L'exposition Pasolini Roma ne pâtit pas du storytelling qui handicapait celle sur Jacques Demy, cinéaste au moins aussi critique que féérique.
Il est notoire que le poète et cinéaste italien était communiste et homosexuel. Quel qu'en soit le mystère encore irrésolu, son sinistre assassinat fut certainement la conséquence de sa liberté de penser et de vivre. Sa filmographie ou ses prises de position politiques firent scandale plus d'une fois. L'exposition présentée à la Cinémathèque Française jusqu'au 26 janvier 2014 rend justice à toutes les facettes du poète, modèle d'esprit indépendant sensible à la misère du monde. Étudiant à l'Idhec, j'entendais souvent Jean-André Fieschi parler de "Pier Paolo" sur qui il avait réalisé dès 1966 un documentaire admirable, Pasolini l'enragé, où le cinéaste répond en français en exposant merveilleusement son approche cinématographique. Trente ans plus tard Jean-André retrouvera Ninetto le messager, amant et acteur fétiche de Pier Paolo. Les photographies, textes, extraits de films, témoignages rassemblés chronologiquement par Gianni Borgna, Alain Bergala et Jordi Balló en six sections sont extrêmement touchants.


Après son arrivée à Rome depuis le Frioul, son premier roman et ses collaborations avec Fellini et Bolognini, Pasolini tourne successivement Acatone, Mamma Roma et La Ricotta, mon préféré avec Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et gros). L'analyse marxiste y est développée avec la plus grande fantaisie inventive. À partir de là, sa révolte ne fera que s'amplifier, contre la bourgeoisie qu'il a toujours exécrée, contre les raccourcis idéologiques qui lui feront prendre, par exemple, la défense des CRS, fils de pauvres, contre les étudiants fils-à-papa. De même il s'insurgera contre la télévision, cage de l'opinion publique. Les scandales se succéderont toute sa vie, du roman Raggazzi di vita en 1958 à son ultime film, Salò ou les 120 Journées de Sodome, en 1975, en passant par Théorème, Porcherie, etc. La plupart des spectateurs de Salò que j'ai rencontrés n'ont pu soutenir la vue du film jusqu'au bout, fermant ou clignant des yeux devant l'horreur ou la violence des scènes qui renvoient à nos propres démons. Il représente l'un des films majeurs de l'histoire du cinéma parce que justement, selon la formule de Jean Cocteau, Pasolini y montre jusqu'où l'on peut aller trop loin. Pas au cinéma, mais dans l'histoire de l'humanité. Le goût du risque l'anime avec le même force que celle du langage. La recherche de l'intégrité et les contradictions qu'elle génère le poussent aux extrémités. On sort de l'exposition avec un terrible regret, celui de n'avoir jamais rencontré cet écorché vif, révolutionnaire hypersensible, amoureux du monde au point de le combattre jusqu'à ce que justice soit faite. Bel exemple, quoi qu'il en coûte !