Parmi nos collaborations chorégraphiques ce n'est qu'avec Lulla Card (aujourd'hui Lulla Chourlin) que nous trouvâmes l'accord parfait. Nous avons monté ensemble le spectacle Zappeurs-Pompiers, regard critique sur le monde de la télévision et sur la (télé)vision du monde. J'y zappais les chaînes satellite en direct sur grand écran pour composer une fiction que Francis et Bernard accompagnaient musicalement. Dans sa première version (1987) le comédien Éric Houzelot prêtait main forte à Lulla, dans la seconde (1989) le clown Guy Pannequin des Macloma donnait la réplique à la chorégraphe suspendue à un fil ou filmant avec une paluche des paysages incroyables sculptés sur sa robe. Même plaisir partagé avec le danseur Didier Silhol qui intervint lors des performances inaugurant les CD-audio/rom Carton et Machiavel.

Comment en sommes-nous arrivés à représenter un ballet sur France Culture ?

Notre aventure chorégraphique avait commencé avec Karine Saporta que Hélène Sage nous avait présentée en nous précisant que ce n'était pas un cadeau ! Le GRCOP (Groupe de Recherche Chorégraphique de l'Opéra de Paris) avait commandé une pièce à la chorégraphe. Sur Manèges (1985) la collaboration s'était plutôt bien passée, mais la création suivante fut un supplice. C'est la seule fois de ma vie où je tendis la bande d'une main pendant que je saisissais le chèque de l'autre. Sans avoir été prévenus, Bernard Vitet, Francis Gorgé et moi découvrîmes à la première du Cœur métamorphosé (1986), dans la grande salle du Théâtre de la Ville, une minute, extraite de notre partition d'une heure, répétée soixante fois avec un métronome posé par dessus. Nous avons sifflé notre musique et le ratage kitsch et, préférant penser à l'avenir plutôt que faire jouer nos droits, nous allâmes boire un coup. Sage décision nous permettant de nous souvenir essentiellement de la joie d'avoir été joués au Palais Garnier !

De prime abord, travailler avec le chorégraphe Jean Gaudin semblait plus fructueux, mais on ne dirige pas des musiciens comme des danseurs, et quantité de compositeurs ont vécu des histoires difficiles dans ce contexte. Dans le passé le ballet était le fruit de la collaboration de trois artistes : le librettiste, le chorégraphe et le musicien. Vous pouvez ajouter le décorateur lorsqu'il s'agit de Picasso ou Picabia. Depuis plus de trente ans le chorégraphe a pris le pouvoir sur les autres corps de métier en pensant se substituer au librettiste et en manipulant les musiciens comme si c'était de la terre glaise. On entend ainsi les mêmes musiques, souvent saucissonnées, et l'on assiste à la énième version du discours amoureux de Barthes. Imaginez-vous que le musicien engagé par un chorégraphe puisse arguer que ce n'est pas la musique qui est trop longue, mais la pièce elle-même, ou du moins sa structure ? Le résultat nous parut pourtant suffisamment enthousiasmant pour en proposer une version radiophonique à France Culture dont les programmes musicaux étaient alors dirigés par Charlotte Latigrat...


C'est cette création intitulée Écarlate (1988) que nous proposons aujourd'hui en écoute et téléchargement gratuits.