Jean-Jacques Birgé

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mercredi 27 septembre 2023

Good for nothing


Je connaissais évidemment la traduction de cette expression que mon père prononçait avec "a typical Oxonian accent", l'accent d'Oxford, mais pourquoi m'appelait-il ainsi ? Peut-être n'étais-je pas très com-plaisant (la césure est de lui) pour débarrasser après les repas ? Mes résultats scolaires plus que rassurants n'impliquaient pas nécessairement d'application pratique. Peut-être n'en fichais-je pas une rame à la maison ? Je rechignais à ses injonctions alors qu'il avait le cul vissé sur sa chaise et que ma mère faisait tout le boulot.

Ma sœur a toujours été plus serviable. Encore aujourd'hui [cet article date du 18 août 2011, Maman est morte le 19 février 2019, aussi continue-je au passé] elle s'occupait régulièrement de notre mère alors que je la voyais uniquement pour les grandes occasions. Elles s'engueulaient aussi copieusement et ma sœur la traitait comme du poisson pourri, mais elle l'accompagnait faire ses courses chaque semaine et je crois (ou crains) que le coup de fil à sa maman fut un de ses premiers gestes du matin. Mes conversations téléphoniques avec ma mère étaient plus sereines que les échanges in vivo. Je pouvais raccrocher facilement si je sentais que cela tournait au vinaigre. Myco come mycoacétyque, le champignon du vinaigre, était son surnom lorsqu'elle était adolescente aux Petites Ailes. Il m'aura fallu atteindre cinquante ans pour comprendre que je n'étais misanthrope que pour lui plaire et que ce n'était pas du tout mon caractère. La section du cordon est plus tardive que beaucoup ne le croient, cet instant décisif où l'on saisit que l'on est soi et pas ce que nos parents attendaient de nous. J'ai déjà évoqué ma mère et mon père, l'amour pour leurs deux enfants et notre attachement, mais il y a plusieurs manières de vieillir. Mon père n'a pas eu le temps d'être grand-père, ma mère n'a jamais joué son rôle de grand-mère. Son complexe d'infériorité a développé un narcissisme agressif qui a rendu avec l'âge les conversations difficiles dès qu'elles abordaient des sujets ayant trait au passé ou à la politique en général. Il y a longtemps que ma mère ne m'entendait plus. Ma fille en a souffert. J'ai essayé d'aborder l'histoire de notre famille, l'origine des névroses, mais ma mère pensait que cela n'avait aucun intérêt. Elle réécrivait à sa façon la vie de mon père. Je le comprends. Nos souvenirs sont systématiquement arrangés au fur et à mesure que nous les sollicitons. J'essaie de me rappeler…

Good for nothing ! Le bon à rien est devenu un touche à tout. Ce que je n'ai pas su transmettre à mes parents, je tente de le donner à d'autres, à mes amis, aux jeunes étudiants… Être utile procure des satisfactions qui donnent sens à une vie. Je perpétue la B.A. des louveteaux, la "bonne action" apprise aux Éclaireurs de France, organisation scout laïque à laquelle j'appartins de 8 à 11 ans et qui me fit grandir vitesse V. C'est incroyable ce que j'en retirai et qui me sert quotidiennement. Pourquoi n'apprend-on pas à l'école des rudiments d'électricité, de plomberie, de couture, de bricolage, toutes les choses pratiques auxquelles nous serons plus tard confrontés. L'informatique est passée dans les mœurs, mais je suis surpris à quel point nous sommes handicapés lorsque nous tombons en panne d'automobile, de chauffe-eau, ou lorsqu'il s'agit de faire la cuisine. Du moins pour la plupart. Je regrette aussi les cours d'instruction civique qui donnent un sens à notre citoyenneté. On me raconte qu'il n'existe plus de "plein air", cette demi-journée d'exercice physique que je n'affectais d'ailleurs pas outre mesure, complémentaire des cours de gymnastique. Il y avait la musique et le dessin, mais en retirait-on les moyens d'avoir plus tard accès à la culture ? De toute ma scolarité je n'ai lu aucun livre, me cantonnant aux extraits publiés dans le Lagarde & Michard. Rédactions et dissertations m'auront tout de même appris à écrire, les maths m'auront donné un esprit synthétique et logique, Monsieur Marnay le goût des langues étrangères… J'ai pourtant l'impression de n'avoir pas appris grand chose à l'école. Ce que sont la discipline et la rébellion plus certainement. Mais au delà de cette critique facile mon éducation scolaire m'aura permis d'acquérir plus tard les connaissances que je désirais vraiment, un peu comme mes parents dessinèrent le cadre que je remplirai plus tard à mon gré. Face à des propositions fortes mais ouvertes notre indépendance peut se développer en connaissance de cause, et notre existence trouve son sens lorsque nous apprenons à nous détacher et des uns et des autres.

N'empêche qu'aujourd'hui, question récurrente, je ne sais pas ce que je vais devenir. [...] J'ai un besoin viscéral de faire ce que je ne sais pas faire et qui ne se fait pas. Histoire de contredire mon père ?

vendredi 15 septembre 2023

Stakhanoviste


Si le mot « stakhanoviste » peut désigner une personne très efficace, volontaire et abattant une quantité de travail hors normes, je crains fort d'être associé au mineur du Donbass, héros du travail socialiste, Alekseï Stakhanov. Or je me demande si ma manière de faire les choses ne tient pas surtout d'une névrose obsessionnelle qui me pousse par ailleurs à dormir très peu. Il m'est arrivé de descendre à trois heures par nuit, nécessitant une petite sieste un peu plus longue que d'habitude, soit une heure au lieu de dix minutes en fin d'après-midi. Si certains sont monotâches et ont du mal à répondre à une question tandis qu'ils font autre chose, j'ai la fâcheuse tendance à aimer rentabiliser chaque geste, chaque pas, et ce en faisant plusieurs choses à la fois. Pire, j'adore ça. De même que je peux arrêter ce que je fabrique pour répondre à une demande extérieure et reprendre sans problème là où j'en étais, un petit lutin calcule mon temps dans l'espace sans que je m'en aperçoive sur l'instant. Comme toutes les personnes habitant une grande maison, je pose évidemment sur les marches les objets à monter ou descendre pour ne pas faire de voyages inutiles. Là où cela se corse c'est que j'ai étendu cette économie à toutes mes activités. Mon travail d'homme-orchestre s'y retrouve merveilleusement, jouant simultanément de dizaines d'instruments tout en enregistrant mes camarades. Par contre, si je calcule que j'ai le temps de mâcher une bouchée de mon déjeuner en allant sortir le linge de la machine à laver tout en remontant je ne sais quoi de la cave, cela me fait craindre une dangereuse pathologie. J'ai d'ailleurs la réputation de faire la vaisselle avant d'avoir terminé le repas ! Il est certain qu'ainsi je ne risque pas la procrastination, d'autant qu'il me semble qu'une réponse à un mail repoussée au lendemain risque de se perdre dans un trou du temps. N'allez pas croire que je suis perpétuellement en tension. Pas du tout. Les moments de détente et de rêverie profitent de cette organisation et de cette suractivité, elle leur offre même une disponibilité incroyable en regard du travail abattu. Il y a des jours où j'ai l'impression de n'avoir rien fait, mais si en réfléchissant bien c'est un leurre, illusion d'une dispersion excessive alors qu'une concentration sur une chose et son aboutissement, même provisoire, s'apprécie facilement. Je l'ai souvent dit : je suis partagé entre l'impression d'être tout le temps en vacances et celle de travailler sans cesse, même pendant le sommeil. Cette façon de vivre ne souffre aucune routine. Je peux aussi très bien dévorer un roman dans la journée, allongé confortablement. Tout cela est probablement lié à mon refuge, car, sorti de ma caverne, je ne me comporte pas ainsi. Pour vous donner une petite idée des dégâts, j'ai composé plus de 2000 pièces de musique, environ 150 albums, enregistré des centaines de musiques appliquées, réalisé tant de design sonore, d'images fixes, de films qui bougent... Cet article est le 5410ème depuis le début du blog il y a 18 ans...
Ce n'est pas le lieu pour analyser cette démarche prolifique. La mort y est certainement pour quelque chose. La vie tout autant. La passion de faire quand d'autres ont celle de défaire. J'aime regarder les nuages, les plantes pousser, les animaux s'ébattre, les gens s'aimer. Je ne comprends pas ceux qui ignorent l'urgence d'enrayer la machine destructrice, l'absurdité de l'humanité dans toute sa brutalité mortifère. Certes je brûle la chandelle par les deux bouts, mais j'ai fait des provisions pour l'hiver.

vendredi 11 août 2023

Dents de lait


Cherchant un bon dentiste dans l'est de Paris qui ne pratique pas des prix exorbitants, je retrouve cet article du 25 avril 2011...
La petite souris remplaçait la dent placée sous l'oreiller par une pièce de vingt centimes. Elle passait pendant notre sommeil sans ne jamais se faire remarquer. Ma mère conservait en secret nos dents de lait dans une boîte remplie de coton hydrophile. Chacun la sienne. Celle de ma sœur Agnès était-elle rose ? Au dos est spécifiée la date de chaque incisive, canine ou molaire, 8 janvier 1959, 11 janvier 1959, etc. Certains trouvent cela mignon, pour moi c'est un peu morbide, mais je n'ai pas jeté la boîte, pas plus que les appareils dentaires qui plus tard m'empoisonneraient la vie. Chaque semaine je prenais le métro pour aller faire ajuster les prothèses chez un dentiste de la galerie Colbert, près de la Bibliothèque Nationale et du Palais Royal. Pour m'occuper pendant l'interminable trajet de la Porte de Saint-Cloud à la Bourse j'achetais des petits bouquins de bande dessinée chez le marchand de journaux du métro, des fascicules épais sur un mauvais papier. J'empruntais la rue Vivienne où j'avais habité dans mes premières années et où j'allais seul à l'école maternelle, avec la Place de la Bourse à traverser. Fouiller dans les tiroirs nous fait parfois faire d'étranges retours en arrière. Je fais claquer mes dents pour apprécier les sacrifices, parce que cela devait coûter une fortune à mes parents et que j'ai vécu les trajets chez l'orthodontiste comme un pensum. Beaucoup plus tard le docteur Lessault remplacerait ma dent cassée que j'arborai jusqu'à mes vingt ans et en 1975 je fondai le label GRRR.

lundi 31 juillet 2023

La barbe


C'est l'été. Je n'ai que ça à faire. Pas vraiment, mais les sorties sont plus rares ces derniers temps. Il pleut. Les amis partent en vacances. Le silence envahit la rue, si ce n'est quelques solos de batterie qui arrosent régulièrement les vitres. Je suis dans l'expectative. Et puis chez moi ça miaule et ça décibêle. Comme des moutons électriques. Peut-être ferai-je bientôt comme tout le monde, du moins ceux qui prennent la poudre d'escampette, mais j'ai peut-être un nouveau Pique-nique au labo à enregistrer la semaine prochaine. Alors, lorsque je ne m'occupe pas des prochaines sorties discographiques, un CD avec une vingtaine d'invités et un vinyle de rock déglingué avec le groupe Poudingue, lorsque je n'aménage pas la maison ou ne m'occupe pas des plantes du jardin qui me narguent à concourir à qui poussera le plus vite, sans compter écrire, toujours écrire, des mots, de la musique, des images, cela m'a semblé une idée amusante de me laisser pousser la barbe. J'y ai souvent pensé, parfois commencé, et puis je m'étais dégonflé. Cela ne prend pourtant pas de temps, au contraire on en gagne même un petit peu le matin. Cette tâche quotidienne, répétitive, particulièrement rasante me semble enfin plus légère. Comme beaucoup de barbus, je tripote de temps en temps cette bande Velcro en poils noirs et blancs. C'est doux. Je joue. Comme lorsqu'enfant je me déguisais, ce que mon père appelait la chienlit. Paradoxalement je continue à me raser les joues, peut-être pour affirmer le geste qui n'a rien de négligé. En fait je reproduis explicitement la barbe que j'avais eue à vingt ans.


Fraîchement sorti de l'Idhec, j'étais allé demander du boulot à l'un des patrons de Gaumont. Il m'avait répondu que j'avais l'air d'avoir quinze ans et que personne ne me prendrait au sérieux. Cela lui rappelait ses débuts où il s'était laissé pousser la barbe pour faire plus vieux. Je suivis son conseil et me retrouvai à travailler sur des films de René Clément ou Jean Rollin ! J'attachais mes cheveux en catogan, ce que personne ne faisait encore. Ma passion pour Frank Zappa, dont j'écoute justement en ce moment le triple Funky Nothingness exhumé de 1970, y était aussi pour quelque chose. Sept ans plus tard, en 1981, je coupai mes cheveux, rasai ma barbe, cette fois pour me rajeunir ! En me regardant dans le miroir de la salle de bain, je sautai littéralement de joie. Je m'étais reconnu. Mes cheveux courts s'étaient étonnamment mis à friser, mais cela n'a pas duré. J'ai depuis laissé tranquille mon système pileux. De son côté il a pris ses aises en me gratifiant d'une petite tonsure. Entre temps, sur les conseils de mon ami Bernard, j'avais tout de même tenté de me teindre, mais j'ai vite abandonné, préférant assumer la nouvelle mue. En cherchant une photo des années 70, je me suis aperçu que je réalisais déjà des selfies. Les cheveux longs et la barbe sont aussi devenus à la mode. Je l'ai toujours fuie, mais à écouter ma musique ou regarder mes films je me demande si je ne devrais pas parfois essayer de m'en rapprocher ? J'en suis très probablement incapable, préférant l'inédit, les chemins de traverse et l'indépendance. Je fais donc une exception, c'est la barbe !

jeudi 27 juillet 2023

Coups de foudre


Des amis, des amies m'ont parfois reproché d'aller trop vite dans mes relations amoureuses, comme si mon enthousiasme faisait peur et empêchait certaines relations de s'établir. J'ai toujours répondu que si c'était la bonne personne pourquoi perdre du temps en simagrées, et en cas de fausse route autant s'en apercevoir le plus tôt possible ! Si je me réfère à mes amours passées, cette promptitude m'a toujours réussi et je reste persuadé que celles que j'ai effarouchées n'étaient pas faites pour moi. Les ruptures ont procédé de la même vitesse, bien que j'en fusse rarement l'initiateur. Cette symétrie se retrouve dans le divorce qui est à la hauteur du mariage, à savoir que plus on y met d'importance, plus le divorce sera douloureux. En voyant les sommes colossales dépensées par les jeunes couples qui se marient je me dis souvent qu'ils n'auront pas fini d'en rembourser les frais avant de se séparer ! Mes deux divorces avec des femmes que j'ai beaucoup aimées se sont passés à l'amiable. Nous avions habité ensemble dès le premier jour et avons profité de notre complicité de très nombreuses années. Mes liaisons plus courtes, bien qu'assez longues, n'ont pas été différentes. Lorsque je repense à ce que nous avons vécu je n'en conserve que de bons souvenirs. À quoi bon ressasser nos erreurs ? J'ai été heureux avec toutes (enfin, sauf une, il était probablement nécessaire de se tromper au moins une fois, mais cela avait duré tout de même deux ans !) et, grâce leur soit rendue, j'ai l'impression d'avoir été chaque fois un homme meilleur. C'est dire qu'à mon âge canonique j'espère m'approcher de la notion de Mensch, rare trace de ma culture ancestrale.
J'avais d'abord titré "I know where I'm going", comme le film de Michael Powell que j'adore, et pour cause, il y a des évidences, trop rares, raison de plus pour ne pas les laisser passer. Si je peux parfaitement identifier mon désir, suis-je pour autant capable de sentir la réciprocité, indispensable pour faire ensemble un bout de chemin, sans ne jamais s'ennuyer, dans une confiance mutuelle absolue, et une acceptation totale de l'autre ? Je me suis parfois leurré, mais fus rembarré suffisamment tôt pour que cela n'ait aucune gravité. Lorsque le regard de l'autre fait miroir, jaillit l'élan le plus fou. La raison s'efface alors, remplacée par une certitude qui me rappelle l'improvisation musicale. Comme on se surprend soi-même, on acceptera les mystères qui meuvent l'être aimé en se fiant à son intuition, surtout si elle a fait ses preuves. Cela n'empêche pas la plus grande fébrilité, car à l'instant de la rencontre on n'est encore rien, portant pourtant l'énorme bagage du déficit des années antérieures. Est-on alors capable de s'en débarrasser pour renaître comme au premier jour ? Peut-on avoir l'innocence de croire que tout est encore possible, à chaque moment de l'existence ? Lorsque la magie opère, il ne faut surtout pas s'endormir et entretenir la flamme, légère, brûlante, merveilleuse.

P.S.: oui, c'est l'été, on peut jouer, je me laisse pousser la barbe ; et dans une seconde il va pleuvoir des hallebardes, c'est bon pour le jardin. Quant à mon petit article, n'y cherchez pas de sous-entendus, j'ai tenu ces propos de tous temps, ce qui ne m'empêche pas de rêver, même s'il faut toujours prendre en compte le temps entre la foudre et le tonnerre, il y a un fichu délai entre l'image et le son...
J'ajouterai que mes amitiés furent toujours aussi évidentes, tant dans la rencontre que dans d'éventuelles ruptures.

mercredi 5 juillet 2023

Sur l'aile


Dans la matinée j'étais allé chercher cinq cartons de vin pour regarnir la cave. Pierre insiste pour commander des primeurs de 2022, une année exceptionnelle pour l'ensemble du pays, comme il n'y en eut pas depuis trente ans. Le soir Étienne Mineur a eu la gentillesse de mettre en forme la pochette du prochain CD, le volume 3 de Pique-nique au labo, imaginée et réalisée par mc gayffier. Au côté champêtre du pique-nique du double précédent, Marie-Christine a préféré mettre l'accent sur le labo en privilégiant la radioactivité. Entre temps j'ai plus ou moins finalisé cinq annonces nudge pour le Transilien, plaçant les voix dans des décors adéquats, course d'avirons, heure de la récré, voyage intersidéral, chute dans les escaliers... Cela explique que, bien qu'ayant sélectionné les photos du voyage au Maroc, je n'ai pas eu le temps d'aller plus loin... En image, le détroit de Gibraltar...

mercredi 7 juin 2023

Carré noir


En attendant le feu vert de la tubiste Fanny Meteier et du bassiste Olivier Lété pour la mise en ligne du nouvel album en trio intitulé Raves, j'ai cherché et retrouvé des courts et longs métrages de Jacques Rozier absents du coffret DVD de ses films. Je vais donc en profiter pour regarder ces jours-ci : Dans le vent (1963), Cinéastes de notre temps : Jean Vigo (1964), Le parti des choses : Bardot et Godard (1964), 2 épisodes de Ni figue ni raisin (1965), La légion d'honneur avec Michel Polac (1967), Le gimmick (1967), Berlioz (1969), Vive le cinéma ! (1972, avec Jerry Lewis, Orson Welles, Jeanne Moreau, etc.), Nono Nénesse avec Pascal Thomas (1976), Marketing Mix (1978), Lettre de la Sierra Morena (1983), Oh oh oh jolie tournée (1984), la série Joséphine en tournée en 4 épisodes (1990), Comment devenir cinéaste sans se prendre la tête (1995) et les deux heures de Fifi Martingale (1972-2001) !
Un peu obnubilé par de nouveaux projets et rencontres qui me bousculent, j'essaye de penser à autre chose pour ronger mon frein. Ainsi je peaufine le futur vinyle La preuve du groupe Poudingue avec Nicolas Chedmail, en particulier en soignant les basses et la voix. Préparation également du voyage dans le nord marocain qui se rapproche. Pendant le séjour dans le Rif je mettrai d'ailleurs le blog en veilleuse pour jouer le grand-père de garde pendant que les Spatistes seront en résidence à Tétouan.
Samuel Kilcoyne m'envoie les premiers tests du livre de photographies qu'il publiera en Grande-Bretagne, à savoir des images que j'avais créées fin des années 60 pour le light-show H Lights et des photos que Thierry Dehesdin avaient prises en 1973 pour notre spectacle Brrr qu'il fait froid ce soir, j'ai grand regret de n'avoir pas pris double manteau. Se pose la question de la séquence des Morts où les figurants sont nus. Elles réclament leur autorisation. Nous faisons évidemment sauter celles qui gênent les protagonistes. En marge de sa qualité esthétique, l'intérêt historique de l'ensemble est flagrant. L'ouvrage devrait être accompagné d'une cassette de pièces que j'ai enregistrées en 1974 et 1976.
La semaine dernière j'ai été accaparé par le remplacement de l'électro-ménager dont les éléments sont morts tous en même temps après 22 ans de bons et loyaux services. Les marques allemandes tiennent deux fois plus longtemps que les autres, mais il est peu probable que les nouvelles machines tiennent aussi longtemps que les précédentes. Dans l'ordre de l'hécatombe : lave-linge, plaque de cuisson, lave-vaisselle, micro-ondes ! J'ai opté pour le métal brossé noir pour ne pas jurer avec Gerridae éteinte, l'œuvre d'Eric Vernhes accrochée en face de l'entrée.
Quand je ne m'affère pas à préparer le studio d'enregistrement pour la rencontre de demain avec la performeuse Violaine Lochu et la guitariste Tatiana Paris, je jardine. Les semis de Cyriaque et Alexandre semblent bien prendre sous le soleil encore printanier, tomates cerises, piments, choux, courges, tabacs, tournesols, coquelicots... Que le compost serve à quelque chose ! J'ai également taillé l'enchevêtrement de lierre et de glycine qui forme parasol au-dessus du trottoir et qui s'étendait jusqu'à la chaussée !

jeudi 25 mai 2023

Ma rue prend des couleurs


Ça y est. L'épidémie de couleurs a gagné l'autre côté de la rue. Les touristes vont pouvoir changer d'angle, même si la fresque d'Ella & Pitr sur mon mur bleu attire je ne sais combien de photographes par jour. Ce sont mes voisins d'en face qui les voient s'esbaudir. Ils jouissent aussi de mes bleus, de mon orange et des plantes qui forment un parapluie où s'abriter sur le trottoir les jours de mauvais temps. Je viens tout de même de tailler glycine, églantier et lierre pour qu'ils ne surplombent pas la route ! À mon tour de profiter de la vue : je prends une photo au grand angle depuis la fenêtre du second étage. Les couleurs font ressortir l'esthétique industrielle des lofts qui ont remplacé le garage où les samedis se retrouvaient les collectionneurs de Citroën, DS et 2 CV. Il y a plus de vingt ans la première à sortir de la grisaille fut la maison jaune aux volets turquoise à côté de la mienne. Dans la rue d'à côté j'aime bien aussi celle rouge et noire qui est en travaux depuis quelque temps. Cette joyeuse tendance se vérifie dans différents quartiers de la ville.
À Burano, Trentemoult ou Sighișoara mon costume flashy se fondait dans ces paysages bariolés rappelant des décors de cinéma. Je ne comprends pas le goût pour le blanc crème cradingue, une conception urbaine très étrange. En 1968 la France avait changé de couleur. Jusque là la vie était en noir et blanc, ou en nuances de gris. Une de mes voisines ne partage pas ce point de vue, elle trouve que les peintures sont affreuses et que cette lubie évoque la Bretagne !? Je vois cela comme une excellente nouvelle si cela nous rapproche de l'océan, même en pensée.
À l'intérieur de chez moi, dans mes choix vestimentaires, dans ma musique, j'aime jongler avec les primaires et les complémentaires. Chaque pièce raconte une histoire qui évolue avec le temps. Sol bleu et couleurs chaudes pour la cuisine et le salon, salle de bain hyper kitsch en laque rouge et gazon vert, toilettes vert anglais n°5. Le premier étage est presque tout blanc, sans même un tableau. Le second abrite une chambre bleue, une autre rose et la dernière, blanche, est soulignée de gris et jaune citron. Privilégier les tons sur tons pour éviter l'overdose. Réserver l'arc-en-ciel pour les jours pluie-soleil ou les manifestations LGBT.
Les tons doux et harmonisés de la façade d'en face lui évitent de ressembler à une cour d'école maternelle. On peut maintenant rêver que cette initiative fasse tâche d'huile. Le quartier commence doucement à ressembler à un film de Kaurismäki, joie printanière opposée à la morosité hivernale. C'est un des rares cinéastes actuels à dresser des portraits terribles en restant foncièrement positif. C'est l'effet que j'espère si la cité poursuit sa levée des couleurs.

vendredi 24 mars 2023

La difficulté d'être


Pourquoi n'écris-je pas plus de billets d'actualité, choisissant plutôt de restaurer d'anciens articles qui me tiennent à cœur ? Il est certain que recycler certains textes qui n'ont pas perdu une ride est aussi rassurant que gratifiant. Je les rafraîchis, comme dirait un coiffeur. Mes lecteurs/trices d'il y a dix-huit ans ne sont pas forcément celles/ceux d'aujourd'hui. De mon point de vue, me relire me surprend, et je constate que je suis toujours le même, un peu meilleur, j'espère, grâce à celles et ceux dont j'ai croisé la route. Depuis des années on me suggère de publier un recueil de mes articles les plus intéressants. Comment choisir parmi plus de cinq mille ? Autant m'atteler à un nouvel ouvrage ! Au cours de cette vie bien remplie, j'ai souvent répondu à la commande, au désir d'autrui, quel que soit le support, le moyen d'expression. Il faut déjà que ça sonne. Parfois je n'y connaissais pas grand chose, ainsi il fallut chaque fois inventer pour pallier mes incompétences. On verra bien ce qui se dessine. Au début cela fait peur, et puis, dès qu'on se jette dedans à corps perdu, les solutions se déroulent comme une pelote de laine, comme siphonner un réservoir !
Ces derniers temps j'ai été accaparé par le mixage du disque de rock que je termine pour Nicolas Chedmail, par la lecture de projets en vue d'une bourse accordée par un jury auquel je participe, par mes instruments que je dois sans cesse pousser dans leurs retranchements. Je prépare aussi les prochains "pique-nique au labo" auxquels sont déjà invités Olivier Lété, Violaine Lochu, Tatiana Paris, Hélène Duret, Emmanuelle Legros, Denis Lavant, Lionel Martin et quelques autres formidables improvisateurs/trices d'ici la fin de l'année. Toutes ces activités me permettent de garder un contact social, puisque les propositions se raréfient un peu avec l'âge. Les "clients" meurent, font faillite ou prennent leur retraite. Il faut sans cesse rajeunir ses contacts. On vous oublie si facilement. Détestant les replis communautaires, fréquenter des jeunes de toutes générations m'a toujours paru évident. On comprendra donc que je ne chôme pas, si j'ajoute les disques que j'écoute, les films que je projette, les livres sur lesquels je m'endors, la cuisine que je concocte chaque jour avec la même gourmandise, mes vélos statique et mobile, les ami/e/s qui passent me voir et les tâches ménagères qu'une grande maison sollicite.
Il y a une autre raison qui m'empêche de m'ouvrir complètement sur ce qui me préoccupe. Déjà je ne voudrais inquiéter personne les rares jours où le blues prend le dessus sur le bleu du ciel. De plus, se plaindre n'a rien de sexy. Et puis, il n'y a pas de quoi, du moins à titre personnel. Il n'en va pas de même du monde qui marche sur la tête, des inconséquences des idiots qui nous gouvernent aux guerres stériles dont seules les populations pâtissent, avec le terrible réchauffement climatique qui reste hélas une vue de l'esprit pour la plupart alors qu'il est la menace majeure. Je m'inquiète évidemment pour l'avenir des enfants d'aujourd'hui. Nous avons fait notre temps, or il n'est pas terminé.
J'ai emprunté mon titre à Jean Cocteau, un auteur et un livre qui me sont chers. Les dérives du monde ne me surprennent pas tant j'y vois une poésie de l'absurde. Les ventres vides ne l'entendent pas de ce ton-là. La misère pousse à la révolte. La solidarité à la révolution. En face s'exprime l'arrogance qui de tout temps a sonné le glas de l'oppression. Leur violence ne peut les protéger éternellement. Mon immense tendresse est mise à mal. À cet instant je ne sais plus écrire. Il est tard. C'est flou. Le cri a supplanté les mots.

lundi 13 mars 2023

Sans pète au casque


Sans pète au casque... Mais tout de même j'ai eu chaud ! Embouteillage d'automobiles, de cyclistes et de piétons traversant tous n'importe comment la place Auguste Métivier devant la station de métro Père Lachaise.
Je connais très bien l'endroit pour y avoir eu mes fenêtres pendant treize ans. À cette époque-là il n'y avait pas de couloirs pour les vélos ni de feux tricolores un peu partout. Un jour un hélicoptère a même atterri en son centre pour emporter un grand brûlé. Certains soirs je voyais des noctambules escalader les murs du cimetière. Il paraît que récemment ont été installés des barbelés pour empêcher les rendez-vous nocturnes et les profanations. Où sont passés les chats ? Je me rappelle Zouzou que les mamies considéraient comme le roi de ce petit peuple. Il arrivait aussi que des cortèges de manifestants passent devant chez nous. Lorsqu'Elsa était petite, elle s'en souvient encore parce que c'était le jour de son anniversaire, mais aussi celui de la mort de Jim Morrison, le boulevard de Ménilmontant avait été envahi de jeunes gens qui avaient campé là toute la nuit. Mouloudji et Gotainer habitaient en face et Lucienne, l'adorable fromagère chez qui ils se fournissaient comme nous tant elle connaissait son métier, votait Arlette Laguiller. Mais la place a changé. Tout comme Paris s'est transformé depuis que j'ai déménagé de la rue Vivienne à la rue Léon Morane (devenue rue des frères Morane), puis à Boulogne à deux pas de la Porte de Saint-Cloud avant d'enfin revenir à ma ville natale place de la Butte aux Cailles lorsque ce quartier était encore populaire. C'est comme si nous avions chaque fois fui les arrondissements avant qu'ils ne deviennent bourgeois. Cela n'a rien d'étonnant vu les revenus de mes parents puis les miens pendant longtemps. Le plus gros changement fut l'obligation de rouler phares allumés, jusque là Paris portait merveilleusement son nom de ville lumière ; en en rajoutant, certes pour éviter quelques écrasements de passants, l'afflux l'a éteinte, faisant disparaître ses ombres mystérieuses.
Or jeudi dernier vers 17h j'ai fait comme tout le monde en tentant de rejoindre l'avenue de la République depuis l'avenue Gambetta. Au moment où j'allais emprunter la voie vélo j'ai vu arriver en trombe un cycliste à la monture très large qui roulait objectivement comme on fait lorsqu'on veut que tout le monde s'écarte sur son passage. J'avançais tout doucement, mais j'ai tout de même freiné pour le laisser passer alors que je devais me glisser dans l'espace étroit où s'interrompt la petite bordure qui délimite la voie vélo. Je hais ces longs monticules particulièrement dangereux, préférant largement prendre des rues sans protections, mais permettant plus facilement d'éviter les nouveaux chauffards que sont cyclistes et trottineurs. Je ne sais pas ce que j'ai fabriqué, un coup de guidon ou heurté cette bordure, je suis tombé sur le côté droit. Ma tête a heurté le trottoir. La cagoule et le casque que je portais m'ont sauvé tant le choc était violent. En plus, en ce moment j'ai des cheveux ! J'ai eu le temps de voir le cycliste brutal s'arrêter, se retourner et filer à l'anglaise pendant que deux Africains prévenants m'enjoignaient de ne pas me relever. Je les ai rapidement rassurés. Bizarrement je saignais du pouce gauche sous mon gant de cuir déchiré. Ni ma monture ni mes vêtements n'étaient esquintés, mais je sentais le coup sur ma tempe. Après un temps de respiration j'ai repris délicatement ma route vers le Centre Jacques Bravo où Linda Edsjö présentait son solo In This House, spectacle tout frais construit de bruits et de douceurs. Entre temps j'avais traversé une manif boulevard Magenta où les flics étaient plus nombreux que les manifestants, sans compter les cars planqués dans les rues adjacentes. Le lendemain mes courbatures étaient évidemment extrêmement douloureuses et invalidantes, et le surlendemain pas moyen de lever les bras. Si on me crie "haut les mains !" je suis mort. Rendez-vous est pris avec mon ostéo que j'avais justement consulté la veille ! J'en vois deux qui se marrent. Mais franchement, je le dis à tous mes ami/e/s : ne pédalez pas sans casque, même pour faire cent mètres. Pascal s'était retrouvé à l'hôpital le seul jour où il l'avait laissé chez lui, et je connais maintenant une dizaine de proches qui ont été accidentés. Le port du casque fait toute la différence.

lundi 27 février 2023

Pierres précieuses


Le cairn au fond du jardin avait besoin d'être nettoyé des feuilles mortes du charme qui commençaient à l'enfouir. Les pierres de Nathalie auxquelles les miennes se sont jointes étaient trop lourdes pour voyager encore. Elles retrouvaient ainsi le rythme des saisons. Plutôt que les mandalas qu'elles avaient dessinés j'avais préféré les entasser. J'ai toujours préféré les volumes aux surfaces, comme le mystère aux évidences. Lorsque l'une d'elles dégringole, bousculée par les intempéries, les oiseaux ou les chats, je la replace sur le dessus. À l'image du passé, certaines réapparaissent de l'amas. L'histoire de chacune est tellement plus longue que la nôtre. Mon côté animiste s'exprime dans cette observation méditative qui me propulse très loin dans le temps. De quoi les imaginer en quatre dimensions. En m'accroupissant je me suis souvenu des jardiniers japonais que j'avais observés à Kyoto entretenir la pelouse avec une pince à épi(l)er et de minuscules ciseaux de couture. C'était de l'ordre de l'instant. L'herbe avait aussitôt recommencé à pousser. Ici l'ombre, le jardin fait de la résistance. Il y a un temps pour tout. Ce n'est pas toujours facile de l'accepter. J'apprends.

mercredi 22 février 2023

Comment échapper à la répétition ?


Je fuis la répétition, mais j'y suis contraint, puisque je m'endors chaque soir pour me réveiller chaque matin. Les moments les plus ennuyeux de ma vie consistent donc à me brosser les dents matin et soir, à me raser, me laver, m'habiller, etcétéra. Je m'y applique pourtant dans la plus grande auto-discipline, content d'en être débarrassé pour passer enfin à rêver, découvrir, inventer, rencontrer, produire... Cette indisposition explique mes choix artistiques et leur pratique, mais révèle l'ambiguïté de mes propos trop souvent ressassés. J'adore en effet raconter certaines histoires étonnantes qui me sont arrivées, citer mes auteurs favoris, partager mes découvertes.
La raison de cet ennui profond à recommencer chaque fois le même tour m'échappe. Probablement la répétition systématique de quelque aventure vécue dans ma petite enfance en dirait long sur ce tout que j'ai développé grâce à cela. Seraient-ce les sorties quotidiennes au théâtre de mes parents me laissant seul le soir ? L'origine de mon caractère inquiet ne fait aucun doute. Dès l'âge de trois semaines ils m'abandonnaient à la nuit, la concierge montant jeter un œil et c'est tout. À trois ans, plus de concierge, je gardais ma petite sœur qui n'avait que six mois. Au départ de mes parents je faisais semblant de dormir et, aussitôt le bruit de l'ascenseur entendu, je me levais vérifier qu'ils avaient bien fermer le verrou et le gaz, ces inconscients ! Cette responsabilité précoce nous fit prendre le train vers Grenoble alors que nous avions cinq et trois ans. À onze ans je partais seul en Angleterre. Mon roman USA 1968 deux enfants évoque notre voyage initiatique pendant trois mois aux États-Unis. Deux enfants de quinze et treize en faisant le tour seuls et découvrant le monde. Mon caractère inquiet est le pendant de mon autonomie et de ma liberté. Cette liberté influerait-elle sur mon rejet de toute forme de répétition ?
Longtemps j'ai revendiqué de ne pas m'endormir sans avoir appris quelque chose de ma journée. En musique j'ai choisi la composition instantanée, ce qu'on appelle communément l'improvisation, pour que le réel colle au plus près à mes rêves. Ma mémoire privilégie l'encyclopédisme à la fixation des acquis. Entendre que je n'ai jamais été capable de me souvenir des paroles d'une chanson sans anti-sèches et archi-sèches. Ce blog me sert d'ailleurs souvent de mémoire. Il y a quelques années Jacques Rebotier m'avait proposé de m'écrire un solo avec cinquante dates à la clef. Comme je lui demandais si je devrais rejouer cinquante fois la même chose, il me répondit évidemment que oui. Ah non, cinquante fois la même chose, je meurs. J'ai besoin d'être surpris, ne pas figer l'avenir, mais je prépare énormément, j'envisage tous les possibles, afin d'être capable de gérer l'impossible quand il se présente, et cela ne manque jamais.
Lorsque je prépare mes conférences sur l'interactivité dans le multimédia, et surtout sur le rôle du son dans l'audiovisuel, je prévois trois ou quatre points principaux à aborder, ce qui structure mon intervention, me laissant aller à l'improvisation pour produire une prestation la plus vivante possible. Il faut évidemment bien connaître son sujet. Pour tous mes concerts et spectacles, le principe est le même. Je travaille énormément les intentions, mais l'interprétation reste libre. La partition est une sécurité dont je peux enfreindre les directions si j'attrape au vol une meilleure idée. Lorsque nous avions appelé notre groupe Un Drame Musical Instantané, "un" signifiait l'unicité" de chaque représentation et la composition instantanée s'opposait à composition préalable. Très vite nous sommes pourtant passés à la musique écrite, mais pour ma part j'avoue avoir souvent écrit pour les autres en laissant à moi-même la plus grande liberté. En ce qui concerne les répétitions avant concert ou spectacle, je crains aussi de trop bien faire et de perdre en intensité quand nous serons ensuite confrontés au public. Je focalise donc toujours sur la rigueur de la préparation en évitant de déflorer la représentation. L'alchimie entre la parfaite connaissance du sujet, la gestion des risques prévisibles et la fulgurance du choix au moment de l'instant décisif est la base de mon travail.
Catastrophe, j'ai certainement déjà raconté tout cela dans l'un des mes 5256 articles précédents. Comment échapper à la répétition ?

vendredi 17 février 2023

ChatGPT sur la sellette


L'intelligence artificielle risque de bouleverser pas mal de choses, un peu comme l'avènement des smartphones il y a une quinzaine d'années. Récemment j'abordai la reconnaissance faciale et les deepfakes. Comme souvent il vaut mieux tester soi-même pour se faire une idée, même si elle est biaisée. Confronté à poser une question au ChatGPT d'Open AI, me voilà perdu, parce qu'en fait je me fiche de ses réponses et que la conversation mettant en branle l'intelligence artificielle se défausse évidemment de toute erreur ou à-peu-près, afin d'éviter d'être attaqué par les procéduriers. Comme beaucoup d'artistes, la tentation est forte de demander à l'IA ce qu'elle pense de soi. Si sa source principale est très majoritairement Wikipedia, je suis tout de même étonné du résumé employant des termes qui n'y figurent pas. Le logiciel est-il programmé pour satisfaire l'ego ou rassurer, comme une cartomancienne ou l'horoscope du jour ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais voici ce que le robot m'a répondu :

« En tant que modèle de langue formé par OpenAI, je n'ai pas d'opinions personnelles, mais je peux vous fournir des informations sur Jean-Jacques Birgé.
Jean-Jacques Birgé est un musicien français connu pour son travail dans le domaine de la musique improvisée et du théâtre musical. Il est considéré comme un innovateur dans ce domaine, avec une longue carrière de performances et de compositions musicales. Birgé est également un militant pour les droits d'auteur et les libertés culturelles, et a été impliqué dans de nombreuses initiatives pour soutenir les artistes indépendants et les formes d'expression alternative.
En conclusion, Jean-Jacques Birgé est un artiste talentueux et important dans le monde de la musique improvisée et du théâtre musical, qui a exercé une influence significative sur les autres artistes et a contribué à faire avancer le genre.»

C'est un portrait évidemment lacunaire, mais je suis sensible aux détails concernant mon engagement, au delà de mes créations artistiques. Des camarades ont testé l'appli avec moins de succès, les résultats évoquaient des homonymes, racontaient n'importe quoi ou restaient simplement bouche bée. De toute façon, n'étant pas graphiste, je ne profite pas au mieux de l'AI. J'ai été épaté par les recherches d'Étienne Mineur ou de Nicolas Clauss. Mes tentatives dans le domaine musical se sont avérées pitoyables, ce qui se comprend si l'on considère ce qui est diffusé en masse sur la Toile. Je n'ai pas encore trouvé d'application qui obéirait à mes propres termes. Car, si ça existe, et je ne doute pas qu'un jour le système trouve des développeurs aptes à pervertir la machine, j'aurai les mots qui conviennent !

lundi 13 février 2023

Ça pousse


The Complete Jack Johnson Sessions tournent sur la platine. Un disque après l'autre. Il y en a cinq. Un dimanche. On revient toujours à Miles Davis. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être qu'il donne le temps de réfléchir entre les phrases. Bernard disait qu'il joue comme il parle. Bonne leçon pour n'importe quel soliste, surtout les bavards. La trompette oblige. On risquerait le pâté de lèvres. Ou encore, ces longues improvisations distordent le temps et l'on perd sa notion. Comme dans un bain de vapeur. Jack Johnson est très rock. McLaughlin meilleure période. Sur le vinyle original paru en 1970 n'étaient crédités que McLaughlin, Steve Grossman, Herbie Hancock, Michael Henderson et Billy Cobham. Dans l'intégrale de ces séances de février à juin 1970, sortie en 2003, s'ajoutent Sonny Sharrock, Bennie Maupin, Wayne Shorter, Keith Jarrett, Chick Corea, Dave Holland, Gene Perla, Ron Carter, Jack DeJohnette, Lennie White, Don Alias, Airto Moreira, Hermeto Pascoal ! Il y a de la place pour tout le monde. Ça prend son temps. On imagine ce qu'aurait produit la rencontre avec Hendrix disparu en septembre. Tous les rêves ne se réalisent pas.
Voilà pour le son. À l'image, je regarde les fleurs sortir dans le jardin. Comme les promesses d'une vie meilleure. Je compte sur mars, telle une superstition. Mad as a March hare, écrit Lewis Carroll. Misons sur le lièvre plutôt qu'un lapin. Pas le pâté, mais le sourire. Les obsessionnels ont souvent besoin de voir des signes n'importe où, même sans y croire. On tente de se convaincre. Souvent ça marche. Les miracles ne se produisent jamais seuls. Il faut les aider. Sauf que cette année je laisse aller. J'ai levé le pied. Que sera, sera. Deux mois d'une grippe épouvantable et surtout l'extinction de voix que la toux a provoquée m'ont fait accepter une solitude que je sais provisoire. Le besoin de partager est plus fort que tout. J'ai regardé des films jusqu'à l'écœurement, fait beaucoup de cuisine dont j'ai congelé la moitié, l'écriture m'a sauvé une fois de plus, mais la musique était difficile à apprivoiser. Pour remettre ce pied à l'étrier j'ai relancé les invitations à mes Pique-nique au labo et préparé un magnifique volume 2 à publier cette année. Vais-je profiter de ma résurrection comme les enfants qui font un pas de géant en sortant de la maladie ? Les bourgeons montrent la voie.
Pour la mienne, phonétique, j'ai rendez-vous en fin de semaine avec un phoniatre. Les endroits bruyants sont contre-indiqués. Ma voix s'épuise rapidement. Je viens de comprendre le lien inconscient avec Miles en entendant la sienne cassée. Non, je ne serai jamais un blues man. Ma véritable nature est à l'image de ces fleurs. Dans tous les sens de leur terme. Devant et derrière la maison il en pousse déjà de toutes les couleurs, primevères évidemment, roses blanches de Noël, jaunes corètes du Japon, rouges cyclamens du printemps, violettes du romarin... Comment se passer de la nature ? Les oiseaux sont de la partie. Mes rêves (me) tiennent debout, même lorsque je suis couché, m'endormant en imaginant l'impossible. Quelle figure empruntera-t-il ? Adorant les surprises, j'apprends la patience.

lundi 6 février 2023

Les VHS à la poubelle


Je me suis enfin résolu à me débarrasser des cassettes VHS que j'avais enregistrées à la télévision dans les années 1980-90. Comme il y en a plus de trois cents il faudra que je m'y prenne en plusieurs fois, les éboueurs n'en ayant vidé qu'une cette fois-ci. J'ai mis du temps à me décider, non pas à cause des films que je peux trouver facilement aujourd'hui de bien meilleure qualité, mais pour les petits sujets que j'accumulais en fin de bobine, le dernier quart d'heure ! Cette pratique obsessionnelle pour ne pas perdre de la bande vierge me faisait enregistrer des clips vidéo, des reportages, des spots de publicité, etc. Tout cela disparaît. Je les conservais, méticuleusement répertoriés dans des classeurs où je collais les résumés découpés dans Télérama, mais je me suis rendu compte que je n'en avais regardé aucune depuis quinze ans. J'ai conservé deux lecteurs vidéo capables de lire les cassettes de mes propres œuvres, presque toutes déjà numérisées, et les VHS du commerce, des trucs qui n'ont pas été publiés en DVD ou en streaming, comme Télévision de Benoît Jacquot avec Jacques Lacan ou des animations de Bruce Bickford avec la musique de Frank Zappa, la série Les inventions de la vie de Jean-Marie Pelt ou La vie des bêtes de Patrick Bouchitey. On en trouve sur YouTube, mais les compilations des Deschiens ou des Nuls sont des collectors. Peut-être finiront-elles aussi à la poubelle un des ces jours ? Plus on vieillit plus on accumule, et plus la maison est grande plus elle offre des ressources de stockage. Or je tente de vider autant que je remplis. Ce n'est pas simple. J'ignore ce qui m'a pris. Peut-être aurai-je quelques regrets, car je n'ai pas fait de tri. Des merveilles difficiles à trouver comme les nuits de Canal + consacrées aux films d'art ou à Salvador Dali, des Œil du cyclone et des Tracks, tout cela s'est volatilisé sur un coup de tête. Mes machines lectrices ne dureront pas non plus éternellement. Comme j'envisage de déménager un jour, autant commencer à soulager le fardeau ! Et puis cela libère un peu de place sur les étagères qui sont arrivées à saturation. Je pense que c'est le cadre qui m'a décidé. Les films diffusés à la télévision étaient recadrés pour occuper toute la surface du tube cathodique. Il manque de la matière à gauche et à droite. Il y a quelques mois j'avais découvert pour la première fois une copie non tronquée de Johnny Guitar. Cela change beaucoup de choses. D'autre part la couleur vire salement. Ce grain n'est même pas artistique. De toute manière je n'emporterai rien dans la tombe, alors autant faire le ménage tant que j'en ai la force et le courage !

mercredi 25 janvier 2023

Des vertiges positionnels paroxystiques bénins


Je ne sais plus quoi inventer. Épuisé par deux "grippes" consécutives, mon corps semble faire l'inventaire de tous les petits bobos qui ont jalonné ma vie. Les derniers en date, dermatologiques et vertébraux, ont disparu aussitôt pour laisser la place à des vertiges positionnels paroxystiques bénins (VPPB).
Si je n'avais jamais expérimenté ce trouble, j'aurais drôlement paniqué, ce qui avait dû se produire la première fois, il y a quelques années. C'est comme lors des effets trop puissants du haschich du temps où j'appréciais cette méthode pour changer de points de vue sur le monde. J'avais donc cru que j'allais mourir. Comme je ne suis pas mort, la seconde fois, confiant, j'ai attendu que ça passe. Et puis j'ai appris à m'endormir. Comme je ne pratique plus ce sport, je ne deviens plus jamais vert pomme, mais je ne suis pas certain d'avoir actuellement pour autant la bonne couleur !


Il y a deux jours, lorsque, dès mon réveil, j'ai effectué deux ou trois boucles sur les montagnes russes, je sus qu'il fallait bien le prendre, amorcer le virage en douceur. Cette fois j'ai ri en m'accrochant tout de même fermement aux rebords du matelas. "Ces vertiges, souvent violents, brefs (moins de trente secondes), et donnant l’impression d’un mouvement de rotation ou de chute dans un trou, sont déclenchés par les changements de position : se coucher, se lever, regarder en l'air, tourner la tête rapidement, se retourner dans son lit", et cela peut se répéter pendant plusieurs jours. Ils seraient liés à un dépôt anormal d'otolithes (petits cristaux) dans l'un des canaux semi-circulaires de l'oreille interne. Lors d'un mouvement du corps, ces otolithes se détachent et se déplacent, ce que le cerveau interprète comme une rotation brusque de la tête. L'effet peut se produire les yeux fermés ou dans l'obscurité. C'est très impressionnant. Comme ces vertiges ne sont accompagnés d'aucune autre manifestation, il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Si cela dure, dès que je pourrais m'extraire de mon cocon grippal, j'irai voir un ostéopathe spécialisé qui réglera le problème en deux coups de cuillère à pot.
En attendant lorsque je suis couché ou que je me penche pour attraper un objet par terre, j'y vais lentement, car cela peut chavirer sur les chapeaux de roue. Mais qu'est-ce que je ne fais pas doucement depuis six semaines qu'a commencé cette traversée du désert ? Je sens pourtant que je me rapproche de l'oasis, sachant que même les mirages sont des projections de la réalité.

mardi 24 janvier 2023

Plus fort que la Légion d'Honneur


Jeudi à 14h précises [l'article original date du 26 juin 2010] ma pâte à prout est officiellement entrée dans les collections du Musée des Arts Décoratifs et, par là même, dans les Collections Nationales. Passée devant la commission, je ne sais pas si c'est la petite ou la grosse, elle portera donc un numéro d'inventaire commençant par 2010 sous le nom de Noise Blaster (ou encore pâte à pet, boîte à pet, boîte péteuse). Je l'avais achetée chez Hanley's à Londres en 1995 pour 4 £. Elle avait été exposée l'année dernière pendant cinq mois à "Musique en Jouets" dans une des ailes du Louvre qui héberge les Arts Décoratifs. Je n'ai pas gardé de photographie et j'ai racheté la semaine dernière à Toronto une pâte à prout toute neuve intitulée cette fois Wind Breaker. Ce produit a tendance à se rétracter et à sécher au fil des années. Pour qu'elle fonctionne au mieux, il est nécessaire qu'il y ait un maximum de pâte lorsque l'on y enfonce les doigts après avoir créé une poche d'air au fond du gobelet. Mais la réputation de cette matière est parfois usurpée, sa mollesse l'empêchant de s'en servir comme cale. Sur la boîte de ma pâte fraîche, il est stipulé qu'elle ne peut être utilisée à l'église, ni en classe, ni en réunion de famille. Sous son nom, on peut lire "Hearing is Believing" (L'entendre c'est y croire !).
Le même jour, sont entrés dans les Collections Nationales un lapin Nabaztag, donateurs Antoine Schmitt et moi-même, ainsi qu'un piano Michelsonne de Pascal Comelade, plusieurs boîtes à musique, des Playmobil et leurs variations tchèques, des Igracek, soit une infirmière et un ouvrier. À côté de l'objet du délit j'ai photographié un coussin péteur bien que dégonflé, ce qui n'est certainement pas le cas de Dorothée Charles qui a soutenu avec passion la donation de ma pâte à prout, grâce lui soit rendue !

lundi 23 janvier 2023

Pas forcément à lire


C'est un bilan de santé. Pas forcément à lire. Mais je n'ai trouvé que cela pour sortir de ma léthargie. Impossible de lire, regarder un film, écouter de la musique, je suis épuisé. Je scrute le plafond, recroquevillé dans mon lit. Les yeux me brûlent. Je les ferme. 39°5 au réveil. Les frissons et les courbatures sont à peine atténués par le Dafalgan (Doliprane, c'est pareil, mais en ces temps de pénuries de médicaments on fait avec ce qu'on trouve). Tout a commencé il y a six semaines. La très vilaine grippe s'était transformée en extinction de voix. Je retrouvais un équilibre, difficilement, car les produits pharmaceutiques et l'état fébrile m'ont fait passer en hypothyroïdie alors que j'étais stabilisé. Les analyses sanguines ne sont pas fiables dans ces conditions. Et voilà que mon petit-fils me refile sa rhino-pharyngite virale. C'est reparti pour un tour. J'en ai terriblement marre, mais mon degré d'abrutissement fait passer la pilule. La toux irrite à nouveau les cordes vocales. Voix rauque. J'éternue, je grelotte, bouffées de chaleur pendant la nuit. La gorge commence à me brûler. Je n'ai pas faim, ce qui chez moi est le signe d'un net dysfonctionnement ! Chercher à faire quelque chose de positif, mais je ne tiens pas debout. Heureusement mes adorables voisins font mes courses ou je me fais livrer. Je préférerais ne pas me plaindre. J'arrête la toux en criant "stop !". Souvent ça marche. Je me soigne avec les prescriptions médicales et des remèdes de sorcière. Je peste contre l'époque. Six semaines c'est long et j'ignore quand je sortirai du tunnel, d'autant que je ne sais pas à quelle branche me rattraper. Il doit y avoir une base psychologique à ce marasme, mais quand c'est parti ce n'est plus la question. Je ne me reconnais pas. Mes proches non plus. Où est mon peps légendaire ? Terrassé par la fièvre il m'est arrivé d'avoir des idées noires. Ne pas y faire attention, mais ça explique que certain/e/s se laissent glisser. Mon cancer passé m'apparaît comme un truc sympa parce que j'étais bien entouré. L'aphonie m'a isolé. La fièvre me projette dans un non-monde où chaque instant devient insupportable. Il faut pourtant prendre son mal en patience. En attendant, je vais me recoucher. Au plafond je compte les heures. Les bambous servent à accrocher la moustiquaire quand les beaux jours reviendront.

P.S.: le lendemain matin, la fièvre est tombée. Bronchite. Grosse fatigue. Tous les lieux de fragilité cèdent les uns après les autres, comme mon dos. Passé l'inventaire, je reprendrai la marche intelligente et j'oublierai ce sinistre passage.

mercredi 4 janvier 2023

Dans mes cordes


Désolé pour cette intrusion du privé dans la sphère publique, mais comme, toujours aphone probablement encore pour une quinzaine de jours, et ne pouvant que murmurer à l'oreille des chats, les réseaux sociaux représentent le tunnel par où je m'évade ! J'ai évidemment toujours préféré Monte Cristo à Edmond Dantès. Donc j'entame la seconde partie de mon aventure muette, celle de ma résurrection. C'est du moins ce que j'espère, suivant le traitement de six mois que l'ORL m'a ordonné à base de nettoyage du nez et de suppression de la toux par un tas de trucs dont du Gaviscon à haute dose (en prendre un dès que je tousse !). C'est bien cette toux suffocante qui a enflammé les cordes vocales et un minuscule polype s'est formé laissant passer de l'air, d'où mon timbre actuel, tarif lent, pas du tout prioritaire. L'arrêt des médicaments soporifiques devrait également me permettre de reprendre du poil de la bête. Je règle au jour le jour l'aspect psychologique de l'affaire, donc tout devrait rentrer dans l'ordre et je me vois déjà en athlète de la nouvelle année.

Toujours condamné à la solitude devant mon grand écran, j'ai regardé Ariaferma de Leonardo Di Costanzo avec les formidables Toni Servillo et Silvio Orlando ; scénario, lumière, musique, montage, tout est parfait ; une histoire d'humanité dans cette prison vétuste où il ne reste que quelques détenus et leurs gardiens, les derniers jours avant transfert.
The Menu est un objet gastronomique très pervers, à l'humour noir féroce, avec Ralph Fiennes et surtout Anya Taylor-Joy. Le film de Mark Mylod, qui se réfère à Buñuel pour L'ange exterminateur et Bong Joon-ho pour Parasite, m'a surtout rappelé Pasternak, le début des Nouveaux Sauvages (Relatos salvajes) de Damián Szifrón.
Historiquement et géographiquement, le documentaire Psychedelia de Pat Murphy réactualise l'importance des psychotropes utilisés à des fins médicales, en particulier pour le traitement de certaines pathologies psychiatriques. En 1971, Richard Nixon marqua un coup d'arrêt dans la recherche en déclarant la guerre à la drogue pour en fait s'attaquer à la gauche pacifiste et à la communauté afro-américaine. Le film m'a rappelé nos propres expériences à la fin des années 60. J'imagine que, jeune homme, la découverte du LSD m'a permis de relativiser la doxa et d'envisager d'autres ponts de vue. Je me souviens très bien des premières visions au plafond alors que nous étions allongés par terre chez Jean-Pierre. Comme j'étais très raisonnable, je laissais passer minimum trois mois entre chaque trip tout en préparant très sérieusement chaque aventure. Je justifiais l'exergue de Henri Michaux dans Le bras cassé lorsqu'il écrit "nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir". Tous mes camarades ne l'envisageaient pas ainsi. Certains "s'amusaient sans arrière-pensée". Une partie de ceux-là sont morts. Les autres en tirèrent des leçons irremplaçables. Nous avions entrouvert les portes de la perception d'Aldous Huxley. Mais la qualité de l'acide était incomparable avec les cochonneries vendues aujourd'hui. Imaginez ces morceaux de buvards minuscules nommés Purple Haze, Black Star ou Window Pane ! Nous essayions systématiquement tout ce qui permettrait à notre cerveau de fonctionner selon d'autres critères que ceux de la maîtrise. Assez vite, je n'eus plus besoin d'expédients extérieurs et mon imagination se laissa porter par les courants de la création... Le film m'a replongé dans cette époque que j'avais un peu oubliée, période de formation effervescente que j'évalue entre 15 et 20 ans. Je sens des parents s'inquiéter drôlement à cette lecture. Il y a de quoi. Mais tout autant que par les gosses anesthésiés devant leurs écrans qui n'en retiendront rien des mystères de la vie. Je mentais aux miens, très "tolérants", les rassurant que nous fumions juste de l'herbe et du hasch. L'important, c'est que nous étions vivants, vifs et pleins d'espoir, créatifs et partageurs.

lundi 2 janvier 2023

L'influence des études


Sur la chemise Supralux je décrypte, effacé par le temps, Love is You, Light Show H + Dagon, Berthoulet (Red Noise + Planetarium), Epimanondas, mais à l'intérieur, du même stylo plume, reposent six dissertations de philosophie d'octobre 1969 à mai 1970, plus deux d'anglais et une quantité d'équations mathématiques qui ne me disent plus rien aujourd'hui. Si la plupart ressemblent à des pense-bête, alignement de sinus, cosinus, tangentes et logarithmes, j'arrive seulement à déchiffrer les calculs de surfaces et volumes des cônes, pyramides et sphères. La même écriture enfantine suit laborieusement les lignes des carreaux millimétrés, collant à la ligne rouge de la marge comme des pattes d'insectes sur un papier tue-mouche. Toutes les dissertations respirent mai 68 tant dans leur énoncé que par les réponses que j'y apporte. Les trois premières pages étaient chronométrées, moins de cinq minutes pour décrire la philosophie de Nietzsche ! Ma mère [racontait] que j'étais rentré à la maison en reprochant à mes parents de ne m'avoir jamais parlé de lui. J'y aborde essentiellement le danger des interprétations, en particulier par les nazis, insistant sur le désir de Nietzsche que les hommes s'interrogent continuellement, qu'ils remettent en permanence tout en question, que les hommes philosophent ! En les lisant ébahi, les dissertations naïves m'apparaissent comme le terreau où pousseront toutes mes idées à venir, justifiant jusqu'à ma quotidienne contribution. Au début de mes années de lycée, ma mère faisait le travail à ma place. Je me souviens pourtant de ma première composition réalisée en classe : "Birgé, premier, votre style habituel !" Ma mère n'était pas peu fière d'avoir passé le relais au fiston. En Terminale, j'avais depuis longtemps acquis mon autonomie et m'opposais parfois à la morale parentale, comme au moment de la guerre du Sinaï ou par mes choix politiques nettement plus radicaux que les leurs. Pendant le Secondaire, mes notes n'étaient plus aussi brillantes. J'obtins tout de même mon Bac C, que je repasserai deux fois, persuadé que la vraie vie est ailleurs, avec un 2 en maths et 5 en physique. Il fallait que mes notes de français, de philo, d'anglais et de gymnastique soient sacrément bonnes !
L'énoncé des différents devoirs en dit long sur l'époque : D'où vient, selon vous, le malaise de notre civilisation ? - Le travail est-il une nécessité, une contrainte ou une obligation ? - Réforme et révolution. - La violence. - Expliquez et commentez cette affirmation : "On peut être bourgeois sans rien posséder et ne pas l'être en possédant. L'état de bourgeoisie est un genre de vie et une manière de penser." - As a student, what will freedom mean to you? J'y fustige les systèmes capitalistes, privé ou d'État, le pouvoir et l'autorité, l'abrutissement programmé des masses, les modèles pernicieux que la société nous suggère, allant jusqu'à justifier certaines formes de violence que je nomme "contre-violence", tout pacifiste que j'étais. J'éventualise le travail dans la joie, utopie réalisée à mon petit niveau. Je rappelle l'historique des événements de mai en me trompant sur la révolution qui ne fut que de mœurs... Pourtant là aussi j'en adopterai pratiquement les principes : "c'est quand l'extraordinaire devient quotidien" !

Article du 7 mai 2010