70 Pratique - novembre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 26 novembre 2013

Mes dentistes ne disaient rien


Si les dentistes nous disaient qu'il faut évidemment se brosser les dents, aucun ne nous expliquait jamais les supplices que nous allions subir si nous ne respections pas scrupuleusement leurs conseils. Peut-être parce qu'il vient de débuter dans le métier et qu'il n'est pas encore usé, mon praticien me donne tous les détails du pourquoi et du comment je me retrouve sur son fauteuil des heures durant, la bouche ouverte à m'en décrocher la mâchoire, avec dévitalisations, implants et couronnes à la clef. Si j'avais été plus discipliné j'aurais probablement encore toutes mes dents, blanches et jolies. Comme la plaque dentaire se constitue en huit heures il insiste pour que je passe le fil dentaire fluoré (Inava) le soir avant de me laver les dents avec la brosse électrique (Oral B de Braun Professional Care 1000, l'une des moins chères des efficaces) et du dentifrice fluoré (1450 ppm minimum) que je passe déjà chaque matin. Trois secondes sur chaque dent en laissant la brosse faire le travail, trois secondes aussi sur le dessus et trois secondes à l'arrière. Il étaye sa démonstration de petits dessins et répond à toutes mes questions. Sa précision lui fait encore découvrir plusieurs caries qui avaient échappé au précédent, parti sans prévenir exercer en Bretagne.
Aujourd'hui la facture est encore plus salée que les tortures à endurer sur le fauteuil à bascule. La Sécurité Sociale considère que l'on peut vivre sans dents et les mutuelles remboursent scandaleusement peu dans ce secteur de santé. On accuse souvent les dépassement d'honoraires qui montent à trois milliards d'euros quand les bénéfices des mutuelles seraient de 25 milliards. Les miens se dissipent brutalement parce qu'aucun dentiste ne m'a jamais expliqué clairement ce que me réservait l'avenir...

vendredi 22 novembre 2013

Nems Cha Sõ


Devrais-je arrêter d'acheter des Nems pour ne pas penser à Bernard ? Il partageait ce goût pour les boulettes de porc fermenté à tel point que c'était la seule chose qui lui faisait plaisir que je lui apporte à l'hôpital. Continuer à en manger me rend triste depuis qu'il est parti. Je lui coupai en petits morceaux pour qu'il puisse les avaler alors que je n'en fais goulument qu'une bouchée. Il les accompagnait de gorgées de Coca, un drôle de médicament dont la teneur en sucre équivaudrait à du poison si consommé à haute dose. J'en bois parfois pour me réveiller ou faire passer une nausée. En France on appelle erronément Nems les pâtés impériaux alors que ce sont des Chả giò (prononcé tiaï ho), peut-être parce qu'au Nord-Vietnam on les appelle Nem rán ? Le porc fermenté est haché avec de l'ail, du sucre, du sel, du piment... Il est ensuite enveloppé dans de l'aluminium et serré dans du papier avec un élastique, puis conditionné par dix dans un petit filet. Si la date de péremption est évidemment indiquée il n'est pas rare d'y lire une date avant laquelle il est déconseillé de le consommer. Les Nems me font aujourd'hui le même effet que les photographies de mon camarade. L'émotion est trop forte. Impossible de m'habituer à sa disparition. Je me le remémore tel qu'il avait la soixantaine, en pleine forme, plutôt que le vieux monsieur à la barbe blanche des derniers temps. D'autres boiraient à sa mémoire. Chaque bouchée me rappelle les merveilleuses années où nous avons œuvré ensemble et tant de fois refait le monde.

jeudi 14 novembre 2013

Lapin aphrodisiaque


J'étais certain qu'un jour ou l'autre on y viendrait ! L'association inattendue des termes renvoie Nabaztag à nos méfaits précédents. En m'envoyant la photo qu'elle a prise lors de son passage hier à Paris, Valérie n'a pas précisé de quelle boutique il s'agissait. Il n'empêche que huîtres, gingembre, ginseng, galanga, bourrache, romarin, basilic, ail n'ont jamais rien prouvé. Certains auteurs prétendent aussi que cannelle, ciboulette et vanille stimulent le plaisir féminin tandis que les hommes ont recours à l'avoine, au céleri, au cordyceps ! Quelques mouches cantharides dorment au fond d'un tiroir depuis 1972 ! Mais un lapin ? Ou alors très chaud, à la moutarde !

vendredi 1 novembre 2013

Le Jour des Morts


Anna m'a appelé hier soir pour me montrer l'autel qu'elle avait installé dans le restaurant du Triton. Elle se souvient de son premier Jour des Morts au Mexique en 1975 où l'on invite les défunts par des offrandes comme le mole, mélange de piments et de cacao. Grâce aux photos, toute la famille y passe. Anna y a rajouté des amis musiciens disparus comme Elton Dean et Hugh Hopper ou le danseur Pierre Doucin, tous habitués de la salle lilasienne. Cette fête animiste, au croisement des traditions aztèques et de la religion chrétienne imposée par les Espagnols, avait pour but d'apaiser les âmes errantes. À partir des années 20 les gouvernements nationalistes qui avaient eu raison de la révolution de 1910 la relancèrent pour unifier le pays comme avec les films, les chansons, les livres scolaires, etc. Les vieilles recettes pour éviter les débordements sociaux fonctionnent toujours aussi bien. On danse avec les petits squelettes et l'on chante avant de raccompagner les morts le lendemain jusqu'à leurs tombes où l'on déguste avec eux le mole. Et la transe de s'emparer des mangeurs de peyotl.
Cette tradition n'est pas si éloignée d'Halloween, fête celte transformée en opération commerciale, bénéfique aux confiseurs, magasins de costumes et aux dentistes. Comment goinfrer les gamins de bonbons alors qu'aujourd'hui j'en ai douloureusement payé les frais par une séance de torture sur le fauteuil d'un arracheur de dents ? La gourmandise de mes premières années me coûte cette fois deux implants et une couronne. Mon dentiste attentionné me raconte que j'aurais pu éviter toutes ces misères, aujourd'hui grâce à une brosse à dents électrique avec dentifrice fluoré (minimum 1450 ppm) sur tête de brosse ronde matin et soir après les repas, plus du fil dentaire fluoré le soir avant la brosse à dents. Je recracherais bien les trois quarts des saloperies en sucre dont je me suis gavé enfant. Ma mâchoire est encore trop endolorie pour que je sente le goût du mole. Quant à mes morts ils vivent dans mes rêves, l'amour de l'abstraction et la permanence du souvenir étant plus forts que tous les rituels.
À propos des festivités halloweenesques j'aime beaucoup l'article de Thomas Halter dans Investig'Action sur le soft power, "une arme parmi les plus efficaces de l'arsenal diplomatico-propagandiste des grandes puissances impérialistes", manière discrète de mettre le pied dans la porte en promouvant la culture pour imposer tout le reste.