Sacha Gattino me fait écouter un monde musical dont je croyais tout ignorer, mais que je pressentais pour en avoir tâté moi-même à mes débuts et dans mon travail de designer sonore. Tous ces artistes ont un goût pour la matière organique qui n'a rien de commun avec la virtualité synthétique. Ils pervertissent le réel en une sorte de théâtre de l'absurde empreint d'humour et de tendresse. Les boucles rythmiques et les agrégats chaotiques dessinent le même décor, un paysage brintzingue digne de Lewis Carroll ou Dave McKean.
Je prends des notes pour me retrouver parmi les chansons pop éthérées d'Animal Collective remplies de petits sons sympas, les charmants samples rythmés de la déjantée Moonstruck Parade du Japonais Bisk, les grincements accompagnant la voix enfantine de Coco Rosie que l'on imagine ne jamais pouvoir grandir, le duo de guimbardes de Makigami Koichi et Anton Bruhin, les engrenages mécaniques de Németh, la transe ethno de Badawi a.k.a. Raz Mesinai dont le théâtre musical nous caresse à rebrousse-poil avec ses bris horlogers, les jeux de cloches et les fanfares dérisoires de l'orchestre d'éléphants de Dave Soldier et Richard Lair, les jouets riquiquis d'Emmanuel Dilhac et ceux féroces de Spunk, la causticité de Wevie Stonder... J'en profite pour entamer une nouvelle dégustation du CD du polyinstrumentiste Frank Pahl produit par le guitariste français David Fenech, lui-même auteur d'une tendre et foisonnante Polochon Battle.
Sans remonter à Leopold Mozart, Joseph Haydn, Erik Satie ou Spike Jones, leurs ancêtres se nommaient White Noise, Moondog, Third Ear Band, Robert Wyatt, famille à laquelle appartiennent aussi Pascal Comelade et Pierre Bastien avec qui notre Nabaz'mob partagera l'exposition Musique en Jouets qui ouvrira ses portes le 24 juin au Musée des Arts Décoratifs à Paris...
Je ne peux pas adhérer totalement à ce mouvement qui, à mon goût, manque souvent de gros plans. En opposition, le jazz néglige les effets d'ensemble pour privilégier l'expression individuelle. C'est la raison pour laquelle Pierre Bastien, par exemple, ajoute sa trompette de poche à ses machines en Meccano. Tous ces musiciens peignent des décors féériques. Les jazzmen incarnent les héros. Le rock mise sur la puissance là où le classique joue sur la nuance. Il me faut un peu de tout cela pour trouver ma voie. En quête de perspectives, j'apprécie la transparence. Amateur de coups de théâtre, j'affecte les contrastes. Sacha dessine les scènes, j'en écris le synopsis, mais si nous devions enregistrer un album j'inviterais des acteurs à s'y mouvoir. Mais pour les spectacles vivants que nous projetons, les images de Nicolas Clauss et les sons qui y sont rattachés suffisent à occuper l'espace...
Comment pourrais-je être insensible à ces jeux d'enfants alors qu'avec Antoine Schmitt nous sillonnons le globe avec une ribambelle de cent lapins en plastique et qu'avec Frédéric Durieu, d'Alphabet à La Pâte à Son, j'invente des machines musicales interactives pour que chaque enfant qui sommeille en nous puisse s'épanouir. Ma collection de jouets musicaux est une boîte à outils où j'alimente régulièrement mes rêves sonores depuis 40 ans. C'est donc avec joie et armé de chocolat noir que j'irai me promener dans ces forêts de sucre d'orge et que je hanterai les palais de pain d'épices de ce monde enchanteur. Je sais bien que je ne pourrai m'empêcher de casser du sucre sur le dos des sorcières, de faire mordre la poussière d'ange aux trop gentilles fées pour être honnêtes, je déchaînerai malgré moi des tempêtes à la poudre de coco et ferai semblant d'enfiler mon déguisement, incapable de répéter deux fois le même tour, laissant à Sacha le soin de garder le cap vers cet horizon qui semble si proche mais s'éloigne au fur et à mesure que l'on avance. Ce programme devrait parfaitement coller avec les images mouvantes de Nicolas (ci-dessus une poupée de Money, inédit) qui nous engloutiront corps et biens, paysages obscurs éclairant la scène de leurs rayons de miel et de piments si puissants qu'ils nous emporteront la gueule parce qu'on aime ça plus que de raison. Un théâtre de la cruauté émerge des scènes enfantines les moins innocentes.