François Corneloup est un musicien français, français comme le béret de Brunius dans le film L'affaire est dans le sac des frères Prévert. Quand il ne joue pas du soprano ou du baryton, il photographie des musiciens et des musiciennes français. Français ne veut pas dire grand chose dans un pays dont la richesse est constituée de la variété de nos origines. Le nez de l'Europe. Finis Terrae. Son livre Seuils change un peu de ceux où les Américains ont le plus souvent la vedette. Et puis il les fixe sans leur instrument, hors scène, dans un quotidien qu'il partage avec eux/elles. Et puis il n'y a pas que des musiciens, il y a des comédiens/diennes, des producteurs, des ingénieurs du son, des directeurs de festival, des acrobates, une danseuse, une cuisinière, le petit monde qui tourne autour du jazz en France, ses ami/e/s. Il n'y a pas que des premiers plans contrairement aux autres bouquins, il y a aussi des inconnu/e/s, des jeunes dont on a envie d'en savoir plus, certain/e/s dont on connaissait seulement le nom. Il n'y a évidemment pas que des Français, parce que le saxophoniste a la vue large. Lui qui est si bavard quand il s'agit de refaire le monde a laissé la plume au producteur Jean Rochard et la préface à Philippe Ochem, directeur du festival Jazzdor à Strasbourg qui publie le généreux ouvrage de 148 photos de famille. En épilogue il s'entretient avec le maître Guy Le Querrec. Ce sont des vues intimes où les protagonistes sont saisis dans l'instant, un instant de détente.
Ne m'y cherchez pas, mais ma fille y figure, du temps où elle chantait dans les Chroniques de résistance de Tony Hymas. Leur rencontre remonte à notre ¡ Vivian las Utopias ! dans le double CD Buenaventura Durruti lorsqu'Elsa avait 11 ans. Vingt ans plus tard, Jean Rochard l'avait rappelée. Je l'écoute de temps en temps, comme dans la version récente de Petite fleur de Sidney avec Ursus Minor. Depuis le Durruti, François Corneloup était venu au studio enregistrer une danse pour Bernard et moi en 2007, mais c'est l'année dernière que nous nous sommes éclatés en trio avec le guitariste Philippe Deschepper pour l'album Exotica, une histoire d'amitié, comme son livre, une grande fête où il a invité sa vie.
J'aime son œil affuté autant que sa musique et sa parole. Photographier les artistes en dehors de la scène, c'est leur redonner un prénom, c'est montrer que le jazz et ses dérivés sont avant tout une manière de vivre. Les rassembler dans cet épais volume, c'est souligner le collectif dans une musique où les individus ont la liberté d'être eux-mêmes.

→ François Corneloup, Seuils, Jazzdor Series, 39,90€, sortie le 4 avril 2022