70 Pratique - février 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 27 février 2010

Rochers à la noix de coco


Non, ce n'est pas la suite de ma fiction où les trois naufragés se retrouveront bientôt sur la plage en drôle de compagnie. Ce n'est pas non plus une façon de faire passer la pilule de mon faux suicide au pistolet intergalactique, ni même une pause me permettant de souffler après une semaine exténuante où les rendez-vous se sont succédés sans temps mort avec des individus plus agréables les uns que les autres. Quand j'aurai retrouvé mes sens et vaincu la grippe que je traite par le mépris qu'elle mérite, je prendrai soin de revenir sur chacun d'eux et sur chacune. Les projets s'amoncellent, certains se concrétisent, de nouveaux pointent leur museau. Au milieu de toute cette excitation, Pascale, avant d'attraper son TGV, enfourne des rochers à la noix de coco dans le four à 160°. À l'heure de mon sucre, j'ai une pensée émue pour ma camarade.
Elle a battu 125g de noix de coco rapée, 80g de sucre et un œuf. Elle a pris la cuillère à glace pour faire des petites boules avec la pâte obtenue qu'elle a déposées sur un papier sulfurisé. 20 minutes plus tard, il ne restait plus qu'à attendre qu'elles refroidissent. La prochaine fois j'essaie avec du sucre en poudre 100% non raffiné de cocotier que j'ai trouvé aux Nouveaux Robinson à Montreuil. Nous avons rapporté également des poireaux si sucrés que je n'ai pas souvenir d'en avoir mangés d'aussi bons. Idem pour les blettes.
J'adore les recettes rapides et simplissimes qui produisent un effet bœuf, comme ces rochers à la noix de coco, le pâté de foie ou le caviar d'aubergines. Bonne dégustation ! Vous nous en direz des nouvelles...

vendredi 26 février 2010

Sonner la retraite ou monter à la charge ?


S'ils appliquent les consignes mécaniquement, les salariés seront immanquablement remplacés à terme par des machines. Seuls leurs initiatives, leur bon sens et la relation humaine qu'ils entretiennent avec les usagers pourront sauver des milliers d'emplois de l'informatisation de la société. J'aurais pu aussi bien titrer "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?". Mon calme olympien m'aura-t-il permis de me sortir d'un nouvel imbroglio kafkaïen qui fait la renommée de notre pays ?
À l'origine le groupe de protection sociale chargé de ma future retraite (on ne rigole pas svp) me réclame l'ensemble des feuilles de salaire de 2006 remplies par une association pour qui je travaille depuis 1982 comme intermittent du spectacle. La quarantaine de cachets semble avoir été malencontreusement déclarée comme activité à temps plein, soit 365 jours par an, m'empêchant de bénéficier, lors de ma retraite, de points gratuits correspondant aux périodes de chômage indemnisées par Pôle Emploi. Il faut donc que j'envoie photocopies de mes bulletins de salaire de cette année-là. Comme j'insiste pour comprendre d'où vient l'erreur, je demande si d'autres années sont sujettes à la même erreur. En effet, elle s'est propagée depuis 1997 jusqu'en 2006. Avant et après, tout est correct. Mon interlocuteur finit par m'avouer qu'il faudra bien que j'envoie aussi celles des dix ans incriminés ! Je propose de venir avec une brouette, aussi me propose-il avec bienveillance que dans ce cas il se fera un plaisir de faire lui-même les photocopies ! J'allais m'exécuter lorsque je pense aux autres artistes salariés par la même association, tous et toutes probablement dans le même cas. Le préposé constate que certains ont en effet touché la somme dérisoire de 300 euros pour 365 jours d'activité déclarée, ce qui est bien entendu inconcevable. Comme mon sens de déduction est la hauteur de mon baccalauréat de matheux, je propose de régler le problème en amont avec l'association plutôt que d'exiger de chaque salarié la même épreuve que celle à laquelle je tente de me dérober ! Ne s'agit-il pas d'une simple case mal cochée par le comptable d'alors, voire d'une erreur informatique ?
L'employeur diligent contacte donc le service des entreprises qui cherche d'abord à le renvoyer vers le jeune homme de la matinée. Nooooooon ! Précisons que le parcours du salarié comme celui de l'entreprise est semée de culs-de-sac, d'impasses, de faux numéros, d'absences et que, contrairement à ce qui est annoncé par des humains ou des robots, personne ne vous rappelle jamais.
Dès 55 ou 57 ans, les organismes sociaux vous suggèrent de préparer les éléments qui serviront à calculer la retraite des salariés. Les intermittents du spectacle qui ont accumulé un nombre époustouflant d'employeurs ont un travail de titan sur le grill. Il leur faudra vérifier qu'aucun ne manque à la liste envoyée par la sécurité sociale ou, comme ici, que les déclarations ont été correctement remplies. J'ai une pensée affectueuse pour Louis Daquin qui, directeur des études de l'Idhec, m'exhorta à conserver précieusement toutes mes feuilles de salaire alors que je n'avais que 20 ans ! Grâce à lui, j'ai réussi à les rassembler et les ranger méthodiquement dans 37 enveloppes. Il me reste à comparer le listing dont la lecture n'est pas d'une clarté exemplaire avec des feuillets dont la lecture s'avère parfois difficile, l'encre s'étant partiellement effacée avec le temps. Cette opération peut paraître dérisoire, mais toucher sa retraite est un véritable travail, comme celui de pointer aux Assedic pour y faire valoir ses droits.
Tout cela me semble surréaliste, comme il y a deux ans lorsque la Sacem me proposa de percevoir désormais la retraite à laquelle mon rang hiérarchique dans la société d'auteurs me donnait droit. Les cotisations qu'elle prélève annuellement ne sont en effet effectives que si l'on a touché suffisamment de droits pendant trois ans consécutifs, vous faisant par exemple passer au rang de stagiaire définitif. Je me mélange peut-être les pinceaux dans les termes et les conditions, mais il est certain que seuls les adhérents les plus aisés seront secourus. Comme pour une partie des "irrépartissables" redistribués au prorata de ce que l'on a déjà touché ou la mutuelle prise en charge à 50% à partir d'un certain seuil, le système favorise toujours les mieux nantis au détriment des plus démunis. Cette iniquité vient d'une logique de cooptation du fait que les administrateurs qui rédigent les statuts le deviennent en montant en grade en fonction de leurs perceptions. Si l'adage dit que l'on ne prête qu'aux riches, on peut aussi ajouter que l'on ne donne qu'aux riches.

jeudi 18 février 2010

Amnésie programmée


Directive européenne aidant, les fabricants sont tenus de conserver leurs pièces détachées pendant cinq ans. Passé ce délai légal, la maintenance ne sera plus assurée. Il est donc vivement conseillé aux propriétaires de magnétophones à bandes et DAT de faire des reports numériques en attendant la dématérialisation des supports comme le souhaite Microsoft. Tout sera stocké sur quelques énormes serveurs dans le monde et nous irons chercher nos biens au gré de nos besoins grâce à la connexion à très haut débit qui nous y reliera. Tout cela est bien fragile et on comprend de mieux en mieux le trou de mémoire que risque de présenter notre époque dans l'histoire de l'humanité. J'ai deux Revox et un Teac qui rendent l'âme, deux DAT qui font des bruits bizarres au rembobinage et divers autres supports de stockage qui ne sont plus en usage. Quelques laboratoires conservent des machines en état, mais je me vois mal leur confier la numérisation de centaines d'heures d'archives. De plus, à terme leurs machines risquent de rencontrer le même problème, la pénurie de pièces de rechange. Que faire ? D'abord numériser à tour de bras toutes affaires cessantes si votre machine est encore en état. Sinon, croiser les doigts en attendant qu'un bidouilleur trouve les pièces sur Internet, comme je l'ai fait récemment sur eBay pour la pile d'un de mes synthétiseurs arrivée des États-Unis quand tout espoir semblait perdu. Méfions-nous également des nouveaux espaces de stockage. Faire une copie de ses disques durs, dvd-r et cd-r car les uns comme les autres ont une vie extrêmement limitée en comparaison des supports analogiques, contrairement à ce qu'on nous a raconté à l'avènement du numérique. En plus, je dois refaire les collures au fur et à mesure des copies. Quelle angoisse ! J'en deviendrais bègue. Je finis par avoir du mal à trouver mes mots pour écrire, comme si les touches sautaient dans le vid au fur et à msur que j tap sur mon clav

lundi 15 février 2010

Panne sèche


Il fallait bien que cela arrive un jour. C'est comme la bouteille de gaz qu'il faut toujours changer au moment du dîner. Autant que ce ne soit pas dans un moment de panique lorsque l'on est pressé. La panne tournerait au cauchemar. J'avais décidé de réattaquer la numérisation de mes archives, cette fois pour mettre en téléchargement gratuit des inédits d'Un Drame Musical Instantané à l'occasion de la réactualisation du site, prévue pour début avril. J'ai été bloqué net par l'entraînement du magnétophone à bande. Courroies détendues ? Points de graisse figés, étalés dramatiquement au-delà de leurs limites ? Pour entretenir la bonne santé de ce genre d'appareil, il faut les faire tourner régulièrement, ce que je ne fais pas assez souvent. Le pire, c'est que les deux autres 4 pistes sont à peu près dans le même état critique. Les 8 pistes ont depuis longtemps disparu du studio, mais j'ai absolument besoin des 2 pistes, 4 pistes et lecteurs à cassette pour relire et copier la foule de bandes originales accumulées avant l'ère numérique. Cela commence par des problèmes de rembobinage et dégénère rapidement vers un pleurage qui n'a rien à voir avec la vitesse ajustable du PR99. Il ne me reste plus qu'à espérer que Mélison ou Scoop aient une solution pour les pièces de rechange. J'avais passé pas du temps à nettoyer à l'alcool le chemin encrassé par le résidu magnétique de bandes vieilles d'un demi-siècle. Les particules se collent sur les têtes et filtrent le son. Mais là, je suis aussi stupide que devant un moteur automobile.
J'avais retrouvé quantité d'inédits : Socialize, un album entier issu de la mise en musique du film muet L'argent de Marcel L'Herbier ; la longue série des Poisons en trio ou en quartet avec la chanteuse Tamia ; des commandes des chorégraphes Karine Saporta et Jean Gaudin ; d'autres pour des films ; les remix du Drame par Thurston Moore, Le Tone, Yoshihiro Hanno, Aki Onda ; des concerts, des pièces de théâtre musical et des ciné-concerts ; deux créations radiophoniques de plus de trois heures ; un enregistrement du K en public avec Daniel Laloux ; notre adaptation de Let My Children Hear Music de Mingus en trio ; une pièce de John Cage ; une quinzaine de chansons et autant d'inédits des plus grands compositeurs joués au piano par la jeune prodige Brigitte Vée, sans oublier le raton-laveur. Nous sommes peu de chose face à une technique que l'on ne maîtrise pas. Ici, en plus, on risque la perte de mémoire. Dimanche aurait dû figurer une journée de pause avant de remonter dans le train en marche. Mais le passé traîne les pieds. Beaucoup plus encombrant à négocier que l'avenir, il se rappelle à notre bon souvenir pour exprimer qu'il n'est pas aux ordres. On peut tout inventer, mais pas faire marche arrière. Les courroies ou les points de graisse ? On sait rêver de jours meilleurs quand le passé ne propose qu'un travail de deuil. Le soir, le gaz est tombé en panne.