Jean-Jacques Birgé

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jeudi 25 mai 2023

Ma rue prend des couleurs


Ça y est. L'épidémie de couleurs a gagné l'autre côté de la rue. Les touristes vont pouvoir changer d'angle, même si la fresque d'Ella & Pitr sur mon mur bleu attire je ne sais combien de photographes par jour. Ce sont mes voisins d'en face qui les voient s'esbaudir. Ils jouissent aussi de mes bleus, de mon orange et des plantes qui forment un parapluie où s'abriter sur le trottoir les jours de mauvais temps. Je viens tout de même de tailler glycine, églantier et lierre pour qu'ils ne surplombent pas la route ! À mon tour de profiter de la vue : je prends une photo au grand angle depuis la fenêtre du second étage. Les couleurs font ressortir l'esthétique industrielle des lofts qui ont remplacé le garage où les samedis se retrouvaient les collectionneurs de Citroën, DS et 2 CV. Il y a plus de vingt ans la première à sortir de la grisaille fut la maison jaune aux volets turquoise à côté de la mienne. Dans la rue d'à côté j'aime bien aussi celle rouge et noire qui est en travaux depuis quelque temps. Cette joyeuse tendance se vérifie dans différents quartiers de la ville.
À Burano, Trentemoult ou Sighișoara mon costume flashy se fondait dans ces paysages bariolés rappelant des décors de cinéma. Je ne comprends pas le goût pour le blanc crème cradingue, une conception urbaine très étrange. En 1968 la France avait changé de couleur. Jusque là la vie était en noir et blanc, ou en nuances de gris. Une de mes voisines ne partage pas ce point de vue, elle trouve que les peintures sont affreuses et que cette lubie évoque la Bretagne !? Je vois cela comme une excellente nouvelle si cela nous rapproche de l'océan, même en pensée.
À l'intérieur de chez moi, dans mes choix vestimentaires, dans ma musique, j'aime jongler avec les primaires et les complémentaires. Chaque pièce raconte une histoire qui évolue avec le temps. Sol bleu et couleurs chaudes pour la cuisine et le salon, salle de bain hyper kitsch en laque rouge et gazon vert, toilettes vert anglais n°5. Le premier étage est presque tout blanc, sans même un tableau. Le second abrite une chambre bleue, une autre rose et la dernière, blanche, est soulignée de gris et jaune citron. Privilégier les tons sur tons pour éviter l'overdose. Réserver l'arc-en-ciel pour les jours pluie-soleil ou les manifestations LGBT.
Les tons doux et harmonisés de la façade d'en face lui évitent de ressembler à une cour d'école maternelle. On peut maintenant rêver que cette initiative fasse tâche d'huile. Le quartier commence doucement à ressembler à un film de Kaurismäki, joie printanière opposée à la morosité hivernale. C'est un des rares cinéastes actuels à dresser des portraits terribles en restant foncièrement positif. C'est l'effet que j'espère si la cité poursuit sa levée des couleurs.

vendredi 24 mars 2023

La difficulté d'être


Pourquoi n'écris-je pas plus de billets d'actualité, choisissant plutôt de restaurer d'anciens articles qui me tiennent à cœur ? Il est certain que recycler certains textes qui n'ont pas perdu une ride est aussi rassurant que gratifiant. Je les rafraîchis, comme dirait un coiffeur. Mes lecteurs/trices d'il y a dix-huit ans ne sont pas forcément celles/ceux d'aujourd'hui. De mon point de vue, me relire me surprend, et je constate que je suis toujours le même, un peu meilleur, j'espère, grâce à celles et ceux dont j'ai croisé la route. Depuis des années on me suggère de publier un recueil de mes articles les plus intéressants. Comment choisir parmi plus de cinq mille ? Autant m'atteler à un nouvel ouvrage ! Au cours de cette vie bien remplie, j'ai souvent répondu à la commande, au désir d'autrui, quel que soit le support, le moyen d'expression. Il faut déjà que ça sonne. Parfois je n'y connaissais pas grand chose, ainsi il fallut chaque fois inventer pour pallier mes incompétences. On verra bien ce qui se dessine. Au début cela fait peur, et puis, dès qu'on se jette dedans à corps perdu, les solutions se déroulent comme une pelote de laine, comme siphonner un réservoir !
Ces derniers temps j'ai été accaparé par le mixage du disque de rock que je termine pour Nicolas Chedmail, par la lecture de projets en vue d'une bourse accordée par un jury auquel je participe, par mes instruments que je dois sans cesse pousser dans leurs retranchements. Je prépare aussi les prochains "pique-nique au labo" auxquels sont déjà invités Olivier Lété, Violaine Lochu, Tatiana Paris, Hélène Duret, Emmanuelle Legros, Denis Lavant, Lionel Martin et quelques autres formidables improvisateurs/trices d'ici la fin de l'année. Toutes ces activités me permettent de garder un contact social, puisque les propositions se raréfient un peu avec l'âge. Les "clients" meurent, font faillite ou prennent leur retraite. Il faut sans cesse rajeunir ses contacts. On vous oublie si facilement. Détestant les replis communautaires, fréquenter des jeunes de toutes générations m'a toujours paru évident. On comprendra donc que je ne chôme pas, si j'ajoute les disques que j'écoute, les films que je projette, les livres sur lesquels je m'endors, la cuisine que je concocte chaque jour avec la même gourmandise, mes vélos statique et mobile, les ami/e/s qui passent me voir et les tâches ménagères qu'une grande maison sollicite.
Il y a une autre raison qui m'empêche de m'ouvrir complètement sur ce qui me préoccupe. Déjà je ne voudrais inquiéter personne les rares jours où le blues prend le dessus sur le bleu du ciel. De plus, se plaindre n'a rien de sexy. Et puis, il n'y a pas de quoi, du moins à titre personnel. Il n'en va pas de même du monde qui marche sur la tête, des inconséquences des idiots qui nous gouvernent aux guerres stériles dont seules les populations pâtissent, avec le terrible réchauffement climatique qui reste hélas une vue de l'esprit pour la plupart alors qu'il est la menace majeure. Je m'inquiète évidemment pour l'avenir des enfants d'aujourd'hui. Nous avons fait notre temps, or il n'est pas terminé.
J'ai emprunté mon titre à Jean Cocteau, un auteur et un livre qui me sont chers. Les dérives du monde ne me surprennent pas tant j'y vois une poésie de l'absurde. Les ventres vides ne l'entendent pas de ce ton-là. La misère pousse à la révolte. La solidarité à la révolution. En face s'exprime l'arrogance qui de tout temps a sonné le glas de l'oppression. Leur violence ne peut les protéger éternellement. Mon immense tendresse est mise à mal. À cet instant je ne sais plus écrire. Il est tard. C'est flou. Le cri a supplanté les mots.

lundi 13 mars 2023

Sans pète au casque


Sans pète au casque... Mais tout de même j'ai eu chaud ! Embouteillage d'automobiles, de cyclistes et de piétons traversant tous n'importe comment la place Auguste Métivier devant la station de métro Père Lachaise.
Je connais très bien l'endroit pour y avoir eu mes fenêtres pendant treize ans. À cette époque-là il n'y avait pas de couloirs pour les vélos ni de feux tricolores un peu partout. Un jour un hélicoptère a même atterri en son centre pour emporter un grand brûlé. Certains soirs je voyais des noctambules escalader les murs du cimetière. Il paraît que récemment ont été installés des barbelés pour empêcher les rendez-vous nocturnes et les profanations. Où sont passés les chats ? Je me rappelle Zouzou que les mamies considéraient comme le roi de ce petit peuple. Il arrivait aussi que des cortèges de manifestants passent devant chez nous. Lorsqu'Elsa était petite, elle s'en souvient encore parce que c'était le jour de son anniversaire, mais aussi celui de la mort de Jim Morrison, le boulevard de Ménilmontant avait été envahi de jeunes gens qui avaient campé là toute la nuit. Mouloudji et Gotainer habitaient en face et Lucienne, l'adorable fromagère chez qui ils se fournissaient comme nous tant elle connaissait son métier, votait Arlette Laguiller. Mais la place a changé. Tout comme Paris s'est transformé depuis que j'ai déménagé de la rue Vivienne à la rue Léon Morane (devenue rue des frères Morane), puis à Boulogne à deux pas de la Porte de Saint-Cloud avant d'enfin revenir à ma ville natale place de la Butte aux Cailles lorsque ce quartier était encore populaire. C'est comme si nous avions chaque fois fui les arrondissements avant qu'ils ne deviennent bourgeois. Cela n'a rien d'étonnant vu les revenus de mes parents puis les miens pendant longtemps. Le plus gros changement fut l'obligation de rouler phares allumés, jusque là Paris portait merveilleusement son nom de ville lumière ; en en rajoutant, certes pour éviter quelques écrasements de passants, l'afflux l'a éteinte, faisant disparaître ses ombres mystérieuses.
Or jeudi dernier vers 17h j'ai fait comme tout le monde en tentant de rejoindre l'avenue de la République depuis l'avenue Gambetta. Au moment où j'allais emprunter la voie vélo j'ai vu arriver en trombe un cycliste à la monture très large qui roulait objectivement comme on fait lorsqu'on veut que tout le monde s'écarte sur son passage. J'avançais tout doucement, mais j'ai tout de même freiné pour le laisser passer alors que je devais me glisser dans l'espace étroit où s'interrompt la petite bordure qui délimite la voie vélo. Je hais ces longs monticules particulièrement dangereux, préférant largement prendre des rues sans protections, mais permettant plus facilement d'éviter les nouveaux chauffards que sont cyclistes et trottineurs. Je ne sais pas ce que j'ai fabriqué, un coup de guidon ou heurté cette bordure, je suis tombé sur le côté droit. Ma tête a heurté le trottoir. La cagoule et le casque que je portais m'ont sauvé tant le choc était violent. En plus, en ce moment j'ai des cheveux ! J'ai eu le temps de voir le cycliste brutal s'arrêter, se retourner et filer à l'anglaise pendant que deux Africains prévenants m'enjoignaient de ne pas me relever. Je les ai rapidement rassurés. Bizarrement je saignais du pouce gauche sous mon gant de cuir déchiré. Ni ma monture ni mes vêtements n'étaient esquintés, mais je sentais le coup sur ma tempe. Après un temps de respiration j'ai repris délicatement ma route vers le Centre Jacques Bravo où Linda Edsjö présentait son solo In This House, spectacle tout frais construit de bruits et de douceurs. Entre temps j'avais traversé une manif boulevard Magenta où les flics étaient plus nombreux que les manifestants, sans compter les cars planqués dans les rues adjacentes. Le lendemain mes courbatures étaient évidemment extrêmement douloureuses et invalidantes, et le surlendemain pas moyen de lever les bras. Si on me crie "haut les mains !" je suis mort. Rendez-vous est pris avec mon ostéo que j'avais justement consulté la veille ! J'en vois deux qui se marrent. Mais franchement, je le dis à tous mes ami/e/s : ne pédalez pas sans casque, même pour faire cent mètres. Pascal s'était retrouvé à l'hôpital le seul jour où il l'avait laissé chez lui, et je connais maintenant une dizaine de proches qui ont été accidentés. Le port du casque fait toute la différence.

lundi 27 février 2023

Pierres précieuses


Le cairn au fond du jardin avait besoin d'être nettoyé des feuilles mortes du charme qui commençaient à l'enfouir. Les pierres de Nathalie auxquelles les miennes se sont jointes étaient trop lourdes pour voyager encore. Elles retrouvaient ainsi le rythme des saisons. Plutôt que les mandalas qu'elles avaient dessinés j'avais préféré les entasser. J'ai toujours préféré les volumes aux surfaces, comme le mystère aux évidences. Lorsque l'une d'elles dégringole, bousculée par les intempéries, les oiseaux ou les chats, je la replace sur le dessus. À l'image du passé, certaines réapparaissent de l'amas. L'histoire de chacune est tellement plus longue que la nôtre. Mon côté animiste s'exprime dans cette observation méditative qui me propulse très loin dans le temps. De quoi les imaginer en quatre dimensions. En m'accroupissant je me suis souvenu des jardiniers japonais que j'avais observés à Kyoto entretenir la pelouse avec une pince à épi(l)er et de minuscules ciseaux de couture. C'était de l'ordre de l'instant. L'herbe avait aussitôt recommencé à pousser. Ici l'ombre, le jardin fait de la résistance. Il y a un temps pour tout. Ce n'est pas toujours facile de l'accepter. J'apprends.

mercredi 22 février 2023

Comment échapper à la répétition ?


Je fuis la répétition, mais j'y suis contraint, puisque je m'endors chaque soir pour me réveiller chaque matin. Les moments les plus ennuyeux de ma vie consistent donc à me brosser les dents matin et soir, à me raser, me laver, m'habiller, etcétéra. Je m'y applique pourtant dans la plus grande auto-discipline, content d'en être débarrassé pour passer enfin à rêver, découvrir, inventer, rencontrer, produire... Cette indisposition explique mes choix artistiques et leur pratique, mais révèle l'ambiguïté de mes propos trop souvent ressassés. J'adore en effet raconter certaines histoires étonnantes qui me sont arrivées, citer mes auteurs favoris, partager mes découvertes.
La raison de cet ennui profond à recommencer chaque fois le même tour m'échappe. Probablement la répétition systématique de quelque aventure vécue dans ma petite enfance en dirait long sur ce tout que j'ai développé grâce à cela. Seraient-ce les sorties quotidiennes au théâtre de mes parents me laissant seul le soir ? L'origine de mon caractère inquiet ne fait aucun doute. Dès l'âge de trois semaines ils m'abandonnaient à la nuit, la concierge montant jeter un œil et c'est tout. À trois ans, plus de concierge, je gardais ma petite sœur qui n'avait que six mois. Au départ de mes parents je faisais semblant de dormir et, aussitôt le bruit de l'ascenseur entendu, je me levais vérifier qu'ils avaient bien fermer le verrou et le gaz, ces inconscients ! Cette responsabilité précoce nous fit prendre le train vers Grenoble alors que nous avions cinq et trois ans. À onze ans je partais seul en Angleterre. Mon roman USA 1968 deux enfants évoque notre voyage initiatique pendant trois mois aux États-Unis. Deux enfants de quinze et treize en faisant le tour seuls et découvrant le monde. Mon caractère inquiet est le pendant de mon autonomie et de ma liberté. Cette liberté influerait-elle sur mon rejet de toute forme de répétition ?
Longtemps j'ai revendiqué de ne pas m'endormir sans avoir appris quelque chose de ma journée. En musique j'ai choisi la composition instantanée, ce qu'on appelle communément l'improvisation, pour que le réel colle au plus près à mes rêves. Ma mémoire privilégie l'encyclopédisme à la fixation des acquis. Entendre que je n'ai jamais été capable de me souvenir des paroles d'une chanson sans anti-sèches et archi-sèches. Ce blog me sert d'ailleurs souvent de mémoire. Il y a quelques années Jacques Rebotier m'avait proposé de m'écrire un solo avec cinquante dates à la clef. Comme je lui demandais si je devrais rejouer cinquante fois la même chose, il me répondit évidemment que oui. Ah non, cinquante fois la même chose, je meurs. J'ai besoin d'être surpris, ne pas figer l'avenir, mais je prépare énormément, j'envisage tous les possibles, afin d'être capable de gérer l'impossible quand il se présente, et cela ne manque jamais.
Lorsque je prépare mes conférences sur l'interactivité dans le multimédia, et surtout sur le rôle du son dans l'audiovisuel, je prévois trois ou quatre points principaux à aborder, ce qui structure mon intervention, me laissant aller à l'improvisation pour produire une prestation la plus vivante possible. Il faut évidemment bien connaître son sujet. Pour tous mes concerts et spectacles, le principe est le même. Je travaille énormément les intentions, mais l'interprétation reste libre. La partition est une sécurité dont je peux enfreindre les directions si j'attrape au vol une meilleure idée. Lorsque nous avions appelé notre groupe Un Drame Musical Instantané, "un" signifiait l'unicité" de chaque représentation et la composition instantanée s'opposait à composition préalable. Très vite nous sommes pourtant passés à la musique écrite, mais pour ma part j'avoue avoir souvent écrit pour les autres en laissant à moi-même la plus grande liberté. En ce qui concerne les répétitions avant concert ou spectacle, je crains aussi de trop bien faire et de perdre en intensité quand nous serons ensuite confrontés au public. Je focalise donc toujours sur la rigueur de la préparation en évitant de déflorer la représentation. L'alchimie entre la parfaite connaissance du sujet, la gestion des risques prévisibles et la fulgurance du choix au moment de l'instant décisif est la base de mon travail.
Catastrophe, j'ai certainement déjà raconté tout cela dans l'un des mes 5256 articles précédents. Comment échapper à la répétition ?

vendredi 17 février 2023

ChatGPT sur la sellette


L'intelligence artificielle risque de bouleverser pas mal de choses, un peu comme l'avènement des smartphones il y a une quinzaine d'années. Récemment j'abordai la reconnaissance faciale et les deepfakes. Comme souvent il vaut mieux tester soi-même pour se faire une idée, même si elle est biaisée. Confronté à poser une question au ChatGPT d'Open AI, me voilà perdu, parce qu'en fait je me fiche de ses réponses et que la conversation mettant en branle l'intelligence artificielle se défausse évidemment de toute erreur ou à-peu-près, afin d'éviter d'être attaqué par les procéduriers. Comme beaucoup d'artistes, la tentation est forte de demander à l'IA ce qu'elle pense de soi. Si sa source principale est très majoritairement Wikipedia, je suis tout de même étonné du résumé employant des termes qui n'y figurent pas. Le logiciel est-il programmé pour satisfaire l'ego ou rassurer, comme une cartomancienne ou l'horoscope du jour ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais voici ce que le robot m'a répondu :

« En tant que modèle de langue formé par OpenAI, je n'ai pas d'opinions personnelles, mais je peux vous fournir des informations sur Jean-Jacques Birgé.
Jean-Jacques Birgé est un musicien français connu pour son travail dans le domaine de la musique improvisée et du théâtre musical. Il est considéré comme un innovateur dans ce domaine, avec une longue carrière de performances et de compositions musicales. Birgé est également un militant pour les droits d'auteur et les libertés culturelles, et a été impliqué dans de nombreuses initiatives pour soutenir les artistes indépendants et les formes d'expression alternative.
En conclusion, Jean-Jacques Birgé est un artiste talentueux et important dans le monde de la musique improvisée et du théâtre musical, qui a exercé une influence significative sur les autres artistes et a contribué à faire avancer le genre.»

C'est un portrait évidemment lacunaire, mais je suis sensible aux détails concernant mon engagement, au delà de mes créations artistiques. Des camarades ont testé l'appli avec moins de succès, les résultats évoquaient des homonymes, racontaient n'importe quoi ou restaient simplement bouche bée. De toute façon, n'étant pas graphiste, je ne profite pas au mieux de l'AI. J'ai été épaté par les recherches d'Étienne Mineur ou de Nicolas Clauss. Mes tentatives dans le domaine musical se sont avérées pitoyables, ce qui se comprend si l'on considère ce qui est diffusé en masse sur la Toile. Je n'ai pas encore trouvé d'application qui obéirait à mes propres termes. Car, si ça existe, et je ne doute pas qu'un jour le système trouve des développeurs aptes à pervertir la machine, j'aurai les mots qui conviennent !

lundi 13 février 2023

Ça pousse


The Complete Jack Johnson Sessions tournent sur la platine. Un disque après l'autre. Il y en a cinq. Un dimanche. On revient toujours à Miles Davis. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être qu'il donne le temps de réfléchir entre les phrases. Bernard disait qu'il joue comme il parle. Bonne leçon pour n'importe quel soliste, surtout les bavards. La trompette oblige. On risquerait le pâté de lèvres. Ou encore, ces longues improvisations distordent le temps et l'on perd sa notion. Comme dans un bain de vapeur. Jack Johnson est très rock. McLaughlin meilleure période. Sur le vinyle original paru en 1970 n'étaient crédités que McLaughlin, Steve Grossman, Herbie Hancock, Michael Henderson et Billy Cobham. Dans l'intégrale de ces séances de février à juin 1970, sortie en 2003, s'ajoutent Sonny Sharrock, Bennie Maupin, Wayne Shorter, Keith Jarrett, Chick Corea, Dave Holland, Gene Perla, Ron Carter, Jack DeJohnette, Lennie White, Don Alias, Airto Moreira, Hermeto Pascoal ! Il y a de la place pour tout le monde. Ça prend son temps. On imagine ce qu'aurait produit la rencontre avec Hendrix disparu en septembre. Tous les rêves ne se réalisent pas.
Voilà pour le son. À l'image, je regarde les fleurs sortir dans le jardin. Comme les promesses d'une vie meilleure. Je compte sur mars, telle une superstition. Mad as a March hare, écrit Lewis Carroll. Misons sur le lièvre plutôt qu'un lapin. Pas le pâté, mais le sourire. Les obsessionnels ont souvent besoin de voir des signes n'importe où, même sans y croire. On tente de se convaincre. Souvent ça marche. Les miracles ne se produisent jamais seuls. Il faut les aider. Sauf que cette année je laisse aller. J'ai levé le pied. Que sera, sera. Deux mois d'une grippe épouvantable et surtout l'extinction de voix que la toux a provoquée m'ont fait accepter une solitude que je sais provisoire. Le besoin de partager est plus fort que tout. J'ai regardé des films jusqu'à l'écœurement, fait beaucoup de cuisine dont j'ai congelé la moitié, l'écriture m'a sauvé une fois de plus, mais la musique était difficile à apprivoiser. Pour remettre ce pied à l'étrier j'ai relancé les invitations à mes Pique-nique au labo et préparé un magnifique volume 2 à publier cette année. Vais-je profiter de ma résurrection comme les enfants qui font un pas de géant en sortant de la maladie ? Les bourgeons montrent la voie.
Pour la mienne, phonétique, j'ai rendez-vous en fin de semaine avec un phoniatre. Les endroits bruyants sont contre-indiqués. Ma voix s'épuise rapidement. Je viens de comprendre le lien inconscient avec Miles en entendant la sienne cassée. Non, je ne serai jamais un blues man. Ma véritable nature est à l'image de ces fleurs. Dans tous les sens de leur terme. Devant et derrière la maison il en pousse déjà de toutes les couleurs, primevères évidemment, roses blanches de Noël, jaunes corètes du Japon, rouges cyclamens du printemps, violettes du romarin... Comment se passer de la nature ? Les oiseaux sont de la partie. Mes rêves (me) tiennent debout, même lorsque je suis couché, m'endormant en imaginant l'impossible. Quelle figure empruntera-t-il ? Adorant les surprises, j'apprends la patience.

lundi 6 février 2023

Les VHS à la poubelle


Je me suis enfin résolu à me débarrasser des cassettes VHS que j'avais enregistrées à la télévision dans les années 1980-90. Comme il y en a plus de trois cents il faudra que je m'y prenne en plusieurs fois, les éboueurs n'en ayant vidé qu'une cette fois-ci. J'ai mis du temps à me décider, non pas à cause des films que je peux trouver facilement aujourd'hui de bien meilleure qualité, mais pour les petits sujets que j'accumulais en fin de bobine, le dernier quart d'heure ! Cette pratique obsessionnelle pour ne pas perdre de la bande vierge me faisait enregistrer des clips vidéo, des reportages, des spots de publicité, etc. Tout cela disparaît. Je les conservais, méticuleusement répertoriés dans des classeurs où je collais les résumés découpés dans Télérama, mais je me suis rendu compte que je n'en avais regardé aucune depuis quinze ans. J'ai conservé deux lecteurs vidéo capables de lire les cassettes de mes propres œuvres, presque toutes déjà numérisées, et les VHS du commerce, des trucs qui n'ont pas été publiés en DVD ou en streaming, comme Télévision de Benoît Jacquot avec Jacques Lacan ou des animations de Bruce Bickford avec la musique de Frank Zappa, la série Les inventions de la vie de Jean-Marie Pelt ou La vie des bêtes de Patrick Bouchitey. On en trouve sur YouTube, mais les compilations des Deschiens ou des Nuls sont des collectors. Peut-être finiront-elles aussi à la poubelle un des ces jours ? Plus on vieillit plus on accumule, et plus la maison est grande plus elle offre des ressources de stockage. Or je tente de vider autant que je remplis. Ce n'est pas simple. J'ignore ce qui m'a pris. Peut-être aurai-je quelques regrets, car je n'ai pas fait de tri. Des merveilles difficiles à trouver comme les nuits de Canal + consacrées aux films d'art ou à Salvador Dali, des Œil du cyclone et des Tracks, tout cela s'est volatilisé sur un coup de tête. Mes machines lectrices ne dureront pas non plus éternellement. Comme j'envisage de déménager un jour, autant commencer à soulager le fardeau ! Et puis cela libère un peu de place sur les étagères qui sont arrivées à saturation. Je pense que c'est le cadre qui m'a décidé. Les films diffusés à la télévision étaient recadrés pour occuper toute la surface du tube cathodique. Il manque de la matière à gauche et à droite. Il y a quelques mois j'avais découvert pour la première fois une copie non tronquée de Johnny Guitar. Cela change beaucoup de choses. D'autre part la couleur vire salement. Ce grain n'est même pas artistique. De toute manière je n'emporterai rien dans la tombe, alors autant faire le ménage tant que j'en ai la force et le courage !

mercredi 25 janvier 2023

Des vertiges positionnels paroxystiques bénins


Je ne sais plus quoi inventer. Épuisé par deux "grippes" consécutives, mon corps semble faire l'inventaire de tous les petits bobos qui ont jalonné ma vie. Les derniers en date, dermatologiques et vertébraux, ont disparu aussitôt pour laisser la place à des vertiges positionnels paroxystiques bénins (VPPB).
Si je n'avais jamais expérimenté ce trouble, j'aurais drôlement paniqué, ce qui avait dû se produire la première fois, il y a quelques années. C'est comme lors des effets trop puissants du haschich du temps où j'appréciais cette méthode pour changer de points de vue sur le monde. J'avais donc cru que j'allais mourir. Comme je ne suis pas mort, la seconde fois, confiant, j'ai attendu que ça passe. Et puis j'ai appris à m'endormir. Comme je ne pratique plus ce sport, je ne deviens plus jamais vert pomme, mais je ne suis pas certain d'avoir actuellement pour autant la bonne couleur !


Il y a deux jours, lorsque, dès mon réveil, j'ai effectué deux ou trois boucles sur les montagnes russes, je sus qu'il fallait bien le prendre, amorcer le virage en douceur. Cette fois j'ai ri en m'accrochant tout de même fermement aux rebords du matelas. "Ces vertiges, souvent violents, brefs (moins de trente secondes), et donnant l’impression d’un mouvement de rotation ou de chute dans un trou, sont déclenchés par les changements de position : se coucher, se lever, regarder en l'air, tourner la tête rapidement, se retourner dans son lit", et cela peut se répéter pendant plusieurs jours. Ils seraient liés à un dépôt anormal d'otolithes (petits cristaux) dans l'un des canaux semi-circulaires de l'oreille interne. Lors d'un mouvement du corps, ces otolithes se détachent et se déplacent, ce que le cerveau interprète comme une rotation brusque de la tête. L'effet peut se produire les yeux fermés ou dans l'obscurité. C'est très impressionnant. Comme ces vertiges ne sont accompagnés d'aucune autre manifestation, il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Si cela dure, dès que je pourrais m'extraire de mon cocon grippal, j'irai voir un ostéopathe spécialisé qui réglera le problème en deux coups de cuillère à pot.
En attendant lorsque je suis couché ou que je me penche pour attraper un objet par terre, j'y vais lentement, car cela peut chavirer sur les chapeaux de roue. Mais qu'est-ce que je ne fais pas doucement depuis six semaines qu'a commencé cette traversée du désert ? Je sens pourtant que je me rapproche de l'oasis, sachant que même les mirages sont des projections de la réalité.

mardi 24 janvier 2023

Plus fort que la Légion d'Honneur


Jeudi à 14h précises [l'article original date du 26 juin 2010] ma pâte à prout est officiellement entrée dans les collections du Musée des Arts Décoratifs et, par là même, dans les Collections Nationales. Passée devant la commission, je ne sais pas si c'est la petite ou la grosse, elle portera donc un numéro d'inventaire commençant par 2010 sous le nom de Noise Blaster (ou encore pâte à pet, boîte à pet, boîte péteuse). Je l'avais achetée chez Hanley's à Londres en 1995 pour 4 £. Elle avait été exposée l'année dernière pendant cinq mois à "Musique en Jouets" dans une des ailes du Louvre qui héberge les Arts Décoratifs. Je n'ai pas gardé de photographie et j'ai racheté la semaine dernière à Toronto une pâte à prout toute neuve intitulée cette fois Wind Breaker. Ce produit a tendance à se rétracter et à sécher au fil des années. Pour qu'elle fonctionne au mieux, il est nécessaire qu'il y ait un maximum de pâte lorsque l'on y enfonce les doigts après avoir créé une poche d'air au fond du gobelet. Mais la réputation de cette matière est parfois usurpée, sa mollesse l'empêchant de s'en servir comme cale. Sur la boîte de ma pâte fraîche, il est stipulé qu'elle ne peut être utilisée à l'église, ni en classe, ni en réunion de famille. Sous son nom, on peut lire "Hearing is Believing" (L'entendre c'est y croire !).
Le même jour, sont entrés dans les Collections Nationales un lapin Nabaztag, donateurs Antoine Schmitt et moi-même, ainsi qu'un piano Michelsonne de Pascal Comelade, plusieurs boîtes à musique, des Playmobil et leurs variations tchèques, des Igracek, soit une infirmière et un ouvrier. À côté de l'objet du délit j'ai photographié un coussin péteur bien que dégonflé, ce qui n'est certainement pas le cas de Dorothée Charles qui a soutenu avec passion la donation de ma pâte à prout, grâce lui soit rendue !

lundi 23 janvier 2023

Pas forcément à lire


C'est un bilan de santé. Pas forcément à lire. Mais je n'ai trouvé que cela pour sortir de ma léthargie. Impossible de lire, regarder un film, écouter de la musique, je suis épuisé. Je scrute le plafond, recroquevillé dans mon lit. Les yeux me brûlent. Je les ferme. 39°5 au réveil. Les frissons et les courbatures sont à peine atténués par le Dafalgan (Doliprane, c'est pareil, mais en ces temps de pénuries de médicaments on fait avec ce qu'on trouve). Tout a commencé il y a six semaines. La très vilaine grippe s'était transformée en extinction de voix. Je retrouvais un équilibre, difficilement, car les produits pharmaceutiques et l'état fébrile m'ont fait passer en hypothyroïdie alors que j'étais stabilisé. Les analyses sanguines ne sont pas fiables dans ces conditions. Et voilà que mon petit-fils me refile sa rhino-pharyngite virale. C'est reparti pour un tour. J'en ai terriblement marre, mais mon degré d'abrutissement fait passer la pilule. La toux irrite à nouveau les cordes vocales. Voix rauque. J'éternue, je grelotte, bouffées de chaleur pendant la nuit. La gorge commence à me brûler. Je n'ai pas faim, ce qui chez moi est le signe d'un net dysfonctionnement ! Chercher à faire quelque chose de positif, mais je ne tiens pas debout. Heureusement mes adorables voisins font mes courses ou je me fais livrer. Je préférerais ne pas me plaindre. J'arrête la toux en criant "stop !". Souvent ça marche. Je me soigne avec les prescriptions médicales et des remèdes de sorcière. Je peste contre l'époque. Six semaines c'est long et j'ignore quand je sortirai du tunnel, d'autant que je ne sais pas à quelle branche me rattraper. Il doit y avoir une base psychologique à ce marasme, mais quand c'est parti ce n'est plus la question. Je ne me reconnais pas. Mes proches non plus. Où est mon peps légendaire ? Terrassé par la fièvre il m'est arrivé d'avoir des idées noires. Ne pas y faire attention, mais ça explique que certain/e/s se laissent glisser. Mon cancer passé m'apparaît comme un truc sympa parce que j'étais bien entouré. L'aphonie m'a isolé. La fièvre me projette dans un non-monde où chaque instant devient insupportable. Il faut pourtant prendre son mal en patience. En attendant, je vais me recoucher. Au plafond je compte les heures. Les bambous servent à accrocher la moustiquaire quand les beaux jours reviendront.

P.S.: le lendemain matin, la fièvre est tombée. Bronchite. Grosse fatigue. Tous les lieux de fragilité cèdent les uns après les autres, comme mon dos. Passé l'inventaire, je reprendrai la marche intelligente et j'oublierai ce sinistre passage.

mercredi 4 janvier 2023

Dans mes cordes


Désolé pour cette intrusion du privé dans la sphère publique, mais comme, toujours aphone probablement encore pour une quinzaine de jours, et ne pouvant que murmurer à l'oreille des chats, les réseaux sociaux représentent le tunnel par où je m'évade ! J'ai évidemment toujours préféré Monte Cristo à Edmond Dantès. Donc j'entame la seconde partie de mon aventure muette, celle de ma résurrection. C'est du moins ce que j'espère, suivant le traitement de six mois que l'ORL m'a ordonné à base de nettoyage du nez et de suppression de la toux par un tas de trucs dont du Gaviscon à haute dose (en prendre un dès que je tousse !). C'est bien cette toux suffocante qui a enflammé les cordes vocales et un minuscule polype s'est formé laissant passer de l'air, d'où mon timbre actuel, tarif lent, pas du tout prioritaire. L'arrêt des médicaments soporifiques devrait également me permettre de reprendre du poil de la bête. Je règle au jour le jour l'aspect psychologique de l'affaire, donc tout devrait rentrer dans l'ordre et je me vois déjà en athlète de la nouvelle année.

Toujours condamné à la solitude devant mon grand écran, j'ai regardé Ariaferma de Leonardo Di Costanzo avec les formidables Toni Servillo et Silvio Orlando ; scénario, lumière, musique, montage, tout est parfait ; une histoire d'humanité dans cette prison vétuste où il ne reste que quelques détenus et leurs gardiens, les derniers jours avant transfert.
The Menu est un objet gastronomique très pervers, à l'humour noir féroce, avec Ralph Fiennes et surtout Anya Taylor-Joy. Le film de Mark Mylod, qui se réfère à Buñuel pour L'ange exterminateur et Bong Joon-ho pour Parasite, m'a surtout rappelé Pasternak, le début des Nouveaux Sauvages (Relatos salvajes) de Damián Szifrón.
Historiquement et géographiquement, le documentaire Psychedelia de Pat Murphy réactualise l'importance des psychotropes utilisés à des fins médicales, en particulier pour le traitement de certaines pathologies psychiatriques. En 1971, Richard Nixon marqua un coup d'arrêt dans la recherche en déclarant la guerre à la drogue pour en fait s'attaquer à la gauche pacifiste et à la communauté afro-américaine. Le film m'a rappelé nos propres expériences à la fin des années 60. J'imagine que, jeune homme, la découverte du LSD m'a permis de relativiser la doxa et d'envisager d'autres ponts de vue. Je me souviens très bien des premières visions au plafond alors que nous étions allongés par terre chez Jean-Pierre. Comme j'étais très raisonnable, je laissais passer minimum trois mois entre chaque trip tout en préparant très sérieusement chaque aventure. Je justifiais l'exergue de Henri Michaux dans Le bras cassé lorsqu'il écrit "nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir". Tous mes camarades ne l'envisageaient pas ainsi. Certains "s'amusaient sans arrière-pensée". Une partie de ceux-là sont morts. Les autres en tirèrent des leçons irremplaçables. Nous avions entrouvert les portes de la perception d'Aldous Huxley. Mais la qualité de l'acide était incomparable avec les cochonneries vendues aujourd'hui. Imaginez ces morceaux de buvards minuscules nommés Purple Haze, Black Star ou Window Pane ! Nous essayions systématiquement tout ce qui permettrait à notre cerveau de fonctionner selon d'autres critères que ceux de la maîtrise. Assez vite, je n'eus plus besoin d'expédients extérieurs et mon imagination se laissa porter par les courants de la création... Le film m'a replongé dans cette époque que j'avais un peu oubliée, période de formation effervescente que j'évalue entre 15 et 20 ans. Je sens des parents s'inquiéter drôlement à cette lecture. Il y a de quoi. Mais tout autant que par les gosses anesthésiés devant leurs écrans qui n'en retiendront rien des mystères de la vie. Je mentais aux miens, très "tolérants", les rassurant que nous fumions juste de l'herbe et du hasch. L'important, c'est que nous étions vivants, vifs et pleins d'espoir, créatifs et partageurs.

lundi 2 janvier 2023

L'influence des études


Sur la chemise Supralux je décrypte, effacé par le temps, Love is You, Light Show H + Dagon, Berthoulet (Red Noise + Planetarium), Epimanondas, mais à l'intérieur, du même stylo plume, reposent six dissertations de philosophie d'octobre 1969 à mai 1970, plus deux d'anglais et une quantité d'équations mathématiques qui ne me disent plus rien aujourd'hui. Si la plupart ressemblent à des pense-bête, alignement de sinus, cosinus, tangentes et logarithmes, j'arrive seulement à déchiffrer les calculs de surfaces et volumes des cônes, pyramides et sphères. La même écriture enfantine suit laborieusement les lignes des carreaux millimétrés, collant à la ligne rouge de la marge comme des pattes d'insectes sur un papier tue-mouche. Toutes les dissertations respirent mai 68 tant dans leur énoncé que par les réponses que j'y apporte. Les trois premières pages étaient chronométrées, moins de cinq minutes pour décrire la philosophie de Nietzsche ! Ma mère [racontait] que j'étais rentré à la maison en reprochant à mes parents de ne m'avoir jamais parlé de lui. J'y aborde essentiellement le danger des interprétations, en particulier par les nazis, insistant sur le désir de Nietzsche que les hommes s'interrogent continuellement, qu'ils remettent en permanence tout en question, que les hommes philosophent ! En les lisant ébahi, les dissertations naïves m'apparaissent comme le terreau où pousseront toutes mes idées à venir, justifiant jusqu'à ma quotidienne contribution. Au début de mes années de lycée, ma mère faisait le travail à ma place. Je me souviens pourtant de ma première composition réalisée en classe : "Birgé, premier, votre style habituel !" Ma mère n'était pas peu fière d'avoir passé le relais au fiston. En Terminale, j'avais depuis longtemps acquis mon autonomie et m'opposais parfois à la morale parentale, comme au moment de la guerre du Sinaï ou par mes choix politiques nettement plus radicaux que les leurs. Pendant le Secondaire, mes notes n'étaient plus aussi brillantes. J'obtins tout de même mon Bac C, que je repasserai deux fois, persuadé que la vraie vie est ailleurs, avec un 2 en maths et 5 en physique. Il fallait que mes notes de français, de philo, d'anglais et de gymnastique soient sacrément bonnes !
L'énoncé des différents devoirs en dit long sur l'époque : D'où vient, selon vous, le malaise de notre civilisation ? - Le travail est-il une nécessité, une contrainte ou une obligation ? - Réforme et révolution. - La violence. - Expliquez et commentez cette affirmation : "On peut être bourgeois sans rien posséder et ne pas l'être en possédant. L'état de bourgeoisie est un genre de vie et une manière de penser." - As a student, what will freedom mean to you? J'y fustige les systèmes capitalistes, privé ou d'État, le pouvoir et l'autorité, l'abrutissement programmé des masses, les modèles pernicieux que la société nous suggère, allant jusqu'à justifier certaines formes de violence que je nomme "contre-violence", tout pacifiste que j'étais. J'éventualise le travail dans la joie, utopie réalisée à mon petit niveau. Je rappelle l'historique des événements de mai en me trompant sur la révolution qui ne fut que de mœurs... Pourtant là aussi j'en adopterai pratiquement les principes : "c'est quand l'extraordinaire devient quotidien" !

Article du 7 mai 2010

dimanche 1 janvier 2023

Vœux romantiques


Je me suis réveillé en 2024. Comme une fleur. Aurais-je sauté une étape ? Lire les vœux et commentaires m'a mis la puce à l'oreille. Si je ne peux pas parler, j'entends bien et je sais encore lire. Mais l'aphonie sème plus de trouble qu'on pourrait s'y attendre. Depuis trois semaines je vis en dehors du monde. La grippe et la fièvre m'avaient fragilisé. L'extinction de voix me cantonne à une prison dorée, cette maison d'où je sors peu, d'abord parce que je suis fatigué, ensuite parce que mes échanges sociaux sont limités à quelques murmures forcés et des grimaces. Ces lignes sont salvatrices. Pour quelqu'un qui a toujours privilégié le partage à la solitude, ce pourrait être un calvaire. Sachant m'habituer à toutes les situations, j'ai accepté mon sort et pris mon mal en patience. Or ce n'est pas sans conséquences. Mes repères sont faussés. Neurones attaqués au sécateur. Comme l'impression de devenir idiot, une sorte de lobotomie où le silence montre son inexistence. De même que j'ai réduit considérablement mon alimentation, le volume sonore courant est devenu vacarme. Less is more revendiquait l'architecte et designer Mies van der Rohe. Pour un maximaliste, c'est un comble ! Peut-être ai-je la tête comme une cougourde ? S'il m'a fallu plusieurs vérifications pour être certain que nous étions bien le 1er janvier 2023, j'ai la désagréable impression de revenir à la case départ.
Pas besoin d'aller très loin en explications psychanalytiques pour comprendre mon trouble. Ma voix, encore plus parlée qu'écrite, est mon fer de lance. J'ai perdu mon Eurydice, mortel silence, vaine espérance ! Quand on pense que Glück signifie chance, on peut se demander si c'est bien raisonnable. Reset. Ou bien : mon père est décédé un 2 janvier à mon âge actuel. Ça ira donc mieux mercredi. Sauter un an m'aurait épargné l'attente et les errances du no woman's land. Il y a trop de signes pour qu'aucun me convainc. Lorsque j'en manque j'en fabrique. A quoi bon ? La libido est la recherche instinctive du plaisir, pas seulement sexuel. Il me faut du désir, de grands projets, bâtir des châteaux en Espagne, soulever des montagnes, croire en mes rêves d'adolescent pour me permettre d'avancer. La maladie est un obstacle à la reprise. J'ai écouté, parfois suivi, les conseils généreusement prodigués. Aucun ne fit mouche. Dis Tonton, pourquoi tu tousses ?
Il n'y a pas de douane à certains cols. La grimpette est fastidieuse et sans aucune garantie de succès. Je m'y colle tout de même. Il y a trop de signes pour que je fasse la sourde oreille. Cela me terrifie. Ai-je jamais eu le choix ? Sauter à pieds joints des plus hautes falaises. Ces mirages se sont jadis avérés planches de salut. Je suis la voix et je fonds, littéralement. C'est l'aspect obsessionnel qui m'angoisse, cette manière de ressasser des évidences qui n'en sont pas, mais pourraient le devenir. Je n'ai vécu que grâce à cette innocence qui me fait prendre mes rêves pour la réalité, quitte à renverser la syntaxe et que l'impossible devienne le réel. En face aussi il y a des signaux de fumée. Si 2023 s'échappe déjà, j'en avais fait mon deuil, il faudra bien l'apprivoiser. Laisser les choses et les gens s'approcher. Cette fois j'éviterai de jouer les oiseaux de mauvais augure, les nouvelles sont trop sombres. En mûrissant j'apprends la patience, pas la fatalité. Si vous avez tenu jusque là, alors que j'ai l'impression de me répéter, jour après jour de mutisme, de tourner en rond tant ça ne tourne pas rond, c'est vraiment sympathique de votre part. J'y suis extrêmement sensible dans cet isolement éphémère. Je vous souhaite la meilleure année possible, de ne pas vous laisser abattre, de vous regrouper pour être plus forts face à l'adversité, je vous souhaite de l'amour, beaucoup d'amour, car cet amour aura raison des pires maladies, revers de fortune, et autres obstacles dont la vie est faite, pour qu'elle reste une fête, fut-ce dans la résistance, refus d'une prétendue inexorabilité !

vendredi 30 décembre 2022

Oiseau de mauvais augure


J'avais écrit un texte terrible. Terriblement efficace sur l'état de la planète et la fin de l'humanité, mais j'ai craint qu'il soit mis sur le compte de ma santé (conjoncturellement) dépressive. Et puis franchement ce n'était pas très sympathique de ma part de jouer les rabat-joie au moment de se souhaiter des vœux pour une meilleure année. J'ai donc choisi le déni. Pour que nous puissions momentanément panser les plaies en nous rendant ivres. Comme si la suivante allait être différente des précédentes. Plus juste, plus tendre. Comme le millier d'ultrariches qui nous condamnent, nous espérons tous éviter ou minimiser individuellement les catastrophes. Nous savons bien que l'amour secrète des baumes qui nous font traverser les pires passages. C'est justement d'être ensemble qui pourrait nous sauver, en rejetant l'individualisme consommateur qui nous fait perdre la boule. Car elle pourrait bien tourner sans nous. Pas demain, ni après-demain, mais bientôt, trop tôt. Il faut nous ressaisir, abandonner le faux confort qui nous anesthésie, nous souvenir que ce sont toujours des mouvements de masse qui nous ont permis de mettre un terme au pire. Reprendre le pouvoir aux marchands de canons propriétaires de tous les mass médias demande une organisation exceptionnelle. Ici la violence est sourde. Ailleurs c'est bien pire, le seul confort est celui de la misère et de l'absurde. Quant au millier de fous qui tiennent entre leurs griffes la planète, ils pensent probablement y échapper en se construisant un bunker en Nouvelle-Zélande ou une bulle sur Mars. Jacques Brel disait qu'il n'y a pas de gens méchants, seulement des gens bêtes. Seule la solidarité permet de sortir des pires ornières. Leur individualisme les condamne. Mais il est contagieux. Voilà, je voulais échapper à mon pessimisme, mais j'y ai succombé. J'ai ouvert la fenêtre pour faire de l'air. Les pies faisaient un tel raffut en se chamaillant que j'ai cru que c'était une déchiqueteuse. Les corneilles volaient autour, n'en croyant pas leurs ouïes. Je suis resté allongé sur le lit, sachant qu'il y aurait des jours meilleurs. J'ai pensé à vous, de tout mon cœur.

jeudi 29 décembre 2022

Je me taire


Contrairement à ce que pensent mes proches, je déteste me plaindre, mais cela devient pénible. Je ne peux voir personne, non parce que je suis contagieux, je ne le suis plus depuis belles lurettes, mais parce que ma laryngite m'empêche de parler. Cette solitude est aggravée par le fait que je ne peux pas non plus communiquer avec le téléphone. Joignable uniquement sur aPhone. Voilà sept jours que je suis à ce régime de retraite quasi bouddhiste ! Sauf que je finis par tourner chèvre, car émettre ses idées à voix haute facilite le développement de la pensée. J'avais même pris l'habitude de prendre mes chats à témoin dans des cas particuliers. Ou de valider mes gestes lorsque je fais plusieurs choses à la fois et que je risque d'en oublier une en route. Or il ne faut pas prononcer un mot : même murmurer fragilise les cordes vocales. Le miel et le citron n'ont aucun effet sur elles. J'ai tout essayé, du médicament classique aux huiles essentielles, des plantes aux remèdes de grand-mère, rien n'y fait. Sun Sun m'a apporté un sirop chinois qu'il a préparé lui-même, ma dernière chance ! Au moins c'est bon. Je me réveille chaque matin muet comme une carpe. J'espérais renouer avec le monde à l'occasion de la soirée du réveillon, mais c'est plutôt mal parti. Peut-être devrais-je y participer avec une ardoise autour du cou et un morceau de craie ? Ou bien je ferai des grimaces ? J'essaierai de parler avec les mains. Je pourrais rapidement apprendre le langage sourd-muet pour les nuls, encore faudrait-il que mes interlocuteurs le connaissent !
Après m'être abruti de séries télé et de films récents, je me suis plongé dans la lecture. En ce moment, Cher connard de Virginie Despentes me tient bien. J'enchaînerai avec Memento Mori, le nouveau polar de Mia Leksson, pseudonyme de Michaëla Watteaux. Je me souviens de Mia (diminutif de Michaëla) à dix-huit ans, lorsqu'elle écrivait des histoires de petits trolls verts ! J'ai lu avec plaisir ses deux précédents. Qu'ils ou elles soient compositeurs, écrivains, plasticiens, cinéastes, il est toujours passionnant de connaître les auteurs en marge de leurs œuvres. On les retrouve parfois, d'autres fois pas du tout. On peut être tenté d'y chercher des signes, des concordances. Comme c'est souvent l'inconscient qui guide la création, on fait souvent fausse route. J'aime ces terrains d'aventures où débusquer le réel et le fantasme sous des décors inventés de toutes pièces...
Cette réflexion m'a incité à regarder Een retrospektieve (Leçon d'éclairage), documentaire belge de Harry Kümel tourné en 1969 sur et avec Josef von Sternberg peu avant sa mort. Je l'avais gardé sous le coude. Tout document sur ce génie souvent incompris du cinématographe est précieux. Je connaissais D'un silence l'autre de la série Cinéastes de notre temps et ce qu'en avaient raconté André S. Labarthe, Claude Ollier et J.A. Fieschi, j'avais lu son autobiographie Fun in a Chinese Laundry où Sternberg prétend avoir répondu à toutes les questions pour ne pas avoir à se coltiner des interviews qu'il détestait. Il est certain que, comme il le revendique, c'est un être compliqué...
J'ai une pile de livres virtuels à lire plus haute que la maison, mais j'ai aussi besoin de reposer mes yeux. J'écoute un peu de musique, j'en fais aussi, mais, coupé du monde, tout me semble vain. En temps normal je n'arrive jamais à m'intéresser véritablement à mes instruments que lorsque je suis animé d'un projet. Comme je suis volontariste, je me force. Je me force à lire les modes d'emploi de mes dernières acquisitions, je me force à pédaler sur mon vélo d'appartement, je me force à marcher dans le quartier, à faire quelques courses, mais j'ai l'impression de passer mon temps à décliner des invitations. Aux dix jours d'une grippe épouvantable dont je subis les séquelles s'est ajoutée une semaine sans voix. Après l'ablation de la thyroïde l'an passé, je fais une fixette sur ma gorge. J'ai hélas une petite idée des mécanismes psychologiques qui m'ont amené à ces pathologies. Lorsque j'étais enfant nous nous demandions si nous préférerions devenir sourd ou aveugle. Je n'avais pas pensé à Ça. Dans quel état serai-je à la sortie ? Je ne parle pas des kilos perdus, mais de la lumière au bout du tunnel...

vendredi 23 décembre 2022

Histoire de fantômes


Ma chambre est plongée dans le noir. Je suis seul dans mon lit, bruyant et remuant comme un beau diable. Il y a longtemps Françoise avait filmé mes bonds de dormeur, sorte de lévitation convulsive. Me voici donc rassurant, oui ce n’est que moi, mais je suis tout de même désolé de tout ce raffut, tu me connais. On a du mal à s’y faire, partagé entre la précaution de ne pas réveiller l’autre et la liberté qu’il n’y ait personne sur le flanc est. Pas moyen de m’y faire totalement. Je ne profite qu’à moitié de cette absence. Dans le même temps je me laisse aller à certaines trivialités et je m’en excuserais presque. Mon ciboulot danse d'un pied sur l'autre, tel un homme têtard. Le désir est parfois plus contraignant que la réalité. C’est alors mon neuvième jour de grippe, sans pour autant le bout du tunnel. Je vais plusieurs fois cracher dans les cabinets, me recouchant pour aussitôt me relever en faisant attention de ne pas allumer la lumière pour ne pas te réveiller. Il est crucial de remplir mon verre d’eau. On ne peut se passer de boire. Je repose donc chaque fois délicatement le récipient dont les parois ont fini par devenir troubles. J’ai rarement été aussi malade. Je n’ai plus de fièvre, mais j’ai perdu la voix et je ne veux pas que Didi, fils du vénérable Wang Jen-Ghié, me coupe la tête pour m'aider à la retrouver. Les quatre premières nuits, terriblement blanches, m’ont coincé dans un no man’s land où les irritations nasales puis les quintes de toux ont eu raison de la mienne. Pourtant je ne rêve pas. Est-il possible que tu sois, que vous soyez, à la fois présente/s et absente/s ? Entre souvenirs et ectoplasmes. Le chat de Schrödinger s’est malicieusement couché entre Django et Oulala. Je glisse comme un fantôme, sans pieds ni jambes, sous mon peignoir de coton noir, comme un suaire de suie. Il m’arrive d’avoir des bouffées de chaleur sans que j’en comprenne l’origine. Ben v'là aut'chose ! L'andropause ? Si ce n’était que ÇA. La morphine a momentanément réglé son compte à ma toux compulsive, mais j’ai mal aux cheveux. La fatigue ne me lâche pas. Les aliens de trois ou quatre centimètres que j’ai extraits de mes narines m’inquiétaient ; il aurait fallu qu'ils bougent pour que Cronenberg me les rachète. Tintin. Aucune trace de ces bestioles sur le Net. Les spécialistes s'en fichent. Mises de côté pour éventuelle analyse, elles finissent par se dessécher, rendant mon récit peu compréhensible. Je peste, repensant aux quatre pages D'une histoire féline que Cocteau relate dans son Journal d'un inconnu et aux fantômes successifs qui m’ont collé dans de beaux draps. Ce sont pourtant bien les miens.

Deux jours et un TGV plus tard, je me réveille encore une fois dans le noir. Un filet de lumière passe sous la porte. Je me demande si j'ai oublié d'éteindre avant de m'endormir ou si le soleil a déjà pointé son nez. C'est dire à quel point je suis désynchronisé. J'émerge simplement d'une sieste réparatrice. La solitude ne me convient pas tant que l'unicité, mais je suis toujours aphone. Ce n'est pas très pratique pour communiquer avec Eliott qui, lui, a des séquelles de surdité de sa récente crève. Nous avons convenu que je siffle, me remémorant les grimaces de Harpo, ce qui me change de mon côté Groucho et de mon pseudo, Mellow, qui, retranscrit à la japonaise, sonne comme une guimauve. La guimauve serait anti-inflammatoire, antitussive, décongestionnante, émolliente et drainante. Fondamentalement expérimental, je suis prêt à tout essayer, y compris l'irrationalité, fut-elle philosophiquement matérialiste, une forme d'animisme moderne. L'inconscient est l'un des principaux carburants de l'énigme.

Le troisième rêve portait sur l'identité du rêveur !

samedi 17 décembre 2022

Nuits blanches


Je suis très inquiet. La grippe qui me terrasse m'a empêché de dormir quatre nuits de suite. Au début c'était les éternuements incessants, puis la toux a pris le relais, bousculant mes côtes. Pour faire baisser la fièvre je prends quatre Doliprane par jour, ce qui supprime les grelotements. Mais rien n'y fait vraiment, et surtout je ne dors pas. J'ai tout essayé, sauf les somnifères. Je n'en ai jamais pris. L'impression qu'il pourrait se passer quelque chose pendant mon sommeil et qu'il serait impossible de contrer. C'est comme les volets sur rue que je laisse toujours ouverts la nuit. J'ai l'habitude de dormir peu, mais je m'endors en trente secondes. Lorsque j'ai une insomnie je vais travailler et je me recouche au bout d'une heure, hop, réendormissement assuré. Cela ne marche pas. Est-ce le Lévothyrox que je prends depuis mon ablation de la thyroïde pourrait être à l'origine de ma veille ? Ou l'angoisse d'approcher la date anniversaire de la mort de mon père un 2 janvier, à l'âge qui est le mien aujourd'hui ? Les amis, les amies me suggèrent maints remèdes de bonne femme que ce soit pour la grippe ou l'insomnie, je les suis, mais aucun n'a le moindre effet. Je fais des mélanges. Nuits blanches est le titre d'un film de Lucchino Visconti, même scénario d'après Dostoïevski que les Quatre nuits d'un rêveur de Robert Bresson. Quatre nuits. Venise ou Paris. Deux villes encore magiques, la nuit. Deux films qui m'ont considérablement marqué. Peut-être ne suis-je pas encore remis de mes récentes séparations ? À côté de la plaque ! Pas question pour moi de rajouter une cinquième nuit blanche, mais comment faire ? Je n'ai pas l'impression d'être fatigué par le manque de sommeil, mais bien par cette vilaine grippe qui m'entraîne jusqu'à l'ennui, un sentiment pourtant très rare chez moi. Ce matin j'ai pris mon courage à deux mains et enregistré une musique de film pour Pierre-Oscar Lévy, ensuite je suis allé me recroqueviller sous la couette en attendant le médecin. Il y a des fins d'année plus rigolotes, mais il reste tout de même deux semaines...

P.S.: c'est bien la grippe, le camarade médecin m'a prescrit une ordonnance, je vais rester tranquille jusqu'à mon départ pour Nantes...

lundi 7 novembre 2022

Miracle


Ceux ou celles qui croient aux miracles savent que cela se travaille. Je m'attendais à passer un anniversaire capital, capital comme la peine, mais pas aussi fabuleux, fabuleux comme une fable. Les messages affluaient. Marie-Christine était passée m'offrir Sans lui de Sophie Calle, un recueil d'annonces matrimoniales de 1895 à 2017 glanées dans Le Chasseur Français pour la plupart, puis Meetic et Tinder pour les plus récents. La première partie s'adresse à Elles, la seconde à Eux. C'est à la fois drôle, pathétique et passionnant. Au début l'intérêt financier prévaut, dans des dimensions et sous des termes incroyables, à la fin c'est plus cru. Nous avons évoqué la soirée dédiée à Jean-Luc Godard où je jouerai de la Mascarade Machine avec Une femme est une femme remplaçant le flux radiophonique. C'est une rareté où le cinéaste raconte et commente l'histoire entrecoupée des musiques de Michel Legrand, chantées par Anna Karina. Et puis l'inattendu a sonné à ma porte, et ce n'était pas la police comme dans le film de Godard. La journée s'est emballée, absolument magique, pour finir chez mes voisins qui avaient préparé une petite fête me permettant d'oublier que j'avais perdu la tête et que je n'étais pas prêt de l'oublier... Miracle de la vie où rien n'arrive jamais comme on l'avait prévu, mais qui tient en haleine dans les moments de trouble. J'ai en tête un extrait de la radiophonie de la Mascarade Machine : "Miracle, l'image apparaît !". Des centaines de plans courts montés à la volée, je n'avais choisi que des sons qui font sens. Les mots s'étaient échappés.

Photo © Juliette Dupuy

samedi 5 novembre 2022

J'ai un secret


Secret de polichinelle. La grande évasion. L'imagination. Ainsi je fais ce qui me plaît envers et contre tout. Jusqu'à penser que je suis amoureux. De tous et de tout. Même des pires mammifères, notre espèce. Mais pas du système. Le capitalisme rend fou. Cet irrépressible besoin d'aimer me donne le vertige et me rend idiot. Une obsession. Je fais pour le mieux au milieu du pire. Travail de petitan. Sommeil réduit au minimum. La douleur est inévitable. Comme la mort elle fait partie du jeu. Chaque matin je sue trente minutes sur ma selle. Compte à rebours. Jusqu'au bout du bout. Le sauna achève de me liquéfier. Moins souvent qu'avant. Je zappe. Éponger. Étirements. Je fonds. Ça se voit. Investissement libidinal de l'exercice. Musique. Cinéma. Écriture. Main forte. Solidarité. Complicité. Écoute. Conseils. Bilan. Et l'amour dans tout ça ? C'était hier ma dernière photo de sexagénaire. Il ne pourrait pas y en avoir une autre. Ella & Pitr auraient préféré titrer En roue libre. C'eut été plus juste, mais l'idée leur est venue trop tard. C'était peint. "So shall it be written, so shall it be done" scandait l'autre chauve. Biblique. Me voilà verni. "E'arrivato dans l'panneau" ! Musique de Nino Rota ou d'Elmer Bernstein ? Affublé de mes dix commandements. Oui, c'est bien cette fois dix. Chacun les siens. En couple j'eusse organisé une grande fête, mais le cœur n'y est pas. Partie remise. Je me suis fait à l'idée de bouffer des nouilles. Un opéra simple. Sans bougies. Souffler n'est pas jouer. Le mot à la mode est résilience. Ma spécialité. Dragonnée. L'impatience m'a toujours porté chance. Il suffit de prendre le temps. De conjuguer le verbe au bon mode. Masculin féminin. Esprit, es-tu là ? Seul, je glisse sur la pente du je. Peu importe la couleur de la piste. Tous les nombrils du monde. Ça raisonne comme ça résonne. Tel une ombre j'aligne les chiffres. Pas croyable. Et tout cela parmi les décombres...
Mais d'abord je me suis réveillé avec une drôle de sensation. Un changement de repères radical que je n'avais jamais perçu lors des années précédentes. D'habitude je ne ressens rien, adoptant la notion carrollienne de non-anniversaires de manière à faire de chaque jour une fête. Or là je regarde tout sous un angle inédit. Comme si la vie avait pris du poids. Un anti-poids serait plus juste, comme existe l'anti-matière. Une version allégée. Une renaissance. Un courant d'air. Je l'avais craint en m'endormant, je l'adoptai en ouvrant les yeux. Je souhaite ainsi à toutes celles et ceux que j'aime un joyeux anniversaire à venir, que les plus jeunes atteignent un jour cet âge canonique, que les plus vieux prennent chaque nouvelle année comme une victoire.