70 Expositions - août 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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dimanche 13 août 2006

Dans les labyrinthes de l'art moderne


Paris pétille sous la pluie comme un cachet effervescent. C'est un temps de Bretagne, mais la pêche à la crevette semble ici définitivement inadaptée. Il reste heureusement les musées, ouverts le dimanche, fermés le mardi. Hier, nous sommes donc allés au Centre Pompidou voir l'exposition David Smith (jusqu'au 21 août). Je me suis encore fait engueulé parce que je prenais une photo pour illustrer mon blog.
Les scénographies des expos prennent de plus en plus le pas sur les œuvres. En France, la mise en espace, longtemps négligée, fait pourtant ressortir leur plastique, mais c'est au détriment du sens. Encore une fois, les conservateurs semblent dépassés par cette approche néo-spectaculaire, puisqu'ils confient au scénographe le soin de mettre le travail en valeur, sans contrôler réellement ce que cela va impliquer sémiographiquement. La catastrophe devient évidente lorsqu'ils abordent quoi que ce soit en rapport avec les nouvelles technologies. L'art vidé(o) de sa substance n'en est trop souvent qu'un terrible exemple d'inculture. Les repères ont changé. Le bricolage enseigné dans les écoles des beaux-arts ne remplace pas un siècle de culture audiovisuelle. Nous reviendrons plus tard tant sur le rôle du metteur en espace que sur les formes d'expression artistique émergeant un peu partout sous la patte des jeunes créateurs. Mais ici et là, en deçà des raisons qui les fait agir, manque la pâte, le geste, la physique des corps. Si l'art est aujourd'hui si souvent vide de sens, l'urgence ne semblant hélas pas de saison, il est tout autant désincarné. Même si ce n'est pas ma tasse d'été, les grapheurs de la rue, à l'instar des rappeurs des cités, allient cette nécessité avec un engagement physique qui fait majoritairement défaut aux étudiants proprets des Beaux-arts.
Avec le sculpteur David Smith (1933-1964) dont la vie s'est arrêtée brutalement en crash automobile, on est servi pour l'engagement du corps. Le fer et l'acier qu'il martèle, qu'il découpe, qu'il soude ou qu'il grave vibrent sous sa force et son engagement. La salle rectangulaire ressemble à un labyrinthe, malgré ses allées rectilignes et ses podiums à peine visibles. On embrasse toute son œuvre d'un coup d'œil, dans sa diversité, sans être gêné pour se concentrer sur telle ou telle sculpture.
Passons sur la peinture, bigote bien qu'il s'en défende, du peintre abstrait Alfred Manessier (1911-1993, mort également d'un accident de la route), exposé au quatrième étage, c'est d'une platitude que seule la foi prudente peut susciter, que ce soit pour Dieu, la nature ou les injustices de ce bas monde.
Non, il vaut mieux retourner de toute urgence ou courir voir et entendre Voyage(s) en utopie (JLG, 1946-2006 - À la recherche du théorème perdu), la formidable et injustement boycottée exposition critique de Jean-Luc Godard qui se termine demain lundi. FONCEZ-Y ! Pour une fois qu'une installation fait sens ! Tandis que Françoise filme les écrans, la rue rentre brutalement dans l'aquarium uniformisé du Centre Pompidou. À la foule saisie par Godard, se mêle celle de la rue du Renard. Une grosse femme s'accroupit pour pisser à côté des plantes vertes agglutinées de notre côté de la vitrine. Derrière le mur de verre opposé, vers la place, les tentes des SDF forment campement, abritées des passants par des palissades, mais intégrées à la lecture que Godard réalise de notre monde. Son chantier éphémère fait écho au monde qui bouge et toute cette cruauté lui répond à son tour. L'exposition JLG est définitivement ancrée dans le réel, par le biais de fictions qui doivent beaucoup au réalisme poétique, n'en déplaise aux puristes de tous bords. Un bel éphèbe sort de sa tente avec entre les mains de tout petits chiots noirs... Rebel without a cause s'est traduit La fureur de vivre.
Après une halte pour acheter masques et tubas, ce n'est pas qu'il pleuve tant, mais changer de latitude semble être devenue une sage résolution, nous avons terminé notre périple à l'Atelier Brancusi, reconstitué par l'État sur la place devant le Centre Pompidou, condition sine qua non pour le legs du sculpteur. Il y a quelque chose qui vibre là parce que les outils sont pendus le long du mur et qu'ils partagent l'espace avec ce qu'ils ont permis de créer. Alta (White), la petite installation de James Turrell y est horriblement décevante. Affamés, nous terminons au restaurant chinois de la rue au Maire, histoire de faire un saut vers la vraie Chine, cuisine populaire éclairée crûment au néon, sans chichi, avec seulement l'effervescence de la ruche, tandis que dehors il pleut de plus belle.

vendredi 11 août 2006

L'être et le néon


Profitant d'un moment d'inattention d'un gardien, je photographie l'exposition Dan Flavin au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, réouvert après de longs travaux. Juste revanche après l'accueil toujours aussi désagréable de la caissière et tant il est anormal que les musées de la Ville de Paris n'offrent pas la gratuité aux chômeurs comme le font les nationaux. L'entrée aux expositions temporaires est prohibitive, alors que le Musée lui-même, situé au sous-sol, est gratuit pour tous les visiteurs sans exception. Il y a probablement une logique qui m'échappe...
Dan Flavin est l'un des fondateurs de l'art minimal américain. Son œuvre est essentiellement constituée d'installations composées de tubes fluorescents. La grille d'angle intitulée sans titre (in honor of harold Joachim) est faite de six tubes verticaux de lumière froide bleus et verts tournés vers le mur et de six tubes horizontaux aux couleurs chaudes, roses et jaunes, diffusant vers l'avant. La dimension généreuse du parcours, salle après salle, profite à cette rétrospective. Je ne pense pas pouvoir être touché par les pièces individuellement, mais l'ensemble est agréable et reposant. Cela n'empêche pas tous les gardiens de porter des lunettes noires pour se protéger de la lumière agressive des tubes. Pourtant, il est envoûtant de se promener parmi les couleurs, de se laisser porter...
Je préfère évidemment le travail beaucoup plus magique de James Turrell qui sculptera à son tour la lumière, mais je n'ai pas eu la chance de voir grand chose depuis sa vertigineuse rétrospective au Musée des Arts Appliqués de Vienne en Autriche il y a huit ans. Chez Turrell, on ne sait pas d'où vient la lumière, c'est une énigme. Ce mystère produit en nous un flottement, particulièrement lorsqu'il joue des effets de rémanence comme dans Wide Out ou qu'il nous plonge dans l'obscurité.
Pour Dan Flavin, tout est simple, le matériau comme sa disposition. Sur l'un des murs de l'exposition, est recopiée une citation de l'artiste où il affirme qu'il préfère réfléchir que travailler. L'être et le néon sont pourtant ici intimement liés.

dimanche 6 août 2006

Le musée colonial du quai Branly


Le musée du quai Branly s'admire d'abord du quai lui-même. Le jardin vertical de Patrick Blanc orne la seule façade qui ne soit pas de verre, les plantes poussant dans des poches de feutre sans apport d'aucune terre. À sa gauche, l'extérieur ressemble à la Fondation Cartier, un très haut mur de verre abritant le jardin "naturel", théâtre de verdure conçu par Gilles Clément pour qui Raymond (Sarti) avait réalisé Le jardin planétaire à la Grande Halle de la Villette. Le bâtiment, dessiné par l'architecte Jean Nouvel, est un somptueux et malicieux écrin qui n'attendait plus que les "bijoux" offerts en pâture aux visiteurs...
Si l'architecture est formidablement réussie, la circulation dans les galeries intelligente et tortueuse favorisant une certaine intimité, la décoration chaleureuse et confortable et la lumière sombre et douce mettant en valeur les œuvres exposées, on ne peut en dire autant du sens de la démarche. Ce musée qui présente des formes artistiques d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et d’Amérique, préserve avant tout l'esprit colonial. Le décor est formidable, mais, coupés de leur sens, les objets, plus merveilleux les uns que les autres, sont réduits au statut de belles images. La scénographie ne réfléchit absolument pas la dimension ethnologique qu'on est en droit d'espérer. L'ethnographie y deviendrait-elle une trahison de l'ethnologie ? Une impression de vol honteux se dégage de la contemplation de tous ces trésors.
Le 20 juillet dernier, Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture et du tourisme du Mali, a publié dans les pages Rebonds de Libération un remarquable article intitulé Quai Branly, musée des oubliés : "Nos œuvres ont droit de cité là où nous sommes, dans l'ensemble, interdits de séjour... Les œuvres célébrées appartiennent avant tout aux peuples refoulés par la loi Sarkozy."
Malgré toutes ces réserves, le musée mérite la visite, et plus d'une fois tant les objets font rêver. C'est un des plus agréables à arpenter, y compris la galerie multimédia, c'est tout dire ! Je dois avouer que j'ai participé, très humblement, à l'ensemble des bornes interactives disséminées dans tous les espaces en en réalisant, pour Riff, le sobre habillage sonore. La réserve d'instruments de musique, sur plusieurs niveaux, m'a évidemment attiré, mais il est si dommage qu'ils ne soient jamais à portée de mains. Les musées resteront toujours des endroits morbides...