Le label "Patrimone de l'humanité" par l'Unesco a un revers à sa médaille. L'ancienne capitale coloniale au confluent du Mékong et de la Nam Kane, magnifiquement conservée, devient un centre touristique où seuls les temples sont encore préservés des marchands. Il y en a partout. Des marchands, certes, et des temples, à tous les coins de rue. Leurs ors et leurs couleurs vives sont aussi kitsch qu'ils apportent calme et sérénité. Les jeunes bonzes jouent au football ou s'affèrent autour des points d'eau. Du haut du Mont Phosi, la vue est à tomber.


Le second soir, nous nous plions au rituel de la population à laquelle nous appartenons tout en la fuyant autant que nous pouvons : nous achetons des T-shirts de toutes les couleurs au motif de la faucille et du marteau, des pantalons thaïs (ceux de Changmai étaient de bien meilleure qualité), des bijoux de pacotille, cuillères en bambou, du thé, du café, des algues de la rivière séchées et parsemées de petites graines de sésame... Nous marchandons en riant avec les vendeuses hmong qui tentent toujours de vendre le double, mais ici les prix sont si ridicules en regard de notre train de vie habituel d'occidental que nous pouvons nous poser la question de la justesse de notre démarche : faut-il payer ce que l'on nous demande sans sourciller comme des Américains ou jouer le jeu des us et coutumes en négociant le prix de chaque chose ? Si la loi de l'offre et de la demande est la même partout, nous risquons de faire grimper les prix en les rendant prohibitifs pour des populations dont l'économie n'a rien de commun avec la nôtre.


Nous changerons trois fois d'hôtel. La première chambre située dans un hôtel chic du quartier huppé est chère et n'a pas de fenêtre. La seconde a le désagrément de côtoyer une machine bizarre que nous serons incapables d'identifier, mais qui n'aura de cesse de s'enclencher et de s'arrêter toute la nuit, clic, shhhhh, clic, shhhhhh. Nous trouvons enfin notre bonheur à la Nock Noy Guesthouse, grande chambre lumineuse avec parquet et vue dégagée sur le bleu du ciel. Hélas, nous devons repartir le lendemain matin aux aurores.


D'ici là, nous découvrons le grand marché couvert à l'extérieur de la ville. Sa localisation sur le plan du Routard est totalement erronée et nous marchons une heure et demie de trop, mais, encore une fois, nos efforts sont récompensés. Nous sillonnons systématiquement toutes les allées, hébétés devant tant de choses que nous sommes bien en mal d'identifier, par les prix dérisoires, la beauté ou l'astuce de certains objets. Le secteur nourriture est évidemment mon préféré ! Nous ne rencontrons jamais aucun occidental dans ces marchés où les poissons nagent sur la tranche dans des cuvettes, la viande ne ressemble à aucune des nôtres à cause de la coupe sauvage, les fruits et légumes forment d'énormes tas sur des bâches à même le sol et les petits traiteurs proposent des sandwiches laos, des brochettes de porc et de poulet, des soupes toujours, same same, but different. Nous trouvons des paquets de thé lao joliment enveloppés et le thé vert "1" que nous avons découvert pendant notre séjour dans les arbres à Bokeo et que l'on sert avec les "poissons", les lèvres jouant leur rôle de passoire. Plus loin, les bijoutiers proposent l'or et l'argent, un or parfois très jaune, de la couleur des temples aveuglants de soleil.



Sur la route, nous sommes surpris qu'ils s'en construisent autant de neufs. Les drapeaux rouges cohabitent avec les insignes du bouddhisme. Nous percevons le mépris étouffé des Laos pour les tribus animistes qui vénèrent les phis, sortes de dinités fantômatiques qui hantent les rêves, mais que les autres Laotiens ne négligent pas pour autant. Dans la jungle de Bokeo, nous en avons invoqué un qui avait pris l'apparence d'un arbre aux racines noueuses, comme des cordes s'enfonçant dans la terre humide. Le résultat ne fut pas brillant, puisque s'en suivirent un accident et l'apparition effrayante des serpents verts, ce qui fit bien rire notre guide Songkeo. Lorsque les laotiens construisent une maison, ils commencent souvent par élever un petit temple sur le terrain. De même, la statue se dresse au milieu du chantier, avant que le bâtiment administratif ait vu poser sa première pierre.



Françoise achète des petites bananes pour le voyage de demain, vingt six heures plein sud, jusqu'aux "4000 îles".