70 Musique - décembre 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 27 décembre 2006

Avalanche de prix au Fiamp 2006


La réalisatrice Jocelyne Leclercq et son monteur Robert Weiss m'annoncent hier soir que Le Banquier, le Maréchal et le Missionnaire, le dernier film de la Cinémathèque Albert Kahn dont j'ai composé la musique, vient de recevoir le Grand Prix du Long Métrage du Fiamp 2006. En cherchant des informations sur le Net à propos de ce festival, je tombe sur le palmarès du Festival International de l'Audiovisuel et du Multimédia sur le Patrimoine.
Ô surprise, je découvre que l'ensemble des bornes interactives du Musée du Quai Branly y a reçu le Multimédi’Art Interactif d’Or ! Or j'ai réalisé le design sonore de la navigation interactive de ces bornes pour Riff. La borne Asie a même reçu une Mention Spéciale pour la présentation du patrimoine intangible.
Ce sont indirectement mes deux activités qui sont ainsi saluées, la composition musicale et le design sonore.
Les prix m'ont rarement rapporté autre chose que de faire plaisir à ma maman, mais ils rassurent les futurs commanditaires lorsqu'ils lisent ma biographie. Ils sont d'autant plus agréables que je ne suis pratiquement jamais au courant qu'ils concourent avant de recevoir le palmarès ! Ces derniers ne me reviennent pas directement puisque je n'en suis pas l'auteur, mais que j'y ai seulement participé. Néanmoins ils me font très plaisir parce qu'ils sanctionnent des expériences heureuses, à savoir une collaboration complice et fructueuse avec leurs réalisateurs.
Cela fait plus de vingt ans que je compose pour la collection Albert Kahn et Jocelyne Leclercq, et c'est toujours un challenge de trouver le ton pour chacun des films. Je me suis retrouvé ainsi à devoir imaginer de la musique "japonaise", "chinoise", "germanique", "maghrébine", militaire, symphonique, etc. que je n'aurais jamais abordées sinon. Jocelyne m'a toujours accordé une très grande confiance, et je suis persuadé que seule la liberté donne des ailes aux artistes.
L'expérience avec Riff a été aussi simple. Le travail était mince, quelques sons à trouver et un principe pour qu'ils ne lassent pas les visiteurs du Quai Branly. Grâce à ce travail, j'ai ensuite travaillé avec Michel Kouklia sur l'antichambre des Robots au Futuroscope. Rien que du plaisir ! J'affirme toujours ne travailler qu'avec des gens gentils (même s'il arrive hélas que de temps en temps que je me trompe). Le résultat est toujours fonction de la relation. Je suis donc fier de ses prix et heureux pour celles et ceux qui m'ont accordé leur confiance.

lundi 25 décembre 2006

James Brown was black and proud


The Godfather, le parrain de la soul, qui avait redonné du courage à toute la nation noire avec son "Say it loud, I'm black and I'm proud" (criez-le, je suis noir et j'en suis fier), a fini par casser sa pipe. Jamais aucun artiste de funk ne lui est jamais arrivé à la cheville, qu'il avait suffisamment enflée pour commettre toutes sortes de conneries comme, par exemple, des violences conjugales... Contrairement à un Miles Davis qui dans le récemment publié ''Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux" de la Baronne Pannonica de Koenigswarter (Buchet Chastel) aurait souhaité être blanc et n'a hélas jamais réussi à plaire qu'à un public de bourgeois blancs, James Brown fut un héros du peuple afro-américain.

dimanche 24 décembre 2006

Les étoiles filantes


Hier, vous l'avez vu et entendu, j'ai réussi à installer un lecteur MP3 dans un billet du blog. Comme c'est Noël, j'ai pensé vous offrir une chanson enregistrée par Elsa lorsqu'elle avait 9 ans, Les étoiles filantes. J'en ai écrit les paroles et Bernard la musique. Ce n'est qu'une maquette réalisée à partir des sons d'accordéon de Michèle Buirette, la maman d'Elsa. J'ai beaucoup enregistré ma fille lorsqu'elle était enfant ; elle figure sur un nombre incalculable de CD-Roms (c'est par exemple la voix du A d'Alphabet) et de disques (dont ¡ Vivan las Utopias ! sur le magnifique double album Buenaventura Durruti produit par nato). Elle a aujourd'hui 21 ans et nous avons récemment évoqué la possibilité de refaire ensemble de nouvelles chansons...
Dans le prochain numéro de Sextant qui devrait sortir en janvier et qui sera accompagné d'un CD d'Un Drame Musical Instantané en téléchargement libre sur le site de la revue acoustellaire, il y aura deux autres chansons avec Elsa petite.
Joyeux Noël !



J’ai fait un vœu
Quand j’ai vu la
Première étoile
Filante
J’étais heureuse
De me trouver là
Devant la toile
Ardente

Toile toute noire
Percée de mille trous
D’épingles et de rasoirs
Qui balafrent de coups
Tranchants comme une faux
Le fil de mes pensées
Tels que j’en perds les mots
Pas un n’est prononcé

Je fais un vœu
Quand je vois la
Deuxième étoile
Filante
Je fais un nœud
Au coin du drap
Déjà les voiles
S’éventent

Voiles toutes blanches
Où peuvent s’écrire
Pour peu que l’on se penche
Les joies de l’avenir
La magie de la nuit
Me fait tellement d’effet
Que voilà j’en oublie
Les termes de mon souhait

Quand je comprends
Qu’en fait c’est toi
Ma bonne étoile
Filante
Je prends le temps
Car c’est pour toi
Que j’étais là
Vacante

Photo : autoportrait d'Elsa Birgé, août 2004

mercredi 20 décembre 2006

L'art appliqué (2)


Je travaille à nouveau pour Hyptique ; cela faisait presque deux ans que nous n'avions pas collaboré. Valéry Faidherbe a demandé à Pierre Lavoie que je compose la bande son du triple écran qu'il réalise. J'ai d'emblée écarté la proposition d'enregistrer l'ambiance du Musée des Beaux-Arts d'Angers qui en est le sujet et le commanditaire. Il s'agit d'imaginer quelque chose qui se détache de l'univers bruyant du salon d’exposition où sera projeté le reportage de quatre minutes. Se distinguer du brouhaha produit par les visiteurs et par les autres stands tous susceptibles de diffuser du son. On évitera d’en rajouter dans la confusion ambiante en écartant les timbres proches de ceux produits par la foule des visiteurs (bruits « blancs » où se superposent toutes les fréquences) et les basses qui ont la propriété d’être inlocalisables (« bavant » un peu partout dans un rayon souvent très large).
Je souhaite donc composer une partition aérée qui respire et laisse respirer en générant des sons relativement courts. Les entrecouper de petits silences transforme chaque note en signal pour attirer les passants des allées du salon. Le rythme régulier qui les anime permet ensuite d’entraîner ces visiteurs dans le spectacle créé par les trois écrans. Le timbre principal est celui d’un marimba (clavier de lames de bois tel un xylophone basse). Son timbre boisé fonctionne particulièrement bien avec l’univers muséographique des tableaux qui s’échelonnent sur les siècles. Le rythme est médium, ni trop rapide ni trop lent, pas de sollicitation cardiaque ni de relaxation soporifique ! Tempo de la promenade : 50. Le jeu en arpèges construit un système de boucles qui pourront évoluer dans le temps.
Des notes plus aigues viennent se superposer pour créer des ponctuations plus nettes. Ce sont de petites crêtes qui produisent le même effet d’appel que les notes plus resserrées du marimba. Ces notes se rapprochent du piano pour conserver un aspect classique à l’ensemble. Elles peuvent également appuyer un effet présent à l’image. Enfin, ces timbres sont de temps en temps habillés par d’autres textures pour varier les ambiances, doucement, sans heurt, tout en enrichissant la palette de timbres. Le propos est de rendre avant tout l’espace agréable, sans perdre le côté entraînant de la rythmique. La simplicité de la partition fait ressortir chaque note et laisse tout son pouvoir aux images.

Tout ce qui touche à la ville d'Angers m'émeut toujours. C'est celle de mon père et de mon grand-père "déporté mort pour la France", comme il est stipulé sur la plaque du Boulevard Gaston Birgé. De lui, je n'ai rien d'autre qu'une plaque en émail bleue un peu ébréchée. Lorsque j'étais enfant, mes parents m'envoyaient souvent en vacances rue Béranger chez Cypri, l'ancienne secrétaire de mon grand-père qui s'était occupée de mon père à la mort de sa mère lorsqu'il avait trois ans. Je jouais avec la tortue Jeannette et ma poule préférée, Cocotte Jaune, avec les drapeaux français, anglais et américain cousus par Cypri pour la Libération et je dévorais les groseilles du jardin. Le souvenir d'enfant le plus puissant est évidemment le château fort, son pont-levis et ses douves peuplées de cervidés, sans parler de l'enseigne d'un certain "Jean Bon, charcutier du château". Il y a une quinzaine d'années, Un Drame Musical Instantané créera en direct la partition de Jeanne d'Arc de Dreyer au Festival de cinéma Premiers Plans... Un autre épisode de la Résistance.

Mais aujourd'hui je dois seulement enregistrer un petit bout de 58 secondes. Je déteste faire les choses à moitié. J'aurais préféré attaquer tout de suite les quatre minutes montées. Cela me donne souvent plus de travail de réaliser une maquette que le définitif. Question de foi. Il est pénible de faire quelque chose lorsque l'on sait que ce sera forcément jeté à la poubelle pour être remplacé. Je m'y plie pour faire plaisir à mes camarades parce que leur client doit valider le travail, mais je n'en retire aucune satisfaction contrairement au moment où je jouerai la partition finale à l'image. Heureusement, que ce soit pour Hyptique ou les Rencontres d'Arles de la Photographie, c'est toujours agréable de travailler avec Valéry.

lundi 18 décembre 2006

Kent Carter, intersections


Ça devait être une idée de Bernard : engager le contrebassiste Kent Carter (article et entretien) pour tenir un des violoncelles du grand orchestre que nous avions formé en 1981 avec Un Drame Musical Instantané. Kent avait beaucoup joué avec le Jazz Composer's Orchestra de Carla Bley et Michael Mantler, mais il avait surtout passé plus de quinze ans aux côtés de Steve Lacy. Je le connaissais grâce au batteur Oliver Johnson avec qui j'avais joué en même temps qu'un trompettiste italien, Cesare Massarenti, et par le disque sur la contrebasse qu'il avait enregistré pour Le Chant du Monde. Oliver a été retrouvé mort sur un banc à Paris en 2002, une histoire sordide de plus à ajouter à la légende triste et morbide du jazz. Quant à Steve Lacy, nous l'avions interviewé avec Étienne Brunet pour Le Cours du Temps du Journal des Allumés en juin 2001, un de ses derniers grands entretiens (Press/ 2001/Steve Lacy l'inlassable). Même si le violoncelle avait été, avec le basson, son premier instrument, Kent se sentait sous-employé dans le Drame. Il est resté un an, le temps d'enregistrer le disque À travail égal salaire égal. À l'époque, il vivait avec sa femme, la chorégraphe Michala Marcus, dans un immense château vide dont il occupait le moins de pièces possible ! Depuis, j'avais perdu sa trace musicale. Il y a deux ou trois ans, il avait eu de gros ennuis avec la justice française pour avoir hébergé des membres de l'ETA sans le savoir.

C
Lorsque j'ai rencontré Kent Carter, il jouait en trio avec Carlos Zingaro au violon et François Dréno à l'alto. C'est grâce à lui que je me suis lié d'amitié avec Carlos. Bernard et moi adorions leur musique, une sorte de jazz schönbergien ou plus justement de musique viennoise émigrée aux USA. Kent a toujours tenté d'allier son passé classique (un père chef d'orchestre dans le Vermont) et l'improvisation. Il n'a pas renoncé. Il continue avec un nouveau trio à cordes composé du violoniste allemand Albrecht Maurer et de l'altiste polonaise Katrin Mickiewicz. Un très beau CD, Intersections, vient de sortir chez Emanem. Richesse des timbres, tendresse et ferveur, invention et clacissisme remplissent l'espace de la chambre. La musique de chambre interprétée par le Kent Carter String Trio est celle d'un compositeur du XXème siècle (personne n'a encore eu le temps d'imprimer sa marque sur le nouveau siècle). Kent Carter est un héritier de l'École de Vienne qui fait swinguer les rythmes et se sert de toutes les nouvelles techniques de jeu pour pousser la réflexion dans les cordes. KO technique, Carter sort vainqueur.

Photos © JJB - Kent avec une partie de la section de cordes du Drame en 1981 avec de gauche à droite, Marie-Noëlle Sabatelli, Hélène Bass, Geneviève Cabannes, en répétition chez Bernard rue Charles Weiss.

samedi 16 décembre 2006

Coup de sang


Cinénato sort le CD de la bande originale du dernier film de Jean Marboeuf, Coup de sang, qu'Ursus Minor a composée. Détournée de son contexte, la musique nous entraîne dans un longue aventure, voyage dans une bouteille, jetée à la mer.
Sa simplicité apparente rend l'oreille plus analytique que dans les deux précédents albums, Zugzwang et Nucular. La musique est devenue tendre. Chaque musicien s'écoute plus intimement. On peut découvrir, à certains moments, de nouveaux alliages de timbres : les sax de François Corneloup, baryton et soprano, colorent l'orchestre de manière originale, ses basses sont incisives, son aigu carresse ; la voix de Stokley Williams double ses peaux en human box... Ce peut être une ouverture convaincante pour Tony Hymas et Jef Lee Johnson vers la musique de film.

Si vous n'avez pas lu le Journal des Allumés du Jazz (s'abonner gratuitement pour le recevoir chez soi), je recopie ici le petit article paru dans le récent n°17 après avoir vu le film, mais sans avoir encore entendu le disque (dist. Orkhêstra).

La chanson Deeper Still rythme le décompte des jours qui mène à la catastrophe : Meurtre J-7. La voix de Stokley Williams rappelle Stevie Wonder. Les paroles effroyablement tristes de Jef Lee Johnson se font l?écho des deuils impossibles.
La chanson Deeper Still rythme le décompte des jours. Meurtre J-6. Le groupe Ursus Minor a composé la musique du dernier film de Jean Marboeuf, Coup de sang, une ?uvre en noir et un peu de couleurs, fleur rouge dans la grisaille du cimetière Montparnasse. « Des larmes? », plaque Marie Christine Barrault sur les derniers accords du générique de fin. On n?apercevra la comédienne que dans le cadre d?une photographie ou sur sa pierre tombale. Tout respire l?absence, pire, la suffoque, car même le héros est invisible, Pierre Arditi restant cantonné à une caméra subjective, amère et chaotique.
Deeper Still. Meurtre J-5. Le choix de l?orchestre est intéressant parce qu?il empêche le film de sombrer dans le pittoresque parisien. Impression actuelle d?éternité. Le soprano de François Corneloup glisse un peu de tendresse. Les harmonies du clavier de Tony Hymas, la batterie de Williams, la guitare tantôt hésitante tantôt déchirante de Johnson rythment la répétition des gestes. Un paso doble renvoie aux injustices du temps.
J-4. Les jours défilent. Grands ensembles. Troquet du coin. Sur l?affiche de Tardi, il y a une fleur dans la main gauche du tueur. Sandrine le Berre, la petite fleuriste, ne pourra rien changer au cours des choses. J-3. Le sol se dérobe sous nos pieds. La chanson Deeper Still rythme le décompte des jours. Meurtre J-2.
Pourquoi une chanson dans un film ? Les cinéastes y sont souvent attachés. Est-ce par souci mnémotechnique, un pense-bête, un emblème, la dernière impression qui persiste tandis qu?on sort de la salle de cinéma pour se retrouver sur le trottoir ? Une chanson raconte une histoire. J-1. L?histoire du film, déclinée autrement. Sur le déroulant du générique, il est temps que la musique, qui a soutenu l?action ou les sentiments, croise enfin le chemin du scénario. Rencontre impossible, toujours, mais un fredonnement qui vous suit, souvent.
Deeper Still, J-0 : coup de sang.

jeudi 14 décembre 2006

Jan Pehechaan Ho


De temps en temps j'allais acheter épices, chutneys, thés, lassis, mangues fraîches et de drôles de biscuits apéritifs pimentés dans les épiceries indiennes de la rue du Faubourg Saint-Denis. Il y a cinq ans, je découvre une boutique de DVD hindis et je me laisse convaincre par Lagaan d'Ashutosh Gowariker, le seul long métrage alors disponible avec des sous-titres, plus quelques compilations de clips. Les quelques extraits bollywoodiens que j'avais enregistrés une dizaine d'années plus tôt sur Canal +, dans l'émission L'œil du cyclone, sont des petits bijoux au pouvoir euphorique digne des meilleurs Tex Avery ou des Demoiselles de Rochefort. Les passages tendres font plutôt penser aux Parapluies ! En voyage dans le sud-est asiatique, je laissais la télé de l'hôtel déverser ses tonnes de clips comme un robinet de jouvence.
Alors que la moindre image sportive à la télévision me donne envie d'exploser le poste, je restai en haleine devant le suspense distillé par le match de cricket de Lagaan. Chaque fois que je faisais une démonstration du système 5.1 que je venais d'acquérir, je choisissais les extraits des films avec Salman Khan, en particulier une scène époustouflante avec des cerfs-volants. L'Inde étant le plus important pays producteur de films, je prévois aussitôt l'engouement pour la manne Bollywood. Jusque là, les cinéphiles ne s'étaient essentiellement intéressés qu'aux films viscontiens du Bengali Satyajit Ray. Mes amis me prenaient pour un doux illuminé à me passionner pour ce genre populaire, kitsch à souhait.
Les films de Bollywood sont souvent très longs, dépassant facilement les trois heures. Aussi les compilations de clips étaient-elles une aubaine. Après moultes péripéties mélodramatiques, le film se termine toujours par une happy end, et il est d'usage qu'il soit ponctué par sept séquences dansées et chantées, guimauves bien entendu, mais aussi rythmes entraînants comme seul un Cab Calloway me fait cet effet. Les décors sont somptueux et les couleurs éclatantes. Les véritables vedettes du film sont en fait les chanteurs et les chanteuses qui, au cours de leur longue carrière, prêtent leur voix à différents acteurs et actrices que la jeunesse des rôles nécessite de renouveler régulièrement. Parmi les plus célèbres, recommandons Mohamed Rafi, Kishore Kumar, Lata Mangeshkar ou Asha Bhosle. Côté longs métrages, Devdas (Diaphana Edition Vidéo) de Sanjay Leela Bhansali, Le mariage des moussons (TF1 Vidéo) de Mira Nair, Swades (Bodega Films) du même réalisateur que Lagaan (G.C.T.H.V.), rencontrèrent d'importants succès, et Carlotta a depuis un an édité en France de nombreux films indiens. Rebellion de la jeunesse contre l'autorité, trahison, alphabétisation colorent des drames où la famille et l'amour tiennent la première place.
Aujourd'hui, la folie Bollywood a pris, mais je n'arrive pas à retrouver les sublimes extraits aperçus sur L'œil du cyclone, ma période préférée étant celle des années 60 où les pastiches rock 'n roll sont aussi pétillants que drôles, qu'ils soient en noir et blanc ou en couleurs. Quelques CD rassemblent les meilleurs passages : Doob Doob O'Rama ou les deux volumes Beginner's Guide to Bollywood de trois disques chacun. Il n'est pas simple de choisir parmi les centaines de DVD et CD qui débordent des boutiques de la rue du Faubourg Saint-Denis qui se sont multipliées. Bon d'accord, ce n'est pas du grand cinéma, mais ça swingue d'enfer et ça fait pleurer dans les chaumières ! J'adore.

L'extrait de 1965 chanté par Mohamed Rafi au début de Gumnaam a été popularisé pour avoir été cité en 2001 dans le film Ghost World (Studio Canal) de Terry Zwigoff. Asha Bhosle et Lata Mangeshkar font également partie de la distribution des voix playback.

mardi 12 décembre 2006

Le diconato sans déconner


Le diconato s'étoffant de jour en jour, il serait prudent de le lire au fur et à mesure qu'il s'écrit. On évitera ainsi l'embolie générée par l'afflux de sens qui pourrait monter au cerveau en cas de découverte tardive, tant les définitions sont copieuses. Sur le site des disques nato (billet du 30 octobre), on peut en effet en lire d'édifiantes ou d'amusantes se rapportant à l'épais catalogue. Le diconato souligne les albums contaminés par les mots choisis de son auteur. D'acteur à Lumumba, une vingtaine de ces définitions sont déjà accessibles : avion, baiser, Bakhounine (Mikhael), Cherry (Don), cinéma, Day (Doris), drapeau, Durruti, échecs, enfants, espionnage, hiver, hôtel, île dessinent ainsi le paysage que Le Chronatoscaphe résume magnifiquement, luxueuse compilation qu'on aurait tort de ne pas (s')offrir pour les fêtes. Illustré par une quinzaine de dessinateurs de BD et par les photographies de Guy Le Querrec, ce livre relié de 120 pages accompagné de 3 CD pleins à ras bord est disponible aux Allumés du Jazz.
Vingt définitions, c'est peu en regard de ce qui se trame sur la Toile. Imaginez seulement que j'ai ouvert ce blog le 4 août 2005 et que j'y écris sans manquer un seul jour depuis le 1er avril 2006. Ce n'est pas une raison pour ne pas s'esquinter les yeux à lire les petites lignes du diconato que Jean Rochard tape lorsque l'envie lui en prend... Salut et fraternité !

dimanche 3 décembre 2006

Muziq, nouvelle orthographe au pluriel


Pluriel d'accord. Mais féminin ? Juste un numéro !? Le huitième du magazine Muziq ne serait-il qu'une revue pour les messieurs ? Dedans, des filles, des femmes, décrites, déshabillées, encensées par des rédacteurs (on se demande même si les rares rédactrices ne sont pas en réalité des pseudos, shemales de la plume) à destination d'un public mâle qui y trouvera de quoi alimenter ses fantasmes masculins. Ici on admire le talent au lieu du cul. Mais qu'est-ce que ça change ? Digression : comment peut-on se brancher sur un sexe sans voir son visage ? Énigme ! Il y en a pour tous les goûts. Ici aussi, ça tombe bien.
Les filles pourront heureusement y lire maintes tirades féministes, tant la lecture est instructive. Pascal Bussy réhabilite Yoko Ono. Magnifique exemple de Jean-Pierre Lentin citant la compositrice Pascale Criton qui lui raconta comment les femmes avaient inventé le jazz, la soul et le rock (c'est LE scoop) : les hommes du gospel sont raides tandis que les chanteuses se laissent aller, dansant, hurlant, désacralisant le culte... Les notes bleues, c'est elles. Les arabesques, les glissés, les serpentines, c'est encore elles. Le swing, nom d'une chienne. Le swing du cul. Les hommes exploitent leurs femmes, ils leur piquent le business. Mais, Herr Doktor (encore un mec !), c'est à leurs mamans que tous ces artistes mâles doivent leurs chansons, leurs standards, et donc, coup de théâtre, leur swing ! D'eux-mêmes, les gars savent aligner les mots, mais le rythme ?!
Si l'on préfère les profondeurs du sens et la poésie des vers, les Anglo-saxons sont rarement à la hauteur. Trop directs, trop superficiels. Sous-titrer les clips serait de bonne guerre. Dans cette perspective, mieux vaut se tourner vers la chanson française, Barbara, Brel, Brassens, Prévert, Vian (sublime coffret de 6 cd), (d'accord Jean-Pierre) Camille, etc. Peu de filles parmi les auteurs ? À qui la responsabilité ? Pas facile de remonter ces siècles de sacrifice face à tant de dénigrement. Donc des filles. La plupart sont des chanteuses et font rêver les mecs, ça reste le public très majoritaire de ce genre de revue. Pour qu'un magazine s'écrive au pluriel des musiques, il va falloir qu'il apprenne à conquérir les nanas. Pas seulement une question de style. Choisir entre le casus belli domestique ou des soirées entre quat'zieux et autant d'oreilles ! Engageons des filles à rejoindre nos rédactions, nom d'un petit bonhomme.
Muziq est une revue généraliste où s'épanouissent les spécialistes. Huit numéros riches d'enseignement où chaque parution est thématique : Prince, Stevie Wonder, Led Zeppelin, Zappa, le groove, l'Angleterre des années 70, les filles, là, voilà... Tout ce qui se fait d'inventif dans les musiques populaires, c'est ici ! Les rédacteurs communiquent leurs passions avec style : Guy Darol, Étienne Brunet, Yvinek... Manque un peu d'expérimental de ces jours-ci, mais Boulez n'a-t-il pas ouvert l'Ircam sur Perspectives du XXème siècle avant d'actualiser le programme ? Il faut laisser à Muziq le temps de se faire. Revue quasi encyclopédique sur l'histoire du disque et son actualité, on aurait tort de ne pas en conserver tous les numéros. Le rédacteur en chef, Frédéric Goaty, succédant également à Philippe Carles aux manettes de Jazz magazine depuis peu, se coltine seul la plus grosse partie du boulot. Vivement qu'il trouve les moyens de se payer une maquette à la hauteur du contenu. C'est propre, genre rock mag, mais il serait dommage de n'être pas plus ambitieux graphiquement. Le jazz vend moins, le pluralisme mieux, nous ne nous en plaindrons point. Vive Muziq !

vendredi 1 décembre 2006

Jeux d'enfants


Je n'ai pas l'habitude de faire des compte-rendus de concerts, mais j'ai toujours aimé écrire dans l'obscurité du théâtre. La musique me suggère souvent des rêveries solitaires. Si je m'ennuie, je me concentre sur quelque projet personnel. Si ça me plaît, je me laisse porter.
Et ce soir, c'était bien. Le quartet du violoncelliste Vincent Courtois invitait Michel Portal au Triton, la salle des Lilas qui est tout à côté de chez nous. À côté de chez Vincent également, puisque nous sommes voisins. Le clarinettiste mit un peu de temps à rejoindre la musique délicate du groupe pour finalement trouver sa place à la clarinette basse. Le jeune sax alto Marc Baron, un peu intimidé par le souffleur de près d'un demi siècle son aîné, glisse ici et là de très belles phrases lorsqu'il n'étoffe pas avec simplicité les rythmiques ou les palettes de timbres de l'ensemble. L'éloignement des deux musiciens, situés aux extrêmes cour et jardin, ne favorise pas leur complicité. La disposition scénique des improvisateurs influe évidemment toujours sur leurs échanges. Dans le second set, Baron assoira à son tour sa position lorsque Portal passera au bandonéon, ne le quittant plus que pour le rappel où il reprendra avec panache sa clarinette basse. Posée à côté de sa batterie, François Merville sort d'une valise des petits instruments de percussion comme des lapins blancs d'un chapeau clac. La tessiture du violoncelle de Courtois oscille entre la basse et la voix humaine. Il colore le son de l'orchestre de petites boucles électroniques discrètes et chacun laisse percer ici et là des éclats de voix qui soulignent l'humanité du projet. Très jolie, celle de Jeanne Added, qui tient aussi le rôle du second violoncelle, rappelle une Irene Aebi qui aurait fini par convaincre. Tandis que la soirée s'achève, elle ira chercher par la main John Greaves venu pousser la chansonnette en duo.
Tous partagent la solidarité des émulsions réussies.


Comme Geaves avait jadis chanté The rest is silence et que Courtois lui avait posé la question qui donne son titre à son dernier album paru sur le label du Triton, What do you mean by silence ?, l'anglais viendra lire le mail qu'il envoya en réponse : "My dear Vincent, silence is, in English musical terminology, a "rest"; which also means a period of repose. I suggest that whilst a French musician might see on the stave before him a defined period of time in which to anticipate the next precise coordination of bodily functions required to produce a coherent physical gesture concomitant with the endeavours of his colleagues simultaneously pursing their own arcane musical and generally speaking altruistic aims, an Englishman would probably just go to the bar. Yours, the next bar is the best bar, your friend, John".
On est bien dans l'échange, et Courtois ne craint pas le silence.


Si les chansons et les compositions donnent un cadre aux improvisations, épargnant aux musiciens les poncifs du genre, le quartet, plus habitué à la libre improvisation, fabrique un écrin élégant, quasi british, à leur invité d'un soir. Portal s'y glisse avec gentillesse tandis qu'enfle sa ferveur. Enveloppés par cette musique simplement charpentée, on pense à une cabane de jardin, tout en planches, construite pour la joie des enfants. Le public peut rire des clowneries musicales parce qu'il voit les grimaces de la troupe, ses fourberies de Scapin.
Comme toujours, l'écoute seule produit des effets beaucoup plus tendres.

Merci à Fabrice Journo pour les photos du concert.