70 Multimedia - février 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 22 février 2009

Pinocchio explose sous la plume de Winshluss


J'ai bien aimé le Pinocchio de Winshluss qui a reçu le Fauve d'Or 2009, le prix du meilleur album de BD à Angoulême (ed. Requins Marteaux). Très peu de texte, un graphisme original variant selon les planches pour structurer le récit, et surtout le roman de Carlo Collodi est modernisé, torturé à souhait, réinventé par le talent de dessinateur et de scénariste de Winshluss. La mise en couleurs de Cizo fait de cet ouvrage ce qu'on appelle un beau livre. J'ai toujours apprécié les démarquages, lorsqu'un auteur est capable de revisiter un chef d'œuvre en se l'appropriant. L'original devient un prétexte, une bouteille remplie avec un nouveau breuvage, et ici on s'éloigne autant du roman que de son adaptation par Disney. Ça grince, ça pince et ça rince. Winshluss est connu sous vrai nom de Vincent Parronnaud pour avoir co-réalisé avec Marjane Satrapi le film Persepolis, c'est dire si le bonhomme est talentueux. Pinocchio est le genre de bouquin que l'on a envie de relire une semaine après l'avoir refermé.

jeudi 19 février 2009

Le danseur interactif brûle ses sucres


Les commandes de musique interactive se font de plus en plus rares. Heureusement Sonia me demande de composer une danse de dingue pour que les jeunes internautes du site des Ptits repères animent un pantin dans le cadre d'un jeu autour des sucres lents et rapides, inspiré par Globz. Il s'agit de " montrer la différence entre un mouvement rapide et de courte durée obtenu grâce à un glucide simple, et un mouvement lent, régulier et durable grâce à un glucide complexe. Il faut alimenter régulièrement en glucides complexes pour assurer les efforts sur la durée ; l’apport en glucides rapides n’est nécessaire que pour assurer un effort soutenu ponctuel... Tant qu’on a des réserves de glucides complexes, on peut tenir sans apport de glucides rapides (sauf si on attaque trop rapidement, là on ne tient pas longtemps). "
Je compose une dizaine de cellules à répéter autant de fois que désiré, sur trois tempi, 60, 100 et 180 à la noire, en tout trente fichiers-son d'égale longueur à l'échantillon près selon les trois vitesses. Par-dessus ces rythmiques endiablées, évidemment plus pépères lentes que les rapides surexcitées, sur lesquelles se caleront les pas du danseur, j'enregistre chaque fois une quinzaine de boucles vocales qui correspondront aux mouvements du haut de son corps, transposant ma voix dans l'aigu ou le grave pour m'aider à imaginer ces "chants" de mickey déglingué.

Le petit test audio ci-dessus est une approche basique de la synchronisation, puisque d'une part chaque cellule sera répétée jusqu'à ce que l'enfant change de boucle vocale ou rythmique, et que d'autre part le mélange d'un tempo différent entre le bas et le haut du corps désynchronisera le jeu de jambes et celui du tronc pour des combinaisons infinies, les durées des trois vitesses n'étant pas des multiples les unes des autres. Une jauge permettra au joueur de suivre l'état de sa réserve d'énergie. Travail en cours donc, puisque j'aime souvent évoquer ici les works in progress...
De même, le danseur de Mikaël Cixous n'a pas encore été validé au moment où je tape ces lignes et peut encore être transformé en fonction des remarques de notre bienveillant client. Voilà bientôt quatre ans que nous inventons un nouveau jeu tous les deux mois pour ce site ! En composant la musique, j'espère donner des idées à Mika pour animer son personnage de manières variées et loufoques, mais il n'est pas question de suivre bêtement la musique. Les pas seront toujours dans le tempo, mais les gestes tirés aléatoirement dans une banque d'images comme les cellules dans un réservoir de sons joueront des effets de synchronisation accidentelle qui me sont chers.

mardi 17 février 2009

Le design sonore de dal:dal en lumière


Je devrais m'arracher les cheveux, mais ils sont beaucoup trop courts pour pouvoir les attraper. La société Violet m'a demandé de fabriquer de nouveaux jingles pour dal:dal, une boule de cristal qui fait de la lumière et produit des sons comme Nabaztag, mais qui ne parle pas. J'avais déjà livré il y a plusieurs mois des sons midi à intégrer dans la puce interne, les douze heures de l'horloge avec variation de timbres pour chacune d'elles et des chimes pour ses humeurs. Le casse-tête réside dans la nécessité de rendre explicites les services en préservant l'identité du nouvel objet communicant et sans paroles. Par exemple, la météo doit exprimer le temps qu'il fera ; on peut toujours imaginer quoi faire pour le soleil, la pluie et l'orage, mais comment rendre la neige, les nuages ou le brouillard ? Pire, je dois suggérer la température ! Un autre exemple, le trafic sur le périphérique : la densité de la circulation doit pouvoir se comprendre, mais je dois aussi respecter le côté "cool" de dal:dal, donc pas question de faire des bruits d'embouteillage ! De toute manière, mon idée n'est pas d'être réaliste, mais d'imaginer une transposition poétique, en sons, des services programmables par l'utilisateur. Et me voilà donc à chercher une logique globale, une palette sonore, qui colle à l'objet et ses fonctions, que ce soit la qualité de l'air ou les cours de la Bourse...
J'obtempère pour une transposition musicale avec des instruments plutôt "new age", enfin avec moi c'est une façon de parler, en misant sur l'apprentissage progressif des codes, un peu comme les jeux de lumière avec lesquels Antoine jongle de son côté. Cela ne m'empêche nullement d'essayer d'évoquer toutes les nuances qu'énumère le cahier des charges. La flûte collera bien à la météo, les arpèges de harpe à la Bourse, le trombone et le cor d'harmonie pour le trafic, un hautbois pour la qualité de l'air, des claviers de percussion pour le réveil et des sons de percu sans hauteur déterminée pour le reste, envois et réception d'emails, de contenu, Twitter et tutti quanti. Ensuite il faut que je trouve les effets particuliers à chaque instrument pour rendre le plus explicite possible les réponses de dal:dal aux interrogations de l'utilisateur, du glacial à la canicule, de l'arrêt complet au fluide, etc. J'embrasse dans le même élan la vue d'ensemble et le traitement de chaque signal. C'est tout un équilibre.
Au fur et à mesure que j'enregistre, les sons s'articulent les uns avec les autres, l'ensemble trouve sa logique, et les premiers tests commencent à me rassurer. Cet exercice périlleux exigera encore que mon travail plaise à mon interlocuteur. Je mise sur le fait qu'Olivier Mével est un chef d'entreprise visionnaire ayant su insuffler de la poésie à ses créations technologiques. Je dois chaque fois assimiler toutes les données du cahier des charges, les tacites et celles que l'on a oublié de me fournir mais que je me targue de subodorer ! Chaque objet, comme chaque projet, obéit à sa propre logique. Il n'est pas question de le laisser ressembler à un autre, car c'est dans sa spécificité que résident les enjeux et les solutions.
Pour le son de bienvenue qui ne joue qu'une seule fois à la première utilisation de l'appareil, je choisis de rappeler la musique que j'ai composée pour les clips vidéo de Nabaztag et Mir:ror (pas encore en ligne), histoire de donner un air de famille à tous les objets Violet. Simplement j'ajoute un effet de sparkling stick aux arpèges du glockenspiel, en d'autres termes j'essaie de faire pétiller les lames du métalophone en mixant une piste suraigüe désynchronisée à la mélodie principale, me rapprochant ainsi de l'idée initiale.
Il ne suffit pas d'imaginer, il faut trouver la solution pour faire basculer les rêves du côté de la réalité, ou du moins les rendre crédibles.

vendredi 13 février 2009

Opération Mort


En lisant de droite à gauche le récit en bande dessinée de Shigeru Mizuki, je me suis souvenu de mon Josef von Sternberg préféré. Ce n'est évidemment pas d'avoir retourné de tortueuses racines pour reconstituer en studio la végétation de cette autre île du Pacifique qui les rapprochent ! L'auteur de manga, né en 1928, a perdu un bras pendant cette guerre. Il en raconte l'absurdité comme le réalisateur américain né à Vienne en 1894 narrait dans son dernier film l'histoire de cette bande de soldats livrés à eux-mêmes, ignorant que la guerre est finie. Pour Anathan, aussi appelé Saga d'Anathan ou plus bêtement La dernière femme sur la Terre, von Sternberg ira jusqu'à fabriquer sa caméra, ses décors, faire lui-même sa lumière, prêter sa voix au narrateur en anglais alors que tous les acteurs parlent japonais sans sous-titres, le commentaire jouant du décalage comme un recul nécessaire sur la folie des hommes et renforçant le mystère de cette histoire invraisemblable qui s'est pourtant reproduite pendant des années après la défaite jamais avouée explicitement par l'Empire du Soleil Levant. Sur l'île d'Anathan, les tabous éclateront, les conventions sociales voleront en éclat, surtout lorsqu'apparaîtra Keiko, la reine des abeilles. On s'y entretuera comme sur la Nouvelle Bretagne, une île de Nouvelle Guinée où sont cantonnés les soldats d'Opération mort, Prix patrimoine au festival d'Angoulême 2009, 365 pages éditées par Cornélius, le chef d'œuvre de Shigeru Mizuki, opposant caricatures simplistes des hommes à des planches d'éternité proches de la gravure. Ayant vécu son histoire, il parle pour les morts comme von Sternberg terminait son film en faisant descendre du bateau les fantômes parmi les survivants plusieurs années plus tard.
Anathan est un des rares films dont je surveille encore la sortie en dvd, un de mes dix films préférés, pour la tragédie qu'il évoque et son étonnante étude de mœurs si proche de la banale sauvagerie de notre absurde humanité, pour la musicalité de sa bande-son et l'exigence d'un cinéaste remarquable dont je suggère en outre la lecture de son autobiographie, Fun in a Chinese Laundry, bizarrement traduite Mémoires d'un montreur d'ombres.