, réalisé seul avec une petite caméra DV, est son dernier né. Son trait noir sur fond blanchi contraste avec les couleurs outrées des graffiteurs et s'intègre astucieusement avec les murs de la ville pour faire ressortir la narration.
Merci à Sonia de me l'avoir signalé ;-)

lundi 19 mai 2008

Billet bio, écologie intime


Les alertes que Google m'envoie par mail ont le mérite de m'informer de ma présence sur le Net sans que j'en sois la plupart du temps prévenu par ailleurs.
Ainsi, hier matin, je tombe par hasard sur une conférence que j'ai donnée à l'occasion des petits déjeuners professionnels organisés par Charlet Denner au Master MMI de la Sorbonne, c'est  ! C'est joliment mis en forme avec une section "Jeux", des photographies et des extraits filmés de ma conférence, organisés thématiquement. Le cadre visuel et sonore est emprunté à La Pâte à Son. Cela fait toujours bizarre de se voir raconter sa vie, pas comme ici, sur le blog, d'une certaine manière "romancée" parce qu'on peut revenir sur les mots, composer, mais là-bas, saisi sur le vif, improvisant, avec le ton de la voix et les muscles du visage qui suggèrent toutes mes fragilités, les sous-entendus, les non-dits... Si j'ai toujours aimé donné des conseils, je pense que c'est d'abord à moi qu'ils s'adressent, je suis le premier élève de mes élucubrations... Est-ce à dire que je m'écoute parler ? C'est certainement un billet bio, un système graphique pour ne pas oublier, une écologie intime... Prenez-le comme un index, voilà tout. Se sont également succédés au Master Eric Viennot (Lexis Numérique), Sylvain Gire (Arte Radio), Bernard Brechet (Gédéon), aussi soigneusement présentés et instructifs...


Je découvre aussi une petite boucle sonore que j'avais réalisée pour Numer et qui accompagne toute la navigation du site d'Hyptique. Je me souviens que je l'avais pensée dynamiquement pour qu'elle se renouvelle sans cesse, évitant ainsi l'effet angoissant de la répétition pure et simple. Je reconnais les voix chuchotées d'Elsa, Louise, Olivier et Dominique... Tous les travaux auxquels j'ai participé depuis le CD-Rom Au cirque avec Seurat (1996) jusqu'à l'Histoire de l'Immigration en France et au Musée des Beaux-Arts d'Angers (2006) sont illustrées de plans fixes et accompagnés d'un court résumé intitulé "Enjeux". Dommage que les génériques soient absents. Ils auraient pu réfléchir l'incroyable pépinière de talents passés par Hyptique. Pendant dix ans, j'ai eu beaucoup de plaisir à œuvrer avec les équipes qui se sont succédées sous la houlette de Pierre Lavoie. 1997 est l'année du site du Drame et de mon premier CD-Rom d'auteur, Carton, avec Etienne Mineur comme directeur artistique et Antoine Schmitt à la programmation. En me proposant de prendre en charge la partie interactive de notre disque de chansons, Pierre n'imaginait pas l'impact que le disque allait avoir dans le monde du multimédia. 1998 marque les premiers Cahiers Passeport avec en prime l'Atelier de Noël, et la série Fenêtre sur l'Art. Ça continue l'année suivante, avec en plus Du côté des filles. 2000 est l'année du Grand Jeu qui aura été une sacrée partie de rigolade, surtout lorsqu'on repense à la bombe à retardement idéologique que recèlent les 100 000 exemplaires vendus ! Pascale Labbé, Jean Rochard, Bernard Vitet, Valéry Faidherbe, Pierre Wendling et moi-même y actons sous des pseudonymes. En 2001, je travaille avec Sonia Cruchon sur Monsieur Heureux et le monde à l'envers qui sera suivi par toute la série des Bonhommes et les Dames (Mr Men) (j'aime beaucoup la chanson du générique dont la version anglaise utilise le contrechant de la version française) ainsi que les Atout P'Ptit Clic. L'exposition L'argent en 2003, le Muséum National d'Histoire Naturelle, le Musée de Rodez, les derniers Passeport en 2004, le dvd-rom de Salto et Zélia en 2005 seront les dernières manifestations de cette collaboration fructueuse où j'aurai composé tant de musiques et d'interfaces sonores.
Les restrictions budgétaires ne permettent plus le travail de recherche, les rêves d'invention ont été abandonnés au profit d'enjeux strictement technologiques. L'art était déjà rare et difficile, c'est la culture qui se dilue à son tour. Aujourd'hui, les musées, comme les entreprises, veulent seulement être présents sur Internet, la qualité passe après, d'autres supports ont pris le relais, ou pas. J'en sais quelque chose, réduit ce matin aux signalements de mes activités extraweb, mais bien loin des créations interactives qui fleurissaient alors sur la Toile, tant dans les commandes qu'avec nos propres modules. Il reste peu de traces visibles de tous les CD-Roms fantastiques qui furent publiés pendant cette période, seul Internet laisse apercevoir la surface émergée de l'iceberg. Or la calotte glacière a fondu, entraînant dans l'oubli tout un pan de culture. On scrutera l'horizon dans l'espoir que ces œuvres viennent s'échouer un de ces jours sur nos plages... Allez savoir ! Il y a tant de contenu gravé sur ces disques de plastique qu'il suffirait de peu de chose pour les adapter aux nouveaux supports. Imaginons Alphabet sur la Wii, Carton et MrMen online !

vendredi 2 mai 2008

Regarder Chris Marker dans les yeux


J'avais aperçu le livre, bien en vue, sur une table basse chez Agnès Varda. Publié aux U.S.A., je l'ai trouvé sur Amazon.fr pour moitié du prix Fnac. Staring Back rassemble des photographies noir et blanc prises par Chris Marker à partir de 1952. Pendant tout ce temps, l'arbre des grands boulevards n'a eu le temps de grandir que de quelques centimètres. Aux côtés de nombreux portraits regard caméra qui forment la colonne vertébrale du recueil, on trouve Charonne en 1962, la Marche sur le Pentagone de 1967, les événements du mois de mai 1968, les manifestations anti-CPE de 2006 et des photogrammes de ses films La jetée, Sans soleil, Cuba si et Chats perchés. Filmographie et bibliographie concluent l'ensemble. Le cinéaste comprend vite que sa caméra est une arme contre la police. Il cite Abbie Hoffman : " Nous étions jeunes, nous étions désespérés, arrogants, idiots, têtus, mais nous avions raison." Les légendes sont absentes. Marker donne beaucoup plus d'existence aux anonymes de partout qu'aux célébrités qui ont jalonné sa course, Maurice Thorez, Daniel Cohn-Bendit, Akira Kurosawa, Alexandra Stewart, Simone Signoret, Salvador Dali, Emil Zatopek, Alexander Medvedkine, Andrei Tarkovsky, Joris Ivens, Michel Legrand, Fidel Castro, Delphine Seyrig, William Klein, Catherine Belkhodja, Olivier Besancenot... Des visages tout autour de la Terre, des visages qui le dévisagent, des visages qui nous regardent droit dans les yeux, des visages qui sont les nôtres. Et puis des bêtes qui elles aussi nous renvoient à ce que nous sommes.
Pour que la scène soit complète, il faudrait entendre la bande-son de ses installations Silent Movie (vingt solos de pianos de Satie à Monpou) ou Staring Back (Bill Evans, Kurt Weill, John Cage, Bach, Moondog, William Walton en mode aléatoire), rééditer son inépuisable CD-Rom Immemory One et inviter sa dernière installation commandée par le Moma en 2005 et intitulée Owls at Noon Prelude : The Hollow Men. En attendant je feuillette les pages de Staring Back, je surveille les coups de griffes de son chat Guillaume-en-Egypte sur Poptronics et j'attends patiemment le facteur censé m'apporter le DVD du Fond de l'air est rouge aujourd'hui.

N.B. : liens vers le résumé wikipédiesque de Chris Marker et un blog qui lui est entièrement consacré. À près de 87 ans, il forme avec Agnès Varda et Jean-Luc Godard le trio le plus inventif et le plus vif du cinéma français, capables d'envisager tous les possibles et d'interroger l'époque comme personne, en intégrant les nouvelles technologies de manière aussi sensible que critique.
Jeunes gens, secouez-vous et prenez-en de la graine !
Installations et DVD pour Varda, installations et CD-Rom pour Marker, exposition et films pour Godard...

P.S. : sur le site du Wexner Center, j'ai trouvé le DVD Remembrance of Things To Come réalisé avec Yannick Bellon (Le souvenir d'un avenir) ainsi que les livres de La Jetée (ciné-roman) et Silent Movie...

P.P.S. : le facteur a sonné une seule fois. Le coffret Le fond de l'air est rouge contient également À bientôt j'espère réalisé avec Mari Marret en 1967, Puisqu'on vous dit que c'est possible sur les Lip en 1973 tandis que le précédent présentait la grève à Rhodiacéta, 2084 sur deux siècles de syndicalisme filmé en 1984, La sixième face du Pentagone réalisé avec François Reichenbach sur la marche sur Washington le 21 octobre 1967 et L'ambassade dont le titre original était film anonyme en super-8mm trouvé dans une ambassade. Dans le livret du DVD, Marker signe le texte Sixties en le postdatant facétieusement de mai 2008 !