Tandis que je termine Life, l'autobiographie de Keith Richards dont la lecture m'a été conseillée par Jean Rochard, je retrouve cet article d'il y a treize ans. Le livre du guitariste des Rolling Stones est passionnant, et bien écrit si j'en juge déjà par la traduction française de Bernard Cohen.

Article du 16 mai 2007

Je résume vite fait. En décembre 1967, les Rolling Stones sortent Their Satanic Majesties Request, 33 tours psychédélique en réponse au Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles paru en juin, lui-même inspiré par le Pet Sounds des Beach Boys. Le seul album expérimental des Stones (conçu sous l'emprise du LSD) eut peu de succès, la presse le descendit, Mick Jagger et Keith Richards dirent qu'ils avaient enregistré "n'importe quoi", sous la pression d'un procès pour détention de stupéfiants et dans l'euphorie des diverses substances qu'ils ingurgitaient pour de vrai. Pourtant, pour les nombreux amateurs de trucs brintzingues et d'inventions musicales, c'est le meilleur disque des Stones, aussi incontournable que le chef d'œuvre des Beatles.
Six mois après sa sortie et le joli mois de mai (n'en déplaise à tous les renégats en costume rayé), je découvre le We're only in it for the money des Mothers of Invention qui va me faire entrer en musique. Autre référence au Sergent Pepper's, la pochette de Zappa est un pastiche inversé de celle des Beatles, insert compris. J'ai déjà raconté l'influence déterminante que Frank Zappa eut sur mes jeunes années. Mais en réécoutant hier le disque ébouriffant des Stones, je m'aperçois avec stupeur qu'il m'a certainement beaucoup plus influencé dans ma démarche de compositeur que le génial barbichu... Aurais-je été inconsciemment préparé par les Beatles et les Stones à découvrir les Mothers ?
Il est probable que la disparition de Brian Jones en 1969, noyé dans sa piscine de la maison construite pour le créateur de ''Winnie l'Ourson'', orienta définitivement le groupe vers le hard-rock. Les arrangements de Their Satanic Majesties..., étonnants de modernité pour l'époque, le restent aujourd'hui. Le clavecin de Nick Hopkins, le mellotron de Brian Jones, ses improvisations débridées à la flûte, ses cuivres déments font sortir les Stones de leur popitude encore trop sage. Ils durciront le ton avec Street Fighting Man et Sympathy for the Devil, entamant leur période la plus fertile... Brian Jones se révèle ici un multi-instrumentiste arrangeur de génie, intégrant toutes les trouvailles du free jazz, de la musique psychédélique et des formules répétitives qui allaient influencer des groupes comme Soft Machine. Les recherches de timbres pullulent, en particulier sur les voix, le mixage dramatique, au sens où on l'entend à la radio pour les émissions de création.
Sur la pochette est collée une photo en relief des Stones. Des volutes de fumée sur fond bleu font office de papier peint, fond rouge pour la pochette intérieure où l'on glisse le vinyle. Tapisserie au verso et, à l'ouverture, collage réalisé avec le photographe Michael Cooper qui a conçu tout le packaging. Je comprends les fans du vinyle. Une chaleur se dégage de l'objet. Je regarde tourner la galette, l'aiguille passe sur le sillon, c'est mesuré, cadré par le bras qui se lève en fin de face. Juste le temps qu'il faut. Se lever pour retourner le disque. Un peu plus tôt, j'admirais la pochette que Warhol avait faite pour l'Academy in Peril de John Cale...


Je me retrouve dans les longues improvisations de Sing This All Together et de sa longue reprise en fin de face A, (See What Happens), où John Lennon et Paul McCartney prêtent leurs voix et jouent des percussions. Depuis le réveil en 1975 (Birgé Gorgé Shiroc, Défense de, GRRR 1001, réédition cd+dvd MIO 026-027 et lp Wah-Wah Fauni Gena EN 2013) jusqu'à mon récent concert avec Somnambules, je me reconnais dans ces tourneries qui évoluent sans cesse, couches successives inattendues, travail sur la multiplicité de timbres inouïs (réclamés à l'origine par Jagger pour rivaliser avec les Beatles !). Que je joue de mes synthés, de la flûte, des cuivres, des claviers ou de petites percussions, je comprends soudain à quel point ce disque me marqua. J'avais quinze ans, l'âge du passage à l'acte.


2000 Light Years from Home ! Le son du piano d'Hopkins ou les cordes de John Paul Jones sur She's a Rainbow me frappent si je les compare aux orchestrations que nous imaginons avec Bernard. Tout à coup ça dérape. Les cordes grincent. Un truc inimaginable aujourd'hui, sauf peut-être encore chez quelques Radiohead ou Amon Tobin, et chez tous les chercheurs marginaux style Zorn qui continuent à ramer en avant-garde de plus aucun mouvement ! Reprise des délires hallucinogènes avec Gomper, tablas, flûte, sitar, fouet des rameaux de baguettes, boucles des guitares, harmonica déjanté, origines indiscernables, je retrouve encore ce que j'ai cherché à reproduire malgré moi. Le pompon va à 2000 Light Years from Home que j'ai revu live un jour à la télé en 89, fabuleux, et j'avais oublié le synthétiseur de Bill Wyman. Tout l'album est truffé de fugitives petites phrases parlées, de filtrages sur les voix, d'instruments étranges qui flirtent quelques secondes avec l'orchestre. Ici et là, je reconnais mon instrumentarium plus que sur aucun autre enregistrement, sauf peut-être certains vieux Art Ensemble of Chicago. Le dernier morceau du disque me rappelle celui d'Absolutely Free des Mothers, fin de soirée éthylique, ici On with the Show, chez Zappa America Drinks & Goes Home dont je fis la bande-son de mon second court-métrage (Idhec 72, un nouveau scandale financier).
Brian Jones ?!, vous avez dit Brian Jones ?