70 Voyage - avril 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 30 avril 2010

Poseurs de lapins


Les transporteurs restent fidèles à leur réputation. Voilà deux jours que nous attendons nos lapins partis de Bucarest lundi après-midi. Âne, mon sieur âne, ne vois-tu rien venir ? Mon mur carotte devrait pourtant les attirer ! À l'aller le chauffeur s'était présenté à la maison sans prévenir alors que le clapier est situé dans une autre ville, à vingt-cinq minutes d'ici. Je ne comprenais rien à l'interphone, en plein travail au studio j'ai bien failli ne pas lui ouvrir. C'est chaque fois une galère. Nos petits rongeurs sont censés s'envoler pour les Amériques où ils sont attendus pour ouvrir le Festival de Victoriaville, mais c'est moi qui me ronge les sangs, n'osant pas sortir en attendant la livraison. C'est fou le nombre de jeux de mots que suscitent nos bestioles qui se reproduisent à chaque voyage tant on nous pose de lapins. Nous aurions mieux fait de composer un opéra pour 100 tortues.
Nous apprenons à l'instant que le chargement est parti en Hollande et n'arrivera à Paris que lundi. On va encore les retrouver anémiés, le gouda ou l'edam ne pouvant faire illusion car le seul fromage orange est la mimolette fabriquée dans la région lilloise.

mardi 27 avril 2010

Clichés de Bucarest


Quatrième et dernier billet sur Bucarest. Rentré tard à la maison, je commence par nourrir Scotch qui a les crocs. Je lui montre le buste d'un cousin aux canines cachées sous ses bacchantes, Vlad Ţepeş, qui inspira Bram Stocker pour son Dracula. La statue trône dans une fouille près du quartier de Lipscani. Nous tentons désespérément de faire des courses pour rapporter un truc sympa de Roumanie. En nous baladant, nous nous interrogeons sur l'utilité des colonnades couronnant les immeubles néo-classiques le long des grands boulevards.


Finalement, Bucarest est un peu triste. Les quelques souvenirs sont calibrés pour les touristes et les magasins authentiques ont fait place aux grandes chaînes de distribution et aux marques internationales. Prêt-à-porter, alimentation, électro-ménager, jouets, joaillerie, etc., sont formatés comme presque partout sur la planète. Les rares machins typiques sont plus que ringards. Le nombre d'échoppes de mariage est stupéfiant. J'aurais bien aimé rapporter quelques disques de musique tzigane à Elsa, mais nous avons l'impression qu'ils sont parqués dans quelque quartier où nous n'aurons pas le temps d'aller. Serait-ce un monde parallèle ?


Antoine n'aime pas beaucoup les photos. Il ne les garde ni ne les regarde. Solidaire de mes lubies, il m'épinglera tout de même devant le palais du Parlement sous le soleil de printemps. On reconnaîtra mes no-shoes qui laissent penser que je suis à bascule, mais les MBT me donnent seulement l'allure de Jacques Tati lorsque j'avance. À l'arrière-plan l'édifice est trop démesuré pour figurer entièrement sur le cliché. Voilà, nous avons atterri. Les lapins sont en route pour Paris d'où ils s'envoleront pour le Québec. Je suis à peine arrivé que le travail se presse au portillon...

dimanche 25 avril 2010

La folie des grandeurs


La fenêtre de ma chambre donne sur le palais du Parlement, 1100 pièces réparties sur 350 000 m², 12 étages et peut-être autant en sous-sol. C'est là que sont entreposées les archives secrètes roumaines, allez savoir ce qui s'y passe aujourd'hui ! Nos lapins joueront au-dessus, dans l'aile ouest, modernisée avec ascenseurs de verre et métal comme il se doit. L'ancienne "Maison du Peuple" construite par Ceauşescu abrite le parlement, le sénat, un espace dédié au totalitarisme et au réalisme socialiste, le siège de la Southeast European Cooperative Initiative, organisation intergouvernementale contre le crime international, et le Musée National d'Art Contemporain où le festival Rokolectiv poursuit ses aventures avec, entre autres, une représentation de Nabaz'mob en début de cette troisième et dernière soirée.


Depuis la terrasse du musée, je photographie le parc désert, contre-champ aussi démesuré que la pâtisserie étouffe-chrétiens de style néoclassique qui nous accueille. La religion a mieux résisté au temps que ce qui fut abusivement nommé communisme. Ce n'est pas un gage de qualité. La corruption et la spéculation immobilière, fruits du libéralisme, s'en accommodent parfaitement. De quoi nous protègent les quatre crucifix qui pendent au pare-brise du taxi ? Il ne manque que la gousse d'ail. Bucarest est au croisement des différentes influences que le pays a subies et c'est aussi ce qui fait son charme. La gentillesse des organisateurs compense les manques techniques qui nous épuisent.
Le soir, pendant que j'écris ces lignes, après avoir discuté au bar avec les musiciens français de Turzi, un groupe de rock psychédélique qui se revendique de mes jeunes années en les réactualisant à leur sauce, j'écoute la retransmission sur TV5 du Dialogue des Carmélites. Cette pure merveille de Francis Poulenc, l'un de mes compositeurs français préférés et largement sous-estimé, interroge la raison d'être et, par conséquent, la mort, notre mort, ma mort... Qui à son tour aura donné son sens à ma vie, son cadre et ses limites... Les mélodies sublimes annoncent les mélodrames (étymologiquement "drame en musique") de Jacques Demy. Un opéra sur la Terreur et sur la foi qui se termine par une exécution, c'est de circonstance ! Avant que le sommeil m'emporte, la guillotine qui fait taire ces femmes les unes après les autres me fait tourner la tête.

samedi 24 avril 2010

Au pays des vampires


Pas de doute, nous sommes bien arrivés en Roumanie, la patrie des vampires, mais la photographie dans le miroir semble indiquer que nous n'avons pas encore été totalement contaminés ! Dès que nous avons mis le pied dans l'Airbus de la Tarom, le monde a basculé. Les consignes de sécurité passaient en boucle, déversant leur son en un puissant flot continu. Bien que ce soit l'heure du thé on nous servit un vrai repas avec la viande blanche baignant dans le poivron rouge. Je m'endormis sur le quatrième chapitre de La fin des temps que m'avait justement conseillé Antoine dont c'est un des livres préférés.
Nous comprenons vite que nous sommes en terrain méridional. Les Roumains conduisent comme des Italiens. De jeunes étudiants nous confient regretter l'époque communiste qui ne comptait aucun SDF. Dans le centre de Bucarest, les terrasses des cafés débordent de jeunes gens, mais il est difficile de trouver un restaurant. Nous finissons par tomber par hasard sur Caru' cu bere, une gigantesque brasserie qui sert des spécialités locales. Je choisis de délicieuses feuilles de vigne farcies et fumantes, nappées de crème fraîche légère et accompagnées de polenta et d'un piment vert à vous emporter la gueule.


Deux mâles français à l'étranger matent forcément les filles. Elles sont incroyablement jolies et... très jeunes. Pas de chichi, pas de maquillage outrancier, une simplicité et une atmosphère tendre qui fait plaisir à voir. J'ai beau être du signe du dragon qu'en roumain on traduit "dracul", je ne mords pas. Pourtant ma chemise à fleurs et la pancarte "Artiste" pendant au bout d'une chaîne en métal que les organisateurs du festival m'ont accrochée autour du cou me fait ressembler à un Tzigane sur son 31 ! Ce n'est pas forcément une bonne idée, on sent pointer un fort rejet de cette population parmi les Roumains pourtant sympathiques et ouverts.
Le Festival Rokolectiv revendique la musique électronique, mais la programmation sonne très pop. Cette souplesse est loin de me déplaire. À l'entrée, les sponsors arrosent cette jeunesse, particulièrement les filles, de paquets de Marlboro, rendant l'air vite irrespirable dans la salle de concert. Je rentre sagement à l'hôtel dont ma chambre donne sur l'incroyable ancien palais de Ceauşescu, un monument gigantesque qui fait passer les pâtisseries mussoliniennes pour des cabanons.