70 Musique - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 18 mars 2024

CODEX sur Bad Alchemy #123


Article de Rigobert Dittmann traduit de l'allemand tant bien que mal par mes soins !
Après le violoniste Mathias Lévy dans Apéro Labo 1, la suite intitulée Codex (digital) accueillera le 18 février au studio GRRR MAËLLE DESBROSSES à l'alto, voix, appeaux & percussions, qui, elle-même membre des trios Suzanne et Ignatius et tête pensante de Maëlle et les Garçons, a joué et enregistré "Les Démons Familiers" de Lévy. On retrouve également FANNY METEIER au tuba et à la voix, la partenaire de Desbrosses dans le duo Météore ; elle avait déjà réalisé "Raves" avec JJB sur la base des 'Oblique Strategies'. JJB a rédigé son portrait pour Citizen Jazz dans le cadre de la Journée Internationale des Femmes et suggéré des tableaux de Paul Klee, Kandinsky ou des Delaunay comme partitions idéales pour son tuba. Mais ici, c'est le "Codex Seraphinianus" qui sert de base, l'encyclopédie de choses imaginaires de l'artiste, illustrateur et designer romain Luigi Serafini, publiée en 1981 et saluée comme "le livre le plus étrange du monde". Ce mélange détonnant du manuscrit de Voynich, de Bosch, de Borges et des Monty Python est un assemblage parfait pour alimenter et défier l'imagination. Ainsi, dans une spontanéité improthéâtrale, les trois musiciens se sont essayés à mettre en musique l'étonnant et l'incompréhensible d’après 7 illustrations choisies par le public - un véhicule-mouche qui se désagrège, un étrange jeu d'amour et de crocodiles, une écriture énigmatique, des poissons-robinet, des fleurs imaginaires, un numéro de cirque fantastique, des œufs surréalistes. Le fait que JJB ait pour cela élargi sa panoplie de jouets - clavier, Enner, Terra et Tenori-on - Le fait que l'artiste ait prêté une arbalète en laiton et plexiglas à Desbrosses, ajoutant flûte, criquet, triangle, chuchoteur, trompette à anche ne doit pas étonner. Même si l'image et le son restent droits dans leurs bottes, la recherche d'analogies sonores par des gestes, pincements, tintements, pinceaux et même en utilisant la bouche, donne à cette peinture électroacoustique de ce dimanche, à ce soundscaping miraculeux, un attrait ludique et une note extra curieuse. Le fait que JJB admire des femmes comme la compositrice Gloria Coates (1933-2023), mais surtout Hector Berlioz en tant que lien entre Rameau et Varèse, est plus qu'une simple note en bas de page. Il déclare même que ses poèmes symphoniques, ses symphonies à programme et surtout son mélologue "Lélio ou Le retour à la vie" (une mosaïque d'autocitations et un traité autofictionnel qui a révolutionné l'histoire de la musique) sont les précurseurs de sa 'musique à propos'. Et j'ai l'impression que la définition d'A.C. Danto de l'art comme 'rêves éveillés' et son 'aboutness' comme 'à-propos-de' sont sortis d'un des œufs de Serafini.

jeudi 14 mars 2024

Lélio, seconde partie de la Symphonie Fantastique


Je suis absolument enchanté d'écouter enfin une autre version de Lélio ou "le retour à la vie" que celle de Pierre Boulez avec Jean-Louis Barrault comme récitant. Il est tout à fait étonnant que cette seconde partie qui fait suite à la Symphonie Fantastique soit relativement méconnue. Hector Berlioz écrit que l’œuvre « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément. » Ce mélologue ou "monodrame lyrique pour récitant, solistes, chœurs et orchestre" a toujours figuré pour moi les prémisses du théâtre musical moderne. Il anticipe aussi la mode de l'autofiction : la musique sauve le compositeur du suicide après une nouvelle rupture amoureuse ; après l'actrice irlandaise Harriet Smithson qui lui inspire la symphonie et qu'il épousera plus tard, il se fait plaquer par Marie-Félicité-Denise Moke qui se mariera à Camille Pleyel. L'excès d'opium crée ainsi des visions terrifiantes, mais le réveil lui dicte une méditation sur Shakespeare. Le narrateur y incarne Berlioz lui-même, auteur d'un texte rageur réglant ses comptes avec la critique. Il revient sur son œuvre, se citant musicalement, scénographiant l'orchestre hors-champ avant que ne s'ouvre le rideau, allant jusqu'à donner d'astucieux conseils aux exécutants ! S'il emprunte le chœur d'hommes à la cantate La mort de Cléopâtre, la "harpe éolienne" à La mort d'Orphée, on retrouvait déjà dans la Symphonie Fantastique la cantate Herminie, la Scène aux champs et la Marche au supplice présents dans l'opéra inachevé Les francs-juges. Comme une sorte de jubilé moderne il rassemble une mélodie accompagnée au piano, des chœurs, un "chant de bonheur" pour ténor et harpe, une fantaisie avec chœurs et deux pianos à quatre mains ! Son concept de l'idée fixe fonctionne parfaitement avec sa colère. La mise en scène donne son unité à cette mosaïque de pièces musicales. On peut comprendre que Lélio soit rarement représenté comme il le devrait. Ici, peut-être plus qu'ailleurs, l'œuvre apparaît celle d'un visionnaire.
J'ai un grand attachement à Berlioz pour plusieurs raisons. J'entends les poèmes symphoniques ou ses symphonies à programme comme des antécédents à ma "musique à propos". Flûtiste et guitariste, c'est un compositeur quasi autodidacte qui devra produire lui-même ses spectacles, et réinventer l'orchestre en intégrant l'instrumentation et l'orchestration dans la composition (son Traité est un modèle qui révolutionna l'histoire de la musique). Il incarne pour moi le maillon entre Rameau et Varèse.
La version dirigée par Jean Martinon est plus fine que celle de Boulez. Jean Topart en fait moins que Barrault, il est moins exalté, mais j'aime bien les deux, Barrault correspondant bien aux exagérations romantiques de Berlioz.

samedi 9 mars 2024

Apéro Labo : Météore rencontre Birgé (Citizen Jazz)


Jean-Jacques Birgé, Fanny Meteier et Maëlle Desbrosses

Laboratoire musical le plus cool du monde.

Ne prévoyez pas d’aller chez le coiffeur avant un concert d’Apéro Labo chez Jean-Jacques Birgé. Vous risquez d’en sortir ébouriffé. Et oui, parfois la musique passe avant l’allure et les standards trépassent devant tant d’inventivité.

L’invitation ludique et poétique, un brin loufoque indiquait :
« La liberté de l’indépendance pour le plaisir des sens
Concert dans un lieu mythique
Excellentes conditions acoustiques
Délicieuses provisions de bouche
Nos compositions instantanées sont enregistrées en votre présence
Qualité disque »


Tout un programme. Cela n’est pas peu de l’écrire…
Cet évènement qui s’est déroulé par un dimanche endormi de pluie du 18 février dernier, était bien plus qu’un simple programme. Jean-Jacques Birgé recevait en polymathe flegmatique, vêtu d’une combinaison orange tonique, comme tout droit sorti d’une prison où il serait interdit… de ne rien toucher !
Cet homme de l’art, des arts et des sons pleins de surprises, invitait Maëlle Desbrosses à l’alto et Fanny Meteier au tuba. Ce binôme espiègle de musiciennes forme le duo Météore, qui se produira par ailleurs le 2 mai 2024 prochain à l’Atelier du Plateau à Paris.

Le maître mot du maître de maison : « C’est moins que se rencontrer pour jouer que jouer pour se rencontrer ».

Cet Apéro Labo # 2, performance unique et singulière, atypique et follement expérimentale s’est déroulée autour de pages tirées, par quelques mains sollicitées au hasard, du Codex Seraphinianus, un codex écrit vers la fin des années 1970 par Luigi Serafini, auteur de cet ouvrage rédigé en une écriture non déchiffrée et indéchiffrable et illustrée de planches toutes plus fascinantes les unes que les autres.


Les improvisations de ce trio d’un jour se sont ouvertes sur la page des fourmis ailées, puis, une sur planche présentant un étrange jeu d’amour et de crocodile, en passant par des fleurs imaginaires, des œufs surréalistes, des robinets à poissons…

Comment décrire ces images en musique ?
« Ma recherche musicale et ma musique tendent un peu à faire du cinéma pour les aveugles » souffle Jean-Jacques Birgé. On a le plaisir d’assister à une inénarrable envolée de rythmes, de sons et autres onomatopées où toutes sortes d’instruments et d’objets sonores se sont prêtés à une polyphonie, atonale et atemporelle : terra, crécelle, triangle, pomme musicale, hygiaphone, trompette à anche, jusqu’au violon arbalète, instrument hybride et unique… La console de son et les claviers apportent leur rythmes, leur résonances et leur couleurs sous l’oreille avisée et hautement imprévisible de Jean-Jacques Birgé.

L’alto de Maëlle Desbrosses au jeu riche et varié, se laisse même caresser le dos par son archet et chatouiller ses angles. L’embouchure de Fanny Meteier va titiller le pavillon du tuba qui glougloute, soupire, répond, s’afflige, et se laisse explorer de mille façons par la fantaisie de son interprète.

On reste médusé devant leur infatigable curiosité pour les sons et leur exploration. En deux mots, il n’en restera qu’un : encore !

par Vanessa Paparella // Publié le 8 mars 2024

P.-S. : Codex, l'enregistrement du concert sur Bandcamp

vendredi 8 mars 2024

Fanny Meteier, la Marianne 2024 du jazz


J'attendais que Citizen Jazz mette en ligne mon article KUNG FU TUBA sur Fanny Meteier que le magazine en ligne m'a commandé, portrait de la jeune tubiste choisie pour représenter la France lors de cet International Women's Day. Comme il serait indélicat de leur couper l'herbe sous le pied en le reproduisant ici avant eux et que nous sommes le 8 mars, je vous renvoie aux sept autres sites européens qui l'ont traduit. Oui, je sais bien qu'un jour sur 366 pour fêter les femmes (cette année est bissextile), c'est un peu has been (là, pas très bissex). Mon texte est donc aussi en français sur JazzMania (Belgique) et traduit dans six autres langues sur Jazz'halo (Belgique), London Jazz News (Grande-Bretagne), Jazz-Fun (Allemagne), Giornale della musica (Italie), In&Out Jazz (Espagne) et Donos Kulturalny (Pologne). Même chose pour les belles photographies d'Aurore Fouchez ou France Paquay qui l'illustrent... Ainsi ai-je opté pour une autre photo que j'aime beaucoup. JJGFREE l'a prise lors du concert que nous avons partagé avec Fanny, Maëlle Desbrosses et moi-m'aime le 18 février dernier au Studio GRRR. L'album, inspiré par l'ouvrage de Luigi Serafini, s'intitule Codex.
Mais Fanny Meteier n'est pas toute seule ce 8 mars. Dans le cadre de ces Giant Steps : Women to the Fore IWD#2024 elle partage l'affiche avec sept autres musiciennes, chacune sélectionnée par son propre pays : les saxophonistes Alejandra Borzyk, Matylda Gerber, Asha Parkinson, la batteuse Evita Polidoro, la chanteuse Miriam Ast et la contrebassiste Alejandra López.


Lorsque vous pourrez lire mon texte, comme les sept autres, sur Citizen Jazz, il sera probablement accompagné d'un petit article rédigé par Vanessa Paparella, dans le même numéro, concernant le concert qui a donné naissance à l'album Codex ! Mais j'ignore si KUNG FU TUBA sera mis en ligne aujourd'hui, jour commémoratif de la portion congrue accordée à la gente féminine ou lundi, jour de parution de chaque nouveau numéro de l'excellent et incontournable magazine. J'ajoute que le nombre de musiciennes jouant d'absolument tous les instruments possibles et imaginables ne fait qu'augmenter de jour en jour, qu'elles y développent des voix personnelles, que la création artistique s'en porte d'autant mieux et que Citizen Jazz n'a pas attendu ce jour pour les glorifier.

P.S.: À 14h pétantes, Citizen Jazz mettait en ligne le dossier Fanny Meteier ! À commencer, par mon article intitulé KUNG FU TUBA. Mais également le compte-rendu de notre Apéro Labo, concert avec l'album Codex à la clef, et mes parties de campagne avec le CD Pique-nique au labo 3...

jeudi 7 mars 2024

Bernard Vitet trompette dans Jazz magazine


Une photo de Bernard imberbe que je ne connaissais pas illustre l'article de Stéphane Ollivier dans le numéro spécial TROMPETTE de mars 2024 de Jazz Magazine. Il fait partie du chapitre "Hard-bop, avant-garde, évolution & révolution".

Bernard Vitet
1934-2013
Styliste élégant aux phrases magnifiquement équilibrées mais surtout grand aventurier de la musique sous toutes ses formes, Bernard Vitet, en quête toujours de nouveaux espaces et moyens d’expression, aura été de toutes les métamorphoses du jazz français. Abandonnant peu à peu le bebop des clubs pour le free jazz naissant et les séances de requin de studio (Bardot, Gainsbourg) au profit d’artistes plus marginaux (Brigitte Fontaine, Colette Magny), Vitet participera successivement et simultanément aux hybridations du jazz avec la musique contemporaine (avec Parmegiani, Aperghis et pour son propre compte dans son disque culte “La Guêpe”), la musique improvisée la plus radicale (au sein notamment du Unit de Michel Portal), jusqu’à prendre définitivement la tangente en 1976 en créant avec Jean-Jacques Birgé et Francis Gorgé, Un Drame Musical Instantané. Au sein de ce petit laboratoire ludique ce grand inventeur de forme (et d’instruments !) trouva finalement l’espace idéal où donner libre cours à ses plus géniales fantaisies.

3 DISQUES ESSENTIELS
François Tusques Free Jazz IN SITU, 1965
Bernard Vitet : La Guêpe FUTURA, 1971
Un Drame Musical Instantané : Machiavel GRRR, 1998
3 SOLOS CULTES
Trop d’adrénaline nuit Un Drame Musical Instantané : Trop d’adrénaline nuit GRRR, 1977
No No But It May Be Michel Portal Unit : Châteauvallon 1972 EMARCY 2003
Le silence éternel des espaces infinis m’effraie Un Drame Musical Instantané : Mehr Licht GRRR, on line 2012 / Tchak ! à paraître sur Klanggalerie

mercredi 6 mars 2024

Gloria Coates, compositrice américaine


Le DJ saturait les enceintes. Ma tête ressemblait à une citrouille. Je suis descendu dans le jardin rejoindre les fumeurs, quitte à attraper la crève. [...] Au clair de lune, devant les bambous, je rencontre Alex qui partage mon goût pour Ives, Ligeti, Scelsi et quelques autres atypiques... En rupture d'avec ses études classiques il a plongé dans la composition instinctive. Ma démarche aboutit au même point, mais en passant par le terrain ! Dans la conversation il évoque une compositrice américaine dont il est fan et dont je n'ai jamais entendu parler, Gloria Coates.


Née en 1938 dans le Wisconsin, vivant aujourd'hui à Munich [depuis cet article du 9 mai 2012, Gloria Coates y est décédée le 19 août 2023 à 89 ans], elle affectionne particulièrement les glissandi chers à Penderecki (première période) et Xenakis, les timbales venant souvent donner du gras aux cordes. Sa musique n'a pas la froideur des férus de mathématiques. Les sentiments dramatiques flottent au-dessus d'un océan lugubre. Les pièces pour orchestre, à la fois minimalistes et aux textures insaisissables, conviennent particulièrement à sa critique du monde. Gloria Coates joue des dissonances, quarts de ton, canons et palindromes sans ne jamais négliger de susciter de fortes émotions. On pense au Hongrois et à l'Italien évoqués plus haut ainsi qu'aux Américains qu'elle se charge de faire connaître en Allemagne. À son actif, quinze symphonies, neuf quatuors, des pièces vocales et chorales, de la musique électronique, quantité d'autres alliages et les tableaux qui ornent ses pochettes. Je me suis fié à mon interlocuteur et j'ai commandé tout ce qui était disponible. S'annonce un festival Coates en ma demeure.

jeudi 29 février 2024

L'album Codex est en ligne !


Rentré lundi soir de Lisbonne, impatient, j'ai filé le lendemain matin aux aurores mixer l'album CODEX enregistré en public au Studio GRRR le 18 février dernier avec l'altiste Maëlle Desbrosses et la tubiste Fanny Meteier (duo Météore que vous pourrez retrouver le 2 mai à l'Atelier du Plateau). J'avais demandé aux premiers arrivés, invités à assister à ce second APÉRO LABO, de choisir une page du Codex Seraphinianus de Luigi Serafini afin que nous nous en inspirions pour les compositions instantanées, que d'autres appelleraient improvisations, que nous avions choisies de présenter ce dimanche pluvieux. Je laissai l'ouvrage à disposition de chacun/e pour s'en délecter avant et après le concert, mais lors de notre prestation nous montrâmes simplement chaque page choisie avant de l'interpréter librement. Ces images sont reproduites en tout petit en regard de chacune des sept pièces sur le site drame.org où l'album est en écoute et téléchargement gratuits et sur Bandcamp.


En dehors de l'émotion musicale générée par mes camarades de jeu ces apéros labos créent une convivialité que les salles de spectacle n'offrent pas. De plus, cet échange plein de tendresse et d'humour participe à cette émotion partagée. L'apéro qui suit prolonge ce plaisir de la rencontre. J'avais préparé des mets végétariens pour convenir à l'une des deux musiciennes, feuilles de vigne farcies, houmous, dattes, figues sèches, loukoums, plus quelques mets apportés par mes invités, et de bonnes bouteilles pour arroser tout cela.


Fanny plongea la tête dans le pavillon de son instrument et retrouva dans mon instrumentarium le Gédéon de son enfance, tandis que Maëlle échangea son violon alto pour l'arbalète en laiton et plexiglas construite par Bernard Vitet et Raoul de Pesters ; elle m'emprunta également un Venova, sorte de saxophone en plastique, ainsi que percussions et appeaux. On l'entend même chanter dans la cinquième pièce. Je me contentai de mon clavier américain, de trois instruments russes (Terra, Enner, Cosmos), du Tenori-on japonais, d'un mégaphone allemand, d'instruments à vent et de percussions rapportés d'un peu partout sur la planète. J'en avais trop sortis comme d'habitude, les pages choisies ne convenant pas du tout à ce que j'avais espéré jouer, mais l'esprit d'à propos dirigeait cette joyeuse session, la complicité avec mes deux invitées nous entraînant au delà de ce que nous avions imaginé !

La photo en couleurs est de Michel Le Bastard, celle en noir et blanc de JJGFree, merci à eux et aux autres photographes, puisque contrairement à ce qui se pratique aujourd'hui dans les théâtres, les photos sont autorisées puisque nous sommes entre amis et que leur discrétion est à la hauteur de leur écoute !

lundi 19 février 2024

Puissance de feu de l'orchestre


Ces derniers temps j'ai assisté à la Philharmonie à deux concerts exceptionnels à plus d'un titre, d'abord parce que ce sont des œuvres symphoniques rarement représentées à cause de leur dispositif ou du nombre d'interprètes requis. Il s'agissait de l'opéra Die Soldaten (1965) de Bernd Alois Zimmermann et de Kraft de Magnus Lindberg.
En 1977 j'avais eu la chance d'assister à l'Opéra Garnier à une version réduite des Soldats dirigée par Pierre Boulez, "symphonie vocale" pour six chanteurs et orchestre n'exigeant pas les seize chanteurs, les dix voix parlées et les cent instrumentistes, les écrans de projection et les dix groupes de haut-parleurs... La représentation du 28 janvier dernier par le Gürzenich-Orchester Köln dirigée par François-Xavier Roth bénéficiait d'une mise en espace sobre, mais parfaitement adaptée, de Calixto Bieito. À un moment les sons électroacoustiques nous entourent jusque sur les balcons. Cette œuvre monstrueuse m'apparaît comme marquer la fin du règne du strict dodécaphonisme. Zimmermann assume totalement le passé, mais il a déjà un pied dans le futur avec, par exemple, une guitare électrique ou un jazz-band complétant l'orchestre. Pourtant je ne peux m'empêcher toujours de penser au mélologue Lélio ou le Retour à la vie, suite de la Symphonie fantastique d'Hector Berlioz, pamphlet vengeur rarement joué, sorte de précurseur du théâtre musical contemporain.


Le 15 février, le second concert était un hommage à Kaija Saariaho, disparue l'an dernier, dont j'appréciai la délicatesse avec Aile du songe (2000-2021) pour flûte et orchestre de chambre dirigé par sa fille, Aliisa Neige Barrière, et Notes on Light (2006) pour violoncelle et orchestre dirigé par Esa-Pekka Salonen. Je peux même dire que je préférai nettement ses oiseaux à ceux d'Olivier Messiaen, pourtant si réputés, mais qui m'ont toujours paru vains en comparaison des originaux ! La flûte de Sophie Cherrier et le violoncelle d'Éric-Maria Couturier, deux musiciens de l'Ensemble intercontemporain, m'enchantèrent littéralement. Je passe sur Les Océanides de Jean Sibelius dont la musique m'a toujours laissé de glace pour en arriver à la seconde partie consacrée à Kraft (1983-1985) de Magnus Lindberg, puisque la soirée était entièrement finlandaise.


Les hôtesses distribuèrent des boules Quiès à l'entr'acte, annonçant la puissance de feu de cette pièce de jeunesse qui avait été créée à Helsinki par Salonen il y a près de quarante ans. Je fus évidemment comblé par la rage qui s'en dégage, avec les éléments électroacoustiques, les déplacements des solistes amplifiés et leur spatialisation dans la salle, les percussions inhabituelles, la performance vocale quasi lettriste du chef avec un micro... Et l'Orchestre de Paris. J'y reconnais aussi l'influence de l'enseignement de Vinko Globokar avec qui j'ai eu la chance de collaborer en 1992 et, à la même époque, de Gérard Grisey qui fréquentait nos soirées de l'ABC Comme, une revue qui tirait au nombre de ses contributeurs. Lorsque Lindberg affirme "seul l'extrême est intéressant... L'hypercomplexe combiné avec le primitif", je ne peux que reconnaître certaines de mes aspirations. Et pourtant...

Pourtant je ne peux m'empêcher de considérer l'aspect économique et social de l'entreprise, hérité d'une longue histoire de la musique institutionnelle. À mes débuts j'attaquai le système pyramidal élitaire qui régit ce monde, son arrogance de classe, les coûts exorbitants qu'exigent les orchestres symphoniques, alors qu'il existe de nouvelles techniques et des rapports plus humains entre les êtres tels que je les avais connus dans les musiques dites populaires, et qui, pour certaines, sont tout aussi savantes. Je m'appuyais sur les entretiens d'Edgard Varèse avec Georges Charbonnier où mon compositeur de prédilection d'alors ne ménageait pas ses critiques. J'acceptais le répertoire, mais je ne comprenais pas que les compositeurs d'aujourd'hui perpétuent des méthodes qui me semblaient d'un autre âge, de plus iniques et exclusives. J'avais d'ailleurs toujours privilégié les outsiders, souvent plus ou moins autodidactes, Rameau, Berlioz, Satie, Varèse, Ives, Zappa, etc. Je regrettais que Skies of America d'Ornette Coleman soit si peu connu. Les nouvelles technologies sont maintenant utilisées partout, même par les classiques contemporains, mais je note que lorsqu'ils racontent leur histoire de la musique, ils se trompent de dix ans sur les débuts de ces inventions. Dans Kraft les mouvements des cordes, voire des cuivres, sont inimitables, mais le travail des percussions n'est pas à la hauteur de ceux qu'on assimile au jazz ou aux musiques dites improvisées. Évidemment les orchestres existent et ne peuvent se cantonner au répertoire du passé. Les créations sont indispensables. Mais il serait alors constructif d'offrir cet instrument à des compositeurs et des compositrices qui oseraient le repenser de fond en comble. Ce n'est question que de choix politique, donc économique, et ces choix influent considérablement sur l'évolution des arts. En citant Varèse, je repensais, par exemple, à ses suggestions sur l'amplification. Ou lorsqu'il compare l'orchestre symphonique à un éléphant hydropique et le jazz-band à un tigre. Il est probable que ma critique est liée à celle des usages et des habitudes. J'ai besoin d'interroger ce qui est donné pour acquis et reprendre le sujet à la base, une remise à zéro qui m'a toujours semblée nécessaire pour inventer de nouvelles formes, tant artistiques, que dans les relations humaines qu'elles impliquent.

vendredi 16 février 2024

Le moine et le voyou


C'est une excellente idée d'avoir associé Francis Poulenc, compositeur que j'ai toujours défendu, en particulier pour ses trois fantastiques opéras, Les mamelles de Tirésias, Le dialogue des Carmélites, La Voix humaine ou ses mélodies interprétées par Pierre Bernac ou Denise Duval, et Bernard Cavanna sur le CD où Léo Warynski dirige l'ensemble vocal Les Métaboles et l'ensemble instrumental Multilatérale, car l'un comme l'autre ont en commun de posséder deux faces comme l'indique le titre de l'album, Le Moine et le Voyou. Si je préfère le Poulenc casquette sur l'œil, dit Poupoule, que le chrétien moderne, mouton noir de la famille Rhône-Poulenc, mon goût va vers les extravagances de Cavanna plus que vers son classicisme contemporain. C'est toutes proportions gardées, car j'adore autant le lyrisme des œuvres chorales de Poulenc que la maîtrise instrumentale de Cavanna. Il y a cinq ans j'avais chroniqué son À l'agité du bocal, bousin pour 3 ténors dépareillés et ensemble de foire, pamphlet de Louis-Ferdinand Céline contre Jean-Paul Sartre, auquel j'associerai son Karl Koop Konzert, comédie pompière, sociale et réaliste pour accordéon et orchestre (2007-2008), ou ses Geek bagatelles pour orchestre symphonique et ensemble de smartphones (2016). À côté de ces facéties qui me ravissent, Cavanna écrit des œuvres plus sérieuses comme son ShangaÏ concerto pour violon, violoncelle et orchestre (2007), ses transcriptions de lieder de Schubert avec accordéon, violon et violoncelle (2000-2012), ses deux concertos pour violon, etc. J'écris "sérieuses", mais je trouve ses pièces provocatrices probablement plus sérieuses que tout le reste. Cavanna est un doux pince-sans-rire qui n'hésite pas à mordre le monde. Il cherche à "manier la vulgarité avec finesse". Ce goût de s'écarter du politiquement correct en cherchant une authenticité de la forme grâce à des éléments vulgaires m'enchante.
Pour l'album Le moine et le voyou, le choix de Léo Warynski de le commencer avec Un soir de neige, cantate profane sur un texte de Paul Éluard (1944) et Quatre motets pour un temps de pénitence (1938-1939) nous prépare à la dialectique de la Messe pour un jour ordinaire de Cavanna (1993-1994, nouvelle version 2023) où une misérable toxicomane, soprano léger, vient demander de l'aide à des ouailles, une soprano et un ténor lyrique, qui ne l'entendent pas de cette oreille, les culs-bénis ! Les textes de cet oratorio exacerbé, l'œuvre exquise d'un mécréant, viennent de la messe ordinaire, de dialogues du film Galère de femmes de Jean-Michel Carré, d'une déclaration de Klaus Barbie lors de son procès à Lyon, d'un poème de Nathalie Méfano écrit un jour avant sa disparition et d'une définition d'un bateau dans le dictionnaire ! L'orchestre comporte trois accordéons, instrument populaire cher au compositeur, comme la mandoline ou la cornemuse qu'il utilise souvent.


Sans paroles, Scordatura, son deuxième concerto (2019) en trois parties (In Memoriam, Pulsations, Matchiche), pour violon(s) et orchestre symphonique, exige de la partition d'être encore plus furieuse. C'est sa violoniste de prédilection, la Suissesse Noëmi Schindler, qui s'y colle, comme pour le premier concerto (1999), ici version avec orchestre de chambre de 2006, plus tragique. La scordatura est une manière d'accorder les instruments à cordes qui s'écarte de l'accord usuel. C'est un disque beaucoup plus violent et méchant. Entre les deux concertos, les Bagatelles sont cinglantes avec un détournement savoureux de l'Ode à la joie où le massacre est explicite, une pièce participative avec le public. Reconnaissant à la fois des influences viennoises et ivesiennes dans la musique de Cavanna, je m'enthousiasme devant chaque œuvre que je découvre, tel un nouveau baroque.

→ Bernard Cavanna, Concertos et bagatelles, CD L'empreinte digitale, par Noëmi Schindler et l'Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek, 18,36€
→ Poulenc - Cavanna, Le Moine et le Voyou, CD NoMadMusic, par Les Métaboles et Multilatérale dirigés par Léo Warynski, 15,99€
Les disques de Cavanna sont tous accompagnés d'un passionnant livret.

mercredi 14 février 2024

The Very Big Experimental Toubifri Orchestra sort Outre


Il faut bien écouter Outre au moins deux fois pour savoir de quoi il retourne. Parce que The Very Big Experimental Toubifri Orchestra n'a rien d'un big band classique, il n'en a jamais eu l'air, ni même les paroles. D'abord c'est un collectif, il n'y a pas de leader, parfois un chef pour diriger un morceau un peu compliqué, mais c'est tout. Les auteurs et les compositeurs font partie de l'orchestre, ou pas. Je donnerais bien leur nom, mais ils sont une vingtaine, ou une trentaine avec toute l'équipe. Un jour que, invité au Pop Club de France Inter, je m'étais fait un devoir de citer les seize musiciens et musiciennes du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané, son célèbre animateur José Artur me félicita de ma bienveillante solidarité, mais m'expliqua que cela n'était pas du tout radiophonique et que les auditeurs décrochaient automatiquement devant la liste fastidieuse. Ce serait probablement la même chose ici. Alors je dirais juste que ce sont des chansons, que parfois les interprètes sont devant, parfois l'orchestre fait masse, que tous les musiciens et musiciennes sont vraiment d'excellents interprètes, que c'est de la pop, entendre que c'est pour tout le monde même si c'est fouillé, et que cela fait rêver... Pour les voix ce sont la flûtiste Mathilde Bouillot et le bassiste Lucas Hercberg qui s'y collent quand ils n'invitent pas Loïc Lantoine. À l'orchestre ils sont trois ou quatre trompettistes dont Emmanuelle Legros avec qui j'ai enregistré l'album Par terre (avec Matthieu Donarier), deux trombones, six saxophonistes, un clarinettiste, deux flûtistes, un claviériste, un vibraphoniste, un guitariste, un bassiste, deux batteurs percussionnistes. Ça pourrait être encore plus dingue. De mon point de vue, question de goût, le fantasme du jazz a toujours tendance à retenir les outrances, et les personnalités doivent absolument s'affranchir des styles, mais franchement c'est bien.



→ The Very Big Experimental Toubifri Orchestra, Outre, CD Le Grande Expérimentale, sortie le 15 mars 2024

lundi 12 février 2024

Petit & Roy dans la boîte rouge


Le joli coffret en carton rouge marque d'emblée l'aspect artisanal de l'entreprise. Il abrite deux CD accompagnés de petits livrets avec des textes de Hervé Péjaudier et une préface de Jean Rochard. L'objet justifie donc son acquisition plutôt que quelque version dématérialisée qui, de toute manière, convient mal à ce type de musique, des improvisations à deux voix pour alto (Guillaume Roy) et violoncelle (Didier Petit) que l'on retrouve dans le deuxième disque en trio, successivement avec le chanteur Kristof Hiriart, la clarinettiste Catherine Delaunay, le percussionniste-électronicien Michele Rabbia, Daunik Lazro au sax baryton, Yaping Wang au guqin (sorte de cithare chinoise) et Christiane Bopp au trombone.
Les cordes de Petit et Roy me font penser à un essaim dont la densité excite la charge électrique. Si Petit joua un temps avec des abeilles, il est souvent pieds nus, avec l'habitude de se promener la crosse sur l'épaule. Quant à Roy il a souvent croisé le fer au sein du Quatuor IXI. Les deux musiciens volètent, tourbillonnent, se croisent, se fondent en un ballet hyménoptère donnant naissance à un hyperorganisme devant lequel ils s'effacent, leurs cordes individuelles dessinant chaîne et trame pour tisser une toile arachnide dans laquelle se prend l'histoire de la musique. J'écris "de la musique" comme si elle était une, mais elle est ici plusieurs, racines classiques et populaires, rhizomes de plus d'un mycélium. Le titre du premier album À l'est du soleil laisse penser que c'est encore la nuit...
Le second, Programmes communs, fait référence à des petits arrangements avec les vivants, comme un Tarot taoïste. Pour Le bateleur, Kristof Hiriart, "Langues comme une", articule un murmure, les cordes vocales se transformant en chant et cri au contact de celles de Petit et Roy, et pour L'amoureux, "Programme commun", le Basque frôle le lettrisme. Pour La prêtresse, Catherine Delaunay, "L'arbre à palabres", escalade les filetages du duo comme les branches d'un arbre dont les feuilles seraient des notes qui se ressemblent. Pour L'impératrice, Michele Rabbia, "La position du trépied", prend le temps des bruits de sa cité. Pour L'empereur, Daunik Lazro, "La vie des strates", laisse les archets imiter l'anche et la sienne prend son souffle, rauque et grinçante. Pour L'hiérophante, Yaping Wang, "Douceur carmin", en pince aussi savamment que sauvagement. Pour Le chariot, Christiane Bopp, "Souffle commun", signale délicatement que l'on est arrivés à bon port.

→ Petit Roy, À l'est du soleil + Programmes communs, coffret 2 CD In Situ, dist. Orkhêstra International et Allumés du Jazz

vendredi 9 février 2024

Des Asociaux Associés dans l'air du temps


À relire ma chronique du 21 mai 2020 que je reproduis après mon petit article d'aujourd'hui, j'avais déjà bien apprécié les deux vinyles Ramasse-Miettes Nucléaires (1976) et Nouveaux Modes Industriels (1978) de Philippe Doray et Les Asociaux Associés, réédités par Souffle Continu Records il y a quatre ans.
Or la "période 2" représentée par Le composant compositeur était restée inédite, bien qu'elle ait été enregistrée de 1984 à 1987. Composées avec Laurence Garcette qui, comme lui, joue des claviers et synthétiseurs, les chansons pop de Doray relèvent d'une fascination pour l'électronique que j'avais découverte avec le 45 tours de Miss Téléphone dans les années 50 et les mots onomatopéiques de l'après-guerre, du Feutre Taupé d'Aznavour (1948) au Comic Strip de Gainsbourg (1967). Ces chansons n'ayant pas pris une ride, on ne sera pas étonné de retrouver Nino Ferrer ou Richard Gotainer jusqu'à Albert Marcœur ou Poudingue dans ces élucubrations inventives, évidemment plus expérimentales et particulièrement soignées instrumentalement. Le duo est accompagné par Joël Drouin (claviers), Marc Duconseille (sax, flûte), Jean-Pierre Faivre (batterie, percussion), Christophe Pélissié (guitare, basse), Yannick Capron (guitare) et toute une bande copains pour faire les chœurs.


Quitte à être exhaustif, Souffle Continu Records a glissé dans l'enveloppe du vinyle un CD de bonus inédits des années 80 où figurent également Thierry Müller (guitare, orgue, synthé, percussion électronique), Christian Derbhécourt (synthé, guitare), Michel Vittu (guitare). Les envolées lyriques des guitares et les éructations des sax profitent des rythmes mécaniques affirmés tandis que des timbres inouïs collent aux enveloppes rituelles. À l'écoute de la musique actuelle, la pop française de cette époque-là mérite vraiment d'être redécouverte, parce qu'il y a toujours une origine à tout et qu'il est délicieux de retrouver les chaînons manquants qui expliquent comment on en est arrivés là.

Ramasse-Miettes Nucléaires / Nouveaux Modes Industriels


Les années 1970 furent réellement celles de l'expérimentation tous azimuts, dans tous les arts, mais aussi dans nos vies elles-mêmes. Jimi Hendrix titrait judicieusement Are You Experienced?. Il y en eut pourtant pas mal qui ratèrent le coche. Dommage. On disait aussi que si tu n'es pas anarchiste à 20 ans, tu ne le seras jamais ! Des décennies plus tard, les mêmes qui avaient plongé dans l'utopie, qu'elle fut révolutionnaire, écologique, sexuelle, lysergique ou artistique, ne furent pas si nombreux à se reconnaître. Les classes sociales rattrapent leurs ouailles si bien que nombreux pourraient porter la pancarte de renégat ou social-traître autour du cou ! Ceux-là n'apprécient guère qu'on leur rappelle leur jeunesse flamboyante. Les autres font figure d'anciens combattants, nostalgiques d'une époque à qui la réaction tailla un costard en peau de chagrin...
Alors écouter les deux vinyles de Philippe Doray & Les Asociaux Associés fait bigrement plaisir. Ce ne sont pas des chefs d'œuvre, mais on y respire un vent de liberté devenu rare. Ça bidouille, ça scande, ça flotte, ça invente, ça se cherche et si ça se trouve ça passe ailleurs, une autre plage, comme celle apparue sous les pavés du Quartier Latin un mois de mai plein d'espérance, pas du genre de celui cadenassé qu'on essaie de nous faire avaler sous le filtre des masques.
Philippe Doray est d'abord auteur des chansons flippées qu'il marmonne en faisant claquer les consonnes. "Chante avec moi et n'aie pas peur de claquer des mains" sonne comme un brouillon de Philippe Katrine. La musique minimaliste puise sa source dans un krautrock à la française, une choucroute rouennaise s'ouvrant en vasistas sur une pop que déjà Brigitte Fontaine avait domptée, un jazz maladroit cousin des provocations rock'n roll de Jacques Berrocal. Si Philippe Doray joue aussi du synthé (j'imagine que le côté plastoc de ses tourneries vient d'un VCS3, il est épaulé par une bande de potes. À cette époque on n'avait pas des colocataires, on vivait en communauté. Autant citer ceux qui figurent sur la pochette, pas forcément parce que leur nom vous dira quelque chose, mais parce qu'ils se reconnaîtront, pour ceux qui sont encore vivants. Entendre "vivants" dans les deux sens : vivre opposé à survivre autant qu'à mourir. Et s'ils se reconnaissent, ils pourraient se mettre debout et crier qu'il est temps d'être jeune, le crier aux petits comme aux grands, et peut-être même à ceux qui sont morts, dans tous les cas ne rien oublier de ce qu'il est indispensable de transmettre.
Ainsi participent au premier album, Ramasse-miettes nucléaire, Pat Bouchard, Claude Derambure, Demos, Michel Vittu et aussi, mais sans leur frimousse au verso du 30 centimètres, Francis Yvelin, Sandrine Fontaine, Anne-Marie Chagnaud, M'Ahmed Loucif, Olivier Pedron, Jacques Staub, Gérad Morel, la Fanfare de la Crique, Jacques Cordeau, Olivier Croguennec. Sur le second, Nouveaux modes industriels, au noyau dur se joignent Olivier Boiteux, Véronique Vigné, Jacques Cordeau, Jean-Lou Hirat, Alain Bocquelet, Marc Duconseille, Marie-Ange Cousin, Patrick Dubot, Pascal Gallelli, Laurence Perquis, Yannick Capron, Jean-François Duboc, Jean-Pierre Nicolle. Beaucoup font les chœurs, mais l'orchestre comprend guitare, basse, batterie, percussion et cuivres.
Enregistrés de 1977 à 1980, les deux disques font la paire. Ils s'écoutent avec beaucoup de plaisir. Une légèreté en émane, aussi naïve que sincère, aussi brute que recherchée, malgré les paroles souvent sombres de Doray, connu pour avoir appartenu aux groupes Rotomagus, Ruth et Crash, et pour figurer comme notre Défense de dans la Nurse With Wound List, bible de l'underground musical depuis presque un demi-siècle.

→ Les Asociaux Associés, Le Composant Compositeur, LP+CD Souffle Continu Records, 25€
→ Philippe Doray & Les Asociaux Associés, LP Ramasse-miettes nucléaire et LP Nouveaux modes industriels, Souffle Continu Records, ces deux-là déjà épuisés !

jeudi 8 février 2024

Virée électro


Je suis étonné de bien supporter les rythmes répétitifs du batteur suisse Jonas Albrecht dont l'album Schrei Mich Nicht So An Ich Bin In Trance Baby (que l'on peut traduire "Ne me crie pas dessus, je suis en transe Baby") vient de paraître. Il est vrai que les morceaux commencent souvent par une sorte de magma sonore où la voix se mêle à des enregistrements préalables, mais quand c'est parti cela ne s'arrête plus. La transe fonctionne. Elle saoule. Le corps suit sans se poser de questions. On pourrait danser des heures sans qu'on s'en aperçoive, jusqu'à tomber de fatigue. Je n'oserais jamais, j'ajouterais des cris, des mélodies sur cette corde à linge, ce fil où n'importe quel objet sonore sécherait aussitôt exprimé. Mais cela ne me fait pas suer, non, puisque je fais banquette.

Mirror Division du duo Chaos Shrine (que l'on peut traduire Sanctuaire du chaos), constitué de l'Américain Paul Beauchamp et de l'Italien Andrea Cauduro, est plus planant. Le rituel est cette fois sombre, grave, forcément "grottesque" avec sa réverbération caverneuse. En gongs, basses, gants de boxe, guitare électrique et perceuses chorales, les instruments électroniques vous plongent dans une léthargie de fin de nuit, back room juste avant que le soleil ne réapparaisse.


Traces de Filax Staël, pseudonyme de l'artiste hollandais Bas Mandel, est le plus expérimental des trois. Les 24 miniatures sont la face sonore d'un projet audiovisuel auquel participent Okko Perekki et, pour le texte d'accompagnement, Simon Taylor. Je suis moins sensible au style technoïde et réfrigérant des images, mais je n'ai eu qu'un vague aperçu de cet ensemble qui joue d'un va-et-vient entre les deux formes d'expression. La musique est un mélange de compositions et de collages où les nuages et la mémoire inspirent des transpositions à l'artiste. C'est à la fois très riche et étonnamment uniforme. Si les deux précédents disques flattent le corps, celui-ci titille nettement le ciboulot.

→ Jonas Albrecht, Schrei Mich Nicht So An Ich Bin In Trance Baby, Irascible Records, LP 30CHF / numérique 10 CHF
→ Chaos Shrine, Mirror Division, Erototox, LP / numérique, sortie le 5 avril 2024
→ SECTION 10_Filax Staël, Traces, Revlaboratories, LP10"+livre de 52 pages, 24,99£, sortie le 22 mars 2024

mardi 6 février 2024

Il reste quelques places le 18 février pour Apéro Labo #2 au Studio GRRR


Avec toutes ces couleurs comment pouvais-je résister ? J'ai récupéré une photo du duo Météore qui me rejoindra le 18 février au Studio GRRR pour un concert très intime puisque je ne peux recevoir que trente spectateurs dans de confortables fauteuils. C'est la deuxième séance de cet APÉRO LABO qui accueillera donc Fanny Meteier au tuba et Maëlle Desbrosses à l'alto. Mes propres instruments sont déjà en place, m'évitant ainsi des déplacements pénibles vers des salles de spectacle à l'acoustique rarement à la hauteur. Cette qualité de l'écoute se double de l'enregistrement impeccable de nos compositions instantanées, générant un album mis en ligne dans la semaine qui suit sur drame.org ! De plus, à l'issue du concert qui sollicite le public pour choisir le thème de ce que nous jouerons, seront servies boissons et victuailles. Nous jouons néanmoins au chapeau, car il faut bien nourrir aussi mes formidables invitées.
J'ai déjà enregistré un album avec chacune, Listen To The Quiet Plattfisk avec Maëlle (et la chanteuse-guitariste Isabel Sörling) et Raves avec Fanny (et le bassiste Olivier Lété), mais cette fois leur duo se révèlera exceptionnellement trio puisque je ferai sonner mes claviers et autres instruments bizarres !
Si vous souhaitez participer à ce concert exceptionnel, dimanche 18 février à 17h, près de la Porte des Lilas, et que vous êtes certain/e de venir, écrivez-moi ! Je confirmerai les réservations ou les infirmerai, puisque seul/e/s les premier/e/s à se décider seront servi/e/s, car plus de vingt personnes se sont déjà signalées. Par contre, vous pouvez exprimer votre désir d'assister aux prochains APÉRO LABO qui verront également des danseurs (ça c'est pour les beaux jours au jardin) et des poètes se joindre aux musiciens/ciennes.

lundi 5 février 2024

Poudingue déconcerte Franpi sur Citizen Jazz


Poudingue est un de ces projets qu’on voudrait décrire, mais finalement, c’est très ardu à définir précisément. Un peu comme le gâteau qui lui a donné son nom, le pudding, mélange de fruits confits, de restes et de couleurs extravagantes. Mais finalement, cette image ne correspondrait quant à elle pas au projet du corniste Nicolas Chedmail, qu’on connaît avant tout pour les constructions impossibles du Spat’sonore ? Ajoutons à cela une production assurée par Jean-Jacques Birgé, et l’on comprendra tout le foutraque nécessaire pour construire La Preuve, premier disque d’un trio auquel se joint le guitariste Frédéric Mainçon, qui donne un côté punk à tout ceci (« Rame de queue »). Récapitulons : Poudingue commence avec « What a Funny Law » qui semble tout droit sorti d’un Lumpy Gravy de Zappa revisité par la Cold Wave. Puis, avec « je vous prie d’agréer », c’est comme si Albert Marcœur avait soudain eu envie de collaborer avec Crass. Avec Poudingue, on ne sait pas bien où l’on se trouve. Et c’est bien tout l’effet recherché.

Citizen Jazz, par Franpi Barriaux // Publié le 4 février 2024

dimanche 4 février 2024

Denis Desassis encense Pique-nique au labo 3


S’il n’existait pas, je crois qu’il faudrait, de toute urgence, inventer Jean-Jacques Birgé. Je ne reviendrai pas ici sur le parcours très singulier et non moins prolifique de ce musicien compositeur et multi-instrumentiste, véritable boulimique d’une création tout aussi libertaire que jubilatoire. L’artiste est en outre très partageur, non seulement à travers les écrits quotidiens de son blog depuis de très longues années, mais aussi en raison de la somme assez incroyable d’enregistrements qu’il met à la disposition de tous sur son site drame.org. En d’autres termes, Birgé est un cas d’espèce.
Récemment – c’était au mois de septembre – notre homme a publié un « Pique-nique au labo 3 » qui fait suite, comme son titre peut le laisser supposer, à « Pique-nique au labo 1 / 2 » paru sous la forme d’un double CD enregistré de 2010 à 2019. Tout cela se passe sur son propre label, au nom qu’on n’est pas obligé de prononcer uniquement lorsqu’on est en colère : GRRR. Tout comme son prédécesseur, « Pique-nique au labo 3 » est une compilation de sessions enregistrées dans son studio. Celles-ci, disponibles à l’écoute dans leur intégralité, couvrent la période allant du mars 2021 à juin 2023. Soit onze rendez-vous, pour la plupart en trio mais parfois en duo, avec une magnifique galerie de musiciennes et musiciens. Pour bien comprendre le phénomène, il faudrait imaginer un mot qui serait – sans la référence médiévale – aux musiciens ce qu’un bestiaire est aux animaux. Le « musiciaire » de Jean-Jacques Birgé est une véritable gourmandise à consommer sans modération, et quelques exemples suffisent pour donner envie de se plonger dans l’écoute de cette musique instantanée, sans cesse sur la brèche : Naïssam Jalal, Lionel Martin, Gilles Coronado, François Corneloup, Élise Caron, Mathias Lévy, Philippe Deschepper, Hélène Breschand, Sophie Agnel, Csaba Palotaï, Fidel Fourneyron… N’en jetez plus, la cour du labo est pleine !
« Il s’agit de jouer pour se rencontrer et non le contraire », dit Jean-Jacques Birgé. Une magnifique intention et un assez incroyable voyage aux couleurs changeantes au gré des différentes personnalités en action, dont le cap est donné par le hasard puisque « la thématique de chaque pièce est tirée au sort avant de jouer » (on pense alors aux « Oblique Strategies » de Brian Eno). « Pique-nique au labo 3 » est, on l’aura compris, un véritable régal dont la multiplicité des trajectoires n’a d’égale que la joie qui semble habiter les protagonistes de cette aventure, qui fait ressentir le besoin pressent d'une suite. Rendez-vous du côté de drame.org : ce sera la meilleure façon de suivre le déroulement de toute cette histoire pas comme les autres et d’écouter ces funambules. Les écouter pour les rencontrer, bien sûr !

Denis Desassis - NOTES EXTIMES # 39 - Dimanche 4 février 2024

samedi 3 février 2024

Philippe Legris a rejoint l'orchestre invisible


C'est bien triste. Il avait été le tubiste du grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané. Il avait même enregistré notre petite Valse Liberté sur ses Duos à varier... Je savais lorsqu'il était dans la fosse d'un orchestre car Patrice Petitdidier au cor et lui avaient l'habitude de la jouer pendant l'accord ! Il est présent sur les 3 disques du Drame des années 80 et dans nos cœurs.

vendredi 2 février 2024

Jazz en appartement


Tandis que je me lance dans une série de concerts au Studio GRRR je retrouve un article du 11 avril 2012 évoquant l'une des soirées organisées par la plasticienne et poète mcgayffier. En ce qui me concerne il reste quelques places pour celui du dimanche 18 février où je jouerai avec la tubiste Fanny Meteier et l'altiste Maëlle Desbrosses qui forment le duo Météore. M'écrire si jamais vous souhaitez y assister, mais rien de garanti, la jauge étant limitée à trente personnes. La première eut lieu le 14 janvier, justement avec Antonin-Tri Hoang et le violoniste Mathias Lévy, et donna lieu à l'enregistrement de l'album Apéro Labo 1...

Comment vivre de son art lorsque l'on est musicien de jazz ? Il faudrait jouer tous les soirs pour avoir un salaire décent. Les diplômés du Conservatoire jouent dans des clubs en passant le chapeau. Dans certains lieux bien équipés ils reçoivent 120 euros net, c'est Versailles. Les festivals offrent de meilleurs tarifs. La paie est liée à la jauge de la salle. Il faut accumuler 43 cachets isolés sur dix mois et demi pour pouvoir prétendre au statut d'intermittent du spectacle. C'est difficile. Beaucoup sortent du système. Certains choisissent l'enseignement pour arrondir leurs fins de mois ou plus prosaïquement pouvoir croûter. Lorsque les subventions ne concernent pas directement les artistes, elles permettent aux lieux de diffusion d'exister. Ils ne sont pas légion. Alors on invente de nouveaux modèles. Et puis, si l'on a choisi d'être artiste, on est d'abord guidé par sa passion. Un luxe de faire ce qui vous plaît. Jouer en appartement, payé, défrayé ou simplement invité, est devenu courant. Pour le plaisir d'offrir un moment privilégié. Pour l'amour de l'art et le désir de partager.
Vendredi soir, cela se passait "chez Thérèse". La maîtresse de maison possède un piano à queue. L'orchestre avait apporté la batterie et ses instruments. En première partie jouait Louis Laurain. Performance hors du commun. Le trompettiste base tout son travail sur le souffle, pas la respiration, mais le son du vent dans les tuyaux de sa trompette. Le moindre bruit parasite devient percussion. Laurain démonte sa trompette, retire les coulisses, claque la soupape, tape les pistons, replace l'embouchure, met la sourdine. La respiration continue permet de contrôler la longueur de ses phrases. Exercice virtuose très émouvant. Une prouesse contemporaine mettant les muscles à contribution. C'est si rare qu'une pièce de trompette solo m'enchante. Anthologique.


Après les amuse-gueules de l'entr'acte, le quartet Novembre se déchaîne. C'est très écrit sans perdre la fougue de l'instantané. Les compositions sont essentiellement du saxophoniste alto Antonin Tri Hoang et du pianiste Romain Clerc-Renaud. Ils sont accompagnés par Thibault Cellier à la contrebasse et Elie Duris à la batterie. Si leur musique est très personnelle, certains passages saluent de loin les débuts de Carla Bley, le cri d'Albert Ayler ou les inventions harmoniques d'Ornette Coleman. Hoang a adapté quelques pièces d'Aéroplanes, son duo avec Benoît Delbecq. La musique est sculptée dans la masse. Les silences succèdent aux agrégats. Après toute cette vitalité, nous parlons politique avec les jeunes spectateurs [...]. La musique du changement.

mercredi 31 janvier 2024

Apéro Labo #2


Il reste quelques rares places pour le concert du dimanche 18 février à 17h qui aura lieu dans l'intimité du Studio GRRR à Bagnolet pour la rencontre du duo MÉTÉORE, soit la tubiste Fanny Meteier et l'altiste Maëlle Desbrosses, avec ma pomme. Nous jouerons au chapeau. À l'issue du concert qui sera enregistré et mis en ligne la semaine suivante sur drame.org, nous partagerons l'apéro avec la trentaine de nos invités !

Ne réservez que si vous êtes déterminé. Nous confirmerons (ou infirmerons) votre réservation au plus vite. Si, le temps de répondre, les places sont toutes prises, indiquez-nous si vous souhaitez participer à l'un des prochains Apéro-labo. J'annoncerai ici dès que nous serons complet.

APÉRO LABO
La liberté de l'indépendance
pour le plaisir des sens

Pique-Nique au labo 3 in Jazz News


"Réception"
Jean-Jacques Birgé cultive depuis si longtemps, sous toutes les formes, dans tous les arts, un iconoclasme qui a édifié une œuvre foisonnante, insaisissable, pénétrée de sa propre originalité. Ce troisième volume – les deux précédents étaient dans le même double disque –de son Pique-nique au labo illustre une facette de son travail qui pourrait se targuer sans peine d'être la plus belle à bien des égards : Birgé s’intéresse à ce(ux) qui l’entoure. Invitant à nouveau bien des artistes à venir enregistrer avec lui, il en ressort une collectivité passionnante, où Naïssam Jalal (par exemple) côtoie (à titre d'illustration) Violaine Lochu ou David Fenech, et c'est heureux. Le résultat, surtout, et très réussi, et cela est d'abord dû à l'accueil musical fait par l’hôte, dont l’éclectisme nécessaire dans ce format est servi avec une intelligence et une sensibilité constante.
Pierre Tenne (Jazz News, décembre 2023)