70 Perspectives du XXIIe siècle - février 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 27 février 2020

Perspectives du XXIIe siècle (8)


L'enregistrement de Jean-François Vrod marque la fin d'un long processus de création entrepris il y a un an. Il ne me restait plus qu'à revoir le mixage à la lumière de l'ajout du violon. Comme Nicolas, Sylvain, Sacha et Antonin, mon camarade me suggéra judicieusement quelques modifications ici et là. Des oreilles fraîches et bienveillantes sont les bienvenues lorsqu'on travaille seul sur un projet personnel au long cours. Le mixage tel qu'il est me plaît beaucoup, mais le mastering de Marwan Danoun en fera ressortir des détails qui m'échappent comme il l'avait réalisé pour mes deux précédents CD, Long Time No Sea du trio El Strøm et mon Centenaire. Trop attaché à la musique, ses structures, les émotions qu'elle procure, le sens de l'ensemble, je suis incapable de repérer les failles dans l'équilibre des fréquences. Nous avons besoin du recul d'un ingénieur du son qui perçoit notre travail sous un angle totalement différent du nôtre tout en comprenant nos intentions. Perspectives du XXIIe siècle fut aussi complexe à concevoir qu'à créer. Je ne m'étais heureusement pas rendu compte de l'enjeu que représente de s'attaquer aux archives de Constantin Brăiloiu, référence incontournable de tous les musiciens de musiques traditionnelles. J'ai préservé autant que possible l'essence de chaque plage, comme si c'était l'un des membres du groupe.
Il me semble avoir passé mon temps à "noyer le poisson". D'abord pour mélanger ces archives musicales du monde entier avec mes enregistrements de terrain, dit field recording, et avec mes propres instruments, qu'ils soient virtuels ou physiques, ensuite avec les musiciens qui m'ont prêté main forte, dans l'ordre d'apparition le corniste Nicolas Chedmail, le percussionniste Sylvain Lemêtre, le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang et le violoniste Jean-François Vrod. Ma fille Elsa fait une courte intervention vocale et dix sept hommes et femmes ont enregistré quelques phrases dans leur langue maternelle. Mon travail a donc consisté à ce qu'on ne pense plus à ce qui fut rapporté des années 1930-1950 et de l'époque actuelle. Pour composer chaque pièce il s'est agi de m'approprier le passé pour imaginer l'avenir, à l'instar du scénario de ce petit opéra instrumental dont le modèle est évidemment le poème symphonique cher à Berlioz ou Richard Strauss.
Mardi, Jean-François n'a pas seulement merveilleusement joué du violon, il a ajouté quelques borborygmes, toujours dans cette optique de "noyer le poisson", sur le chant d'Elsa d'abord et lors de la séquence enregistrée au deuxième sous-sol du Musée d'Ethnographie de Genève où figure le cri des Hibakusha, ces rescapés d'une catastrophe nucléaire. J'avais écrit plusieurs chansons que j'ai finalement laissées à l'état instrumental, craignant d'être trop explicite plutôt qu'évocatif. Je déteste les films français où les réalisateurs expliquent tout dès la première séquence alors que les Américains entretiennent le mystère aussi longtemps que possible. Mon petit scénario est à la fois un texte et un prétexte, les deux s'appuyant évidemment sur le contexte, la fin d'un monde et la naissance d'un nouveau, la dystopie se transformant, pour un temps, en utopie.

Précédents articles concernant le CD Perspectives du XXIIe siècle : 1 2 3 4 5 6 7

mercredi 19 février 2020

Perspectives du XXIIe siècle (7)


Tout se passe comme dans un rêve. Je flotte. Chaque musicien invité donne des couleurs toujours plus vives à mes compositions. En réalité, comme le travail est très avancé, je les laisse souvent libres d'imaginer leurs parties. Lundi, Antonin-Tri Hoang a posé sa clarinette basse sur cinq des seize pièces et il a ajouté son saxophone alto sur deux d'entre elles. Comme toujours, il fait à la fois preuve d'une très grande inventivité et d'une retenue rare que je le pousse à braver. Sur le dernier morceau qui doit être festif, je lui ai demandé de faire un solo de sax entre Eric Dolphy dans Music Matador, Sonny Rollins dans St Thomas et Albert Ayler. Rien que ça ! Évidemment il s'en est affranchi, mais son chorus caraïbe est parfaitement adapté au "chœur d’hommes congolais avec harpe fourchue dyulu et bouteille frappée" enregistré au Niger par Constantin Brăiloiu en 1952. Je n'y pensais pas jusqu'ici, mais il y a une référence évidente pour moi au Liberation Music Orchestra de Charlie Haden revisitant les chants de la guerre d'Espagne, même si c'est totalement différent du point de vue du style ou dans le traitement. Non seulement les archives conservent leur pouvoir évocateur, mais l'émotion me semble décuplée grâce au grand écart des siècles qui séparent les originaux des arrangements "futuristes" que j'ai imaginés.
Je pense donc avoir terminé les enregistrements et le mixage d'ici la fin du mois. Les textes de l'important livret sont aussi quasi prêts. J'ai pris l'habitude de les commencer dès le premier jour d'un projet, ce qui m'évite d'oublier quelque chose ou quelqu'un. Jonathan Buchsbaum a corrigé ma traduction anglaise que j'avais adaptée à partir de Google et DeepL. L'intelligence artificielle a fait d'immenses progrès en ce domaine ces dernières années. J'ai été surpris du peu de maladresses que j'avais laissé passer. Nous devons encore choisir les photographies qui illustreront le livret, mais Madeleine Leclair et moi en avons plus qu'il ne nous en faut. Le mastering reste une étape cruciale qui sera confiée à un orfèvre. La sortie officielle est prévue pour le 7 mai à Paris !

Précédents articles concernant le CD Perspectives du XXIIe siècle : 1 2 3 4 5 6

vendredi 14 février 2020

Perspectives du XXIIe siècle (6)


De passage à Paris, Sacha Gattino a pris le temps d'écouter mon prochain disque en l'état. J'avais besoin de plus jeunes oreilles pour vérifier que je ne rajoute pas d'aigus intempestifs au mixage. Comme on vieillit, les hautes fréquences deviennent de plus en plus inaudibles. Mon dernier audiogramme montrait que j'avais une audition supérieure à la moyenne, "pour mon âge !". Sacha m'a rassuré. Tout va bien de ce côté-là. Mais il m'a surtout suggéré de rallonger deux pièces, l'une pour intégrer une respiration salutaire, l'autre pour laisser le temps à la danse de s'installer. Dans cette pièce qui clôt ces Perspectives du XXIIe siècle, Antonin-Tri Hoang et Jean-François Vrod auront ainsi plus de place pour s'exprimer, développements personnels recherchés pour cette ultime appropriation des Archives Constantin Brăiloiu. Il est aussi possible que je demande à Nicolas Chedmail de revenir avec son cor et se joigne au saxophoniste-clarinettiste, au violoniste et à Sylvain Lemêtre qui a déjà enregistré ses percussions. Au terme d'une aventure qui a duré plus d'un an, j'avance toujours pas à pas, prenant chaque fois le recul nécessaire...
Je sais enfin à quoi ressemblera l'album dans sa continuité et son unité. Il est évident qu'il fera partie de mes préférés avec mon tout premier Défense de, les Trop d'adrénaline nuit et Machiavel d'Un Drame Musical Instantané (premier et dernier d'une longue série), celui d'El Strøm justement avec Sacha et Birgitte Lyregaard, mon précédent dit du Centenaire et l'album collectif Sarajevo Suite dont j'étais le directeur artistique...

Précédents articles : 1 2 3 4 5