70 Expositions - juin 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 30 juin 2016

Plus que 5 jours de Carambolages


Il ne reste plus que cinq jours avant la fermeture de Carambolages, l'exposition du Grand Palais imaginée par Jean-Hubert Martin dont j'ai conçu l'intégralité du parcours sonore. La polémique y est allée bon train. Certains l'ont détesté, arguant qu'il n'y avait pas de cartels, ce qui est faux car des écrans indiquent le titre et l'auteur de chaque œuvre, mais il est vrai qu'on les découvre chaque fois après s'être fait sa propre idée, ou bien ils trouvent que l'enchaînement des œuvres ne rime à rien. D'autres ont adoré se laisser porter par leur sensibilité au fil du jeu des associations, chaque œuvre suggérant la suivante selon un enchaînement propre au conservateur. Conservateur n'est probablement pas le meilleur terme pour qualifier l'homme qui en 1989 avait chamboulé nombreux visiteurs du Centre Pompidou avec Les Magiciens de la Terre.


Histoire de mettre en appétit celles et ceux qui n'y sont pas encore allés j'ai choisi quelques clichés attrapés ici et là au long des 26 cimaises. Les autres reconnaîtront l'échiquier Good versus Evil de Maurizio Cattelan où un seul personnage est représenté de part et d'autre (Sigmund Freud à deux âges de sa vie!), un trompe-l'œil de Louis Léopold Boilly représentant le dos d'un tableau, Le chat d'Alberto Giacometti précédant un sarcophage de musaraigne, antiquité égyptienne de vingt-cinq siècles plus tôt... Jean-Hubert Martin a choisi de montrer des pièces rarement exposées. Pour des raisons de budget, nombreuses viennent de musées d'Île-de-France. Le somptueux catalogue en accordéon de 19 mètres de long expose évidemment les raisons de ses choix, qu'ils soient esthétiques ou sémantiques. Sinon pourquoi présenter Painting as a Pastime où Gloria Friedmann reproduit trois paysages peints par Winston Churchill, Dwight Eisenhower et Adolf Hitler, accompagnés d'une sculpture constituée de deux jambes vêtues d'un pantalon de la Wehrmacht en forme de croix gammée ?


Si elle permet à chacun et chacune de s'approprier les œuvres quelle que soit sa culture en laissant agir son imagination, l'exposition Carambolages est éminemment brechtienne. Elle interroge sans arrêt l'espace et le temps. Les sauts spatiaux-temporels sont légion. Qu'est-ce qui a changé au travers des siècles ? En composant le parcours musical j'ai cherché à jouer des mêmes effets de distanciation, ou plus exactement de distance, me rapprochant ou m'éloignant du sujet comme les visiteurs le font pour admirer de près ou de loin un tableau. Ce mouvement est toujours révélateur. Carambolages offre de changer d'angle. Comme ces trous dans la toile, de l'autoportrait de Nicola Van Houbraken vers 1720 au Concept spatial, attentes de Lucio Fontana en 1958. De même tout mon travail sonore est axé sur tension-détente, consonances et dissonances, déplacement d'un élément sur la Toile, etc.


Si vous souhaitez vous immerger totalement dans ce long métrage où l'imagination est reine, pensez à télécharger l'application avant d'y aller et emportez un casque audio avec votre smartphone...

Articles précédents sur Carambolages : 1. Le regard / 2. Synchronisme et mp3 / 3. Suivez le guide / 4. Le parcours sonore / 5. Trois angles / 6. L'origine / 6. N'oubliez pas vos écouteurs

vendredi 24 juin 2016

Houellebecq au Palais de Tokyo


L'imposante exposition Rester vivant conçue par Michel Houellebecq au Palais de Tokyo rend remarquablement sa perception acérée et cynique de la banalité. Au delà des photographies et des films qui y sont montrés la scénographie parfaitement adaptée à l'œuvre de l'écrivain tient lieu d'installation, immersion complète dans les images et les sons diffusés de pièce en pièce, gigantesque appartement labyrinthique où ses obsessions se renvoient les unes aux autres et s'imbriquent. J'ai évidemment un petit faible pour le fumoir où un juke-box poétique diffuse les poèmes que nous avons enregistrés ensemble, Le sens du combat édité par Radio France et surtout Établissement d'un ciel d'alternance que j'avais produit chez GRRR et que l'on retrouvera en vente à la librairie du musée.



Comme on peut y recracher sa fumée on imagine que très vite les visiteurs auront l'impression d'avoir la tête dans le cendrier. Politiquement incorrect, comme les chromos ringardes de bimbos probablement troussées par le photographe, mais aucune provocation puisque ses invectives lui furent chaque fois dictées par les questions imbéciles de quelques journalistes. Ainsi Houellebecq peut exposer son cœur de midinet que l'on retrouve dans ses paysages de nature ou la salle consacrée à Clément, son chien aujourd'hui disparu et qui partagea longtemps sa fausse solitude. Pour comprendre cet univers où nous errons comme si nous visitions un appartement meublé en vue de le louer, il faut se rappeler que Houellebecq est un écrivain comique, entendre que sa poésie kafkaïenne est avant tout emprunte d'humour.


Non, Michel t'es pas tout seul... L'accompagnent Raphaël Sohier, Renaud Marchand, Maurice Renoma, et Robert Combas à qui une grande salle est consacrée, tableaux mais aussi son espace de travail recréé où des musiciens en direct succèdent à l'immense discothèque du peintre... La beauté des choses préoccupent le poète comme la musique pop le fascine. Le son immersif ou in situ, très présent dans l'exposition, ouvre également une porte à ce médium très souvent absent des musées. Je ne peux que m'en réjouir, d'autant qu'à l'heure actuelle j'occupe pas mal le terrain : parcours musical de Carambolages au Grand Palais, environnement sonore des Monuments aux morts au Panthéon, design sonore des stations interactives de Darwin, l'original à la Cité des Sciences, et donc juke-box ici-même puisque Michel Houellebecq m'a demandé de découper une trentaine de poèmes enregistrés ensemble et qui figurent aux côtés de Jean-Louis Aubert et Iggy Pop.


L'évocation du tourisme de masse piétinée par la horde des visiteurs respire son humour camouflant soigneusement ses angoisses Dix-huit salles, dix-huit stations d'une passion qui reste la même depuis ses débuts. Non, tu n'as pas changé ! Mais la mort rôde pourtant en filigranes, tant il est besoin d'affirmer son existence. Aucun portrait de l'artiste certes, son œuvre affirmant la rémanence du corps tant qu'il est encore temps.


Parallèlement à Rester vivant, les autres jeunes artistes exposés m'apparaissent d'une vacuité déprimante, sauf le travail de Mika Rottenberg dont les installations où évoluent des personnages vivants prolongent ses films drôles et corrosifs. L'artiste argentine creuse le monde du travail et de l'aliénation en poussant sa logique dans une mise en scène qui ne pourra jamais être aussi cruelle que la réalité. À partir de situations dramatiques entrevues sur la planète, Rottenberg construit d'incroyables ateliers où l'exploitation de l'homme par l'homme et sa soumission aux machines frise l'absurde, celle d'un monde dont nous sommes les complices.