Tout devient transparent. La place des femmes en Inde. Le poids des siècles. Le fanatisme religieux. L'exploitation des humains. Leur transcendance dans l'art. La poésie du regard. La rémanence du son. Nalini Malani est née un an avant la partition de son pays, à Karachi en 1946. Elle a fui avec sa famille à Calcutta, puis à Bombay où elle étudie les arts plastiques. Ses voyages, au Louvre en particulier, la sensibilisent à la culture japonaise et à l'histoire égyptienne. Ils forment la jeunesse. Leurs traces persistent dans ses œuvres. Elle obtiendra plus tard une bourse pour l'École des Beaux-Arts. À 70 ans, elle revient à Paris pour la rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou. 1969-2018. Un demi-siècle. Combien de femmes ont été empêchées de s'exprimer ou de montrer leur travail depuis la nuit des temps ?


L'installation monumentale Remembering Mad Meg (2007-2017) nous accueille dès l'entrée (photo 1 /vidéo). L'ensemble de cylindres transparents en rotation, peints au revers et suspendus, projette ses images sur les murs. Nous étions passés devant Traces sans les voir, œuvre éphémère peinte sur d'autres murs blancs, que les employés de Beaubourg sont censés effacer au fur et à mesure, laissant apparaître d'autres phrases et dessins, et avant qu'elles ne disparaissent totalement à la fin de l'exposition. Hurlements. Le théâtre d'ombres annonce les quatre salles adjacentes. All We Imagine as Light (photo 3). Nalini Malani mélange les médias pour évoquer ce qui la tracasse sur cette planète. Ses œuvres racontent des histoires où les personnages revêtissent des apparences mythiques, intemporelles, alors qu'elles se situent toutes dans l'Inde d'aujourd'hui. Mais Margot la folle de Bruegel l'Ancien, The Job de Bertolt Brecht ou Hamletmachine de Heiner Müller (photo 2) sont aussi des partitions qu'elle interprète à sa façon. Quatre vidéos dont une projetée au sol sur le sel rappelant la marche de Gandhi en 1930 contre l'impôt, le corps démantelé les castes indiennes... Tout s'accélère, des coups de feu, le cri d'une musulmane... Malani mêle le film, la photographie, l'écrit, la peinture, la performance. À Bombay elle fait figure de pionnière. À Paris et en Italie où se tiendra la seconde partie de sa rétrospective, elle met en scène la fragilité de l'existence et la violence que produit l'intolérance.


Partout des sons, des voix flottent en état d'apesanteur. Derrière chaque corps se cache une tragédie. Les époques s'entremêlent, le présent ne faisant figure de progrès que dans les outils qu'il développe. Le cynisme de l'Occident est mis à l'index dans Mutant B. Jeune étudiante à Paris, elle assistait aux conférences de Lévi-Strauss, Chomsky, Bettelheim. À la Cinémathèque elle rencontre Godard et Marker. Ses travaux photographiques Mushroom Clouds, Damaged Survivors, Intestines of the Machine Age datent de 1970. Son féminisme s'exprime dans ses premières vidéos, Still Life, Onanism, Taboo. Partout elle construit une dialectique. Oppositions et contrastes. Le regard et l'écoute d'une femme. Nalini Malani dresse un portrait critique de la violence sociale et politique de notre société qui est aussi la sienne, là où les divisions de caste et de genre s'ajoutent à celles de classe. La beauté plastique renforce la mise en scène de cette imbécile cruauté. La résistance s'impose.

→ Nalini Malani, La rebellion des morts, rétrospective 1969-2018, exposition au Centre Pompidou, 5e étage, jusqu'au 8 janvier 2018
→ Conférence de Nalini Malani au Centre Pompidou le 22 mai 2013, vidéo de 1h35