70 Multimedia - juin 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 30 juin 2010

Générations De Gaulle !?


Il y a trois ans, je composai avec Hervé Legeay le thème et le design sonore d'un feuilleton en 10 épisodes sur les années De Gaulle "racontées aux enfants", soit de 1940, si l'on considère l'appel du 18 juin comme le début de son épopée, jusqu'à sa démission suite au référendum de 1969. Je dois avouer que, bien qu'appartenant à l'une de ces générations De Gaulle, je ne me sens pas du tout concerné par cette appellation comme ma fille ne se sent pas appartenir à quelque génération Mitterrand.
Il est pourtant certain que le Général De Gaulle a marqué la France, d'abord pour avoir incarné la Résistance depuis Londres, ensuite comme l'homme providentiel à la Libération et au moment de la Guerre d'Algérie, enfin jusqu'à sa chute après mai 68. S'il a évité à notre pays d'être annexé par les États-Unis en 1945, il a également réussi à se débarrasser du Parti Communiste, alors premier parti de France. Et s'il a réglé la question algérienne, n'oublions pas les massacres de Sétif et Guelma ou celui du 17 octobre 1961 devenus officiels que depuis peu. Dans ma famille, à part mon grand-père qui a toujours été gaulliste, on ne peut pas dire qu'il était populaire. Mon père considérait dangereuse la Constitution de 1958 qui donnait tous les pouvoirs à un seul homme et nous fêtâmes sa mort au Bistro 121 en grandes pompes. Pourtant, aujourd'hui tout le monde se prétend gaulliste ! Si je reste critique sur sa politique intérieure, il est certain que sa politique étrangère a empêché la France de se compromettre outre mesure avec les États-Unis, contrairement aux socialistes et à la droite actuelle. Il avait d'autre part une culture et un humour qui font défaut à bien des présidents qui lui ont succédé. Son goût pour l'absurde et ses formules à l'emporte-pièce sont tout à son honneur.
Je ne vais pas faire ici un cours d'histoire, ce dont je suis parfaitement incapable, mais je suis un peu contrarié par l'entreprise à laquelle j'ai participé. J'avais imaginé un design sonore dont tous les sons, hors archives, soient composés à la guitare. La guitare électrique m'apparaissait comme l'instrument le plus représentatif de ces trente ans. Payé des nèfles pour lancer le projet, je n'ai plus eu de nouvelle de la production jusqu'à ce que j'apprenne que son développement avait été confié à une autre équipe sous prétexte que j'étais débordé, mais sans que l'on m'ait posé la question. J'avais livré un paquet de sons à l'avance et en avais enregistré tout autant en prévision de la suite. Je reconnais ici et là mon travail, mais la rigueur de mon design sonore s'est dilué dans la foulée. Peut-être n'aurais-je pas dû exprimer mon désaccord sur le choix des voix des deux enfants prétendus. La même erreur avait été faite sur le CD-Rom "Au cirque avec Seurat". J'ai toujours trouvé épouvantable cette manie de faire jouer à des adultes des voix enfantines. La fraîcheur de l'authenticité est inimitable, un enfant joue de ses hésitations et mime les grandes personnes avec humour et candeur là où l'adulte lénifie de manière insupportable. C'est dommage, car ce sont des projets passionnants qui mériteraient l'excellence. Ce n'est pas grave, je me suis bien amusé avec Hervé et j'ai une tendresse particulière pour Jean-Pierre Mabille qui m'avait, du temps de Point du Jour, permis de revenir à la réalisation de films. Mais ça c'est une autre histoire...

mardi 29 juin 2010

Création par les sons d'espaces imaginaires


La transformation des espaces urbains selon l'heure ou l'époque m'a toujours passionné. En 1979, suite à une commande de Dominique Meens, Un Drame Musical Instantané avait inauguré cet aspect de notre travail à Arcueil avec "La rue, la musique et nous". En 1981, j'avais sonorisé le Parco della Rimembranza qui surplombe Naples en cachant des haut-parleurs dans les arbres. Le premier soir la nature ressemblait à une autre planète avec atterrissage d'une soucoupe volante et tempête sidérale ; le lendemain je diffusai simplement les sons de la journée pendant la nuit produisant un effet bien plus étrange que la veille. En page 7 de la plaquette du Drame, imprimé au-dessus du plan de Paris réalisé par Turgot, nous annoncions la "Création par les sons d'espaces imaginaires, une métamorphose critique d'un espace livré à l'illusion".
Mes projets d'installations sonores se réfèrent toujours au passé ou à l'avenir. J'aime recréer les temps oubliés en faisant remonter des archives les sons disparus ou les réinventant autant qu'imaginer la cité du futur en la rendant palpable. Le chronoscaphe est mon instrument favori. En 1995, je bénéficiai de moyens considérables pour créer de toutes pièces une fête foraine sous la Grande Halle de La Villette. 70 sources sonores différentes et simultanées, avec plus de 200 haut-parleurs, sans compter les orgues de foire et le bruit des manèges, sonorisèrent "Il était une fois la fête foraine" pendant quatre mois, une thématique populaire pour un univers à la John Cage. Je reproduisis l'illusion au Japon pour “The Extraordinary Museum” et “Euro Fantasia” grâce au scénographe Raymond Sarti, également en charge de "Jours de cirque" en 2002 au Grimaldi Forum à Monaco. Entre temps, Michal Batory m'avait demandé de sonoriser l'exposition “Le Siècle Métro” à la Maison de la RATP pour laquelle j'avais dû imaginer, entre autres, Paris en 1900 et en 2050. Cet aller et retour entre l'analyse critique du passé et l'anticipation du futur est une constante de mon travail. Il fera même l'objet d'une œuvre qui me tient à cœur depuis plusieurs années et que je réaliserai enfin en 2011.
L'installation sonore idéale consisterait pour moi à remplacer tous les sons d'un quartier, d'un complexe commercial, d'un lieu urbain qu'il soit, en analysant les besoins des usagers pour se débarrasser des conventions formatrices. J'adore le travail que fit, par exemple, Rodolphe Burger, pour le tramway de Strasbourg en faisant dire aux autochtones le nom des stations avec leurs accents locaux. La fusion des racines et de la technologie moderne répond parfaitement au besoin des voyageurs. J'ai du mal à apprécier la plupart des installations sonores contemporaines dont l'espace de monstration est en opposition avec l'œuvre (je reviendrai sur celles qui m'ont plu ;-). Le design sonore en tant qu'art appliqué me semble ici plus adapté aux nécessités que l'expression intime de l'artiste qui s'épanouira parfaitement en spectacle ou sur support enregistré. Sauf à tout insonoriser par isolation phonique, le son déborde toujours du champ où il est prétendument circonscrit. Et puis surtout, on ne peut pas écouter n'importe quelle musique à n'importe quel moment n'importe où !
En regardant les manifestations pendant le G20 à Toronto, je reconnais les avenues où nous étions encore la semaine dernière. Les affiches du festival Luminato ornent toujours les mâts. Et pourtant rien n'est pareil. Le son n'est plus le même. Les images ont cédé la place à d'autres. Le propos n'a plus rien à voir. Mais tout est enregistré. Pas seulement par la télévision. Mais par les lieux eux-mêmes. J'aimerais pouvoir retourner dans le passé, avant que les gratte-ciel n'envahissent downtown, avant que le tramway ne fixe ses baleines de métal au corset des rues. J'aimerais imaginer ce que deviendra la ville lorsque nous aurons enfin compris que le cancer automobile a envahi nos vies bien au-delà de la chaussée, que, même s'il faut creuser un peu plus, sous les pavés il y a toujours la plage...

dimanche 27 juin 2010

Diptyque pour 13 mots et un paysage


C'est la mode des web-documentaires. Tant mieux si cela permet à des œuvres telles Duo pour 13 mots et un paysage de Karine Lebrun d'exister et de toucher de nouveaux publics. Le genre n'est pas récent, même si l'appellation est d'actualité. WaxWeb de David Blair est le premier long métrage publié sur Internet dès 1993. En 2000, Françoise Romand initiait ikitcheneye, tentative online purement documentaire. L'an passé, Antoine mettait en téléchargement gratuit Machiavel que nous avions réalisé pour CD-Rom en 1998... L'évolution technologique permet aujourd'hui de donner au webdoc ses lettres de noblesse.
Karine Lebrun produit un objet abouti où l'interactivité se justifie par un aller et retour panoramique sur le double écran. L'image est en haute définition, le débit est fluide, l'interface réfléchie, permettant à l'internaute de profiter au mieux du spectacle en plein écran. Passé ces considérations techniques, le dispositif convient parfaitement à la rencontre de Karine Lebrun filmant l'écrivaine Christine Lapostolle dont les textes et ses ramifications dans l'histoire littéraire inspirent la lectrice transformée en vidéaste. Le paysage de bord de mer, de la pointe bretonne, le Finis Terrae, et les ambiances sonores de Sacha Gattino répondent au dialogue des deux femmes autour de la résistance qu'offrent la littérature et, par conséquence ici, l'œuvre multimédia.
Dès le premier mot, "Début", s'inscrit le hors-champ, à gauche la musique, à droite la caméra, tierce personnage se révélant lorsque Christine jette un œil à l'arrière de la voiture qu'elle conduit pour parler à son interlocutrice assise à l'arrière, et, plus fort encore, l'internaute aux commandes de l'engin. Le curseur placé sur la collure entre les deux images hésite à privilégier le son de l'une ou l'autre, les mouvements de la souris contrôlant le mixage à l'image pour "Décrire", vague vague laiteuse, écume rappelant le spectateur à son rôle de voyeur ex machina. De part et d'autre, les plans fixes calment les séquences à l'épaule, sobriété de la "Lecture", même si la tentation est grande d'écouter les deux discours simultanés quand intervient "Christophe Fiat". Astucieusement la boucle permet de revenir sur ce que l'on a négligé, les deux vidéos ne faisant jamais la même durée. Le ton murmuré du "Détachement" de Karine renforce l'élégance du travail sonore de Sacha dont l'orchestration homogène comprend pourtant "cithares, tambour à cordes, piano à queue, rhombes, shrutibox, orgue à bouche, kalimba, papier de soie, bruitages de Bretagne, électronique et traitement informatique".
Dans le sixième épisode, terme plus approprié que chapitre, car il peut être agréable d'y revenir plutôt que de vouloir tout assimiler comme un goinfre, l'eau glisse sur le sable comme l'écrivaine arpente la grève. En toile de fond, les vagues de l'océan qui viennent et se retirent recopient sans cesse leur "Écriture" à quatre mains. Pour "Conversation", Kar. apparaît enfin à l'écran (in sur le logiciel), rime riche avec X. que la lectrice prononce Xine, effaçant la référence chrétienne dont on ne saura pas vraiment si l'écrivaine s'en dégage ou l'assume, après les toiles peintes de son compagnon "Benoît Andro", une nouvelle "Promenade" et le plat de "Résistance". Comment peut-elle citer la Princesse de Clèves et revendiquer pour elles deux les termes masculins "écrivain" et "lecteur" ? Comment peuvent-elles justifier de ne pas accorder au féminin des qualificatifs d'épanouissement en prétendant que le mot "écrivaine" est moins beau que celui d'"écrivain" (hors texte, tiens-je à préciser) ? La résistance aux conventions revendiquée par Xine et adoptée tout autant par Karine épargnerait ces restes d'oppression séculaire camouflée sous des prétextes esthétiques ? De quels autres mots l'oratrice se priverait pour cause de laideur phonétique ? Qu'est ce que la beauté d'un mot si ce n'est le simple fait qu'il soit ou non approprié dans l'énoncé ? Je résiste, elles résistent, résistez-vous ?
La "Fin", peu avenante pour les deux femmes, est précédée du "Bout du monde" et d'un échange sur Toile et sofa avec "Pierre Trividic", Sacha en amorce jouant les Candide, avant que le Tchat vidéo ne close le long métrage ou le feuilleton selon qu'on le savoure en bloc ou par étapes. Karine Lebrun réussit un beau portrait d'artiste par le truchement des nouveaux médias, nous faisant entrer dans le monde sensible et critique de Christine Lapostolle par la fenêtre des écrans domestiques, avec un souci du détail où tout est pensé pour que rien ne s'échappe de la Toile tendue pour nous prendre, nous prendre au mot, car 13 n'est qu'un prétexte. Les autres sont des étoiles filantes.

mardi 1 juin 2010

Internet permet d'être sans avoir eu à penser


Si L'Internet fait des bulles avait un intérêt historique sur le commerce en ligne, I am the Media ne parle que de l'outil au détriment du contenu. À en croire l'enquête de Benjamin Rassat, les Blogs ne sont qu'affaire de narcissisme au travers de l'auto-googlisation et donc de course à l'Audimat. Son "I am" est bien loin du "cogito ergo sum" cartésien. Ici on "est" sans avoir eu à penser ! Le film n'apprend rien, c'est une ennuyeuse litanie de têtes creuses qui ne connaissent qu'un chiffre, le numéro 1, soit être en tête de sa liste. Les questions sont trop bateau pour générer la moindre réponse intéressante ; même le détracteur Andrew Keen qui n'y voit que masturbation intellectuelle reste fade et l'avatar schizophrénique de Rassat accumule les poncifs. I am the Media tourne surtout autour des Vlogs (vidéo blogs), où ces exercices d'exhibitionnisme les plus populaires sont sans paroles. Le voyeurisme qu'ils suscitent est le même que celui de la télé-réalité. Pas un soupçon de regard critique sur le Blog, journal intime devenu public, sur les motivations des auteurs qui ont quelque chose d'autre à défendre qu'une occupation de l'espace, hymne stérile et rabâché au fantasme warholien des quinze minutes de célébrité pour chacun. Le film fait l'impasse sur les différentes formes que peuvent prendre ces chroniques régulières, souvent dirigées par des amateurs (soit ceux qui aiment), en libre accès pour tous les internautes, et qui concurrencent les médias plus traditionnels tremblant de ne pas en comprendre les ressorts faute d'une véritable réflexion sur les révolutions que les nouvelles pratiques engendrent. Même chose pour les sociétés d'auteurs qui ratent le coche en misant sur la répression au lieu d'adapter la protection des droits aux nouveaux usages ; se laissant circonvenir par les industriels, elles vont à contre-courant des intérêts des auteurs qui sont de faire circuler les œuvres avant de compter sur ses doigts les intérêts numéraires. Les conséquences d'Internet sont encore difficilement évaluables, mais il est évident qu'il transforme la pensée bien au delà du médium. Et quand la pensée change, l'être s'y conforme. Quod erat demonstrandum.