70 Multimedia - octobre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 14 octobre 2013

Un cocktail, des Cocteau


Le 11 octobre 1963 la radio annonça la mort d'Édith Piaf. En fin de journée Jean Cocteau apprenant la nouvelle s'éteignit à son tour. Grâce aux techniques du XXe siècle le timbre de leurs voix deviendra immortel. L'un et l'autre étaient deux merveilleux conteurs. Piaf jouait ses chansons en comédienne. Cocteau ne s'y était pas trompé en lui écrivant Le bel indifférent où elle ne fait que parler devant son amant muet. Le poète n'eut pourtant jamais de meilleur interprète que lui-même pour dire ses textes. Il faut absolument réécouter les poèmes d'Opéra ou ses Portraits-souvenir qu'il enregistra sur microsillon. Cocteau fait sonner chaque syllabe en musicien inventif, leurs images explosant le sens et interrogeant l'auditeur devant l'inouï. Amateur de rythmes, il adorait son ami Stravinsky et il avait acquis la première batterie de jazz arrivée en France. Fasciné par le réel il le transposait en rêve. Il pratiqua ainsi tous les genres en les abordant en poète : littérature, cinéma, peinture, journalisme, ballet, théâtre, etc. De quoi en irriter plus d'un à commencer par les surréalistes, en particulier Breton, qui le reléguèrent à une ringardise de faiseur bourgeois pour camoufler leur propre arrogance et une homophobie face à un extraverti qui osait revendiquer ses choix haut et fort.

Comme Edith Piaf, Jean Cocteau découvrit et révéla quantité d'artistes dans des domaines extrêmement variés. Jean Genet n'en est pas le moindre, poète inconnu et délinquant récidiviste qu'il sauva de la prison et du bagne. Le Groupe des Six lui doit leur renommée ; là encore Poulenc, Milhaud, Honegger, Auric, Durey, Tailleferre (oui une femme !) faisaient figure de néoclassiques pour les bien-pensants de l'avant-garde. Comme si un autre point de vue pouvait leur faire de l'ombre ! Et pourtant ! Pourtant comment ne pas voir le génie cinématographique encensé par la Nouvelle Vague ? Du Sang d'un poète au Testament d'Orphée en passant par La belle et la bête, comment ne pas être subjugué par l'originalité et la perspicacité du cinéaste ? Il est l'auteur du concept de synchronisme accidentel au cinéma, pas seulement pour avoir compris le rôle de la musique, mais clé de toute vie.

Très jeune, grâce à Jean-André Fieschi, je fus séduit par son œuvre, même si je mis plus de temps à comprendre son travail graphique, mais tout est lié chez Cocteau. J'achetai alors tous ses livres chez les bouquinistes des quais le long de la Seine, je fouinais chez les antiquaires pour y trouver les 33 tours, j'écoutais sa voix, l'une des plus suggestives avec celles de Jean-Luc Godard et de Jacques Lacan. Jamais aucun récitant ne lui arriva à la cheville pour L'histoire de soldat de Stravinsky sur un texte de C.F.Ramuz, un autre écrivain mésestimé, considéré à tort comme auteur de romans paysans alors que ce visionnaire possède l'une des plus belles langues de la littérature francophone et qu'il est le modèle d'un autre Vaudois, cinéaste dialectique s'il en est. Si Aragon et Céline sont des géants il serait temps de réhabiliter Cocteau, Ramuz et Cendrars.

Combien de fois ai-je cité Cocteau ? Une des pièces du Drame se nomme d'ailleurs "Ne pas être admiré, être cru.", exergue d'Une histoire féline... Sur ma carte de visite j'avais écrit "Le matin ne pas se raser les antennes" (Journal d'un inconnu). Une litho originale pend dans le studio. On comprend parfois de travers "Ce que le public te reproche, cultive-le : c'est toi" (Le Potomak)... André Fraigneau lui demande : "S'il y avait le feu chez vous, quel est l'objet que vous préféreriez et que vous emporteriez ?" Et Cocteau de répondre : "Je crois que j'emporterais le feu"... "Les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort va et vient... Du reste, regardez-vous toute votre vie dans une glace et vous verrez la Mort travailler comme des abeilles dans une ruche de verre" (Orphée).... "Puisque ces mystères me dépassent feignons d'en être l'organisateur" (Les Mariés de la Tour Eiffel), etcétéra.

mercredi 9 octobre 2013

Miaulique


Sacha Gattino, avec qui je termine le design sonore de l'exposition Le Gameplay s'exhibe qui ouvrira ses portes le 22 octobre à La Cité des Sciences et de l'Industrie et dont le site perso révèle quantité d'informations et de liens précieux sur le son et les instruments de musique inhabituels, me suggère de commander Miaulique, un livre sur les musiques de chats accompagné d'un précieux CD.
Je possédais déjà Le mystère des chats peintres publié chez Taschen, acquis sur les conseils d'un autre ami de la gente féline, Jean-Pierre Mabille. J'imagine qu'ils avaient respectivement partagé leurs studieuses lectures avec Cache-cache et Poussière comme je le fais moi-même avec Scotch à qui je lis régulièrement l'Histoire féline de Cocteau sans que cela lui fasse ni chaud, ni froid. Ne serait-il pas concerné par les titres de noblesse ? Chez déjà chat !
Miaulique, le livre rédigé par Jean-Claude Lebensztejn (Le Passage) est illustré de fabuleuses peintures et estampes où se reconnaissent, entre autres, Téniers, Jan Brueghel, Watteau, Grandville, Halsman, et autant d'orchestres où figurent des chats. S'intéressant à la musique féline en littérature comme dans les arts, l'auteur cite Mme d'Aulnoy et les frères Grimm, Hoffmann, Champfleury et Paradis de Moncrif ! La comparaison du miaulement avec la dissonance est injuste (à moins que l'injustice s'exerce envers la dissonance !) et les malheurs qu'on leur a fait subir dans les foires et sur les terrains vagues sont évidemment atroces et débiles. C'est joué avec le Diable. Je sais, Nicolas, nous avons fait tourner des chats par la queue comme des rhombes une nuit de grand vent, mais ce n'était qu'en rêve ! Le passage à l'acte est une ligne jaune que l'on ne franchit pas, même sur des pattes de velours. J'ai souvent enregistré ou mimé des chats dans mes créations et pour Crasse-Tignasse je chantais "Miaou Miaou Mi, Miaou Miaou Miac" sur les cendres de Pauline et les allumettes.
Si vous trouverez quelques partitions, j'ai un petit faible pour le CD accompagnant cette "fantaisie chromatique". D'Adriano Banchieri (1608) à Paul Whiteman (1928) le Concert miaulique est un ravissement. Un duo de Leonardo da Vinci, le duo des chats de Rossini qui n'est pas de lui mais de l'Anglais Robert Lucas de Pearsall dit G. Berthold, l'autre duo miaulé de Ravel dans L'enfant et les sortilèges, une Berceuse de Stravinsky, Felix The Cat de Whiteman avec Bix Beiderbecke et Franky Trumbauer, un Capriccio de Farina, Kitten on the Keys de Zez Confrey... Un très joli cadeau pour quiconque pense qu'une maison sans chat est comme un violon sans âme !