70 Perso - juillet 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 31 juillet 2023

La barbe


C'est l'été. Je n'ai que ça à faire. Pas vraiment, mais les sorties sont plus rares ces derniers temps. Il pleut. Les amis partent en vacances. Le silence envahit la rue, si ce n'est quelques solos de batterie qui arrosent régulièrement les vitres. Je suis dans l'expectative. Et puis chez moi ça miaule et ça décibêle. Comme des moutons électriques. Peut-être ferai-je bientôt comme tout le monde, du moins ceux qui prennent la poudre d'escampette, mais j'ai peut-être un nouveau Pique-nique au labo à enregistrer la semaine prochaine. Alors, lorsque je ne m'occupe pas des prochaines sorties discographiques, un CD avec une vingtaine d'invités et un vinyle de rock déglingué avec le groupe Poudingue, lorsque je n'aménage pas la maison ou ne m'occupe pas des plantes du jardin qui me narguent à concourir à qui poussera le plus vite, sans compter écrire, toujours écrire, des mots, de la musique, des images, cela m'a semblé une idée amusante de me laisser pousser la barbe. J'y ai souvent pensé, parfois commencé, et puis je m'étais dégonflé. Cela ne prend pourtant pas de temps, au contraire on en gagne même un petit peu le matin. Cette tâche quotidienne, répétitive, particulièrement rasante me semble enfin plus légère. Comme beaucoup de barbus, je tripote de temps en temps cette bande Velcro en poils noirs et blancs. C'est doux. Je joue. Comme lorsqu'enfant je me déguisais, ce que mon père appelait la chienlit. Paradoxalement je continue à me raser les joues, peut-être pour affirmer le geste qui n'a rien de négligé. En fait je reproduis explicitement la barbe que j'avais eue à vingt ans.


Fraîchement sorti de l'Idhec, j'étais allé demander du boulot à l'un des patrons de Gaumont. Il m'avait répondu que j'avais l'air d'avoir quinze ans et que personne ne me prendrait au sérieux. Cela lui rappelait ses débuts où il s'était laissé pousser la barbe pour faire plus vieux. Je suivis son conseil et me retrouvai à travailler sur des films de René Clément ou Jean Rollin ! J'attachais mes cheveux en catogan, ce que personne ne faisait encore. Ma passion pour Frank Zappa, dont j'écoute justement en ce moment le triple Funky Nothingness exhumé de 1970, y était aussi pour quelque chose. Sept ans plus tard, en 1981, je coupai mes cheveux, rasai ma barbe, cette fois pour me rajeunir ! En me regardant dans le miroir de la salle de bain, je sautai littéralement de joie. Je m'étais reconnu. Mes cheveux courts s'étaient étonnamment mis à friser, mais cela n'a pas duré. J'ai depuis laissé tranquille mon système pileux. De son côté il a pris ses aises en me gratifiant d'une petite tonsure. Entre temps, sur les conseils de mon ami Bernard, j'avais tout de même tenté de me teindre, mais j'ai vite abandonné, préférant assumer la nouvelle mue. En cherchant une photo des années 70, je me suis aperçu que je réalisais déjà des selfies. Les cheveux longs et la barbe sont aussi devenus à la mode. Je l'ai toujours fuie, mais à écouter ma musique ou regarder mes films je me demande si je ne devrais pas parfois essayer de m'en rapprocher ? J'en suis très probablement incapable, préférant l'inédit, les chemins de traverse et l'indépendance. Je fais donc une exception, c'est la barbe !

jeudi 27 juillet 2023

Coups de foudre


Des amis, des amies m'ont parfois reproché d'aller trop vite dans mes relations amoureuses, comme si mon enthousiasme faisait peur et empêchait certaines relations de s'établir. J'ai toujours répondu que si c'était la bonne personne pourquoi perdre du temps en simagrées, et en cas de fausse route autant s'en apercevoir le plus tôt possible ! Si je me réfère à mes amours passées, cette promptitude m'a toujours réussi et je reste persuadé que celles que j'ai effarouchées n'étaient pas faites pour moi. Les ruptures ont procédé de la même vitesse, bien que j'en fusse rarement l'initiateur. Cette symétrie se retrouve dans le divorce qui est à la hauteur du mariage, à savoir que plus on y met d'importance, plus le divorce sera douloureux. En voyant les sommes colossales dépensées par les jeunes couples qui se marient je me dis souvent qu'ils n'auront pas fini d'en rembourser les frais avant de se séparer ! Mes deux divorces avec des femmes que j'ai beaucoup aimées se sont passés à l'amiable. Nous avions habité ensemble dès le premier jour et avons profité de notre complicité de très nombreuses années. Mes liaisons plus courtes, bien qu'assez longues, n'ont pas été différentes. Lorsque je repense à ce que nous avons vécu je n'en conserve que de bons souvenirs. À quoi bon ressasser nos erreurs ? J'ai été heureux avec toutes (enfin, sauf une, il était probablement nécessaire de se tromper au moins une fois, mais cela avait duré tout de même deux ans !) et, grâce leur soit rendue, j'ai l'impression d'avoir été chaque fois un homme meilleur. C'est dire qu'à mon âge canonique j'espère m'approcher de la notion de Mensch, rare trace de ma culture ancestrale.
J'avais d'abord titré "I know where I'm going", comme le film de Michael Powell que j'adore, et pour cause, il y a des évidences, trop rares, raison de plus pour ne pas les laisser passer. Si je peux parfaitement identifier mon désir, suis-je pour autant capable de sentir la réciprocité, indispensable pour faire ensemble un bout de chemin, sans ne jamais s'ennuyer, dans une confiance mutuelle absolue, et une acceptation totale de l'autre ? Je me suis parfois leurré, mais fus rembarré suffisamment tôt pour que cela n'ait aucune gravité. Lorsque le regard de l'autre fait miroir, jaillit l'élan le plus fou. La raison s'efface alors, remplacée par une certitude qui me rappelle l'improvisation musicale. Comme on se surprend soi-même, on acceptera les mystères qui meuvent l'être aimé en se fiant à son intuition, surtout si elle a fait ses preuves. Cela n'empêche pas la plus grande fébrilité, car à l'instant de la rencontre on n'est encore rien, portant pourtant l'énorme bagage du déficit des années antérieures. Est-on alors capable de s'en débarrasser pour renaître comme au premier jour ? Peut-on avoir l'innocence de croire que tout est encore possible, à chaque moment de l'existence ? Lorsque la magie opère, il ne faut surtout pas s'endormir et entretenir la flamme, légère, brûlante, merveilleuse.

P.S.: oui, c'est l'été, on peut jouer, je me laisse pousser la barbe ; et dans une seconde il va pleuvoir des hallebardes, c'est bon pour le jardin. Quant à mon petit article, n'y cherchez pas de sous-entendus, j'ai tenu ces propos de tous temps, ce qui ne m'empêche pas de rêver, même s'il faut toujours prendre en compte le temps entre la foudre et le tonnerre, il y a un fichu délai entre l'image et le son...
J'ajouterai que mes amitiés furent toujours aussi évidentes, tant dans la rencontre que dans d'éventuelles ruptures.

mercredi 5 juillet 2023

Sur l'aile


Dans la matinée j'étais allé chercher cinq cartons de vin pour regarnir la cave. Pierre insiste pour commander des primeurs de 2022, une année exceptionnelle pour l'ensemble du pays, comme il n'y en eut pas depuis trente ans. Le soir Étienne Mineur a eu la gentillesse de mettre en forme la pochette du prochain CD, le volume 3 de Pique-nique au labo, imaginée et réalisée par mc gayffier. Au côté champêtre du pique-nique du double précédent, Marie-Christine a préféré mettre l'accent sur le labo en privilégiant la radioactivité. Entre temps j'ai plus ou moins finalisé cinq annonces nudge pour le Transilien, plaçant les voix dans des décors adéquats, course d'avirons, heure de la récré, voyage intersidéral, chute dans les escaliers... Cela explique que, bien qu'ayant sélectionné les photos du voyage au Maroc, je n'ai pas eu le temps d'aller plus loin... En image, le détroit de Gibraltar...