70 Perso - mars 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 24 mars 2023

La difficulté d'être


Pourquoi n'écris-je pas plus de billets d'actualité, choisissant plutôt de restaurer d'anciens articles qui me tiennent à cœur ? Il est certain que recycler certains textes qui n'ont pas perdu une ride est aussi rassurant que gratifiant. Je les rafraîchis, comme dirait un coiffeur. Mes lecteurs/trices d'il y a dix-huit ans ne sont pas forcément celles/ceux d'aujourd'hui. De mon point de vue, me relire me surprend, et je constate que je suis toujours le même, un peu meilleur, j'espère, grâce à celles et ceux dont j'ai croisé la route. Depuis des années on me suggère de publier un recueil de mes articles les plus intéressants. Comment choisir parmi plus de cinq mille ? Autant m'atteler à un nouvel ouvrage ! Au cours de cette vie bien remplie, j'ai souvent répondu à la commande, au désir d'autrui, quel que soit le support, le moyen d'expression. Il faut déjà que ça sonne. Parfois je n'y connaissais pas grand chose, ainsi il fallut chaque fois inventer pour pallier mes incompétences. On verra bien ce qui se dessine. Au début cela fait peur, et puis, dès qu'on se jette dedans à corps perdu, les solutions se déroulent comme une pelote de laine, comme siphonner un réservoir !
Ces derniers temps j'ai été accaparé par le mixage du disque de rock que je termine pour Nicolas Chedmail, par la lecture de projets en vue d'une bourse accordée par un jury auquel je participe, par mes instruments que je dois sans cesse pousser dans leurs retranchements. Je prépare aussi les prochains "pique-nique au labo" auxquels sont déjà invités Olivier Lété, Violaine Lochu, Tatiana Paris, Hélène Duret, Emmanuelle Legros, Denis Lavant, Lionel Martin et quelques autres formidables improvisateurs/trices d'ici la fin de l'année. Toutes ces activités me permettent de garder un contact social, puisque les propositions se raréfient un peu avec l'âge. Les "clients" meurent, font faillite ou prennent leur retraite. Il faut sans cesse rajeunir ses contacts. On vous oublie si facilement. Détestant les replis communautaires, fréquenter des jeunes de toutes générations m'a toujours paru évident. On comprendra donc que je ne chôme pas, si j'ajoute les disques que j'écoute, les films que je projette, les livres sur lesquels je m'endors, la cuisine que je concocte chaque jour avec la même gourmandise, mes vélos statique et mobile, les ami/e/s qui passent me voir et les tâches ménagères qu'une grande maison sollicite.
Il y a une autre raison qui m'empêche de m'ouvrir complètement sur ce qui me préoccupe. Déjà je ne voudrais inquiéter personne les rares jours où le blues prend le dessus sur le bleu du ciel. De plus, se plaindre n'a rien de sexy. Et puis, il n'y a pas de quoi, du moins à titre personnel. Il n'en va pas de même du monde qui marche sur la tête, des inconséquences des idiots qui nous gouvernent aux guerres stériles dont seules les populations pâtissent, avec le terrible réchauffement climatique qui reste hélas une vue de l'esprit pour la plupart alors qu'il est la menace majeure. Je m'inquiète évidemment pour l'avenir des enfants d'aujourd'hui. Nous avons fait notre temps, or il n'est pas terminé.
J'ai emprunté mon titre à Jean Cocteau, un auteur et un livre qui me sont chers. Les dérives du monde ne me surprennent pas tant j'y vois une poésie de l'absurde. Les ventres vides ne l'entendent pas de ce ton-là. La misère pousse à la révolte. La solidarité à la révolution. En face s'exprime l'arrogance qui de tout temps a sonné le glas de l'oppression. Leur violence ne peut les protéger éternellement. Mon immense tendresse est mise à mal. À cet instant je ne sais plus écrire. Il est tard. C'est flou. Le cri a supplanté les mots.

lundi 13 mars 2023

Sans pète au casque


Sans pète au casque... Mais tout de même j'ai eu chaud ! Embouteillage d'automobiles, de cyclistes et de piétons traversant tous n'importe comment la place Auguste Métivier devant la station de métro Père Lachaise.
Je connais très bien l'endroit pour y avoir eu mes fenêtres pendant treize ans. À cette époque-là il n'y avait pas de couloirs pour les vélos ni de feux tricolores un peu partout. Un jour un hélicoptère a même atterri en son centre pour emporter un grand brûlé. Certains soirs je voyais des noctambules escalader les murs du cimetière. Il paraît que récemment ont été installés des barbelés pour empêcher les rendez-vous nocturnes et les profanations. Où sont passés les chats ? Je me rappelle Zouzou que les mamies considéraient comme le roi de ce petit peuple. Il arrivait aussi que des cortèges de manifestants passent devant chez nous. Lorsqu'Elsa était petite, elle s'en souvient encore parce que c'était le jour de son anniversaire, mais aussi celui de la mort de Jim Morrison, le boulevard de Ménilmontant avait été envahi de jeunes gens qui avaient campé là toute la nuit. Mouloudji et Gotainer habitaient en face et Lucienne, l'adorable fromagère chez qui ils se fournissaient comme nous tant elle connaissait son métier, votait Arlette Laguiller. Mais la place a changé. Tout comme Paris s'est transformé depuis que j'ai déménagé de la rue Vivienne à la rue Léon Morane (devenue rue des frères Morane), puis à Boulogne à deux pas de la Porte de Saint-Cloud avant d'enfin revenir à ma ville natale place de la Butte aux Cailles lorsque ce quartier était encore populaire. C'est comme si nous avions chaque fois fui les arrondissements avant qu'ils ne deviennent bourgeois. Cela n'a rien d'étonnant vu les revenus de mes parents puis les miens pendant longtemps. Le plus gros changement fut l'obligation de rouler phares allumés, jusque là Paris portait merveilleusement son nom de ville lumière ; en en rajoutant, certes pour éviter quelques écrasements de passants, l'afflux l'a éteinte, faisant disparaître ses ombres mystérieuses.
Or jeudi dernier vers 17h j'ai fait comme tout le monde en tentant de rejoindre l'avenue de la République depuis l'avenue Gambetta. Au moment où j'allais emprunter la voie vélo j'ai vu arriver en trombe un cycliste à la monture très large qui roulait objectivement comme on fait lorsqu'on veut que tout le monde s'écarte sur son passage. J'avançais tout doucement, mais j'ai tout de même freiné pour le laisser passer alors que je devais me glisser dans l'espace étroit où s'interrompt la petite bordure qui délimite la voie vélo. Je hais ces longs monticules particulièrement dangereux, préférant largement prendre des rues sans protections, mais permettant plus facilement d'éviter les nouveaux chauffards que sont cyclistes et trottineurs. Je ne sais pas ce que j'ai fabriqué, un coup de guidon ou heurté cette bordure, je suis tombé sur le côté droit. Ma tête a heurté le trottoir. La cagoule et le casque que je portais m'ont sauvé tant le choc était violent. En plus, en ce moment j'ai des cheveux ! J'ai eu le temps de voir le cycliste brutal s'arrêter, se retourner et filer à l'anglaise pendant que deux Africains prévenants m'enjoignaient de ne pas me relever. Je les ai rapidement rassurés. Bizarrement je saignais du pouce gauche sous mon gant de cuir déchiré. Ni ma monture ni mes vêtements n'étaient esquintés, mais je sentais le coup sur ma tempe. Après un temps de respiration j'ai repris délicatement ma route vers le Centre Jacques Bravo où Linda Edsjö présentait son solo In This House, spectacle tout frais construit de bruits et de douceurs. Entre temps j'avais traversé une manif boulevard Magenta où les flics étaient plus nombreux que les manifestants, sans compter les cars planqués dans les rues adjacentes. Le lendemain mes courbatures étaient évidemment extrêmement douloureuses et invalidantes, et le surlendemain pas moyen de lever les bras. Si on me crie "haut les mains !" je suis mort. Rendez-vous est pris avec mon ostéo que j'avais justement consulté la veille ! J'en vois deux qui se marrent. Mais franchement, je le dis à tous mes ami/e/s : ne pédalez pas sans casque, même pour faire cent mètres. Pascal s'était retrouvé à l'hôpital le seul jour où il l'avait laissé chez lui, et je connais maintenant une dizaine de proches qui ont été accidentés. Le port du casque fait toute la différence.