70 Perso - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 21 avril 2025

Nous ne sommes que des marionnettes


Version initiale sérieuse tout de noir vêtu ou fleurie après rectifications, il n'empêche qu'on fait mumuse avec les Starter Packs en faisant chauffer les centraux qui polluent toujours un peu plus la planète. Dans un premier temps j'ai souri aux choix du robot qui est allé glaner sur le Net la Série limitée "Pluriartiste polymorphe" incluant dans la boîte :

🎧 Casque audio vintage AKG pour écouter des sons impossibles à classer entre jazz, électro, théâtre radiophonique et bruitages absurdes
🎹 Synthétiseur comme l’un des premiers que j'ai utilisés, permettant de créer des sons électroniques analogiques avec un soupçon de chaos
📚 Micro-livre "Somnambules", œuvre onirique à lire en écoutant la bande-son intégrée (bouton audio au dos du livre)
🎙️ Mini-micro Radio France parce qu’on ne compterait plus mes créations radiophoniques et documentaires sonores pour France Culture et consorts (!)
🎭 Marionnette de théâtre en référence à mes collaborations avec des metteurs en scène, compagnies de théâtre et performances immersives
🖥️ Tablette avec appli de réalité augmentée pour explorer mes œuvres interactives en AR (comme "Alphabet", "USA 1968", etc.)
🐠 Petit poisson rouge "Zorn le Silencieux", clin d’œil à mon univers absurde, poétique et souvent un brin surréaliste
👕 T-shirt noir avec logo GRRR, le label mythique que j'ai fondé, signe de ralliement des amateurs de créations hors format.

Ce sont les termes employés par ChatGPT. Pour parfaire l'ego-trip, j'ai corrigé ici les approximations du texte fourni par le logiciel d'intelligence artificielle et lui ai demandé plus de couleurs (orange et bleu), une chemise à fleurs, de supprimer la montre au poignet et d'ajouter une référence cinématographique, ce dont il s'est acquitté de bonne grâce. Alors évidemment je me suis trouvé plus vieux que je ne m'imaginais. Trop de barbe me fait ressembler à Sigmund Freud. Cela ne me déplaît pas vraiment. Je me suis souvenu que j'avais commencé à faire de la musique dans ma chambre d'adolescent avec un casque sur les oreilles pour ne pas embêter mes parents et parce que je n'avais pas de meilleur système d'écoute ; j'ai continué ainsi à m'isoler du monde en en créant un qui me convenait mieux, un monde de rêve où régnait l'amour et la paix, et je trouve toujours qu'il est confortable de n'entendre rien d'autre que ce qui est dans ma tête, j'enregistre donc souvent en partageant les sons de l'orchestre au travers de cet écheveau de câbles. La référence à l'œuvre Somnambules, créée avec Nicolas Clauss et disparue du Net, m'a rappelé qu'enfant j'étais somnambule et qu'il m'arrivait de courir la nuit autour de la table de la salle à manger les yeux fermés sans me cogner, et puis là aussi j'ai continué à vivre en somnambule mes activités artistiques qui m'échappent totalement dans le feu de l'action, même si elles ont été soigneusement préparées et que je m'y retrouve lorsqu'elles sont terminées. J'ignore comment le poisson rouge est sorti de l'eau ; une carpe c'est muet en effet, et je suis un terrible bavard (sic mes articles quotidiens !) ; est-ce plutôt le cousinage avec le compositeur américain dont je me suis senti proche à ses débuts, mais avec qui je suis brouillé depuis que je lui ai confié que j'étais anti-sioniste ? Ou bien est-ce à cause du nouveau décor de la cave après l'inondation de cet automne ? En tout cas, nous sommes bien devenus des marionnettes entre les mains du réseau, déshumanisés, formatés, standardisés, américanisés, et les particularités dont nous sommes affublés ne sont que poudre aux yeux. Alors pourquoi m'y plie-je ? Parce que je suis toujours le gamin somnambule qui adore s'amuser, un casque sur les oreilles, des jouets tout autour de lui dont naissent des objets inattendus.

samedi 12 avril 2025

De l'autre côté du mur


Mardi j’ai pris la photographie depuis le trottoir d’en face. Là c’est de l’autre côté du mur avant qu’il pleuve… La célébration du 50e anniversaire des disques GRRR se passera-t-elle à couvert ?

Dans chacune des deux images on peut découvrir une peinture d'Ella & Pitr. Le Spun est une création de l'artiste et designer anglais Thomas Heatherwick, éditée par la marque de design italienne Magis. Quant au banc il aurait appartenu à Johnny et la porte ne mène nulle part !

mardi 8 avril 2025

Repeindre le ciel


On a repeint le ciel, mais ce n’est pas tout à fait la bonne nuance, contrairement au mur qui a retrouvé son orange « Tallinn » (un signe pour l’été prochain). Des couleurs, des couleurs comme celles du nouveau Pique-nique au labo, volume 4 qui paraîtra le 18 avril !
(disques GRRR dont c'est le 50e anniversaire, dist. Socadisc)

jeudi 23 janvier 2025

Des chats, des fous, des imbéciles et des nuisibles


Samedi 1h du matin. Premier sommeil. Je n'ai rien entendu. Par contre les voisins ont été réveillés par le choc. Assez rapides pour apercevoir le SUV repartir en zigzagant, mais pas pour noter son immatriculation. Certains ont cru le voir prendre la fuite en marche arrière, d'autres en marche avant. Dans le premier cas cela signifierait que le conducteur avait emprunté le sens interdit. Si c'est le cas, le salopard l'aura rendu vite fait. Il devait rouler bigrement rapidement pour exploser le scooter, tordre le pilier auquel il est attaché et pousser la voiture garée devant chez nous d'un mètre cinquante en broyant son moteur. Il avait peut-être aussi un coup dans le nez. Je ne pense pas qu'on le retrouvera, même si son tank a dû en prendre un coup.


Le soir même, la petite chatte d'en face avait filé à l'anglaise. Depuis dix ans qu'elle habite là elle n'avait jamais traversé la rue. Extrêmement peureuse, presque invisible pour sa famille d'accueil. Elle se planque au moindre bruit. Pas drôle. Prostrée sous la voiture, nous n'avions pas réussi à la récupérer. Était-elle encore dessous au moment du choc ou avait-elle déjà migré deux voitures plus bas, on ne le saura jamais. Les chats font les quatre cents coups, mais ne racontent jamais rien.
Django a par exemple déserté la maison pendant plus de six mois, n'apparaissant que trois fois par jour à l'heure des repas et repartant aussitôt. Nous étions désespérés, lui qui est si câlin ! Une histoire de jalousie avec la petite Lola fraîchement arrivée ? Et puis lorsque le froid de l'hiver s'est pointé il est revenu comme un cœur, reprenant toutes ses anciennes habitudes comme si de rien n'était. Mieux, il roupille toute la journée comme les deux autres, et ne sort plus aussi souvent chasser. Il en a peut-être soupé du froid et de la pluie qu'il aimait tant ?
La petite Baghera, c'est le nom de la petite écaille de tortue d'en face, est restée prostrée quatre jours et quatre nuits sous la voiture de l'ancien épicier sans que nous arrivions à la récupérer. Je craignais qu'elle meure de froid. Peut-être que la faim la ferait sortir. Marius a fini par l'avoir. Elle a bu, mangé et elle s'est laissée prendre un bain sans sourciller. Elle puait l'essence. Lorsque mes voisins sont absents il arrive que je la nourrisse, elle et Milkidou, le gros chat qui squatte notre cave lorsque ses humains sont trop longtemps absents. Il faut dire qu'il est né là, chez nous, vu que c'était un des petits de notre Oulala. Nous l'avons en quelque sorte en garde partagée, mais il terrorise nos trois zozos.
Des chats il n'y en a pas deux pareils. J'imagine que c'est le cas pour tous les animaux, comme nous, animaux dénaturés qui faisons la loi et pas de la façon la plus sympathique. Je m'interroge de plus en plus sur l'espèce humaine. Faut-il être bête pour se faire la guerre, s'enrichir sur le dos des autres, passer ses nerfs sur ses proches ou ses lointains, trucider les autres espèces, ou voter pour ses bourreaux ! Je ne comprends pas comment nous acceptons d'être guidés par des fous, des imbéciles et des nuisibles. Lâches ou suicidaires, pour revenir à l'accident de samedi soir...

lundi 30 décembre 2024

Torticolis


Devant déplacer des poids lourds j'ai protégé mon dos en oubliant mon cou. Voilà donc une semaine que je suis terrassé par un torticolis aigu dont la douleur est permanente. Cela ne remonte pas à hier puisqu'en 1532 Rabelais l'écrivait déjà tortycolly ! Après être allé chercher une minerve en haut du placard j'ai pris mon mal en patience, le tramadol-paracétamol ne faisant étonnamment que peu d'effet, tout comme le massage à la gaulthérie couchée. J'ai tout essayé, le tube de Ketum et le bâton de moxa. Cela fait si mal, et sans interruption, que j'ai l'impression de vivre derrière un rideau de fumée, un filtre que tout, absolument tout, traverse, ouaté. Ma vue et mon ouïe s'en trouvent affectées. J'entends moins bien, comme éloigné de la réalité. Il m'est indispensable de me concentrer pour oublier la douleur lancinante, effort paradoxal puisque j'ai un mal fou à me concentrer sur quoi que ce soit. J'y pense et puis j'oublie, mais j'y pense beaucoup plus que je n'oublie. Il est étrange que la douleur aiguë à droite ait changé de côté pour devenir sourde à gauche. Je me fais l'effet d'un échassier, le cou raide, mon mètre de couturière s'étant métamorphosé en mètre pliant. La minerve me tient droit, mais je dois l'ôter la nuit où le moindre mouvement est particulièrement pénible. Étrange symptôme, la douleur se déplace de jour en jour, d'abord aiguë à droite elle a migré sourde à gauche, avant de produire de terribles crampes dans le cou. Mais elle ne passe pas. Je garde un calme olympien en attendant un rendez-vous osthéopathique, espérant qu'étudier la douleur l'apprivoise jusqu'à la faire disparaître, comme j'ai appris à le faire à vingt ans en lisant Bras cassé de Henri Michaux.

vendredi 13 décembre 2024

La pilule de l'oubli


Je pensais avoir perdu la mémoire, j'avais perdu la vue. Hier matin, alors que je m'apprêtais à fêter mon anniversaire avec un peu de retard, je retrouve le petit sachet "Erase Your Past" accroché derrière la porte d'entrée à côté de trois petites gommes japonaises et d'un nazar bonzuğu, l’œil porte-bonheur turc. Comment est-il possible qu'il m'ait échappé depuis douze ans ? Il est pourtant en face de nous lorsque la porte est fermée. Et personne d'autre ne l'avait non plus remarqué. Je repense évidemment à Cocteau pour Les mariés de la Tour Eiffel : "Puisque ces mystères me dépassent, feignons d'en être l'organisateur." Il n'empêche que l'objet est bien paradoxal, car je n'ai même pas eu besoin de l'avaler pour qu'il fasse effet !

Mon anniversaire de soixante ans [l'article date du 14 novembre 2012] m'a valu une pluie de cadeaux plus merveilleux les uns que les autres, mais la disparition de celui d'Élise Thiébaut m'a particulièrement énervé. Je l'ai cherché partout, sous les meubles, derrière les livres, dans la poubelle... Combien de fois ai-je vérifié qu'aucun coin de la maison ne m'avait échappé ? Sur le paquet en cellophane contenant une gélule noire était simplement stipulé "Effacez instantanément votre passé !". Un de mes amis l'aurait-il subrepticement dissoute dans mon verre ? Si c'est le cas jusqu'à quelle date l'effet se fait-il sentir ou plutôt ne se fait plus sentir ? J'en perds mon latin et la boule. Bonne nouvelle tout de même, le médicament miracle ne semble pas être une remise à zéro totale, sinon trouverais-je encore mes mots pour vous parler ? La chose appartient à la première série des Pilules et Remèdes, œuvre de Dana Wyse intitulée Jesus Had A Sister Productions 1996-2003 (Set complet) et sous-titrée Helping you to create your own reality since 1789... Voilà, un coup de Tippex et je ne retrouve plus rien. Le goberez-vous ? Dix ans après cette fantaisie, le propranolol est devenu chose sérieuse, susceptible, paraît-il, de soulager les chocs post-traumatiques.

samedi 12 octobre 2024

Inondation


Je suis mort. Enfin, presque. Énorme inondation à la cave. Jeudi j'ai écopé, épongé pendant six heures sans en venir à bout. Et pour cause. L'eau jaillit du sol comme un petit geyser. Je savais bien que sous les pavés il y a la plage. Un affluent de la Dhuys passe probablement sous la maison. Les constructeurs d'un complexe immobilier en aval ont bétonné leur sous-sol très profondément, empêchant la rivière de s'écouler comme jadis. Heureusement je me suis fait aider samedi matin, car les courbatures sont telles que je ne peux plus me baisser. J'avais même glissé avec un beau vol plané atterrissant sur le dos et j'ai fait un cauchemar où je me noyais. J'ai donc commandé un aspirateur pour eau, car cela risque de se reproduire, à moins que nous arrivions à cimenter le fonds de la cave. En attendant cela ne s'arrête pas. Angoissant.

mercredi 9 octobre 2024

Les mauvaises manières


Depuis ce texte du 11 octobre 2012 je pense avoir résolu mon sentiment d'usurpation liée à ma formation musicale autodidacte. Il en aura fallu du temps. Peut-être une certaine reconnaissance de mon travail ? Quant à la reconnaissance, là aussi, il me semble que je suis plus serein, pour avoir compris qu'aucun artiste, quelle que soit sa notoriété, n'en est jamais satisfait. Je l'attendais de mes pairs, elle est surtout venue du grand public, certes en ordre dispersé, mais sans esprit de chapelle. Il suffit de vieillir sans fléchir ! J'aime bien la petite histoire où l'on raconte que l'on interrogeait un sculpteur de 95 ans sur le chemin difficile que représente la sculpture, justement en termes de notoriété ; le vieux monsieur répondit qu'il ne comprenait pas la question, car seulement les 85 premières années sont difficiles...

Théâtre Mouffetard, 1978. Francis, Bernard et moi jouons dans la Compagnie Lubat. Ce soir-là je tiens le piano et réciproquement. C'est un contrat entre lui et moi. Il est droit, je suis un peu penché. Tandis que je frappe les touches, relevant la tête j'aperçois celles de trois autres musiciens de l'orchestre, Michel Portal, Bernard Lubat et Patrice Mestral, qui dépassent derrière le cadre, tous premiers Prix de conservatoire. Accoudés au-dessus du couvercle, ils regardent mes mains. Je flippe méchamment, pensant que je suis démasqué ; ils vont s'apercevoir de la supercherie, ma carrière va en prendre un coup. J'ai déjà évoqué ici le sentiment d'usurpation que ressentent souvent les autodidactes. Le concert se poursuit et, à son issue, le trio de virtuoses pour qui j'ai la plus haute estime vient me voir. Je n'en mène pas large. Michel, parlant pour les autres, me demande "où as-tu appris cette technique ?" Coup de théâtre. Je n'ose mentir et raconte que je n'en ai aucune, la preuve : j'en suis à ma troisième tendinite du bras gauche ! Cet épisode m'accordera évidemment ensuite un peu plus d'assurance... Bernard Vitet et Francis Gorgé y seront aussi pour beaucoup, ainsi que les quelques 200 musiciens et musiciennes qui me ou nous rejoindront les 45 années suivantes !

J'ai arrêté le piano il y a longtemps, mais il m'arrive souvent de me servir d'un clavier pour imiter des instruments ou générer des sons électroniques. [À cette époque ayant] fait l'acquisition du piano préparé de l'Ircam et de l'Array Mbira de SonicCouture [j'avais] probablement forcé la dose, et taper toute la journée à l'ordi n'arrange pas les choses. [J'avais] une douleur terrible au coude qui [m'empêchait] de dormir. Où mettre le bras ? Notre masseuse chinoise [avait] travaillé mon poignet du bout de mes doigts jusqu'à la mâchoire. J'ai dégusté sec, espérant être remis d'aplomb d'ici le concert [...] au Pannonica de Nantes avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang.

Les bonnes manières étaient le titre d'une série animée de Daphna Blancherie et Natacha Nisic en papier découpé (cf. illustration) dont j'avais fait la musique et les bruitages en 1993. Ici les mauvaises se rapportent à la façon gauche dont j'aborde parfois la vie. Je fais des efforts pour me corriger, en me prenant moi-même en charge ou en me faisant aider. En vieillissant on va certes de plus en plus mal, mais l'on apprend aussi à mieux gérer ses douleurs et ses contrariétés. Si l'on s'y prend correctement, la gestion prime sur les emmerdements. Ainsi, aujourd'hui, je me sens de mieux en mieux. C'est du travail. Il n'est hélas pas rémunéré, les heures passées ne sont pas prises en compte pour la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse) où [j'avais] rendez-vous [pour ma retraite]... Il y a quelque chose d'absurde et de merveilleux. Je trouve ça drôle.

Depuis, j'ai l'impression d'aller de mieux en mieux, physiquement et moralement. On oublie vite toutes les misères qui nous affligés lorsque nous étions plus jeunes... Je n'ai plus de tendinite depuis que j'ai acquis le Theragun, ni de lumbago depuis que je pédale sur mon vélo d'appartement. Quant au crabe, je lui avais fait la carapace dans les mois qui suivirent l'opération !

vendredi 4 octobre 2024

Notre jungle


Le titre pourrait laisser penser que mon article du jour évoque notre monde immoral où un génocide se perpétue sous nos yeux sans que nous nous y opposions, mais la jungle est un milieu en réalité beaucoup plus tendre qu'on ne l'imagine. Quand les coupeurs de bois exotique ou les foreurs de puits de pétrole ne la dévastent pas, elle incarne la nature dont nous, mammifères soi-disant évolués, avons encore le pouvoir de rêver. Après les océans, elle permet à notre planète de respirer, et ses habitants vivent en meilleure intelligence que les "animaux dénaturés" que nous sommes devenus.
Toute proportion gardée (!), lorsqu'il y a vingt-cinq ans j'ai créé le petit jardin derrière la maison je l'avais conçu japonais, mais les plantes ont poussé et j'ai eu beau combattre la sélection naturelle, beaucoup de plantes ont disparu et d'autres ont pris toute la place. Les feuillages persistants des bambous et du palmier donnent l'impression d'une jungle. Lorsque je repense à celle de l'Amazonie, c'est paradoxal car la selva ressemblait plutôt à un sous-bois, certes menaçant avec ses écorces empoisonnées, ses piquants invisibles et les bestioles camouflées en feuilles mortes. Tous les films que nous avons récemment regardés et qui se passent dans la rainforest en attestent. La machette sert plus souvent à marquer son chemin qu'à s'y frayer. Pas de coupe-coupe chez nous, mais des sécateurs de toutes tailles ! En particulier dans l'autre jardin, qui donne sur la rue...


Le voilà le sous-bois ! À chaque grosse averse les branches ploient sous l'eau et forcent les passants à courber l'échine. Néanmoins le lierre, la glycine, et ce qui reste de l'églantier et du lavatère se liguent pour constituer un énorme parapluie au-dessus du trottoir où l'on peut s'abriter pour éviter la douche. Toute cette verdure profite au quartier, comme le bouquet vivant d'un géant amoureux. À chaque pluie importante je taille et coupe les branches à la limite de la chaussée pour ne pas gêner les rares véhicules qui empruntent la rue. Les automobiles y sont devenues rares depuis qu'une avenue en aval a été fermée pour être végétalisée. L'itinéraire a ainsi perdu sa particule "bis", nous laissant espérer que les chats feront tout de même toujours attention en traversant. Avec les oiseaux, les muridés, les insectes, les araignées et les humains, ce sont les seuls animaux qui peuplent notre jungle.

mardi 18 juin 2024

@ chat qu'étage


Nous avons trois chats et demi dans ce qui pourrait ressembler à une maison de poupée. Le demi parce qu'en garde partagée. Et chacun s'est arrogé son étage. Tout en haut, Django, huit ans, a choisi l'endroit le plus calme de la maison parce qu'on y grimpe rarement. La couette est moelleuse, l'oreiller confortable pour le dos qu'il étire et compresse comme un bandonéon. Il l'étire tant qu'il dépasse le mètre du museau au bout de la queue pour ensuite s'arc-bouter façon toréador ou bossu de Notre-Dame. C'est le plus gentil, le plus craintif aussi, certainement contrarié par la petite Lola arrivée récemment. Taquine ou apeurée, elle le chasse. Django en est réduit à passer ses nuits, et souvent ses jours, sur un tas de brindilles dans l'allée adjacente. Il demande à boire au robinet et ramène régulièrement des souris et, en désespoir de cause, des vers de terre, qu'il dépose délicatement sur la moquette claire du premier étage.


C'est là que Lola a pris ses quartiers d'été après avoir essayé toutes les places possibles de la cave au grenier. Très câline, elle est la seule à se laisser prendre dans les bras et caresser sur le ventre. À n'avoir rencontré aucun félin pendant ses deux premières années et n'avoir jusqu'ici vécu qu'en appartement, elle se prend probablement pour une humaine, crachant sur tous les autres chats. Oulala ne se laisse pas faire du tout, mais Django flippe sa race. Allergique, elle a un ulcère indolent sur la lèvre supérieure réclamant une piqûre de cortisone tous les deux mois. Un peu irritée, elle n'en souffre pas et n'est pas contagieuse. Il lui a fallu trois mois pour apprendre à sortir et rentrer pas les deux chatières à puce installées devant et derrière la maison.


Oulala est la plus casanière. Elle passe sa vie au rez-de-chaussée, sur un fauteuil de la salle à manger, cachée par la nappe. Elle est à peine plus âgée que Django, mais eut dans le passé trois portées, soit dix chatons, tous donnés à des amis proches. Avec le temps elle devenue plus tendre, grimpant sur mes genoux pendant que je frappe les touches de mon clavier. Contrairement à Django qui part très loin se promener, elle ne franchit pratiquement jamais les limites de la propriété. Tout ce petit peuple se tolère sur les murs du jardin. J'ai installé trois gamelles en espérant qu'ils savent compter jusqu'à trois, mais elles sont interchangeables. Ni elle ni Django ne volent, mais Lola est très tentée...


Moins que Milkidou qui ne rêve que d'une chose, rentrer à la maison, ce qui lui est strictement interdit, pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'il est né là et que je l'ai élevé jusqu'à ses trois mois, mais il squatte le jardin et terrorise les trois autres, peut-être à cause de sa taille. C'est un fils d'Oulala, troisième portée, clé de sol. Ses humains, qui l'ont adopté, ne possédant pas de jardin, il traverse la rue pour rejoindre notre disneyland pour chats. Comme leur sonnette est trop haut pour lui, il vient miauler pour que j'aille sonner chez eux afin qu'il puisse regagner son nouveau foyer. Cela fait tout de même six ans qu'il mène ce petit jeu. Il est très gentil, mais un peu caractériel : il ne supporte pas de rester chez lui trop longtemps et fait des bêtises si on lui refuse ses escapades vers chez nous. Dès qu'il pleut ou s'il fait froid il se réfugie dans notre cave où la chaudière est installée. Il ignore encore si c'est autorisé ou pas. Depuis que je l'y ai invité, il a au moins arrêté d'y marquer son territoire.
Nous vivons donc chez ces petits mammifères qui bénéficient du clos et du couvert, des croquettes suédoises, régime des lynx, et de massage où et quand ils le décident. Tous raffolent du frottage énergique des oreilles depuis que j'ai découvert leur point faible. Malgré tout cela, nous avons d'autres sujets de conversation et nous les laissons se débrouiller avec les amis qui gardent la maison lorsque nous sommes absents.

mardi 14 mai 2024

Kangoo, c'est fini !


Kangoo, c'est fini ! Du moins pour moi. Après 14 ans de bons et loyaux services, je donne ma voiture à ma fille qui en a plus besoin que moi et je n'en rachète pas. Lorsque j'aurai besoin d'une automobile j'en louerai une, mais cela n'avait plus de sens d'en garder une à Paris, surtout qu'elle fonctionne au diésel. Le concessionnaire me l'avait vendue comme une voiture bio, les décalcomanies d'origine en attestent. Si l'on compare ce que coûtent l'achat, l'assurance, l'entretien, les contrôles techniques, le carburant et les contraventions avec le luxe de prendre quelques VTC en plus du vélo électrique et des transports en commun, il n'y a photo que celle que je prends là, à Nantes, avant de m'en séparer. Dès que j'ai obtenu mon permis de conduire en juillet 1971 j'ai roulé et j'aimais cela. Ce n'est plus le cas. Ma mère avait acheté une Daf automatique dont elle ne se servait pas. Elle avait repris des leçons de conduite, mais elle était si myope que cela la terrorisait de se mettre au volant. J'en ai donc bénéficié dès le premier jour. J'ai longtemps eu une 4L, puis mon père me donna sa vieille Simca Chrysler avant que j'acquière une Espace qui m'a duré vingt-cinq ans. À la fin, l'hiver, comme il n'y avait plus de chauffage, on se mettait une couverture sur les genoux comme du temps des premières automobiles. J'ai fini par acheter une Kangoo pour transporter les lapins de Nabaz'mob, trois cantines leur servant de clapiers. Et puis c'était bien pour les longs séjours dans les résidences secondaires de mes compagnes. Je n'ai jamais eu de maison de campagne, je n'aurai plus d'auto.


Pourtant "ça c'est de la bagnole !" La Kangoo ne servait plus qu'à déménager les copains qui me l'empruntaient régulièrement. Dans le quartier, mes voisins ont abandonné la leur les uns après les autres. Je conserve le garage qui permettra à mes hôtes de se garer sans problème lors de leurs visites. Je redeviens un piéton, période lointaine puisqu'à quatorze ans j'avais eu en cadeau une mobylette grise avec laquelle j'allais au lycée. Avant cela, je courais. J'ai toujours couru pour aller à l'école et en revenir. Je ne suis jamais arrivé en retard à un cours et je n'ai jamais séché, du moins jusqu'en mai 68. Je me demande donc ce que je vais devenir...

mercredi 13 mars 2024

Chats perchés


Chacun cherche son chat. Django a choisi le lit du second étage, Oulala le fauteuil du rez-de chaussée. Comme Milkidou occupe (plus ou moins légalement) la cave, il ne reste que le premier étage de libre pour la jeune Lola, deux ans. Les deux "miens" en ont six de plus. C'était le 8 mars l'anniversaire d'Oulala, ça se fête, et je crois me souvenir que Django est du 26 juillet de la même année. Je suis très fier de leur stoïcisme à l'arrivée de la petite chatte qui n'avait encore jamais rencontré d'autres félins, vivant jusque là en appartement. Elle crache un peu, gronde parfois, mais pour l'instant tout le monde se regarde en chats de faïence. Lola en profite pour jouer Madame Récamiaou sur le clavier de mon ARP 2600 sous l'œil effaré de Léon Larive. La vie est à nous ! Il y a forcément un temps d'adaptation. On se fait sursauter au détour d'un chambranle. Et puis il y a le jardin qui révèle ses parfums de printemps précoce, ses bruissements sous la brise, son labyrinthe de branches. La veille des présentations j'avais préparé Django et Oulala en disposant une troisième assiette de croquettes. Il fallait voir leur air ahuri. Je leur ai donc annoncé l'arrivée d'une petite sœur à grand renfort de caresses et de gourmandises. Lola est maline, elle a illico squatté la couette de la chambre, dessus, dessous, cache-cache et câlins. Je vais de l'une à l'autre comme une boule de billard, rebondissant sur les bandes. Heureusement leurs siestes me laissent le temps de faire autre chose de mes journées.

mercredi 24 janvier 2024

Atchoum !


J'ai changé le texte de mon petit article du 26 avril 2012, mais pas les images. Voilà ce que c'est que de marcher pieds nus sur les dalles glacées d'une maison du sud ! Je le savais et pourtant je l'ai fait quand même. Est-ce pour braver le sort ou tromper la mort, simple paresse ou stupidité avérée ? Chaque fois que je descendais l'hiver à La Ciotat j'attrapais la grippe. Les maisons n'y sont pas construites pour cette saison. J'étais descendu pour commémorer le dixième anniversaire de la mort de Jean Morières, une magnifique soirée au JAM de Montpellier avec dix-huit autres musiciens.
Depuis des mois je n'arrivais déjà pas à me débarrasser d'une toux exténuante alors que celle de l'an passé m'avait laissé aphone. Hémorragie des cordes vocales, avait filmé le phoniatre en enfonçant sa fibre optique dans ma narine. Depuis des semaines j'éternue déjà comme une mitraillette alors que le pollen n'est pas d'actualité. Et là, voilà, je suis rentré de la garrigue avec un rhume carabiné, de quoi avoir la tête comme une cougourde. Le manque de sommeil n'arrange pas les choses. Alors je me traîne. Heureusement je lis que le sauna est excellent pour le rhume. J'y ai mariné à 85°, mais la semaine dernière le thermomètre était monté à 97° ! Jeter de l'eau sur les pierres volcaniques produit un effet saisissant, un tsunami de chaleur brûlante. Si cela pouvait zigouiller toutes les vilaines bactéries qui m'assaillent, ce serait sympa. En attendant je vais me reposer et attendre que cela passe.


Chaque fois que je suis patraque, je pense à la chanson de Gaston Ouvrard (1890-1981) et ça me remonte le moral ! Quant à l'illustration tout en haut, il s'agit d'une diapositive que j'ai créée pour le light-show en 1967. Elle est composée d'un film noir, de laque incendiée et d'encre de Chine. J'aurais peut-être dû choisir une image aux couleurs plus chaudes. Chaud ou froid, aujourd'hui je ne fais pas vraiment la différence. Allez, au lit !

jeudi 28 décembre 2023

Patience


J'écris ces lignes comme un jeu de patience, luttant contre le temps qui ne file tout à coup pas assez vite. C'est aussi stérile que regarder une jauge sur l'écran d'un ordi. Les minutes semblent prises de hoquets, telle la bille dans le cylindre. On la pensait là, elle rebondit. Le cadran de la roulette s'ovalise, il devient mou comme une anamorphose de Figueras. Je sors le Yi Jing, le nouveau dont la couverture est bleue, revu par Pierre Faure ; j'ai définitivement remisé le vieux Wilhelm, beaucoup trop mystique et imprécis. J'étais bien sur la voie, celle aussi de la patience, mais je reviens de loin. Cela explique probablement pourquoi je suis incapable de procrastiner, encore que certaines démarches administratives soient sans cesse repoussées. Y aurait-il une coïncidence avec la peur ? Sauter du haut de la falaise plutôt que se ronger les freins, devancer l'appel.
Et puis il y a mes impatiences, le syndrome des jambes sans repos. Cela peut devenir une torture au théâtre. Depuis l'acquisition du Theragun j'arrive à les faire passer, mais je ne vais pas me masser les mollets en public, cela fait tout de même un peu de bruit et l'objet inquiéterait les spectateurs ! Peut-être que cela apparaît lorsque je résiste au sommeil, par crainte de me réveiller au milieu de la nuit et ne pas réussir à me rendormir.
La Bruyère avait-il raison lorsqu'il écrivit "Il n'y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser : il n'y a point d'avantages trop éloignés à qui s'y prépare par la patience." ? Oui et non. C'est comme les miracles, ils ne surviennent que si l'on y travaille. Je me rappelle chaque fois la fin de Au pied de la lettre dans Trop d'adrénaline nuit, le premier vinyle d'Un Drame Musical Instantané enregistré en 1977. Sans que nous nous soyons concertés, sans que nous n'ayons rien prévu puisque nous étions en pleine improvisation, je clame "Tout homme détient dans ses mains son destin", extrait du scénario inédit Lignes de la main de Jean Vigo, tandis que Bernard prononce la phrase de Mallarmé, "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard", exactement en même temps, et le bras du tourne-disque de se lever, puisqu'ainsi finissait la face A. Alors j'ai simplement retourné le disque... Et tout en est soudainement bouleversé.

N.B.: le photogramme de La vie est à nous de Jean Renoir où Léon Larive fait des yeux ronds illustre la pochette de Trop d'adrénaline nuit. Quant à "un drame musical instantané", il faut entendre drame au sens théâtral, et non dramatique, d'autant que drame musical est la traduction de melodrama, soit l'opéra en italien. Cela peut donc bien être une comédie !

mardi 24 octobre 2023

Le salaire de l'amour


La séance diapo est déprimante. Je vois défiler les morts sur mon scanner. Mon père, mon oncle Gilbert, mes grands parents... La photo de 1965 avec ma sœur devrait être plus réjouissante. Nous sortons de la distribution des prix des lycées Claude Bernard et La Fontaine. Pourtant quelque chose me fait froid dans le dos. En ce temps-là nous recevions des livres pour les 1er et 2ème Prix de chaque matière, et un grand livre illustré pour celui d'Excellence ou d'Honneur. Agnès et moi faisions la fierté de nos parents. Il est midi. J'ai recadré la scène pour que l'on puisse deviner nos minois. Je porte un costume gris, une cravate, des mocassins et je fronce les yeux à cause du soleil. Ma petite sœur porte des gants et des chaussettes blanches. J'ai longtemps cru que cela avait été une époque radieuse. Avec le recul il me semble que si elle fut formatrice elle représente pour moi un véritable cauchemar dont je ne me réveillerai que quarante ans plus tard.


Le cadre exact d'abord. Zoom arrière. Mon père avait dû chercher le soleil pour nous auréoler de lumière dans le "jardin" du HLM où la seule nature était cette herbe rase et les peupliers qui donnaient leur nom à la rue. Nous habitions au quatrième étage avec le balcon de la salle à manger qui débordait sur le vide et une loggia le long de la chambre de ma sœur et la mienne comme celle en amorce au-dessus de nos têtes. Deux ans auparavant nous partagions la même avec des lits gigognes qu'il fallait déplier chaque soir.
Maintenant que je sais que je n'ai été bon élève que pour attirer la tendresse de ma mère qui ne l'exprimait jamais physiquement, je comprends que j'ai ramé pendant dix ans et pourquoi mes études m'apparurent si scolaires. Les responsabilités précoces avaient fait de moi un inquiet, mon souci de plaire m'apprit le volontarisme et l'utilité de se distinguer. Trois ans plus tard je ferai éclater ce carcan et savourerai que la vraie vie soit ailleurs. Personne ne s'en apercevrait avant que je ne redouble ma Terminale. L'année suivante je passerai le concours de l'Idhec, encore une fois pour faire plaisir à ma mère. Même si c'était pour une mauvaise raison, je dois reconnaître que c'est là que j'ai commencé à savoir qui j'étais vraiment, un rêveur qui a besoin de donner corps à ses rêves. Je lui dois forcément une fière chandelle.
Devenu père je ne pus jamais me résoudre à mettre ma fille sous pression comme j'avais vécu ma propre adolescence. Est-ce que cela a changé quoi que soit pour elle ? Je ne pense pas. La société ne fait rien pour que cela se passe intelligemment. Longtemps j'invoquai cet argument pour ne pas faire d'enfant. Ne pas lui faire subir ce que j'avais vécu. Et en effet cela a probablement été pire pour elle que pour moi. Aujourd'hui elle aussi fait ce qui lui plaît. Mais je compatis avec tous les mômes qui suivent des études en dépit du bon sens. À cet âge on n'a pas le choix. Sauf celui de s'accrocher à ses rêves.

Article du 30 septembre 2011

mercredi 18 octobre 2023

Mon Journal en 75 volumes (1971-2005)


La veille j'étais resté plongé dans mes archives photographiques. Si interroger le passé fait resurgir des histoires enterrées et réveille quelques tristesses, les rêves d'enfant ne se sont jamais dissipés. Ils ont pris corps. Désirant dater les concerts de Lard Free au Gibus et au Bus Palladium auxquels j'avais participé avec Gilbert Artman, Richard Pinhas et un claviériste nommé Peter, j'ai ouvert mon Journal de 1975. Surprise de découvrir qu'il était quotidiennement annoté, activités, pensées, poèmes, partitions, même la musique que j'écoutais... J'avais tenu un diary en 1964 en Angleterre, un autre aux États-Unis en 1965, et conservé quelques bandes dessinées maladroites plus anciennes, mais la première page date de l'été 1971...


À gauche une image, à droite un poème ou une chanson. J'appuie sur le bouton de l'appareil. Il avait d'abord été le Journal de notre communauté. Nous l'avions commencé en quittant nos parents. Antoine et Michaëla l'illustrèrent, comme Francis, Philippe ou Alexandre. J'y avais collé des lettres dans leurs enveloppes, étalé mes états d'âme. Je tourne les pages. La seconde arbore encore un dessin d'Antoine Guerreiro dont les œuvres coloraient notre light-show de son imaginaire, entre science-fiction et heroïque-fantaisie...


De 1971 à 2005 j'ai rempli 75 volumes de taille et d'épaisseur fort diverses. Les poèmes et les humeurs ont progressivement laissé la place au travail, feuilles de mixage, liste de matériel à emporter, brouillons de textes théoriques, et quelques récits de voyage. Il était plus sûr d'écrire dans un cahier que sur des feuilles volantes qui, inclassables, s'envolent facilement. Les éléments correspondant à chaque œuvre sont rangés à part, dans de grandes enveloppes où les titres sont griffonnés au feutre, comme les impôts, les feuilles de salaire et les factures sont classés par année. Je ne m'en étais pas aperçu, mais le dernier cahier date de l'année où j'ai commencé ce blog dont ce billet est le 2134ème (5417ème à la date d'aujourd'hui).

Article du 20 septembre 2011

mercredi 27 septembre 2023

Good for nothing


Je connaissais évidemment la traduction de cette expression que mon père prononçait avec "a typical Oxonian accent", l'accent d'Oxford, mais pourquoi m'appelait-il ainsi ? Peut-être n'étais-je pas très com-plaisant (la césure est de lui) pour débarrasser après les repas ? Mes résultats scolaires plus que rassurants n'impliquaient pas nécessairement d'application pratique. Peut-être n'en fichais-je pas une rame à la maison ? Je rechignais à ses injonctions alors qu'il avait le cul vissé sur sa chaise et que ma mère faisait tout le boulot.

Ma sœur a toujours été plus serviable. Encore aujourd'hui [cet article date du 18 août 2011, Maman est morte le 19 février 2019, aussi continue-je au passé] elle s'occupait régulièrement de notre mère alors que je la voyais uniquement pour les grandes occasions. Elles s'engueulaient aussi copieusement et ma sœur la traitait comme du poisson pourri, mais elle l'accompagnait faire ses courses chaque semaine et je crois (ou crains) que le coup de fil à sa maman fut un de ses premiers gestes du matin. Mes conversations téléphoniques avec ma mère étaient plus sereines que les échanges in vivo. Je pouvais raccrocher facilement si je sentais que cela tournait au vinaigre. Myco come mycoacétyque, le champignon du vinaigre, était son surnom lorsqu'elle était adolescente aux Petites Ailes. Il m'aura fallu atteindre cinquante ans pour comprendre que je n'étais misanthrope que pour lui plaire et que ce n'était pas du tout mon caractère. La section du cordon est plus tardive que beaucoup ne le croient, cet instant décisif où l'on saisit que l'on est soi et pas ce que nos parents attendaient de nous. J'ai déjà évoqué ma mère et mon père, l'amour pour leurs deux enfants et notre attachement, mais il y a plusieurs manières de vieillir. Mon père n'a pas eu le temps d'être grand-père, ma mère n'a jamais joué son rôle de grand-mère. Son complexe d'infériorité a développé un narcissisme agressif qui a rendu avec l'âge les conversations difficiles dès qu'elles abordaient des sujets ayant trait au passé ou à la politique en général. Il y a longtemps que ma mère ne m'entendait plus. Ma fille en a souffert. J'ai essayé d'aborder l'histoire de notre famille, l'origine des névroses, mais ma mère pensait que cela n'avait aucun intérêt. Elle réécrivait à sa façon la vie de mon père. Je le comprends. Nos souvenirs sont systématiquement arrangés au fur et à mesure que nous les sollicitons. J'essaie de me rappeler…

Good for nothing ! Le bon à rien est devenu un touche à tout. Ce que je n'ai pas su transmettre à mes parents, je tente de le donner à d'autres, à mes amis, aux jeunes étudiants… Être utile procure des satisfactions qui donnent sens à une vie. Je perpétue la B.A. des louveteaux, la "bonne action" apprise aux Éclaireurs de France, organisation scout laïque à laquelle j'appartins de 8 à 11 ans et qui me fit grandir vitesse V. C'est incroyable ce que j'en retirai et qui me sert quotidiennement. Pourquoi n'apprend-on pas à l'école des rudiments d'électricité, de plomberie, de couture, de bricolage, toutes les choses pratiques auxquelles nous serons plus tard confrontés. L'informatique est passée dans les mœurs, mais je suis surpris à quel point nous sommes handicapés lorsque nous tombons en panne d'automobile, de chauffe-eau, ou lorsqu'il s'agit de faire la cuisine. Du moins pour la plupart. Je regrette aussi les cours d'instruction civique qui donnent un sens à notre citoyenneté. On me raconte qu'il n'existe plus de "plein air", cette demi-journée d'exercice physique que je n'affectais d'ailleurs pas outre mesure, complémentaire des cours de gymnastique. Il y avait la musique et le dessin, mais en retirait-on les moyens d'avoir plus tard accès à la culture ? De toute ma scolarité je n'ai lu aucun livre, me cantonnant aux extraits publiés dans le Lagarde & Michard. Rédactions et dissertations m'auront tout de même appris à écrire, les maths m'auront donné un esprit synthétique et logique, Monsieur Marnay le goût des langues étrangères… J'ai pourtant l'impression de n'avoir pas appris grand chose à l'école. Ce que sont la discipline et la rébellion plus certainement. Mais au delà de cette critique facile mon éducation scolaire m'aura permis d'acquérir plus tard les connaissances que je désirais vraiment, un peu comme mes parents dessinèrent le cadre que je remplirai plus tard à mon gré. Face à des propositions fortes mais ouvertes notre indépendance peut se développer en connaissance de cause, et notre existence trouve son sens lorsque nous apprenons à nous détacher et des uns et des autres.

N'empêche qu'aujourd'hui, question récurrente, je ne sais pas ce que je vais devenir. [...] J'ai un besoin viscéral de faire ce que je ne sais pas faire et qui ne se fait pas. Histoire de contredire mon père ?

vendredi 15 septembre 2023

Stakhanoviste


Si le mot « stakhanoviste » peut désigner une personne très efficace, volontaire et abattant une quantité de travail hors normes, je crains fort d'être associé au mineur du Donbass, héros du travail socialiste, Alekseï Stakhanov. Or je me demande si ma manière de faire les choses ne tient pas surtout d'une névrose obsessionnelle qui me pousse par ailleurs à dormir très peu. Il m'est arrivé de descendre à trois heures par nuit, nécessitant une petite sieste un peu plus longue que d'habitude, soit une heure au lieu de dix minutes en fin d'après-midi. Si certains sont monotâches et ont du mal à répondre à une question tandis qu'ils font autre chose, j'ai la fâcheuse tendance à aimer rentabiliser chaque geste, chaque pas, et ce en faisant plusieurs choses à la fois. Pire, j'adore ça. De même que je peux arrêter ce que je fabrique pour répondre à une demande extérieure et reprendre sans problème là où j'en étais, un petit lutin calcule mon temps dans l'espace sans que je m'en aperçoive sur l'instant. Comme toutes les personnes habitant une grande maison, je pose évidemment sur les marches les objets à monter ou descendre pour ne pas faire de voyages inutiles. Là où cela se corse c'est que j'ai étendu cette économie à toutes mes activités. Mon travail d'homme-orchestre s'y retrouve merveilleusement, jouant simultanément de dizaines d'instruments tout en enregistrant mes camarades. Par contre, si je calcule que j'ai le temps de mâcher une bouchée de mon déjeuner en allant sortir le linge de la machine à laver tout en remontant je ne sais quoi de la cave, cela me fait craindre une dangereuse pathologie. J'ai d'ailleurs la réputation de faire la vaisselle avant d'avoir terminé le repas ! Il est certain qu'ainsi je ne risque pas la procrastination, d'autant qu'il me semble qu'une réponse à un mail repoussée au lendemain risque de se perdre dans un trou du temps. N'allez pas croire que je suis perpétuellement en tension. Pas du tout. Les moments de détente et de rêverie profitent de cette organisation et de cette suractivité, elle leur offre même une disponibilité incroyable en regard du travail abattu. Il y a des jours où j'ai l'impression de n'avoir rien fait, mais si en réfléchissant bien c'est un leurre, illusion d'une dispersion excessive alors qu'une concentration sur une chose et son aboutissement, même provisoire, s'apprécie facilement. Je l'ai souvent dit : je suis partagé entre l'impression d'être tout le temps en vacances et celle de travailler sans cesse, même pendant le sommeil. Cette façon de vivre ne souffre aucune routine. Je peux aussi très bien dévorer un roman dans la journée, allongé confortablement. Tout cela est probablement lié à mon refuge, car, sorti de ma caverne, je ne me comporte pas ainsi. Pour vous donner une petite idée des dégâts, j'ai composé plus de 2000 pièces de musique, environ 150 albums, enregistré des centaines de musiques appliquées, réalisé tant de design sonore, d'images fixes, de films qui bougent... Cet article est le 5410ème depuis le début du blog il y a 18 ans...
Ce n'est pas le lieu pour analyser cette démarche prolifique. La mort y est certainement pour quelque chose. La vie tout autant. La passion de faire quand d'autres ont celle de défaire. J'aime regarder les nuages, les plantes pousser, les animaux s'ébattre, les gens s'aimer. Je ne comprends pas ceux qui ignorent l'urgence d'enrayer la machine destructrice, l'absurdité de l'humanité dans toute sa brutalité mortifère. Certes je brûle la chandelle par les deux bouts, mais j'ai fait des provisions pour l'hiver.

vendredi 11 août 2023

Dents de lait


Cherchant un bon dentiste dans l'est de Paris qui ne pratique pas des prix exorbitants, je retrouve cet article du 25 avril 2011...
La petite souris remplaçait la dent placée sous l'oreiller par une pièce de vingt centimes. Elle passait pendant notre sommeil sans ne jamais se faire remarquer. Ma mère conservait en secret nos dents de lait dans une boîte remplie de coton hydrophile. Chacun la sienne. Celle de ma sœur Agnès était-elle rose ? Au dos est spécifiée la date de chaque incisive, canine ou molaire, 8 janvier 1959, 11 janvier 1959, etc. Certains trouvent cela mignon, pour moi c'est un peu morbide, mais je n'ai pas jeté la boîte, pas plus que les appareils dentaires qui plus tard m'empoisonneraient la vie. Chaque semaine je prenais le métro pour aller faire ajuster les prothèses chez un dentiste de la galerie Colbert, près de la Bibliothèque Nationale et du Palais Royal. Pour m'occuper pendant l'interminable trajet de la Porte de Saint-Cloud à la Bourse j'achetais des petits bouquins de bande dessinée chez le marchand de journaux du métro, des fascicules épais sur un mauvais papier. J'empruntais la rue Vivienne où j'avais habité dans mes premières années et où j'allais seul à l'école maternelle, avec la Place de la Bourse à traverser. Fouiller dans les tiroirs nous fait parfois faire d'étranges retours en arrière. Je fais claquer mes dents pour apprécier les sacrifices, parce que cela devait coûter une fortune à mes parents et que j'ai vécu les trajets chez l'orthodontiste comme un pensum. Beaucoup plus tard le docteur Lessault remplacerait ma dent cassée que j'arborai jusqu'à mes vingt ans et en 1975 je fondai le label GRRR.

lundi 31 juillet 2023

La barbe


C'est l'été. Je n'ai que ça à faire. Pas vraiment, mais les sorties sont plus rares ces derniers temps. Il pleut. Les amis partent en vacances. Le silence envahit la rue, si ce n'est quelques solos de batterie qui arrosent régulièrement les vitres. Je suis dans l'expectative. Et puis chez moi ça miaule et ça décibêle. Comme des moutons électriques. Peut-être ferai-je bientôt comme tout le monde, du moins ceux qui prennent la poudre d'escampette, mais j'ai peut-être un nouveau Pique-nique au labo à enregistrer la semaine prochaine. Alors, lorsque je ne m'occupe pas des prochaines sorties discographiques, un CD avec une vingtaine d'invités et un vinyle de rock déglingué avec le groupe Poudingue, lorsque je n'aménage pas la maison ou ne m'occupe pas des plantes du jardin qui me narguent à concourir à qui poussera le plus vite, sans compter écrire, toujours écrire, des mots, de la musique, des images, cela m'a semblé une idée amusante de me laisser pousser la barbe. J'y ai souvent pensé, parfois commencé, et puis je m'étais dégonflé. Cela ne prend pourtant pas de temps, au contraire on en gagne même un petit peu le matin. Cette tâche quotidienne, répétitive, particulièrement rasante me semble enfin plus légère. Comme beaucoup de barbus, je tripote de temps en temps cette bande Velcro en poils noirs et blancs. C'est doux. Je joue. Comme lorsqu'enfant je me déguisais, ce que mon père appelait la chienlit. Paradoxalement je continue à me raser les joues, peut-être pour affirmer le geste qui n'a rien de négligé. En fait je reproduis explicitement la barbe que j'avais eue à vingt ans.


Fraîchement sorti de l'Idhec, j'étais allé demander du boulot à l'un des patrons de Gaumont. Il m'avait répondu que j'avais l'air d'avoir quinze ans et que personne ne me prendrait au sérieux. Cela lui rappelait ses débuts où il s'était laissé pousser la barbe pour faire plus vieux. Je suivis son conseil et me retrouvai à travailler sur des films de René Clément ou Jean Rollin ! J'attachais mes cheveux en catogan, ce que personne ne faisait encore. Ma passion pour Frank Zappa, dont j'écoute justement en ce moment le triple Funky Nothingness exhumé de 1970, y était aussi pour quelque chose. Sept ans plus tard, en 1981, je coupai mes cheveux, rasai ma barbe, cette fois pour me rajeunir ! En me regardant dans le miroir de la salle de bain, je sautai littéralement de joie. Je m'étais reconnu. Mes cheveux courts s'étaient étonnamment mis à friser, mais cela n'a pas duré. J'ai depuis laissé tranquille mon système pileux. De son côté il a pris ses aises en me gratifiant d'une petite tonsure. Entre temps, sur les conseils de mon ami Bernard, j'avais tout de même tenté de me teindre, mais j'ai vite abandonné, préférant assumer la nouvelle mue. En cherchant une photo des années 70, je me suis aperçu que je réalisais déjà des selfies. Les cheveux longs et la barbe sont aussi devenus à la mode. Je l'ai toujours fuie, mais à écouter ma musique ou regarder mes films je me demande si je ne devrais pas parfois essayer de m'en rapprocher ? J'en suis très probablement incapable, préférant l'inédit, les chemins de traverse et l'indépendance. Je fais donc une exception, c'est la barbe !