Rien à raconter parce que je ne peux rien écouter, rien voir, rien lire, rien dire, même pas regarder les mouches voler. D'abord à cette époque il n'y a pas de mouches, ensuite je reste dans le noir les yeux fermés. La fièvre ne baisse pas. J'ai réussi à avaler une tranche de jambon blanc. J'ai annulé mes rendez-vous. Ulysse est probablement trop jeune pour comprendre qu'il devrait venir me câliner en s'allongeant sur la couette. Pris d'une quinte de toux toutes les demi-heures il m'est impossible de dormir. Je ne m'ennuie même pas. Si je n'avais le soupçon que les végétaux sont aussi vivants que les animaux je dirais que je suis un légume. Les végétariens manquent d'imagination, ils ignorent le cri de la carotte qu'on arrache de la terre. Je suis un légume pris dans une spirale bouillante avec au-dessus un couvercle qui maintient la pression.

Le troisième jour je remonte doucement à la surface. Le mal s'est déplacé vers le ventre, le dos et la gorge. Grosse fatigue. Je vois le bout du tunnel. Il n'y a pas de lézards, mais un vilain virus qui mord ma barbaque et en a déjà avalé quatre kilos. J'espère inverser la spirale comme on retourne un gant ou une chaussette. On peut remplacer l'un par l'autre, mais pas le contraire. Lorsque je ne marinerai plus dans la chaleur de la maladie j'enfilerai ma nouvelle doudoune à damier multicolore pour affronter le froid. Pour l'instant je m'éteins dans le noir...

Illustration de Jean Bruller dit Vercors