70 Voyage - février 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 24 février 2008

Chinatown (16)


Retour à la case départ, un mois plus tard. Sur ce Monopoly, dépenser 20000 bats s'avèrera heureusement impossible. Nous nous faisons un week-end shopping de folie en nous enfonçant à nouveau dans Chinatown, puis dans les shopping centers où s'exposent les jeunes créateurs. Vente en gros, trois robes très Courrège vendues dix euros les trois, des pantalons à trois euros, douze slips de garçon aux couleurs vives (introuvables où que ce soit ! J'avais fini par croire que c'était impossible) pour quatre euros le paquet, une valise orange qui se remarquera aisément sur le tapis roulant, etc. Nous la bourrons avec nos achats à concurrence de vingt kilos, jusqu'à ce que je me torde le poignet en la descendant du taxi en arrivant à l'aéroport de Suvarnabhumi, superbe réalisation dûe à l'architecte allemand Helmut Jahn. Des petits os ont bougé et je passe la nuit à me tenir le bras tant la douleur me fait souffrir.
Et puis, nous montons et descendons le fleuve, nous arrêtant à l'Hôtel Oriental. Sa navette vient nous chercher et nous ramène, mais je me sens toujours un peu mal lors de ces incrustes sauvages. Le sentiment d'usurpation ne me quitte pas. Comme dans une église, j'ai l'impression d'y être démasquable, alors que j'ai passé ma vie à noyer le poisson en battant les cartes. C'est le fardeau de tous les autodidactes qui ont réussi malgré tout. Françoise, elle, s'y meut comme un poisson dans l'eau.


Époustouflante mêlée des poissons-chats le soir le long de la Chao Phraya tandis que les enfants leur jettent du pain. Nous n'avons jamais vu autant d'animaux se ruant sur la nourriture avec cette voracité. Les bestioles sont énormes. Est-ce une façon de les engraisser avant de les pêcher ? Je filme le grouillement terrifiant avec mon appareil-photo...


Le matin de notre départ, tandis que nous descendons très tôt dans les soys de Chinatown pour acheter des chaussures, nous nous retrouvons face soit à un cortège célébrant la mort de la sœur du roi, soit à une répétition du nouvel an chinois qui se profile, soit à une autre fête que nos connaissances en chinois ne nous permettent pas d'identifier. Les enfants se coiffent des attributs du dragon, figures monstrueuses, corps ondulant ; les musiciens font sonner cuivres, flûtes, cordes et surtout percussions brillantes composées de cymbales crash, de gongs puissants, de métal éclatant...


Nous n'arriverons jamais à acheter les petites chaussures qu'a repérées Françoise, car les boutiques ne vendent qu'en gros ou demi-gros et les tractations avec les Chinois sont extrêmement difficiles. On a l'impression que cela les ennuie énormément de vendre à des étrangers. "T'achète ou pas, moi je m'en fiche !" est le leitmotiv de la matinée. Bon, bien alors, on s'en passera. Et nous repartons nous empifrer de quelque spécialité gastronomique dans une cantine populaire... Dommage que les règlements d'hygiène soient si contraignants sous nos latitudes ! Ces petites échoppes vont terriblement nous manquer. Au retour, nous apprendrons comment l'industrie agro-alimentaire a mis la main sur la restauration en imposant des lois absurdes. Ainsi, comme il est interdit d'utiliser des œufs frais, les restaurateurs doivent se fournir chez Metro pour acheter d'un côté les blancs, de l'autre les jaunes, sous vide ! Ce n'est qu'un exemple, mais seuls les restaurants gastronomiques ont l'autorisation de se servir de produits frais à condition de tout jeter chaque soir. Les fonds de sauce maison sont d'une autre époque, à moins de prendre le risque d'une très forte amende...


Retour à Bangkok, à sa fourmilière, à ses désirs de revenez-y. La suite se jouera chez Paris-Store, chez Tang ou dans les petites épiceries de Belleville... Le voyage est terminé, dernier épisode de la saison un.

vendredi 22 février 2008

Air Bangkok (15)




Nous arrivons au terme de notre voyage. Le Mékong et Paksé vus d'en haut. Il reste encore un billet à publier et ce sera de l'histoire ancienne. Nous avons voyagé dans l'espace, mais aussi dans le temps. Le Laos rappelle la Thaïlande d'il y a soixante ans. On m'a dit que cette chronique touristique en a ennuyé certains, enthousiasmé d'autres. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai entrecoupé les épisodes du récit de voyage par des billets plus conformes à ce blog, dans leur diversité de sujets et de tons... La loi des séries. J'avais pris des notes sur un petit carnet. Je les ai complétées au fur et à mesure, souvent en m'inspirant des images que j'avais choisies... J'ai attendu d'être rentré pour me mettre en baïonnette, le dos de traviole. Ce sont les séquelles de la descente de la Nam Ou sur le minuscule tabouret en bois. Les vingt six heures de car n'ont pas arrangé cela. Les heures d'avion non plus. En arrivant, je n'ai pas dormi. On ne peut pas rester debout à l'arrière de l'appareil tout le temps d'un vol. Depuis, je n'ai pas retrouvé le sommeil. Mon dos me réveille la nuit. Je ne sais pas quoi faire de mes bras. Les anti-inflammatoires auraient dû faire leur effet. Ça ne tient pas. Comment font les plus lourds que l'air sans étendre les bras ?

lundi 18 février 2008

Les 4000 îles (14)


À Don Khône, nous avons trouvé le calme et la chaleur du sud, havre de paix dans un cadre idyllique où passer quelques jours avant l'effervescence de Bangkok et le vol du retour. Nous avons élu résidence sur un radeau.


Le bungalow flotte sur un des nombreux bras du Mékong qui serpentent au milieu d'une myriade de petites îles vertes. L'eau de la douche est chauffée par des capteurs solaires, mais le groupe électrogène ne ronronne qu'entre 18h et 23h. Les Laotiens se lèvent tôt, avec le soleil, et prennent très tôt leurs repas. Nous dormons à l'abri de moustiquaires, mais à cette saison les insectes vampires sont rares. Nous ne nous sommes d'ailleurs pas faits vacciner.


Il y a un petit patio pour la sieste et un balcon ouvert sur la rivière. Je regarde le ballet des libellules noires et la nuit j'écoute le chant des gekkos. Il y en a dans toutes les maisons, dans chaque pièce. Ces drôles de petits lézards sortent le soir lorsque tombe la nuit et qu'on allume les lumières, attirant les insectes volants.


Le gérant de la Sala Sae Guesthouse a acheté un gibbon à favoris blancs, espèce pourtant protégée, au marché de Paksé. La cage est trop petite, toutes les cages sont toujours trop petites. On se croirait au Jardin des Plantes. C'est triste.


Il est agréable de marcher pieds nus sur les planchers de teck. Partout, nous laissons nos sandales sur le seuil. Ayant attrapé mal à la gorge entre les mauvaises clims et les tuk-tuks ouverts, nous nous soignons au miel sauvage où nagent encore quelques grains de pollen rouge. Farniente.


Pas tout à fait. Nous avons fait plusieurs belles promenades à vélo au milieu des rizières et dans la forêt jusqu'aux chutes d'eau qui se révèlent ici et là... Pour rejoindre le village de pêcheurs de Ban Hang Khône, au fin fond de l'île de Don Khône, nous avons dû enjamber des ponts cassés en portant nos bicyclettes, marchant prudemment sur les traverses en métal oxydé de l'ancien chemin de fer colonial français et gravissant des pentes verticales terreuses.


Il reste encore une vieille locomotive du temps de la présence française, mais tout le monde a oublié. Le passé n'a pas d'importance, les asiatiques pensent l'avenir.


Comme nous partons tôt, nous ne rencontrons pratiquement personne sur les chemins. Juste quelques animaux apeurés entendus filer sous les feuilles mortes, elles-mêmes tombant des hautes branches comme des hélicoptères. Le long des berges cambodgiennes, nous sommes restés un moment sur un rocher au milieu de l'eau à regarder sauter les derniers dauphins d'eau douce, dits d'Irrawady, du nom du fleuve birman où l'on en trouve également.


Je prends des photos ringardes de coucher de soleil et le matin je me lève à 6h pour écouter la symphonie animale. Le soleil tape fort. Avec ma calvitie naissante je dois porter une casquette. Mon père l'avait au même endroit, mais il prétendait que c'était à force de lire assis dans le lit, la tête appuyée sur le mur ! Papa aurait aimé le Laos. Il aurait certainement plongé dans les eaux glauques comme les pêcheurs décrochant leurs filets et les femmes y lavant leur linge ou faisant leur toilette. Peu d'étrangers s'y risquent. Nous nous reposons enfin avant de remonter à Paksé pour nous envoler vers Bangkok où nous passerons nos deux derniers jours de vacances. Le mois est presque terminé.

mercredi 13 février 2008

Mak Phèt (11)


Pour manger, nous avons appris à éviter les restaurants où la nourriture est quelque peu édulcorée pour plaire aux touristes. Nous ne déjeunons et dînons que sur des bancs de fortune, dans la rue, dans des échoppes essentiellement fréquentées par les locaux. Je me souviendrai toujours du petit déjeuner où nous avons élu cette soupe de tripes à la noix de coco relevée à souhait. Pour épicé, on dit mak phèt. J'en abuse avec légèreté. Le second jour à Luang Prabang, nous avons trouvé un hôtel dans un quartier charmant, semi-campagnard. Des petites venelles quadrillent des jardins fleuris. L'ambiance est gaie. Nous nous sommes écartés des endroits rupins, tout près du marché hmong où nous dégustons soupes de nouilles, petits rouleaux de toutes sortes, sucrés et salés, poissons et viandes grillés, herbes parfumées... Le café lao est absolument renversant. On verse dans le fond du verre du lait concentré sucré, puis le café noir, pâte épaisse succulente, l'eau bouillante, et le résultat ressemble à du chocolat épais, sauf que c'est du café, un des meilleurs au monde !
Nous buvons de l'eau minérale ou de l'eau filtrée mise en bouteilles, de la bière locale, la célèbre Beer Lao dont nous apercevrons les brasseries, ou des sodas américains. En Thaïlande comme au Laos, on mange avec une cuillère et une fourchette, sauf chez les Chinois où l'on se sert de baguettes. Jamais un couteau. Parfois les doigts.
La fréquentation des quartiers chinois de Paris nous permet de mieux appréhender la cuisine et les usages rencontrés en Thaïlande et au Laos. Nous retrouvons les phò vietnamiens, la cuisine du sud de la Chine, la noix de coco et les cacahuètes thaïs. Mais ici, ce sont des produits frais. Le lait de soja est pressé devant nous, les rouleaux confectionnés au fur et à mesure, les pâtes dénouées, les noix de coco cueillies et attaquées aussitôt à la machette pour en boire le jus et savourer la chair tendre. Souvent nous regardons ce que les Laotiens ajoutent à leur bol afin de les imiter. Au restaurant, les mets sont rarement chauds, car il est d'usage de les servir tous en même temps et d'attendre qu'ils soient tous sur la table avant d'attaquer le repas. Même chose avec le thé servi d'office, tiède la plupart du temps, ou les verres d'eau que nous ne touchons pas de peur d'attraper quelque maladie intestinale. Nous passerons au travers de la tourista, mais nous nous retrouverons chacun avec un mal de gorge carabiné qui se transformera en toux, un classique du pays, semble-t-il à l'écoute de la bande-son.

lundi 11 février 2008

Le revers d'un patrimoine de l'humanité (10)


Le label "Patrimone de l'humanité" par l'Unesco a un revers à sa médaille. L'ancienne capitale coloniale au confluent du Mékong et de la Nam Kane, magnifiquement conservée, devient un centre touristique où seuls les temples sont encore préservés des marchands. Il y en a partout. Des marchands, certes, et des temples, à tous les coins de rue. Leurs ors et leurs couleurs vives sont aussi kitsch qu'ils apportent calme et sérénité. Les jeunes bonzes jouent au football ou s'affèrent autour des points d'eau. Du haut du Mont Phosi, la vue est à tomber.


Le second soir, nous nous plions au rituel de la population à laquelle nous appartenons tout en la fuyant autant que nous pouvons : nous achetons des T-shirts de toutes les couleurs au motif de la faucille et du marteau, des pantalons thaïs (ceux de Changmai étaient de bien meilleure qualité), des bijoux de pacotille, cuillères en bambou, du thé, du café, des algues de la rivière séchées et parsemées de petites graines de sésame... Nous marchandons en riant avec les vendeuses hmong qui tentent toujours de vendre le double, mais ici les prix sont si ridicules en regard de notre train de vie habituel d'occidental que nous pouvons nous poser la question de la justesse de notre démarche : faut-il payer ce que l'on nous demande sans sourciller comme des Américains ou jouer le jeu des us et coutumes en négociant le prix de chaque chose ? Si la loi de l'offre et de la demande est la même partout, nous risquons de faire grimper les prix en les rendant prohibitifs pour des populations dont l'économie n'a rien de commun avec la nôtre.


Nous changerons trois fois d'hôtel. La première chambre située dans un hôtel chic du quartier huppé est chère et n'a pas de fenêtre. La seconde a le désagrément de côtoyer une machine bizarre que nous serons incapables d'identifier, mais qui n'aura de cesse de s'enclencher et de s'arrêter toute la nuit, clic, shhhhh, clic, shhhhhh. Nous trouvons enfin notre bonheur à la Nock Noy Guesthouse, grande chambre lumineuse avec parquet et vue dégagée sur le bleu du ciel. Hélas, nous devons repartir le lendemain matin aux aurores.


D'ici là, nous découvrons le grand marché couvert à l'extérieur de la ville. Sa localisation sur le plan du Routard est totalement erronée et nous marchons une heure et demie de trop, mais, encore une fois, nos efforts sont récompensés. Nous sillonnons systématiquement toutes les allées, hébétés devant tant de choses que nous sommes bien en mal d'identifier, par les prix dérisoires, la beauté ou l'astuce de certains objets. Le secteur nourriture est évidemment mon préféré ! Nous ne rencontrons jamais aucun occidental dans ces marchés où les poissons nagent sur la tranche dans des cuvettes, la viande ne ressemble à aucune des nôtres à cause de la coupe sauvage, les fruits et légumes forment d'énormes tas sur des bâches à même le sol et les petits traiteurs proposent des sandwiches laos, des brochettes de porc et de poulet, des soupes toujours, same same, but different. Nous trouvons des paquets de thé lao joliment enveloppés et le thé vert "1" que nous avons découvert pendant notre séjour dans les arbres à Bokeo et que l'on sert avec les "poissons", les lèvres jouant leur rôle de passoire. Plus loin, les bijoutiers proposent l'or et l'argent, un or parfois très jaune, de la couleur des temples aveuglants de soleil.



Sur la route, nous sommes surpris qu'ils s'en construisent autant de neufs. Les drapeaux rouges cohabitent avec les insignes du bouddhisme. Nous percevons le mépris étouffé des Laos pour les tribus animistes qui vénèrent les phis, sortes de dinités fantômatiques qui hantent les rêves, mais que les autres Laotiens ne négligent pas pour autant. Dans la jungle de Bokeo, nous en avons invoqué un qui avait pris l'apparence d'un arbre aux racines noueuses, comme des cordes s'enfonçant dans la terre humide. Le résultat ne fut pas brillant, puisque s'en suivirent un accident et l'apparition effrayante des serpents verts, ce qui fit bien rire notre guide Songkeo. Lorsque les laotiens construisent une maison, ils commencent souvent par élever un petit temple sur le terrain. De même, la statue se dresse au milieu du chantier, avant que le bâtiment administratif ait vu poser sa première pierre.



Françoise achète des petites bananes pour le voyage de demain, vingt six heures plein sud, jusqu'aux "4000 îles".

samedi 9 février 2008

La descente de la Nam Ou (9)


Le matin, la brume envahit la vallée pour se dissiper ensuite avec le soleil qui apparaît au-dessus des crêtes. Le troisième jour, nous reprenons notre périple, aujourd'hui par la rivière, sur une de ces pirogues effilées dites à longue queue. C'est un voyage merveilleux au fil de l'eau. Nous admirons la nature omniprésente, mais aussi les villages. Les paysans pêchent à la main, à la nasse ou au filet, les enfants arborant avec fierté un masque et un tuba. Partout ils nous font signe. Jamais, dans aucun pays, on nous aura autant salués. Nous ne sommes pas en reste de "Sabaïdi", le bonjour en lao.


À chaque rapide qu'il doit affronter le capitaine baisse le régime du moteur au ralenti et son équipier évite les rochers avec une longue tige en bambou, passant par le toit pour courir de la poupe à la proue et de babord à tribord. La consigne est de ne pas broncher pour ne pas faire chavirer le frêle esquif. Nous sommes tout de même une quinzaine à bord sans compter les bagages. Chacun retient son souffle, aspergé par les embruns que fait naître le clapotis des vagues sur la proue. Le capitaine zigzague avec zèle au milieu des milliers de récifs dont la plupart sont immergés. Inquiet, il nous demandera de descendre une première fois et de marcher un quart d'heure le long des berges lorsque les rapides seront trop turbulents et le lit de la rivière beaucoup trop proche. Plus tard, ayant raclé le fond sur les cailloux il devra plonger sous le bateau pour changer la vis du gouvernail qu'il a cassée.


Juste avant que la Nam Ou se jette dans le Mekong, à proximité des grottes de Pakou, nous nous échouons brutalement sur un banc de sable que le soleil de face a rendu invisible. Nous voilà tous à l'eau pour pousser l'embarcation et rejoindre notre port.


Nous traversons des paysages insensés, surmontés d'énormes pains de sucre envahis de végétation luxuriante. Sur la rive se baignent des buffles. Des jardins sont encerclés de barrières en bambou pour que les porcs ne viennent pas dévorer les rares plantations. Les arbres sont gigantesques, le paysage préhistorique.


Mon plaisir est un peu gâché par l'état de mon coccyx. Sept heures sur une chaise en bois ne me réussit guère. Nous arrivons enfin dans l'ancienne capitale coloniale, Luang Prabang, tandis que le soleil se couche. Je me trompe de direction en débarquant et nous nous retrouvons dans le quartier huppé de la ville. Les hôtels sont hors de prix et les rues encombrées de tant de vendeuses de souvenirs que l'on se croirait sur la Butte Montmartre. Leurs étals posés à même le sol nous permettent à peine de faire glisser nos bagages alors que tombe la nuit. Désertée, la ville reprendra forme humaine le matin.

vendredi 8 février 2008

Le paradis de Nong Khiaw (8)


Le voyage vers Nong Khiaw est épique : tuk-tuk jusqu'à la station de bus à quelques kilomètres du centre ville (à l'allée, nous refusions de descendre du bus, croyant qu'on était en train de nous larguer en plein no man's land), puis direction Oudomxai. Lors d'une halte sur une route de montagne, le bus s'arrête dans un village où de vieilles femmes vendent du gibier à côté de pousses de bambou et de tubercules : gros rats gris, chauve-souris dépecées, oiseaux multicolores, écureuils... Ces derniers faisant certainement partie d'une espèce protégée, la paysanne les cache derrière son dos pour éviter que je les prenne en photo.


Nous remonterons dans un nouveau tuk-tuk (petite camionnette "pick-up" à l'air libre et recouverte d'un toit) où nous sommes serrés comme des sardines jusqu'à Lapmong. Nous serons jusqu'à vingt-sept, sans compter le demi-cochon qui s'écroule sur nos sandales dans les tournants. Trois passagers se tiennent debout à l'arrière du véhicule surchargé.


L'arrivée à Nong Khiaw est magique. Le Routard écrivait "tous les matins du monde". Le coucher de soleil sur les montagnes qui bordent la rivière Nam Ou est à couper le souffle. Nous nous offrons un somptueux bungalow sur pilotis avec terrasse surplombant le ballet de bateaux à longue queue qui montent et descendent la rivière.


Sur place, j'ai de plus en plus de mal à écrire le récit de nos aventures, entraîné dans le flot des événements comme sur la pirogue qui affronte les rapides de la Nam Ou, sept heures durant, de Nong Khiaw à Luang Prabang. Mais avant cela, nous nous reposons dans le cadre enchanteur du Riverside. Nous avons aussi découvert un petit restaurant en aval dont la terrasse nous permet d'être à hauteur de la cime des arbres, à portée de main des papayes, bananes et noix de coco qui les couronnent. Les enfants les cueillent avec de longues perches en bambou. Tout ici est fait de bambou, les maisons comme les échafaudages qui les soutiennent...

jeudi 7 février 2008

Luang Nam Tha (7)


Nous faisons d'agréables rencontres, seulement d'autres voyageurs. La barrière de la langue nous empêche d'avoir des discussions profondes avec les autochtones. Mon laotien est aussi primitif que leur anglais. Nous évitons soigneusement les Français qui ont presque toujours l'âge de la retraite tandis que les autres (Australiens, Allemands, Hollandais, Américains...) sont en général beaucoup plus jeunes. Nombreux partent pour plusieurs mois dans le sud-est asiatique : Vietnam, Cambodge, Laos, Thaïlande, parfois la Birmanie ou la Chine, jusqu'à l'Inde ou l'Indonésie. Les manières de certains touristes ignorant les coutumes locales nous choquent ou nous révoltent. À Luang Nam Tha, nous croisons plusieurs fois un couple d'Allemands de notre âge, très sympathique, avec qui nous partageons nos choix culinaires et populaires.


Françoise m'entraîne souvent sur les marchés où nous nous refaisons une garde-robe pour trois francs six sous et j'arpente, avec envie et le désespoir de ne pouvoir tout goûter, les allées de nourriture où des femmes proposent la véritable cuisine laotienne ou originaire de la trentaine de tribus qui peuplent les montagnes. Je glane quelques idées pour mes futures soupes et j'essaie d'identifier les herbes que je retrouverai à Belleville ou dans le XIIIème.


Le second jour, nous louons des vélos pour découvrir la campagne, rizières et villages des différentes ethnies, rivières et petits ponts de bambou... Le soir, nous nous couchons vers 21 heures comme tout le monde...


Je prends à la fois peu de notes et de photos. Il faut choisir entre vivre au présent ou récolter des souvenirs. J'essaie de déconnecter d'avec mes "mauvaises" habitudes. Les instants magiques sont fugaces. Mon vieil appareil-photo est trop lent pour les saisir. Le délai d'une seconde ne me permet pas de faire des portraits, je me cantonne aux paysages et aux vues fixes ou figées.


Les maisons sont plus souvent construites sur pilotis pour éviter les animaux et plus certainement les inondations en période de mousson. La période que nous avons choisie est idéale : pratiquement aucun moustique, donc inutile de se faire vacciner, température agréable de la saison sèche, tourisme réduit puisque ce n'est pas une période de vacances scolaires.


Certains paysages me rappellent mon voyage au Vietnam il y a une dizaine d'années. On raconte que ce pays a beaucoup changé, que les touristes y sont considérés comme des portefeuilles sur pattes, tranchant avec l'amabilité des Laotiens.

mercredi 6 février 2008

Trois petits films dans la jungle de Bokeo (5)


Je me suis résigné à mettre en ligne ces trois vidéos malgré leur déplorable qualité. C'est le première fois que j'utilisais mon vieil appareil-photo numérique pour réaliser trois petits plans sur les câbles du Gibbons Experience. Les films d'origine ne sont pas si mauvais, mais YouTube refuse leur format natif, aussi suis-je obligé de les réexporter dans QuickTime en les compressant et le résultat n'est pas brillant. Cela donne tout de même une vague idée de l'aventure. Vous pouvez toutefois regarder d'autres séquences tournées par divers participants en tapant Gibbons Experience ou Gibbonx dans YouTube.


La première séquence "montre" Françoise quittant la Maison 4 où nous avons passé la première nuit. Dans la seconde, j'arrive de la Maison 5 où nous avons été confrontés aux cinq reptiles géants vert fluo. Dans la dernière, on voit Françoise terminer la glissage en s'aidant avec les bras.


Heureusement, nous avions acheté des gants de laine en face de l'agence pour protéger nos mains ! Au début, la tendance est souvent de se coincer les doigts dans la poulie, mais on apprend très vite... Et puis nous nous surveillons les uns les autres pour ne pas prendre de risque idiot. L'important est surtout d'attendre que le précédent soit arrivé avant de s'élancer. Même à un kilomètre de distance on sent parfaitement les vibrations du câble quand on le touche, que ce soit la poulie ou le choc des mains qui se hissent. La seule faille est l'absence de vibration si quelqu'un s'est malencontreusement arrêté en route, aussi nous crions "ok !" (deux syllabes) ou "non !" (une syllabe) aux injonctions des impatients ou des inquiets. Hélas, certains répondent par un "not ok !" dont la distance et l'écho de la forêt avalent obligatoirement la négation, risquant de provoquer des accidents.

lundi 4 février 2008

Snake Experience (4)


Tout a commencé de travers. Les Hmong qui devaient nous accompagner dans la forêt avaient changé la date de leur nouvel an sans prévenir et aucun guide n'était prêt à sacrifier trois jour de libations pour une poignée de touristes. S'ajoutait une réunion de chefs par-dessus le marché ! Personne ne voulait manquer ça, Hmong Politics... Les jeunes filles qui avaient enfilé leurs costumes de fête s'entraînaient à se lancer des balles en vue de leurs mariages proches. C'est ainsi que l'on se choisit un conjoint pour la vie. Le chef des guides était furieux. Aucun des guides ne cédant, nous avons entamé notre marche précédés d'un seul guide, Songkeo, qui, Lao, n'avait rien à faire du nouvel an hmong. Après trois heures à s'enfoncer dans la forêt vierge, les huit inscrits à la Waterfall Experience atteignirent la chute d'eau annoncée.


Nous avons bien besoin de ce bain glacé pour évacuer la fatigue et la sueur. Françoise et moi choisîmes de passer la nuit seuls en Maison 4 tandis que les six autres, deux Allemands, deux Hollandais et un couple de Californiens se partageaient la 6, dernière construite avec tout le confort moderne, soit une douche et des toilettes. Notre maison, située tout en haut d'un arbre à trente mètres au-dessus du sol, ne nous offrait pas ce luxe et je craignais devoir emprunter un des câbles qui surplombent le vide si une envie nocturne pressante se faisait sentir.


Les six maisons perchées chacune en haut d'un immense arbre sont toutes accessibles par des câbles sur lesquels nous glissons, équipés d'un harnais sur lequel est fixé une poulie. Rien de plus excitant que de fendre l'air pour regagner l'autre flanc des vallées que nous surplombons. Le plus long câble mesure 1 kilomètre à 150 mètres au-dessus du sol. Le plus effrayant est de se lancer dans le vide. Ensuite, cela glisse tout seul. Si l'on va trop vite, on appuie sur le frein en pneu qui entoure la poulie. Si l'on n'atteint pas la plate-forme opposée, les gants de laine que nous avons acheté à Houeisai nous permettent de la rejoindre à la force des bras, ce qui n'est pas toujours très agréable, mais chacun s'en sort plutôt bien, même Françoise qui est la plus légère et doit souvent terminer les derniers mètres suspendue au-dessus du vide, en jouant de ses biceps et de ses abdominaux.


Nous avons beau être équipés de lampes frontales le cas échéant, l'idée de nous lancer seuls, de nuit, sur un de ces câbles, avec une envie de chier incontournable, ne nous inspirait pas vraiment et nous eumes la chance de pouvoir attendre le matin humide, trempé de la rosée de la cascade au pied de l'arbre. La brume monte d'abord avec le jour pour se dissiper ensuite avec le soleil.


Notre guide nous avait apporté à dîner, mais le groupe nous rejoint avec trois heures de retard le matin suivant. Un accident est arrivé. Marin filmant sa glissade et voulant arrêter sa caméra est reparti en arrière tandis que Brian n'attend pas le signal et s'élance sur le fil. Le choc des corps est brutal. Le premier s'en sort avec maintes contusions et une canne, mais l'Américain ne peut plus bouger. Songkeo le hisse avec une corde jusqu'en Maison 6 où sa compagne le rejoint. Nous n'étions plus que six à reprendre la marche pour rejoindre la 5, puisque nous devons échanger nos habitats avec un autre groupe. Bien que nous ayons pris du retard et marchions à l'heure la plus chaude, SongKeo nous propose d'aller visiter la Maison 3 dont la vue ur les montagnes est exceptionnelle. Nouveaux câbles enchanteurs, rêves de tarzan, végétation grandiose, mais peu de faune. Avec mes jumelles, nous admirons quelques volatiles colorés, petits zoziaux vert et jaune, bleu électrique, rose fuschia ou grands oiseaux noirs à longue queue. Seul le silence habite vraiment la forêt où nous ne verrons jamais les gibbons qui donne leur nom à cette belle expérience, mais nous les entendrons le matin suivant avec beaucoup d'émotion. Il aura fallu dix ans à Jeff et son équipe pour mettre sur pieds le projet d'écotourisme, convertissant les braconniers en gardes forestiers. Le Gibbons Experience n'étant dans aucun guide, le bouche à oreille risque seulement de rendre plus long le temps d'attente des réservations.


Nous venions d'arriver en Maison 3 lorsque notre guide se mit à hurler "Snake ! Snake ! Snake !" Un immense serpent vert rampait à un mètre de nous sur une branche de l'arbre qui soutenait la plate-forme. Panique à bord, mais pas au point de manquer la photo, et les toursistes que nous sommes de demander à Songkeo d'attendre une seconde avant de tuer le dangereux reptile. Il l'assomme d'un coup de planche sur l'échine, mais le serpent remonte. L'autre guide pète les plombs et jette par dessus bord en direction de l'animal tout ce qu'il trouve, un banc, des tasses en métal, le peu de meubles présents qui vont s'écraser quelques dizaines de mètres plus bas. Je fais bouillir de l'eau que nous versons dans l'arbre creux, mais un second serpent de trois mètres surgit. Et un troisième animal, et de quatre, et de cinq ! C'est incroyable. Tous sont aussi longs les uns que les autres et particulièrement agressifs face aux assauts dont ils sont victimes. Comprenez que nous sommes suspendus au-dessus du sol avec tout cet équipage. Songkeo réussit à en tuer quatre, coupant le dernier à la machette. Le sang a beau être froid, il est bien rouge. Nous désertons la Maison 3 accompagnés de ses quatre pensionnaires dont une jeune fille qui tremble comme une feuille.


Nous nous serrons donc en Maison 5, puisque de huit nous étions passés à six pour devenir dix par la force des choses qui rampent et crachent comme des malades. La seconde nuit est plus calme, sans les petits rats qui avaient piétiné nos camarades la nuit précédente, présence expliquant probablement celle des reptiles, elle-même due à un mauvais rangement ou nettoyage des miettes des repas. Encore une fois, Françoise et moi, nettement plus âgés que la plupart, faisons chambre à part en squattant l'étage supérieur de ce nouveau nid avec vue à 360° sur la forêt qui nous entoure et se réveille. Nous prendrons le chemin du retour et attraperons de justesse le car qui nous amènera jusqu'à Luang Nam Tha. Il suffit de lui faire signe sur le bord de la route, il s'arrête, à condition qu'il y ait de la place à bord. Nous n'avons pas très envie de rester au bord de la route. Les ballots s'empilent dans la travée centrale. Voyages épiques où les Laos crachent et vomissent tant qu'ils peuvent, secoués par les routes chaotiques en épingles à cheveux, au son de rap lao tonitruant. Les voyageurs disent qu'en Chine ils n'emportent pas de petits sacs en plastique avec eux ! Françoise s'inquiète que le vent rabatte les miasmes vers les fenêtres...

samedi 2 février 2008

Coquaphonie (3)


Lorsqu'à 3h55 une centaine de coqs entamèrent leurs vocalises enrouées, je compris l'expression "se coucher avec les poules". Le soir, à neuf heures, le village est éteint, livré aux cigales et aux grenouilles. Le silence de la nuit nous change des pétarades citadines. Du moins l'ai-je cru jusqu'à ce que les gallinacés s'animent. Quatre heures plus tard, ils n'avaient toujours pas terminé de sonner leur réveil infernal. La nuit suivante, le tintamarre débute à minuit ! Je rêve de Crazy Squirrel dans le film de Tex Avery où il tente de faire la peau d'un de ces emplumés. Je sais maintenant que je n'ai pas emporté de boules Quies pour des prunes. Conserve-t-il autant de coqs pour des combats ? Nous avons vu des ados parier plus loin à Luang Prabang. Les poules sont sans cesse assaillies par les mâles. C'est la viande la plus tendre, le porc est trop coriace et le canard est un animal mythique, présent sur tous les menus, mais jamais disponible. Ici, pas d'élevage en batterie...


Houeisai est un village frontière laotien sur le Mékong, une longue rue principale où s'alignent commerces, guesthouses, petits restaurants de fortune où l'on mange pour trois francs six sous, 15000 kips laotiens ou 30 baths thaïs. En échange de 300 euros, le changeur m'a remis une liasse de cinq centimètres d'épaisseur avec trois millions de kips. Pour acheter une voiture, il doit falloir une brouette.


Le soir, les enfants qui rentrent de l'école nous adressent de souriants "Sabaïdii". Nous leur rendons ce mignon bonjour. Les Laotiens sont particulièrement aimables. Personne ne nous alpague. De l'avion qui nous amenait à Changmai, nous sommes passés au VIP Bus à un car plus rudimentaire pour rejoindre la frontière, un tuk-tuk pour traverser Changkong et la pirogue enfin. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Les autochtones passent leur temps à cracher par la fenêtre du bus. Mieux vaut s'asseoir à l'avant, d'autant qu'ils sont souvent malades à cause des routes qui tournent et vomissent tant qu'ils peuvent. Chacun a une dizaine de petits sacs en plastique qu'il jette au fur et à mesure par la fenêtre... Si le confort hôtelier semble de plus en plus spartiate, ce n'est qu'en apparence. Notre chambre à Changrai avait l'allure d'un vaste panier de riz gluant tressé, celle de Houeisai donne sur le Mékong et les collines sauvages de la province de Bokeo.


Nous marchons jusqu'au marché du matin, le talatsao, situé plus loin à l'intérieur du village. Au coucher du soleil, nous grimpons jusqu'à la pagode où de jeunes bonzes jouent avec de l'eau. L'un d'eux fait le mur. Nous évitons soigneusement les touristes français qui se comportent comme des cuistres pour se faire photographier avec les moines. Nous essayons de nous conformer aux usages locaux pour ne pas choquer nos hôtes, ce qui embête un peu Françoise qui aurait préféré porter des shorts plutôt que des pantalons. S'il fait chaud dans la journée, les nuits sont très fraîches.


Nous avons réservé les dates de notre trek au Gibbons Experience depuis Paris. Ce projet d'écotourisme a été initié par des Français qui ont converti les braconniers en gardes forestiers pour protéger le saccage de la forêt primaire. Ils ont construit six maisons dans les arbres et tendu de longs câbles pour les atteindre ou traverser les vallées. Les places sont évidemment limitées. Ils ne font aucune publicité, mais le bouche à oreille risque de rendre les délais de réservation de plus en plus longs. Nous sommes impatients de rejoindre la jungle et de nous élancer dans les airs comme des Tarzan...