On appelle souvent nos séances de travail des répétitions, mais dans les faits nous ne répétons pas vraiment. Disons qu'on se fait la main, qu'on fourbit nos armes, qu'on expérimente de nouveaux alliages, qu'on précise la conduite... Nicolas Clauss prépare ses modules pour lui permettre d'improviser facilement selon l'humeur du moment et la musique que nous jouons. C'est un peu la director's cut d'une œuvre interactive dont il connaît mieux que personne les possibilités. La programmation des séquences musicales oblige Sacha Gattino à préparer beaucoup plus ses interventions. Les interfaces des ordinateurs n'ont pas la souplesse des machines dédiées. Son goût pour le travail d'orfèvre le pousse à des exigences que je n'ai pas quant à mes propres interventions. Je déteste figer mon discours. Je prépare ce qui est de l'ordre de la contrainte en me laissant la plus grande latitude d'interprétation. Si le choix des instruments, les émotions à produire et la structure des pièces sont fixés, j'évite de reproduire quoi que ce soit dans le détail pour laisser la place à l'inspiration du moment. Tenter de reproduire le même tour n'a pas la force de la surprise que je me fais à moi-même. Rien ne me satisfait autant que l'improvisation. Que j'ai beaucoup ou pas préparé ce que j'ai à jouer, je compte toujours sur l'état de grâce, le miracle. Nous savons tous qu'une répétition réussie met en danger la représentation, aussi devons-nous toujours sous-jouer, à moins d'être en enregistrement. La machine se substitue alors au public, elle délaie simplement le moment de la divulgation. Travailler avec Sacha est très confortable, car c'est lui qui se colle aux rythmiques électroniques qui me sont habituellement dévolues. Ce trio m'offre de jouer d'instruments acoustiques avec une liberté que mes responsabilités de chef d'orchestre ne me permettent pas souvent, multiples guimbardes, flûtes, trompette à anche, harmonica, violon vietnamien, cithare africaine qui me rappellent mes débuts. Sacha joue de toute une batterie d'appeaux et d'un tambour à cordes. Nicolas diffuse des sons que je retraite parfois avec mes machines puisque je me sers aussi de mon clavier, du Tenori-on et de l'Eventide... Séance après séance les anciens Somnambules apprennent à se croiser au bord du toit sans trébucher. Pour ne pas entretenir plus avant la confusion avec les douze tableaux de 2003 et les expériences passées, nous imaginons un nouveau nom pour notre spectacle, "Le bruit des ombres" ?