Il y a un avant et un après les Beatles. Plus qu'aucun autre groupe les quatre de Liverpool ont symbolisé les années 60, sortes de zazous modernes desserrant leurs nœuds de cravate pour sauter dans la rue et galvaniser la révolte de toute une jeunesse avide de sensations nouvelles. J'avais entendu parler de leurs cheveux qui n'étaient pourtant pas si longs lorsque quelques mois plus tard, en 1964, j'assistai à A Hard Day's Night dans un cinéma de Salisbury. Les filles hurlaient dans la salle comme si c'était un concert en public, s'évanouissant littéralement pendant la séance. Il était précédé de Bedlam in Paradise avec les Three Stooges, un autre trio de farfelus ! De retour en France j'achetai leur 14 plus grands succès... Et puis Help ! l'été suivant. Je suis donc retourné au cinéma. Mon père m'envoyait chaque année apprendre l'anglais dans un environnement propice, Greenways School ou une famille londonienne. Même si j'ai gagné une place pour les Rolling Stones à l'Olympia l'année suivante, la musique était entrée chez moi par la fenêtre du grand écran. Les mélodies des Beatles ne m'ont plus quitté, encore que Revolution n°9 soit le morceau qui m'aura certainement le plus influencé. Le 26 août 1968 j'achetai à New York le 45 tours de Hey Jude, mais dans mon Panthéon Frank Zappa avait déjà détrôné ceux qui allaient bientôt se séparer.


Jalon essentiel de l'Histoire de la Musique, les Beatles étaient de remarquables mélodistes que les idées d'arrangements de George Martin magnifièrent encore. Si les filles s'écharpaient pour savoir qui de John ou Paul était le plus sexy, je préférais l'hippysme de George Harrison, encore plus exotique à mes oreilles que les deux autres. Ringo servait surtout de faire-valoir. En 1971 j'eus aussi la chance de jouer avec Harrison, que j'avais rencontré grâce à Lennon, lors d'une mémorable soirée chez Maxim's avec les dévôts de Krishna. La cosignature Lennon-McCartney me servit de modèle lorsqu'il fut question de composition collective. Pendant plus de trente ans nous cosignerons ainsi toutes les œuvres d'Un Drame Musical Instantané, que les uns ou les autres y aient ou non participé, pratique peu courante à l'époque dans notre milieu et nous valant la plus grande suspicion de nos collègues.


La question de qui a fait quoi nous importait peu, seul le résultat nous passionnait. C'est pourtant la petite et la grande cuisine qu'aborde Ian McDonald dans l'ouvrage de référence Revolution in The Head. Trouvé chez Foyle dans sa version originale en 1995, je suis heureux de pouvoir m'y replonger dans la traduction d'Aymeric Leroy parue aux Éditions du Mot et le Reste. Cet éditeur devient le grand spécialiste de tout ce qui se publie sur la musique savante populaire. Chacune des 241 chansons est chronologiquement détaillée, personnel, instrumentation, analyse critique, etc., et ce des premiers enregistrements amateurs de 1957 à la "reformation" de 1994-95. Soixante pages du tableau chronologique de ma version Pimlico ont été remplacées par une synthèse des versions anglaises ultérieures à l'original et par des photos couleurs de pochettes. Les six cents pages remplies d'informations, de détails croustillants et d'intelligents commentaires représentent le livret idéal à la discographie complète des Beatles, permettant que l'on s'y replonge une fois encore, puisque leurs chansons se repassent à chaque nouvelle génération.