Cette semaine je patauge dans les synthétiseurs vintage. Comme je dépannais Étienne venu copier une disquette système pour le clavier Ensoniq VFX-SD qu'il vient d'acquérir et dont je possède un exemplaire, il a apporté un rack Fizmo de la même marque pour le me prêter quelque temps. C'est vraiment super gentil. L'instrument a une couleur incroyable et permet en deux temps trois mouvements de moduler radicalement les sons en temps réel. Hélas, l'objet n'a pas eu le succès escompté et il a coulé la boîte. Cela arrive souvent avec les petits fabricants imaginatifs. Il suffit d'un raté pour que toute la gamme disparaisse. En plus, il faut acheter les prototypes très tôt, alors qu'ils ne sont pas totalement terminés, mais avant qu'ils soient retirés du marché.
Alors que je voulais faire écouter à Étienne mes propres programmations du VFX, clavier que j'utilise depuis 30 ans, il tombe en rade, incapable de s'auto-calibrer. Heureusement mon camarade connaît un réparateur susceptible de soigner mon précieux instrument que je viens d'ailleurs d'enregistrer pour mon prochain CD. J'en profite pour lui apporter mon vieux PPG Wave 2.2, dont la sonorité transparente reste inégalée, mais qui perd la mémoire et fait sauter les plombs chaque fois que je l'allume. En gros, nous vieillissons mieux que l'électronique, sans parler de l'informatique. À croire qu'il vaut mieux produire de la musique éphémère avec des instruments Kleenex dont la mode passe chaque année plutôt que chercher à inventer en programmant des appareils originaux aux propriétés infinies, de ceux qu'on peut pousser dans leurs retranchements, dans des zones insoupçonnées par les luthiers eux-mêmes. Chaque fois que j'entre dans un magasin de musique, je demande si de nouveaux instruments "barjos" sont sortis, mais depuis quelques années on me répond d'emblée par la négative. J'ai tout de même récemment dégotté les machines russes de Soma, mais si je comptais me racheter un ARP 2600 que Korg ressort pour le NAMM il vaut mieux que j'oublie, car les précommandes affichent partout complet.
Tout cela n'est pas très grave, j'ai suffisamment à faire avec ma panoplie d'homme-orchestre. En définitive c'est peut-être le terme qui me définit le mieux. Homme-orchestre du XXIe siècle ? Il faut bien que j'actualise le terme, sinon on pensera que j'ai une grosse caisse attachée sur le dos. Au jeu des comparaisons je tiens plutôt du croisement de la tortue et du lièvre. La maison d'un zébulon. Les anglo-saxons préfèrent le terme one-man-band. Traduit, "L'orchestre solo" ? Comment expliquer que je joue autant d'instruments virtuels sur mon ordinateur que de multiples claviers analogiques et numériques, auxquels s'ajoutent quelques centaines d'instruments acoustiques ?
Revenons à nos moutons électriques. Tout content de retrouver les valises de mes synthétiseurs du siècle dernier au grenier pour les apporter au docteur, je découvre que la mousse intérieure de celle du PPG tombe en poussière. Lorsque j'y mets la main, elle imprime sa forme comme dans la neige avant de s'éparpiller en poudre inquiétante. Toutes les mousses ne se désagrègent pas ainsi, mais après 20 ou 40 ans cela arrive de plus en plus souvent. Mes bonnettes de microphones furent les premières à s'effriter. J'ai cherché en vain la composition des unes et des autres sur le Net. Certaines résistent au temps, d'autres pas. C'est comme tout. C'est comme nous.

Illustrations : collection Sacha Gattino