70 Perso - juillet 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 15 juillet 2022

Pause estivale


L'habitude m'est restée de considérer l'année en suivant le calendrier scolaire. Celle qui s'évapore avec la canicule fut particulièrement chargée. Y en eut-il de différentes. Je ne sais pas. La mémoire fait ses choix. Septembre a toujours indiqué la reprise alors que le Jour de l'An marquait une simple pause sans signification. En juillet dernier je faisais donc mon tour de France des copains, avant mon opération de la thyroïde, et j'entamai une relation joyeuse qui vient de prendre fin avec les beaux jours. Tout s'est bien terminé et je peux penser à autre chose, ou plutôt envisager de laisser sereinement les évènements décider de mon avenir. Le virus ayant finalement réussi à me rattraper, je prends du repos sur une plage bretonne. La publication d'archives (un CD, deux cassettes, un vinyle 17 cm) et de nouveautés (un CD, un vinyle 30 cm et deux autres albums en ligne) m'a bien occupé, tandis que je renouvelais mon instrumentarium avec des machines électroniques très amusantes. Après une énième collaboration vidéographique avec le merveilleux collectif 4mn34, je viens de terminer l'application Sommeil de Marmotte commencée avant le premier confinement. Une autre partie de plaisir, l'appli, pas la gestion de la crise sanitaire qui a eu raison du spectacle lié à l'album Perspectives du XXIIe siècle ! Le film qui en découle sortira tout de même un de ces jours en DVD, et j'apprends à l'instant qu'il sera projeté en avant-première au Quai Branly le 24 septembre prochain. Je vous le disais. Septembre est un mois clé, signe de reprise, ou pas, cela dépend des années...


J'ignore encore si j'irai à Venise écouter la musique composée avec Jean-Brice Godet et Nicholas Christenson pour The Theatre of Apparitions de Roger Ballen dans la pavillon sud-africain de la Biennale. J'ai besoin de souffler un peu. Écrire quotidiennement, alternant chroniques militantes, introspection impudique et considérations généralistes, exige une discipline qu'il est bon de laisser de côté de temps en temps. Amateur de surprises, je laisse la porte ouverte. Par cette chaleur il est bon de faire des courants d'air...

mardi 12 juillet 2022

Une vie saine ?


Mes mouvements insomniaques sont probablement dus à un mauvais dosage du Lévothyrox. Je redescends la posologie à l'alternance 100mg/75mg qui me réussissait mieux. Cela prendra quelques jours avant de constater les effets. Recommencer à jouir d'une vie saine. 6 heures du matin, promenade quotidienne en marche afghane en traversant le Parc Josette-et-Maurice-Audin désert qui semble resté ouvert la nuit (en fait, quatre jours plus tard, la grille était cadenassée, ouverture après 8h, je contourne). 6h30, sauna. 7h, petit déjeuner. En général la publication de mon blog s'effectue après minuit ou bien au réveil. Vers 10h ma journée pourrait être terminée, mais le téléphone sonne, la liste des choses à faire revient au devant de la scène. Là, par exemple. Et puis c'est terminé.
Je suis en vacances. Je suis en vacances comme je suis au régime de la retraite. Chez moi cela ne signifie rien. Ma vie de travailleur acharné est une si longue présence, voire plusieurs dans ce mille-feuilles quantique qui m'obsède. Est-ce que je travaille sans cesse ou jamais ? Je ne m'arrête qu'en présence d'un tiers, ou d'une tierce. Un temps et deux mi, ça fait entier dans un monde à part. À part quoi ? C'est souvent en ne pensant plus à rien que les idées viennent. Ou au contraire, en inscrivant correctement les termes de l'équation. Alors le résultat vous saute aux yeux, il vous prend à la gorge, c'est bon. Mais combien peuvent l'entendre ? Je marche. Porté par un vecteur qui tend vers l'infini. C'est passionnant. L'infini. Ensemble. Je n'ai pas cessé de penser au dernier vers d'Apollinaire dans son poème 1904 que Poulenc mit en musique. Partager est le secret d'une vie saine. Cela ne se commande pas. Tombé des nues, je serai pris encore une fois. Ciel, moi mari ! J'aime tant les surprises, alors cette fois je laisse le temps faire son travail.

vendredi 8 juillet 2022

Grand-Papa et Grand-Maman


[...] Apercevant les deux cadres sur une étagère de ma tante Arlette [décédée en février 2020 à 95 ans] je n'ai pas reconnu mes grands-parents. Avais-je seulement jamais vu cette photo prise à L'Isle-Adam à la fin des années 20 alors qu'ils étaient encore jeunes avec leur fille aînée à leurs côtés ? La naissance de ma mère [décédée en février 2019 à 90 ans], qui ne porte aucun intérêt au passé, ni au futur d'ailleurs, réduisant ainsi la conversation aux sujets d'actualité, suivrait probablement de peu ces portraits de famille. Il n'y a presqu'aucune trace généalogique dans ses placards. Sur les images mon grand-père, pas encore chauve, porte la moustache et ma grand-mère, si elle a perdu sa taille de guêpe, n'est pas encore la grosse dame de mon enfance qui portait chapeau avec épingles. La bonhommie de Roland, la clope au bec, contraste avec le sourire forcé de Madeleine. Sur les rares photos que j'ai faites de Grand-Maman, elle tire la langue. Papa [décédé en janvier 1988 à 70 ans], qui n'avait pas eu de mère et dont le père n'était pas revenu d'Auschwitz, les appelait Papa et Maman, ce qui ne l'empêchait pas de se chamailler avec Grand-Papa, gaulliste fidèle.
Ma grand-mère [décédée en février 1966 à 67 ans], qui nous gardait le jeudi, se plaignait qu'avec mon taquin de cousin nous la fatiguions. Je revois Serge me promener en courant avenue Constant Coquelin avec la poussette en osier qui servait au marché ou lors de nos excursions au cinéma La Pagode. Lorsque Grand-Maman se réveillait de sa sieste, nous avions le droit à un bonbon, grande boîte ronde en métal cachée dans l'armoire au milieu des draps ou à une pastille Vichy dans la bonbonnière posée sur sa table de nuit. Plus tard j'aurai coutume de l'appeler pour lui annoncer le résultat de mes classements scolaires [Je sentais qu'il me fallait de bonnes notes pour attirer leur tendresse déficiente, elle comme ma mère. Elles étaient toutes deux très complexées physiquement]. Ses joues tendres rappelaient la guimauve et une odeur de poudre de riz s'envolait lorsque nous l'embrassions. Les deux photographies me font l'effet d'une découverte archéologique. J'y cherche la réponse aux énigmes de la famille, feuilletant mes souvenirs comme les pages jaunies d'un livre qui s'écrit paradoxalement au fur et à mesure que je grandis.

Pour évoquer mon grand-père maternel [décédé en février 1974 à 77 ans, décidément les débuts d'année, en particulier le mois de février, semblent fatals à la famille !], je joins à cet article du 27 janvier 2010 un plus ancien du 26 décembre 2008 et un très récent du 18 octobre 2021.

PARADE


Quand j'étais petit, mon grand-père m'emmenait chaque année assister à la Parade de la Garde Républicaine. Mon passage préféré était l'escadron motocycliste roulant au ralenti et tricotant d'étonnants enchevêtrements en équilibre sur leurs engins. L'ensemble ressemblait à un défilé militaire à travers les âges. Je crois que Grand-Papa aurait aimé continuer l'armée plutôt que faire le représentant en toile de tente. C'est comme cela que je m'en souviens. Il répétait imperturbablement l'histoire de sa jument qui s'appelait Arlette (comme son aînée !) ou nous donnait des cours théoriques de tir au mortier, surtout si mon cousin Alexandre l'y exhortait avant de prendre le large, nous plantant là. Pour mes exposés sur la Guerre de 14, l'officier de réserve, c'est ainsi qu'il aimait se représenter, me prêtait son casque de poilu, sa citation de blessé à Verdun et ses décorations. Il militait à la Protection Civile. Mon père le provoquait politiquement parce qu'il était resté gaulliste après 1945, il l'appelait Papa, lui dont la mère était morte de la typhoïde lorsqu'il avait trois ans et dont le père était parti en fumée à Buchenwald. Je l'aimais bien, même si les échanges étaient limités. Je me suis fait réformé ! J'entretenais par contre une vraie complicité avec ma grand-mère que nous appelions Grand-Maman. Il se prénommait Roland et elle Madeleine. Ma mère n'aurait jamais supporté que ses petites-filles l'appellent autrement que Geneviève. Le film transmis par Henri Texier m'a rappelé ses nuits de mon enfance que je partageais seul avec mon grand-père. Ah, la précision suisse, le chocolat, la neige, le paradis fiscal, ça grise !

GRAND-PAPA


Ayant souvent évoqué mon grand-père paternel, Gaston, disparu à Auschwitz, j'ai négligé ici Grand-Papa décédé à 77 ans lorsque j'en avais 21. Grand-Maman était partie huit ans plus tôt. Ils étaient nés tous deux à la fin du XIXe siècle et ma mère était la seconde de leurs trois filles. Tous les jeudis ma grand-mère me gardait avec mon cousin Serge, qui, quatre ans plus âgé que moi, se souvient de quantité de détails qui m'ont échappé. Grand-Papa était représentant en toiles de bâche pour les Établissements Jeanson à Armentières, il avait, entre autres, comme client Trigano dont le slogan au lancement du Club Méditerranée était "Le camping, c'est Trigano". Il aurait préféré faire une carrière militaire, mais sa famille l'en empêcha. Je me souviens qu'il avait connu Erik Satie et Max Jacob, mais je ne sais plus dans quelles circonstances. Grand-Papa avait la nostalgie de l'armée. Il racontait souvent comment il avait sauvé ses hommes dans les tranchées avec un petit coup de gnôle, la technique du tir au canon de 75 et au mortier, ou que sa jument s'appelait Arlette, prénom qu'il donna ensuite à son aînée ! J'aimais bien mon grand-père que mon père, son gendre, appelait Papa, peut-être pour avoir perdu le sien... C'était un homme gentil, un peu réservé, qui semblait vivre dans un autre monde. Comme à la fin de sa vie il conduisait pied au plancher jusqu'à couler une bielle, aucun de nous n'avait envie de l'accompagner, mais il en fallait toujours un qui se sacrifie. Les jours où c'est tombé sur moi, je n'en menais pas large. À la sortie du garage où il avait conduit sa 403 après un accident, il pouvait très bien emplafonner un autre véhicule et faire demi-tour aussi sec !
Écolier, puis lycéen, j'ai souvent fait des exposés sur Verdun où il avait été blessé et prisonnier en 1916 alors qu'il était officier aspirant ; j'emportais sa citation pour l'occasion, un casque de poilu et quelques médailles dont sa Légion d'Honneur. Grand-Papa la portait d'ailleurs à la boutonnière, une rosette rouge. Il avait participé aux deux guerres, été fait prisonnier à nouveau en juin 1940 dans le Cotentin, rapatrié comme chargé de famille avant de devenir chef du ravitaillement pour le Cantal, d'abord dans la Résistance (commandant dans les FFI), puis à la Libération. En fouillant dans les archives, mon cousin a trouvé une photo du Lieutenant Roland Bloch au 24ième Régiment d'Infanterie, qu'il pense avoir été prise entre 1924 et 1935. À l'époque les officiers étaient à cheval. On appréciera la longueur du sabre. Officier de réserve, il se tournera plus tard vers la Protection Civile. Il m'emmena chaque année revoir le Tombeau de Napoléon aux Invalides qui étaient proches de leur appartement de l'avenue Constant-Coquelin et à la Parade de la Garde Républicaine. Ce défilé de soldats en costumes à travers les siècles se terminait par les acrobaties de l'escadron motocycliste. Depuis, je n'ai jamais pu prendre vraiment au sérieux un motard de la police, me rappelant les figures incroyables qu'ils réalisaient debout sur leurs marche-pied. Quant à l'armée, j'ai préféré me faire réformer P5 plutôt que de perdre un an à jouer à la guerre. Il faut dire qu'à l'époque j'étais plutôt "Peace & Love" et qu'en 1975, sursitaire, je travaillais déjà comme compositeur dans le monde de l'audiovisuel.
Je ne possède presque aucun objet lui ayant appartenu. Ma jeune tante, qui vécut avec lui jusqu'à la fin de sa vie, s'est débarrassée de tant de souvenirs de famille qui auraient pu nous intéresser. Dont le piano, un crapaud qui trônait dans un coin du salon ! Quelques pipes dorment au fond d'un de mes tiroirs. Deux plateaux marocains en cuivre au grenier et deux vases réalisés à partir de culots d'obus. Je crois que c'est tout. De ma grand-mère, une sculpture représentant deux petits singes que j'aime énormément, un vase en verre vert Modern Style et quelques partitions. La dernière semaine de sa vie, comme le personnel hospitalier exhortait mon grand-père à se nourrir, il répondit qu'il ne comprenait pas pourquoi on l'ennuyait alors qu'il avait déjeuné le midi-même d'un homard à la crème au restaurant de la Tour Eiffel. Belle manière de tirer sa révérence !

mercredi 6 juillet 2022

Pouce !


Le chirurgien spécialiste de la main m'a répondu que j'avais évité les infiltrations, et a fortiori l'opération, en utilisant le pistolet masseur ! L'objet ne me quitte plus. À la moindre crampe, courbature, douleur physique, je fais marcher le marteau piqueur. Le résultat est instantané.
Ayant recommencé à découper et traiter plus de six cents fichiers son, j'ai compris pourquoi c'était le pouce gauche qui à son tour me faisait mal. Dans le studio, actuellement, à la main droite j'utilise une souris, mais ayant acquis un automatisme des gestes je force en torsion sur une articulation de l'autre main. Tous les trente fichiers je fais une pause pour ne pas devenir toqué ni me crisper, épargnant toute la chaîne qui va des poignets jusqu'aux cervicales. Je récupère petit à petit des jours sous l'emprise du virus, mais je suis encore très fatigué et tousser m'irrite péniblement la gorge. J'y vais doucement, changeant souvent de position, y compris en allant m'allonger de temps en temps, parce que je dors en confetti.


Nous complétons l'application sur tablette Un sommeil de marmotte dédiée à l'apnée du sommeil chez les enfants, entreprise il y a quatre ans et interrompue par la crise sanitaire. Je craignais que les jeunes comédiennes aient changé de voix, mais les tests sont rassurants. Lorsque j'aurai traité tous les fichiers américains je serai en vacances. Je passerai une dizaine de jours en Bretagne. Après je ne sais pas. Je suis invité à Köln (Cologne), dans le Massif Central, dans la garrigue nîmoise... Mais la vie réserve tant de surprises...

lundi 4 juillet 2022

Triste(sse) nécessaire


Petit moment de faiblesse dans une vie bien remplie. Je dois tant de bonheur à celles et ceux qui m'ont accompagné. À la musique aussi. Ma tristesse passagère a laissé le virus s'infiltrer dans mon bel équilibre. À son tour la fatigue physique a affaibli mes défenses psychologiques. Drôle de manière de terminer une histoire en tablant sur les gestes barrières. Le verdict était tombé : positif. J'erre d'étage en étage, m'arrêtant régulièrement au premier pour une sieste rarement réussie. Pas cette habitude. Selon les heures de l'insomnie, me coucher sur le dos semblait plus efficace que la position fœtale, mais la toux m'étouffe et des lames de rasoir labourent ma gorge. Ne pouvant rien avaler, j'ai déjà perdu cinq kilos. Il faut voir le bon côté des choses.
L'allegro de la première symphonie de Charles Ives ne fait plus son effet. Le ré mineur m'embarquait dans le sens du courant, mais je ne suis plus le même homme. C'est la résistance au mouvement qui rend malade. M'agrippant au clavier du piano, j'ai ressassé la même litanie. J'aurais pu faire tourner la seconde de Mahler. Résurrection porte bien son nom. Là encore ce n'est plus ça. Je tente le dernier Kendrick Lamar. Se livrer impudiquement fait vibrer les cœurs qui ne savent plus à qui s'adresser ou ruent dans leurs brancards. Trop sont anesthésiés. Nous vivons dans un monde soporifique.
Les questions existentielles sont reléguées à un égocentrisme que les croyants pensent éviter en consultant des professionnels tarifés. Comme s'il n'existait qu'une seule voie et ses variations, alors qu'on n'est pas plus mal portant sur les autres continents. À chacun/e sa solution. Pourquoi vouloir rendre la démarche incontournable ? Je me cabre. On peut avoir des convictions sans être un homme de foi. Ce sont les questions qui me meuvent, pas les réponses.
Ma détermination est souvent interprétée comme une précipitation. Pourtant rien ne se serait jamais concrétisé si j'avais respecté le planning des sentiments que la plupart s'imposent. Me jeter à l'eau m'a permis de court-circuiter ma timidité originelle. Ne croyez pas que ce soit simple. Combien de fois ai-je pris mon élan avant de sauter ? Combien de fois ai-je pris un râteau ? Mais combien de fois ai-je vécu de longues périodes de bonheur, très longues parfois !
La création m'offrait de devenir extraverti. L'inconscient ignore les contraires. Cette phrase lacanienne m'a permis de comprendre que tout est dans la syntaxe, mais que les nœuds sont les substantifs. En art comme au quotidien, l'interprétation est la clef du mystère. On ne peut pas remplacer un mot par un autre. Les résumés trahissent la pensée, mais j'aime tellement les ellipses que le montage cinématographique a apporté. À chaque cut, dans Présence de la mort, une histoire de fin du monde écrite en 1922, Ramuz proclame "c'est supprimé". Et Godard, qui s'est tant inspiré de cet autre Vaudois, de rappeler que ce qui est important c'est ce qu'on enlève, pas ce qu'on garde. Ce qu'il y a entre les plans. Dans ma propre histoire, qu'est-ce que je n'ai pas dit, suggérant, évitant, occultant ? La vie est énigmatique. C'est merveilleux. Reste à tourner la page, tomber le masque et vivre la cassure comme de l'histoire ancienne. Pour se faire, il faudra retrouver mes forces. Bien que multitâches, on ne peut pas se battre sur plusieurs fronts à la fois.