70 Voyage - octobre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 10 octobre 2010

Pirate de l'air en tube


Passer une frontière dans un aéroport devient de plus en plus amusant, à moins que l'on ne soit Rom ou en reconduction équivalente. Le portique et le tapis roulant ont des réactions aussi variables que les préposés à la sécurité. Leur sensibilité s'exerce selon des critères de seuil qui m'échappent et, selon les trajets, me font traverser les rayons sain et sauf, me déshabiller dans une cabine ou repartir à la case départ pour enregistrer mes bagages en soute plutôt que de me faire confisquer le couteau suisse que j'ai oublié de laisser à la maison. Il m'est arrivé d'avaler à toute vitesse le fond d'une bouteille d'eau minérale quand d'autres fois la simple ingestion du dangereux liquide m'était strictement interdite de peur que je devienne moi-même le récipient du produit incriminé, me transformant en bombe vivante. En revenant de Tarbes, j'appris que le jambon de Bayonne et la tome des Pyrénées apparaissent en orange sur l'écran policier. C'est joli, mais je n'ai jamais osé faire la photo des entrailles de ma valise. En Norvège, le tube de pâte de poisson légendaire dit communément Kaviar, scellé par son opercule en métal, ne passe pas, tandis que ma voisine transporte des aiguilles à tricoter dont la pointe effilée traverseraient la gorge du moindre pilote en un tour de poignet de mamie. Je me vois pourtant bien détourner l'avion de la SAS en braquant un tube de fromage épicé au japalenos sur la tempe de l'équipage. Peut-être me trompe-je de méthode ? Ne devrais-je pas plutôt menacer de tout avaler au risque de donner au pays une image déplorable de criminel alimentaire ? S'en servir comme matraque serait certainement une meilleure utilisation pour un commando de pirates... Je ne devrais pas me plaindre : l'officière aurait pu tout confisquer comme cela se fait le plus souvent chez nous, or elle nous a suggéré de retourner aller enregistrer nos bagages pour nous permettre d'exporter ces symboles scandinaves dans nos pays à la gastronomie, somme toute, plutôt conservatrice. Lorsque j'étais plus jeune, je détestais passer la douane. En revenant de Catalogne, je craignais toujours pour mes sublimes fuets, la charcuterie des charcuteries ! Je pense que je me sens surtout coupable de passer mes idées au nez et à la barbe des douaniers. Aucun portique n'est heureusement encore capable de déceler mes envies subversives à moins qu'elles ne soient gastronomiques.

P.S. : j'ai dû mal viser, mon oreille droite est toujours bouchée depuis le dernier atterrissage...

vendredi 8 octobre 2010

Norvège bip bip


Nous ne sommes pas venus en touristes, encore qu'habituellement je n'accepte de jouer à l'étranger que si j'ai autant de jours off que de travail. Comme les dernières représentations ont été des voyages éclairs, il ne nous reste que le shopping alimentaire pour prolonger le rêve. Nous faisons donc une razzia sur les tubes de poisson, les charcuteries d'élan et de cerf, le fromage de chèvre marron et le réglisse à toutes les sauces. Les restaurants de Trondheim servent très peu de cuisine locale. Il faut attendre le plantureux petit déjeuner pour goûter aux harengs marinés, saucisses fumées et pains aux graines. Sinon nous nous en sortons très bien entre Setchouan et Penjab en évitant le lapin pour ne vexer personne.


En arrivant au Dokkhuset qui longe le canal, nous sommes surpris de découvrir Frank Zappa, seule image dans la salle où nous allons faire jouer notre opéra. Son œil donnant l'impression de me suivre où que je me promène, je décide de poser devant lui avec le plus dissipé de notre clapier. Il ne suffisait pas du regard moral de mon géniteur, voilà que l'initiateur de mon récit s'y met aussi. C'est tout de même étrange pour un club de jazz d'accrocher le portrait de celui qui faisait malicieusement remarquer : "Jazz is not dead, it just smells funny! (le jazz n'est pas mort, mais il distille une drôle d'odeur)". Ce n'est pas grave ; si encore c'était des singes ou des éléphants, mais nos lapins ne swinguent pas une cacahuète. Cela n'empêche pas cette bande de blasés de récolter tous les suffrages.


La soirée avait bien commencé, le duo Cellulose ayant inauguré le premier tiers de l'exposition avec un didgeridoo et un dispositif digeridesque imaginé par Arnfinn à partir de Pure Data et d'une sorte de monstre à réinjection. La biennale pour l'art et la technologie Méta.morf semble avoir choisi des artistes plasticiens dont les œuvres sont sous-tendues par une véritable réflexion. Cela change de ce à quoi nous sommes habitués et qui en général me fait pester. Fish, Plant, Rack d'Andy Gracie met en scène un éco-système transparent, Henryk Menné postillonne une barbe à papa géante et jaune pour fabriquer 114L entre hasard et contrôle, les lignes de crête des montagnes de Michael Najjar suivent les cours de la Bourse, Erik Olofsen filme depuis son wagon avec une caméra à grande vitesse pour saisir l'instantané de chaque usager sur un quai du métro qui semble infini... Mais nous devons repartir en nous contentant du catalogue pour découvrir le reste de ce qui est présenté. Heureusement, juste avant nous, nous nous laissons bercer par les Waterbowls de Tomoko Sauvage, une Japonaise de Paris qui joue avec des gouttes d'eau dans de grands bols amplifiés grâce à des micros sous-marins. Ses hydrophones composent un très joli programme avec nos bestioles que nous découvrirons en seconde partie derrière le rideau de scène. Leur prochaine étape sera Augsburg en Allemagne, mais Antoine et moi sommes contents de rentrer à Paris après une succession d'aller et retours éreintants, mais ô combien délicieux.

jeudi 7 octobre 2010

La nuit tombe sur Trondheim


Le ciel est toujours plus haut dans les pays du nord. Mais la nuit tombe vite sur Trondheim. Les rues se vident. Le vent siffle. Des jeunes boivent de la bière aux terrasses sans dire un mot. La nature a choisi les couleurs de l'automne. Les Norvégiens s'y tiennent. Il y a des feuilles et de l'eau. Beaucoup de feuilles et beaucoup d'eau. Mais la vie est chère, un des plus hauts niveaux européens. On paye en couronnes. L'architecture moderne s'intègre parfaitement aux bâtiments anciens. Du bois, du métal, du verre et des briques rouges. Le design est un concept scandinave, en tout cas ce ne serait pas étonnant. On croit se comporter "à la française", mais nous ne sommes pas les seuls, d'autres traversent en dehors des clous sans attendre le feu rouge. Ce n'est pas la Suède. Le festival Meta.morf présente New Brave World!, biennale d'art et de technologie, composé d'expositions, de concerts, de conférences, d'ateliers et de contributions écrites rassemblées sous le titre Making Reality Really Real. Mais dans l'avion qui était déjà plein lorsque nous sommes montés je me suis demandé si les autres passagers étaient réels ou si j'étais passé de l'autre côté, comme dans ces films nordiques où le fantastique envahit le quotidien sans que l'on sache si les âmes finissent par errer à force de chercher la lumière.