70 Multimedia - décembre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 26 décembre 2010

I wonder


Pour Noël mes nièces m'ont offert I wonder de Marian Bantjes, un magnifique livre comme je les aime, feu d'artifices graphique où chacune des 208 pages recèle une surprise. Doré sur tranche, l'ouvrage puise ses sources dans les fameux patchworks américains (quilts), les papiers cadeaux des modernistes viennois, les enluminures médiévales, les arabesques de l'Islam, les tableaux de pâtes alimentaires et les recherches infographiques les plus récentes. Bantjes est une blogueuse qui utilise sans complexe ses visions éclectiques pour illustrer ses réflexions sur sa vie et son art. Inventions typographiques, codes secrets, alphabet, tout est bon pour laisser libre cours à son imagination et nous faire plonger dans un monde baroque où Alice peut dialoguer avec Edgar A. Poe et le journal intime se transformer en bréviaire de sorcière. C'est un livre qui se regarde et s'admire plus qu'il ne se lit, le miroir de nos rêves anciens et la boule de cristal qui révèle de possibles chemins. Je duplique quelques images qui ne peuvent être représentatives de ce labyrinthe...





À la fin de l'ouvrage, Marian Bantjes inventorie ses sources et ses outils, en particulier ses polices de caractère, donnant à son récit la forme éclatée d'un discours de la méthode (Ed. Thames & Hudson).

vendredi 3 décembre 2010

Extrait du discours de la méthode


Pendant que je rédigeais l'article sur ma conférence d'hier après-midi à Créapôle d'autres faisaient de même sur le blog de l'école en publiant les photos prises à l'insu de mon plein gré, comme il est coutume de le signifier aujourd'hui. Lors de mes visites un photographe dont j'ignore le nom et la voix et qui ne m'a jamais été présenté ne cessa de me mitrailler. Comme je le saluais il fit mine de n'avoir rien entendu. Était-ce de la timidité, le résultat d'une consigne, l'envie de se fondre dans le décor pour capter l'instantané, le choix de l'ombre face à la lumière ? Je l'ignore encore. Y aurait-il chez les voyeurs professionnels un souci de l'invisible dont ils seraient les seuls à savoir se vêtir ? Imaginant qu'évidemment il ne pouvait s'agir que de la communication de l'école j'ai joué le jeu en continuant mon chemin comme si de rien n'était.
Huit photos (blog de Créapôle) illustrent ma prestation que je qualifie parfois de représentation. Plus je m'exalte, plus ma passion est communicative. Rien n'est feint, j'aurais même plutôt tendance à réfréner mon exubérance lorsque le sujet m'emporte. Au vu des photos cela m'amuse de me voir gesticuler dans tous les sens, risquant de me casser plusieurs fois la figure du haut du petit podium où je suis grimpé. Je ne prépare jamais mes conférences, l'improvisation conférant à mes interventions une vitalité indispensable pour que le message soit intercepté par les étudiants rassemblés dans l'amphithéâtre. Si ne serait-ce qu'un seul d'entre eux, ou une seule, était touché par la baguette magique avec laquelle je jongle allègrement ma mission serait accomplie. Il y a une jubilation à partager son savoir égale à celle de la scène lorsque les artistes passent la rampe et que chacun et chacune dans le public se sent personnellement visé. J'en ressors chaque fois exténué.

jeudi 2 décembre 2010

L'arbre de transmission


En regardant les projets imaginatifs accrochés dans les halls de l'école Créapôle je me disais que c'était dommage que ces étincelles s'éteignent si vite, aussitôt les étudiants happés par la vie active. Le temps de l'apprentissage est un moment génial où tout est possible, où les rêves s'étalent sur les murs et s'épanouissent dans la promiscuité. Les écoles sont des outils fantastiques si l'on sait s'en servir, des espaces de liberté qu'il sera difficile de préserver dans la réalité quotidienne. Pourtant, celles et ceux qui y arriveront, avec force arguments et persévérance, verront leurs désirs se transformer en or, entendre le soleil qui vous habite en vous épargnant l'amertume des illusions perdues. S'il constate hélas plus souvent qu'il ne propose, Bernard Stiegler a raison de parler de la perte de la libido comme d'une catastrophe planétaire. En m'emballant devant l'amphithéâtre rempli de jeunes gens dont les yeux pétillaient, je pensais que tant qu'il resterait de la braise rien n'était perdu...
J'étais venu prêcher la bonne parole du son à ces futurs designers, qu'ils soient branchés par la mode, les bagnoles, les objets, l'architecture d'intérieur, le jeu vidéo, l'animation, le multimédia, l'art ou je ne sais quoi. Partout le rôle du son se révèle déterminant, du frottement d'une étoffe à la musique du tableau de bord, de la réverbération d'une pièce à la charte sonore de n'importe quel produit audiovisuel, de la rue à son intimité partagée, toujours pensé dès les premiers pas de n'importe quel projet, quelle que soit sa nature, fut-ce d'aboutir au silence, pour changer. Je vantai le hors-champ, la complémentarité contre l'illustration, la nécessité de l'écoute, l'adaptation aux situations les plus complexes par le bon sens, l'importance de la culture générale dans le processus de création, le plaisir de partager et transmettre ce qui nous avait été donné...
Je suis rentré à la maison revigoré. Mes pas faisaient crisser le verglas. Les clochettes japonaises couvraient le murmure de la ville. Le feu crépitait dans l'âtre. Je tapotais sur mon clavier. Chaque téléphone retentissait de sa propre sonnerie. L'ensemble aurait pu générer le stress de la cohue. Mais tout s'agençait dans l'espace comme une composition préméditée.