70 Voyage - juillet 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 29 juillet 2015

Angoisse de la répétition


J'ai toujours regretté les cas où je n'ai pas suivi mon instinct, mais il en est où je peste de ne pas trouver de solution satisfaisante à la question. Est-ce une appréhension, un pressentiment ou une angoisse ? J'ai essayé d'en parler à Françoise, mais je ne suis pas certain qu'elle ait compris le malaise qui me saisit lorsque je pense à ces vacances. Entre son opération à l'œil, qui nous empêchait jusqu'ici d'imaginer prendre l'avion ou aller à la montagne, et le travail qui devait m'occuper en juillet, et de toute évidence reporté à septembre, nous n'avions rien prévu. Voyager à l'étranger avec le chaton est une galère, et le laisser si jeune ne nous enchante guère. De toute manière nous évitons les destinations touristiques en période de vacances scolaires, de mousson et de moustiques. Ceux-ci m'adorent et ils ont infesté le sud. Retourner à Luchon semblait donc la solution la plus raisonnable, histoire de prendre l'air.
Or j'angoisse de reproduire une fois de plus les gestes des années passées. Nous embarquions le vieux Scotch dans la Kangoo pour un tour de France de deux mois passant par Saint-Étienne, La Ciotat, Marseille, Montpellier, Luchon, voire le Limousin. Cette fois nous descendrions directement dans les Pyrénées en nous arrêtant en chemin chez des copains, mais la perspective de revivre un tant soit peu l'an passé, au demeurant parfaitement agréable, m'étouffe. Savoir que nous mangerons de la truite mercredi et samedi midi en revenant du marché du fond de la vallée, de relever les mails depuis la Maison du Tourisme ces jours-là, de connaître mon emploi du temps là-haut quasiment heure après heure, dictées par le soleil, partagé entre la lecture, la contemplation, la projection de films et de rares randonnées, que mon entorse à peine remise n'encourage pas, me crispe les boyaux. J'ai fondamentalement besoin d'imaginer l'impensable. Je connais déjà le contenu des échanges avec le voisinage, les menus, les coups de froid dus à l'altitude, les flambées pour se réchauffer, et tutti quanti. De plus, j'ai un étrange pressentiment en ce qui concerne la route, et descendre en train est devenu une corvée depuis que la SNCF a scandaleusement supprimé la gare.
Françoise avait suggéré que nous restions à la maison pour profiter du jardin qui chaque été accueille les amis à qui nous la prêtons, mais l'air de la montagne n'est pas exportable. Devrais-je me forcer contre le pressentiment qui m'étreint ou remettre à l'automne quelque escapade dans des îles lointaines ? La répétition est un sentiment que je déteste, dans mon travail comme lors de mes loisirs. La diversité de mes œuvres et mon goût immodéré pour l'improvisation en atteste. Mais cet enjeu sportif n'est réussi qu'au prix d'une sévère organisation. N'échappant donc pas plus aux habitudes que quiconque, je les multiplie pour constituer une palette la plus variée possible, espérant toujours qu'une proposition alléchante vienne chambouler mon bel équilibre. Il ne nous reste plus que quelques jours pour décider du mois d'août, sachant que quelle que soit la décision je marquerai une pause salutaire en ce qui concerne ce blog. Car si j'ai tant de difficultés à trouver la solution à mes interrogations, elles découlent obligatoirement du manque de recul qu'une année sans vacances me laisse incapable de maîtriser.

lundi 6 juillet 2015

Prélude et fugue (une autre Odyssée)


Que celles et ceux que les histoires de chat énervent passent leur chemin ! En l'appelant Ulysse je savais qu'il allait nous en faire baver des ronds de chapeau. Téméraire comme pas deux, pas froussard pour un sou, trop confiant, le chaton a tout de l'aventurier. Il a l'art de trouver des cachettes incroyables, des trous de souris qui rapetissent de semaine en semaine. À deux mois il grimpait à la cime des arbres. À trois mois et demi il ne rêve que de faire le mur et il a suffi que j'ai le dos tourné pour qu'il se fasse la malle pour de bon. Il y a quelques jours je lui ai mis un collier avec son adresse et mon téléphone, le vétérinaire l'a pucé, mais nous ne pouvons tout de même pas l'empêcher de sortir en construisant un rempart infranchissable avec des miradors. Conclusion, je suis inquiet au point de ne pouvoir penser à rien d'autre que de le retrouver. Lupin et Scat, eux-mêmes des fugueurs, sont toujours revenus, mais Ulysse est vraiment très jeune pour ce genre de sport. Avec ses premières chaleurs, Guézi, que j'avais en garde, était réapparue au bout de six jours. J'espère seulement que le chaton retrouvera son chemin ou que quelqu'un de bien intentionné nous le renverra rapidement.
Comme je ne voulais pas continuer à tourner en rond à la maison je suis allé porter le compost au jardin partagé. Sur le chemin une femme s'est mise à crier "Pénélope !", je me suis retourné comme si c'était pour moi. Elle m'a souri. Hébété, je me suis demandé si j'avais bien entendu. Elle a répété "Pénélope !" en me regardant comme si nous nous connaissions, jusqu'à ce que sa fille déboule en trottinette. J'avais rencontré cette jeune demoiselle plus tôt dans l'après-midi accompagnée d'une copine sur un engin du même type et je leur avais demandé si elles avaient aperçu mon fugueur. Je me suis retenu d'aller dire à cette dame que s'il y avait bien un rôle que je ne voulais pas endosser, c'était bien celui-là. Pas question d'attendre vingt ans que le monstre revienne !
J'ai continué à marcher en sifflant et en faisant claquer ma langue. D'habitude ça marche, Ulysse rapplique aussitôt, mais Elsa me raconte que lorsqu'un chat renifle un chemin il n'a plus d'oreilles. J'ai fait couiner sa souris en tissu sans plus de succès. Il faisait horriblement chaud. En sortant de la douche je continuai malgré tout à appeler son nom depuis la fenêtre du premier étage quand je crus entendre un miaulement. En fait son cri ne ressemble à un miaou que depuis ce matin. Je suis descendu en peignoir dans la rue à grandes enjambées, mais il n'y avait pas âme qui vive. Comme je rentrais j'ai entendu des bruits de feuillages au dessus du plus haut mur. Le minet a dévalé le tronc du tamaris en deux temps trois mouvements. L'inquiétude a fait place à l'assurance : il peut ficher le camp, il sait revenir. Je vais pouvoir profiter de la soirée après un après-midi maudit à rejouer l'Odyssée.
P.S.: le lendemain soir nous avons fêté la victoire du non en Grèce avec Ulysse 😽 il sera donc du voyage !