On croit souvent que "l'herbe est toujours plus verte ailleurs". Ainsi ces coquelicots d'un bel orangé s'entêtent à pousser de l'autre côté de la barrière, au dessus d'un à-pic. Trait d'union entre des mondes à la fois si proches et si loin. Ces fleurs se tournent évidemment vers le sud. Comment leur reprocher ? Le mois dernier je me suis exposé comme elles, là, au soleil, il était cinq heures du soir et mon front est devenu rouge, jusqu'à peler. De ce promontoire nous plongeons sur la Loire. Je vois passer un bateau à roue. J'entends le bac faire des va-et-vient entre Indret et Basse-Indre. Il s'appelle Lola. Nantes doit bien cela au frère Jacques. "Celle qui dit v'la l'bateau, v'la l'samedi, v'la des matelots, on va tourner, on va danser, on va flirter sans y penser, on va rire et virevolter..." Je dors deux fois plus longtemps qu'à Paris. J'étais descendu à trois heures par nuit. La sieste pourrait rétablir l'équilibre, mais elle ne dure jamais plus de dix minutes. Chaque fois que je ferme les yeux le téléphone sonne, comme si mes paupières faisaient contact. Il y a longtemps que je sais que mon herbe n'est ni plus verte ni meilleure qu'ailleurs, mais c'est la mienne, celle qui m'est offerte au moment présent. La chance ne m'a jamais quitté si l'on tient compte de la patience. C'est sur la longueur qu'on évalue le bonheur. Si je tourne en rond, j'imagine que c'est pour mieux prendre la tangente. Ronger son frein. L'ailleurs n'est pas affaire d'espace mais de temps. J'ignore si l'herbe y est plus verte, mais les fleurs sauvages y font tour de magie.


Je pensais avoir terminé sur ce mot prometteur lorsque j'ai entendu quelqu'un frapper à ma fenêtre. Plusieurs coups répétés. Me retournant, j'ai reconnu l'oiseau. La pie, ou ce qu'elle incarnait, me regardait à travers la vitre de son œil narquois de petite voleuse. Je lui ai suggéré de prendre la pose. Lorsqu'elle s'est envolée, j'ai senti comme une page tourner. Elle ne pouvait emporter tout ce qui brille, ni l'or, ni le soleil, et encore moins mes rêves.