Le matin, la brume envahit la vallée pour se dissiper ensuite avec le soleil qui apparaît au-dessus des crêtes. Le troisième jour, nous reprenons notre périple, aujourd'hui par la rivière, sur une de ces pirogues effilées dites à longue queue. C'est un voyage merveilleux au fil de l'eau. Nous admirons la nature omniprésente, mais aussi les villages. Les paysans pêchent à la main, à la nasse ou au filet, les enfants arborant avec fierté un masque et un tuba. Partout ils nous font signe. Jamais, dans aucun pays, on nous aura autant salués. Nous ne sommes pas en reste de "Sabaïdi", le bonjour en lao.


À chaque rapide qu'il doit affronter le capitaine baisse le régime du moteur au ralenti et son équipier évite les rochers avec une longue tige en bambou, passant par le toit pour courir de la poupe à la proue et de babord à tribord. La consigne est de ne pas broncher pour ne pas faire chavirer le frêle esquif. Nous sommes tout de même une quinzaine à bord sans compter les bagages. Chacun retient son souffle, aspergé par les embruns que fait naître le clapotis des vagues sur la proue. Le capitaine zigzague avec zèle au milieu des milliers de récifs dont la plupart sont immergés. Inquiet, il nous demandera de descendre une première fois et de marcher un quart d'heure le long des berges lorsque les rapides seront trop turbulents et le lit de la rivière beaucoup trop proche. Plus tard, ayant raclé le fond sur les cailloux il devra plonger sous le bateau pour changer la vis du gouvernail qu'il a cassée.


Juste avant que la Nam Ou se jette dans le Mekong, à proximité des grottes de Pakou, nous nous échouons brutalement sur un banc de sable que le soleil de face a rendu invisible. Nous voilà tous à l'eau pour pousser l'embarcation et rejoindre notre port.


Nous traversons des paysages insensés, surmontés d'énormes pains de sucre envahis de végétation luxuriante. Sur la rive se baignent des buffles. Des jardins sont encerclés de barrières en bambou pour que les porcs ne viennent pas dévorer les rares plantations. Les arbres sont gigantesques, le paysage préhistorique.


Mon plaisir est un peu gâché par l'état de mon coccyx. Sept heures sur une chaise en bois ne me réussit guère. Nous arrivons enfin dans l'ancienne capitale coloniale, Luang Prabang, tandis que le soleil se couche. Je me trompe de direction en débarquant et nous nous retrouvons dans le quartier huppé de la ville. Les hôtels sont hors de prix et les rues encombrées de tant de vendeuses de souvenirs que l'on se croirait sur la Butte Montmartre. Leurs étals posés à même le sol nous permettent à peine de faire glisser nos bagages alors que tombe la nuit. Désertée, la ville reprendra forme humaine le matin.