70 Pratique - novembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 19 novembre 2019

Arnaque


Vous croyez admirer un canard, mais renversez-le et vous découvrirez l'arnaque. En 1980 Bernard Vitet nous avait appris un subterfuge que nous avions trouvé très amusant et que nous avions utilisé dans la pièce Crimes Parfaits d'Un Drame Musical Instantané. Il avait enregistré sa voix à l'envers, puis il avait retourné la bande magnétique. On avait l'impression d'une bande passée à l'envers, mais on comprenait tout ce qu'il racontait. Moins par moins égale plus. Il fallait d'ailleurs toujours conserver les premières prises, car notre camarade s'y entendait si bien que l'on finissait pas ne plus percevoir l'effet de (fausse) voix renversée. Dans la cas présent, prononcez "canard", appliquez l'effet reverse et vous auriez pu entendre "arnaque" si je ne vous avais pas blousés. Parce que canard à l'envers ne donne pas "arnaque", mais "ranaque" ! Il aurait fallu prononcer "cannera", mais mon introduction n'aurait plus tenu debout. Je vous l'avais annoncé : arnaque !
Celle de samedi dont j'aurais pu être victime est un classique. Une certaine Clarisse Duvalier, résidant 7 avenue de la Grande Armée à Ajaccio, me commande la collection de l'Avant-Scène Théâtre (1954-1960) que j'ai mise en vente sur LeBonCoin en me demandant d'y ajouter le prix du port via Colissimo. Elle est pressée de conclure l'affaire, mais préfère passer directement par Paypal, et non par LeBonCoin, car "avec Paypal, fiable, sécurisé et rapide, pas besoin de communiquer vos coordonnées bancaires", d'autant que son compte bancaire ne serait "pas relié à son compte LeBonCoin, par conséquent le paiement via l'application LeBonCoin est impossible pour elle" ! L'arnaque consiste à envoyer ensuite un faux mail de PayPal stipulant avoir bien été crédité. Si l'on ne vérifie pas son compte en se connectant directment au site, on se fait évidemment avoir. L'adresse est une boîte aux lettres à la porte d'un lycée sur l'Île de Beauté (pas la porte à côté !) et j'imagine que l'arnaqueuse ira chercher l'imposant colis à la Poste avec une fausse pièce d'identité, à moins que ce soit un peu plus retors.
J'avais déjà été la cible de cette même arnaque il y a quelques mois. J'ai l'impression que la moitié des centaines de mails que je reçois chaque jour consiste en des tentatives frauduleuses. Il est facile de se laisser prendre au phishing si l'on ne vérifie pas l'authenticité des protocoles. On sait qu'il ne faut jamais se connecter au web via les applications de mail, mais il y a bien d'autres coups tordus comme par exemple les publicités sur FaceBook. La plupart du temps, l'objet de vos désirs y est proposé beaucoup plus cher que si vous le cherchiez vous-même simplement sur le Net. Et puis il n'y a pas que sur le Net qu'on puisse se faire escroquer. Lorsque j'étais jeune homme j'avais acheté un piano qui n'existait pas et une veste en daim qui était en suédine. Nous avons tous et toutes été victimes un jour ou l'autre de personnes sans scrupules qui jouent sur la confiance, ce qui peut rendre terriblement triste. Je préfère franchement les voleurs à la tire qui n'exercent aucun chantage affectif...
Je conclurai en précisant que mon canard est un animal empaillé, photographié dans une école de Victoria en Transylvanie, et que son air renfrogné ne correspond absolument pas à ses intentions véritables.

lundi 4 novembre 2019

La météo depuis la cime des arbres


Cet été à Victoria en Transylvanie, lorsque nous sommes redescendus du clocher de l'église Sf. Împărați Constantin și Elena où j'avais enregistré la simandre, le pope m'a demandé si je savais à quoi servait la baguette accrochée sur sa guérite. Il était tout fier de m'expliquer que cette cime de pin est un baromètre. Selon l'inclinaison du rameau il peut prévoir la météo. C'est un peu le principe de la pomme de pin qui s'ouvre lorsqu'il va faire beau, pas si différent des hygromètres traditionnels où un cheveu fait le même office. J'ignore comment travaillent les météorologues qui se trompent souvent. Se basent-ils sur des informations envoyées par des satellites ? Les croisent-ils avec une grenouille emprisonnée dans un bocal ? Font-ils confiance à leurs rhumatismes ?
Dans cette période de bouleversement climatique où la Terre se réchauffe dangereusement, où le changement de route du Gulf Stream pourrait donner à la France le climat du Canada, j'ai pris l'habitude d'aimer tous les temps. Pour ma peau, pour le jardin. Mais plus loin, au sud, c'est la mort que sèment le soleil ou les vagues. Les mouvements migratoires de masse seront impossibles à contenir. Il faudra apprendre à vivre autrement, à partager vraiment. Et l'on aura toujours besoin du système D, sans pour autant devenir d'agressifs survivalistes, en cherchant des alternatives à nos vies de fous, consommateurs compulsifs manipulés par quelques profiteurs sans scrupules, comme si ces exploiteurs criminels pouvaient échapper à leur propre suicide. Et bien voilà, on part d'une petite baguette de pin et l'on se retrouve avec la fin du monde !
C'est le sujet de l'album que j'enregistre en ce moment en coproduction avec le Musée Ethnographique de Genève. En 1994 j'avais écrit le scénario d'un film sur cette entropie à partir d'un roman de C.F. Ramuz, mais à l'époque personne ne voulait en entendre parler. Aujourd'hui c'est devenu la tarte à la crème des blockbusters, mais elle a un drôle de goût, plutôt rance. Ramuz est un de mes auteurs favoris, une des plus belles plumes de la langue française, avec un rythme qui n'avait pas échappé à Stravinsky puisque ce sont ses mots dans Renard, L'Histoire du soldat et la version française des Noces. C'est aussi l'une des clefs de l'œuvre de Jean-Luc Godard, sans que cela ait de rapport avec le Jean-Luc persécuté de l'écrivain vaudois ! En attendant, il pleut, c'est tout ce qu'il sait faire, comme le chantait Brigitte Fontaine.