70 Voyage - mai 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 26 mai 2015

Si la mer monte... (2)


Le bout de l'Île Tudy rendu aux piétons, les attractions s'enchaînaient sans que les badauds aient le temps de souffler. Alors imaginez les bénévoles sur qui repose le Festival Si la mer monte... ! Aujourd'hui ils doivent être sur les genoux... Loïc Toularastel avait installé des gradins dans sa roulotte transformée en plus petit cinéma du monde (L'Île Tudy se glorifie déjà de posséder la plus petite cabine de cinéma du monde, attestée par le Guiness Book !). La noce de Mimi et Erik l'inaugura, accompagnée par la fanfare de poche Tout Ut.


Plus loin je tournai des manivelles, appuyai sur des soufflets et fis glisser des balles dans le Bricophone. L'instrument, cousin du Gaffophone, est d'autant plus amusant qu'il permet de jouer à plusieurs...


De l'autre côté de la presqu'île, il n'y a qu'une trentaine de mètres à cet endroit entre l'est et l'ouest, Sylvain Julien jongle avec des cerceaux, se battant contre le vent qui s'est levé. Le public s'extasie devant tant de maestria. La fanfare de poche l'accompagne le matin tandis que l'après-midi c'est au tour du Peuple Étincelle.


Abbi Patrix a enfilé la peau de l'ours polaire pour ses contes nordiques. Linda Edsjö le seconde au vibraphone avant de chanter en duo avec Elsa Birgé des histoires d'amour biscornues. Le temps est superbe. Pris par le spectacle, je ne m'aperçois pas que je suis en train de griller au soleil.


Les Ours du Scorff sont égaux à eux-mêmes, fabuleux. Le public qui connaît leurs chansons bretonnes par chœur, leur répond d'une seule voix. Gigi Bourdin semble se réveiller d'une longue hibernation, plus zen tu meurs. Lors Jouin parsème d'intermèdes comiques son chant puissant qui l'a fait surnommé par certains le Nusrath du Centre Bretagne. Le violoniste Fanch Landreau, le guitariste Soïg Sibéril et le banjoïste Jacques Yves Réhault participent à la fête où les grands retrouvent leur âme de petits, et les enfants leurs rêves en kouign-amann.


La soirée se termine par un bal d'une exceptionnelle tenue musicale. Il est rare qu'un groupe engagé pour faire danser soit de cette qualité instrumentale. Pas de hasard, pour former Le Peuple Étincelle le saxophoniste François Corneloup, ici au soprano, a réunit Michael Geyre à l'accordéon, Fabrice Vieira à la guitare, Eric Duboscq à la basse et Fawzi Berger à la percussion. Prenez un guitar hero, un bassiste funky, un percussionniste flashy, un accordéoniste collectionneur de synthés vintage et un des meilleurs saxophonistes de jazz français, mettez tout cela dans un mixeur toutes danses confondues et vous verrez les pieds des danseurs s'envoler, les rondes se former, les corps se déhancher jusqu'à plus soif, allégorie inimaginable pour un Breton ! En clôture, l'orchestre fait monter sur scène le public pour chanter ensemble l'hymne de l'Île Tudy que Michèle Buirette, à qui nombreux participants ont rendu hommage pour ces magiques rencontres, a écrit et composé.


Avant que la fête commence j'avais juste eu le temps de piquer une tête dans l'océan. Elle était froide, certes. Mais que c'est bon et vivifiant ! Si j'ajoute les langoustines, les araignées de mer, les huîtres, les galettes de blé noir, le beurre salé, le cidre et le jus de pomme à l'éventail maritime, je ne suis pas prêt d'oublier cette septième édition d'un festival unique en son genre, où les scientifiques débattent du climat pendant que les musiciens s'ébattent en fiesta, où les artistes plasticiens exposent leurs vues tandis que les auteurs dédicacent leurs feuilles, où le sourire se porte à la boutonnière...

lundi 25 mai 2015

Si la mer monte... (1)


Le voyage était prévu de longue date pour assister au Festival. Pas de raz-de-marée cette année, ni de tsunami. La centaine de maisons récemment construites sur la dune en dessous du niveau de la mer n'ont pas été englouties par les vagues, mais leurs jours sont comptés. Depuis la tempête Xynthia les nouvelles constructions sont obligatoirement sur pilotis. La commune où 29 personnes ont péri en 2010 porte le nom de La-Faute-sur-Mer, cela ne s'invente pas. Comme l'Île Tudy redeviendra une île. Malgré la vanité des hommes, partout la nature peut reprendre ses droits.
La campagne est superbe, mais le sable glisse vers le large. Nous avons marché sur la grève jusqu'à Sainte-Marine, crêpe sur le port, retour en stop. Le barnum dressé sur le port de L'Île accueillait la première soirée du Festival Si la mer monte... Le cabaret est animé par l'humoriste Claudius Benaize (Anthony Sérazin) et le clown Agathe (Loïc Toularastel) dont les pitreries réussies abusent la salle qui parfois ne sait plus si c'est de l'andouille ou du cochon. Michèle Buirette a détourné quelques tubes à la manière des chansonniers. Pour l'anecdote, en cas de pastiche et sans accord particulier, les droits d'auteur reviennent intégralement aux auteurs originaux. Coquillages et crustacés. Comme le thème de cette septième édition du Festival est l'Arctique, Les ours sont entrés dans L'Île Tudy. Et la salle de reprendre en chœur l'hymne Si la mer monte... Linda Edsjö et Elsa Birgé chantent des airs danois, suédois et breton. Sur la cale 300 photographies de la banquise sont accrochées à la corde à linge.


La surprise vient de la fanfare de poche Tout Ut qui salue Elsa et François Corneloup (dont le quintet de bal Le Peuple Étincelle joue le lendemain) en adaptant ¡Vivan Las Utopias! pour leurs trois instruments en ut. Je n'en crois pas mes yeux (dont le droit rivé à la caméra de Françoise) ni mes oreilles. Les deux saxophonistes, Jean Aussanaire et Camille Sécheppet, et le tubiste Daniel Malavergne ignorent que j'ai écrit cette chanson avec Bernard Vitet pour Elsa lorsqu'elle avait onze ans. Je suis retourné. Je pense aussi à Bernard disparu il y a bientôt deux ans. Avec le temps, va, tout s'en va...

vendredi 22 mai 2015

Ta vinaigrette ?


Ventre affamé n'a pas d'oreilles. T'as vu une aigrette ? Pas qu'une ! C'était l'heure du déj et nous marchions depuis l'aile buirette qui nous avait indiqué le chemin de halage. Nous étions d'abord passés au Super U acheter des langoustines fraîches pour midi et une araignée pour le dîner sans compter quantité de conserves des Mouettes d'Arvor en cas de pénurie d'ici l'an prochain. La ballade part du port de Pont-L'abbé et suit la rivière jusqu'à Loctudy. Magie de la nature tranquille où les oiseaux sont rois. Nous avons rebroussé chemin un peu après le bout de la digue. Sans contrepet cette fois ? Le sous-bois respirait l'air du large que cachait le port de pêche.


Après avoir largement profité de la symphonie de la nature je me suis finalement décidé à l'enregistrer. Trop tard. Un avion, rare, un couple de vieux randonneurs, moins rare, un coup de vent, classique. J'ai rangé le magnéto et nous avons hâté le pas vers les crustacés. Comme l'eau de source rapportée soigneusement dans une bouteille, le goût des langoustines n'est plus le même hors du pays. Nous avons poussé avec une poêlée de salicornes.


La veille j'avais fixé l'horizon. Il me manquait. J'ai besoin de l'horizon, suffisamment large pour y déceler la courbure de la Terre, comme je revis devant la cime des plus hautes montagnes quand les nuages les escaladent à la Cap Canaveral. Les noms changent, mais ces espaces immémoriaux sont les mêmes depuis des siècles. Que dis-je des siècles ? Des millénaires ! Et encore, j'ignore le terme qui me renverrait à une époque préhistorique où les êtres vivants jouissaient de cette vue vertigineuse propre aux mêmes interrogations métaphysiques.

jeudi 14 mai 2015

Tunis, de la Medina à l'avenue Bourguiba


Tandis que les musiciens, artistes, techniciens et organisateurs du Chantier tunisien avec La Voix est Libre s'accordent, j'arpente la Medina. Avant que je parte humer l'atmosphère de Tunis, Fadia Dimerdji de Radio Nova m'a raconté mille anecdotes qui me permettent de mieux cerner l'histoire musicale et politique du Maghreb, même si j'ai du mal à retenir les noms arabes. Les touristes se faisant rares pour la saison, les commerçants se sont assagis. Entendre que je n'ai bu que trois thés à la menthe pendant mes emplettes ! Un panaché est un mélange de thé vert et noir.


À midi, devant un délicieux couscous au poisson bien relevé, je fais la connaissance d'un vieux tunisien de Gafsa, une ville plus au sud. Nous faisons un bout de chemin ensemble. La Medina est magnifique, labyrinthe de ruelles et de galeries couvertes où s'entassent quantité d'artisans. Pas de voiture, ça repose. La topographie suit les mutations historiques depuis le VIIIe siècle, les corporations et les classes sociales.


De temps en temps j'entre dans une impasse sans me rendre compte que je viens de pénétrer dans un espace privé difficilement identifiable puisque que partout il envahit la rue. Admirant les portes bleues à gros clous noirs je reconnais la couleur de notre escalier bagnoletais, Stairway to Heaven. Seulement, ici, les diables ont des roulettes. Il faut rapidement se pousser s'ils dévalent une rue en pente pas plus large que leur chargement. Depuis la terrasse de la Maison d'Orient j'enregistre les muezzins qui semblent se répondre d'un minaret à l'autre.


Fort de ses vingt-trois étages qui surplombent la ville, notre hôtel s'appelle Africa (tout un poème auquel l'Occident n'est pas étranger). Barrières, plots, escadrons de police empêchent son accès par automobile. Un pâté de maisons plus loin, ce sont carrément blindés et barbelés. Blaise Merlin me conseille de grimper sur le toit de l'immeuble pour jouir de la vue panoramique à 360°, mais probablement depuis l'attentat du Bardo il est interdit pour cause de proximité avec un bâtiment gouvernemental. Le réceptionniste n'ose pas nommer le Ministère de l'Intérieur, il chuchote. Le chef de la sécurité est plus explicite. Je comprends mieux le portique anti-métaux et les gorilles à l'entrée de l'hôtel. Coupée en son milieu, l'avenue Bourguiba est forcément plus calme, les photos depuis ma chambre renforçant une symétrie qui n'est que de façade. Évoquant la révolution de jasmin je sens parfois des résistances chez mes interlocuteurs qui semblent craindre de dévoiler leurs sympathies. Du point de vue touristique, à part une baisse stupide de fréquentation dont nous profitons, il n'y a évidemment pas plus à craindre qu'à Paris ou New York. Nous vivons partout dans un état policier "perpétuel" conçu pour inquiéter plutôt que rassurer. Différence de taille, la Tunisie sortant d'une dictature, une partie de sa jeunesse entend jouir de la révolution...