70 Multimedia - septembre 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 29 septembre 2011

Hugo Verlinde, le bleu du firmament


Hugo Verlinde, le bleu du firmament ! Comment l'entendre alors qu'il évolue dans le silence ? Pour être un bleu nous le sommes tous, artistes ou savants, contemplatifs et simples rêveurs, si loin de toute explication plausible, plus proches de la question sans réponse que d'une science exacte. Mais y en a-t-il une seule qui le soit ? Là où la poésie ne se périme jamais, la science est sans cesse démentie par de nouvelles découvertes. On le voit ces temps-ci avec l'éventuelle remise en cause de la célèbre théorie d'Albert Einstein quelquefois que les neutrinos aient vraiment franchi la vitesse de la lumière entre le CERN et le Gran Sasso. Pour qu'une science résiste au temps qu'elle soit au moins circonlocutoire, comme la musique, fut-elle des sphères ! Hugo Verlinde, comme de nombreux artistes d'aujourd'hui, base son œuvre sur le code tel que les musiciens l'ont toujours pratiqué. Ses élégants algorithmes ne font que quelques lignes, informatique uniquement basée sur les courbes des quatre fonctions sinus, cosinus, exponentielle et logarithme.
Le Vide (photo) de Hugo Verlinde exposé à la Galerie G m'a touché par sa plasticité, un mouvement souple, les nuances du bleu. L'installation se renouvelle sans cesse. D'abord interactive, elle est devenue générative, s'affranchissant d'artifices maladroits et superficiels qui ont longtemps alourdi nombreuses œuvres numériques. Celles qui nécessitent qu'on s'avale un mode d'emploi pour ressentir ou comprendre quoi que ce soit ne m'accrochent pas. Quitte à se plonger dans la lecture, qu'elle advienne seulement ensuite : "La science d’aujourd’hui ouvre une brèche en affirmant que la majeure partie de la matière constituant l’univers est manquante. Cette matière demeure invisible à nos yeux comme à nos télescopes. En vérité, le vide nous réserve encore bien des surprises. Les mots eux-mêmes semblent pointer dans cette direction : dans le vide il y a la vie, dans le vi(d)e, il y a la vie." Mon interprétation n'en est pas affectée. Préférer l'analyse post-visite à la littérature conceptuelle anticipante qui tient lieu de béquilles aux œuvres bancales.
Verlinde expose aussi Verticales au Cube pour les 10 ans du Cube, ainsi que Alcyone, Ether, Carré magique, Univers-îles et Totalité à la Galerie du Buisson. Enfin Lowave distribue le DVD Cosmogonies.
Lecteur de Stephen Hawking et Jean Audouze, la voûte céleste m'attire irrésistiblement, le firmament me donnant le vertige en faisant exploser mes propres codes.

mercredi 28 septembre 2011

Ils ont tous raison


Dans la vitrine de la librairie le nom de l'auteur du roman Ils ont tous raison me fait croire à un homonyme du cinéaste qui réalisa plusieurs films que j'ai adorés et évoqués ici-même : L'homme en plus (L'uomo in più, 2001), Les Conséquences de l'amour (Le conseguenze dell'amore, 2004), L'Ami de la famille (L'amico di famiglia, 2006), Il divo (2008). Je n'ai pas encore vu This Must Be The Place, mais il passe la semaine prochaine au Cin'Hoche en bas de la colline. Enquête faite, Paolo Sorrentino s'est essayé avec le même succès au roman qu'avec ses films qui ne rencontrent pourtant pas en France le succès mérité. Si Il divo est un film survitaminé et politique, Les conséquences de l'amour joue d'une narration de l'attente et l'utilisation du son et de la musique y est absolument remarquable...
Ils ont tous raison est un livre étonnant dont les qualités sont fondamentalement littéraires. Sorrentino (traduit en français par Françoise Brun) possède un style que la critique italienne a comparé à la puissance de Voyage au bout de la nuit de L.F. Céline. Son écriture dense et rythmée ne s'embarrasse d'aucun formatage, d'aucune bienséance. Le langage, souvent cru et imagé, est typiquement italien. Sous le portrait d'un chanteur cocaïnomane, macho brutal et désabusé, c'est l'Italie qui est griffonnée, ou plus exactement, griffée rageusement. "Le style, il n'y en a pas beaucoup dans une époque, le style, le style, ça demande énormément de travail, il faut sortir les phrases de leur signification habituelle, les sortir des gonds, les déplacer, forcer le lecteur à déplacer lui-même son sens, légèrement, il faut tourner autour de l'émotion..." bégayait Céline.

lundi 26 septembre 2011

Nabaz'mob à Tallinn, Estonie


Hans W. Koch (sur la photo devant Antoine Schmitt) ouvre le bal avec trois pièces musicales participatives. Proposition originale pour piano préparé, les spectateurs qui appellent des numéros depuis leurs téléphones portables font sonner ceux du compositeur qu'il a placés sur les cordes du piano à queue. Après un jeu de larsens solo me rappelant Pendulum Music de Steve Reich, des personnes du public montent sur scène saturer leurs ordinateurs portables de sons et de rectangles de couleurs.
Après un court entr'acte, les 100 lapins de notre opéra Nabaz'mob font la clôture de l'exposition Gateways organisée par le Goethe-Institut deux soirs de suite au Kumu Art Museum de Tallinn. Je viens de m'apercevoir que le second poème de 1971 qui figure sur mon billet de mardi dernier s'intitule Rabbit Soup. Pourvu qu'ils n'en prennent pas ombrage ! Plutôt que d'ajouter encore de joulies photos à celles déjà présentes sur le site, je choisis des images de notre équipe au travail pour illustrer les représentations de Tallinn.


Les petits rongeurs, qui ont eu vendredi les honneurs de la radio et de la télé nationales (émission ETV), remportent un beau succès. Comme nous demandons au public de ne pas prendre de photo pendant la représentation pour ne pas casser la magie de l'obscurité, à la fin du spectacle nous invitons les spectateurs à s'approcher. Antoine fait saluer le clapier pendant que les photographes en herbe le mitraillent. Comme nous répondons aux questions de la salle, une jeune fille demande pourquoi ce ne sont que des lapines, un enfant pourquoi leurs oreilles bougent. Il y a tant de façons de répondre. Rires.


La vieille ville est un peu trop proprette et pittoresque pour vraiment nous plaire, même si nous nous délectons d'une cuisine médiévale aux parfums inédits pour nos papilles. Nous préférons nous promener sur le port, dans les nouveaux quartiers branchés ou monter au 23ème étage de notre hôtel où est installé le musée du KGB. De là nous avons une vue plongeante, forcément circulaire, mais ça c'est une autre histoire...

lundi 12 septembre 2011

3", BD au zoom infini


La nouvelle bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu est un livre-objet qui deviendra vite culte tant sa réalisation colle à son concept original. Cet ovni (olibrius voyant non identifiable) est le cousin direct de Michelangelo Antonioni pour son film Blow-Up et surtout Michael Snow pour le film Wavelength et son récit photographique retors Cover To Cover. Du premier il s'approche par une enquête policière dont les fils tiennent à l'agrandissement d'une image, du second par un zoom interminable, unique plan séquence dont les effets de miroir produisent des effets de champ-contrechamp vertigineux où réside la clef de l'intrigue. Le tout sans paroles, par le seul talent du dessinateur-scénariste.
En acquérant la version papier parue aux Éditions Delcourt nous avons illico accès à un site Internet où nous est offerte une version numérique. Illico est le mot puisque l'action, ralentie au gré du lecteur, dure exactement trois secondes. Aucun gadget ici, mais deux manières de lire l'histoire et d'apprécier l'art de Marc-Antoine Mathieu. Sa bande dessinée peut être considérée comme le story-board du film dont la vitesse de lecture est réglable dans un sens comme dans l'autre, un effet snowien là aussi ! J'ai encore pensé à l'excellente série Le relief de l'invisible réalisée par Pierre Oscar Lévy où l'on zoome dans la matière jusqu'à l'infiniment petit pour repartir en arrière vers l'infiniment grand. Jean Cocteau, dans le chapitre Des distances de son Journal d'un inconnu précise bien qu'il n'existe rien de grand ni de petit, mais seulement des distances. Portée par tant d'anagrammes, de réflexions quasi palindromiques, d'indices à déchiffrer, la trajectoire du photon qui nous emmène jusqu'à la lune est, sur le site, l'objet d'un forum (spoiler) où débattent les lecteurs comme lors du lancement de Mulholland Drive.


Puisque nous nageons dans les références à espérer cerner une œuvre hors normes et que celle-ci en abonde, j'avais découvert Mathieu en cherchant un auteur de la trempe de Francis Masse, un autre de mes héros, héros qui sera d'ailleurs présent au Monte-en-l'air ce soir lundi à 17h pour la sortie de son (Vue d’artiste) et la réédition des Deux du balcon. J'ai craint un moment la fermeture de la librairie qui avait simplement déménagé 71 rue de Ménilmontant / 2 rue de la Mare, 75020 Paris, dans un espace spacieux permettant les expositions. À n'en pas douter, 3" s'y trouve en bonne place, nos yeux zoomant éperdument sur les merveilles graphiques rassemblées.

lundi 5 septembre 2011

Rêve de lapins


Depuis Marseille Poussière rêve-t-elle toujours de lapins ? Le sud ne semble pas friand de rongeurs lyriques. Nous n'avons jamais été invités que dans le sud-ouest. La nouvelle tournée de Nabaz'mob se dirigera encore cette fois vers l'étoile polaire. D'abord Tallinn en Estonie où notre opéra sera représenté deux fois au Kumu Art Museum pour la clôture de l'exposition Gateways les 23 et 24 septembre, puis en installation au Musée Départemental de l'Oise à Beauvais, dans l’ancien Palais des Évêques-Comtes, du 5 au 22 octobre avant rénovation de la salle Thomas Couture fermée depuis douze ans. Ce monument historique comporte une porterie du XIVème siècle ornée d'une célèbre peinture murale de sirènes musiciennes ! Ce matin Antoine et moi enfourchons nos destriers et fonçons à bride abattue faire un repérage des lieux tandis que Poussière continue de rêver sur le dos, la patte levée derrière l'oreille, dans une position de cantatrice montée sur ses grands chevaux, alors qu'en vérité sa méditation molle la fait plutôt ressembler à une crème.