Comme je réponds à Sonia que je suis vidé d'avoir enregistré la musique du premier épisode de la web série intitulée Science Ouverte, sur le partage des informations entre chercheurs, elle s'esclaffe qu'elle m'a parlé il y a moins de deux heures et que je n'avais pas commencé, du moins la nouvelle proposition, puisqu'elle trouvait la première trop angoissante. Il faut bien avouer que je compose rarement de la musique légère. C'est vrai qu'en peu de temps j'abats un boulot considérable. Ma concentration est à son comble. J'ai l'impression de passer des jours à tendre un ressort au plus court et qu'il me suffit de le relâcher enfin pour que ça fuse. Direct les étoiles. La réalisation doit suivre l'inspiration sans le moindre délai. Les premières prises sont presque toujours les bonnes. J'ai évidemment préparé en amont, des jours et des nuits, que ce soit en fourbissant mes armes, triturant mes instruments dans tous les sens, y compris les plus biscornus, ou en réfléchissant longuement à la manière de m'y prendre. De m'y prendre à quoi, je n'en sais jamais rien, mais on ne sait jamais. Impossible de refaire deux fois le même tour. Chaque projet exige une approche singulière.
Cette fois j'avais conçu la partition pour des sons électroniques. Donc les effets fonctionnaient, mais pas la musique qui les avait suscités. Comme je n'avais pas envie de tout refaire, j'ai cherché à composer quelque chose qui leur permette de s'intégrer aussi bien. C'était marcher à l'envers. Rien ne me plaisait, ni l'ARP 2600, ni le Tenori-on, ni rien, non vraiment rien, ça ne collait pas. Les effets semblaient dans un autre espace. J'étais dégoûté, prêt à reprendre tout ce qui m'avait plu dans la matinée, de A à Z. Et puis j'ai eu l'idée des voix. Einstein on the Beach. J'avais 19 ans. Une baignoire. Salle Favart. Et aujourd'hui, tous ces jeunes doctorants à mettre leur savoir en commun. Un chœur, du rythme. Il faut encore que cela plaise au client. C'est une autre histoire, parce que je ne fais jamais ce qui est attendu, entendre le sirop habituel, la convention, je préfère risquer le sens, l'intelligence, le sujet. En général c'est bien pris. La musique est explicite. Ne pas être admiré, être cru.
Quant à la concentration qui était le propos de mon article, je m'étonne moi-même de ma célérité. J'ai l'impression que c'est une condition de la cohérence. Le besoin d'embrasser l'ensemble d'un seul coup, l'équilibre du bâtiment, je pèse et soupèse, il faut que ça tienne debout alors que les matériaux peuvent être disparates, les façades pentues. La vitesse devient la garante de l'espace. Pas le temps pour la digression. Là, du moins. Chaque geste est précis. Économie de mouvements. J'ai besoin d'avoir tout sous les doigts. Lorsque je me lance je ne m'arrête que lorsque tout est terminé, dans la boîte, dans le câble qui propulse la musique en quelques secondes jusqu'à celles et ceux qui l'attendent. En fait j'enregistre en studio simplement comme si j'étais sur scène. Si je me plante je rattrape. Mine de rien. Mieux, je m'appuie sur la moindre gaucherie pour inventer quelque chose d'inouï ou d'inédit. Un jongleur. C'est à la réécoute que réside la découverte.

Photo prise la semaine dernière par David Fenech pendant l'enregistrement de l'album Chou en trio avec Sophie Agnel.