70 Musique - septembre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 septembre 2023

Francis Gorgé avec Un D.M.I. le 13 octobre au Souffle Continu


Vendredi 13 octobre à 18h30 nous jouerons en trio un petit concert au Souffle Continu, 22 rue Gerbier Paris 11e, Francis Gorgé, Amandine Casadamont et moi pour fêter la sortie de la réédition du vinyle In Fractured Silence, sorti en 1984 sur United Dairies. Ce sera court, ce sera magique et gratuit... Occasion à ne pas manquer, car Francis ou moi jouons de plus en plus rarement en public. D'autre part, Francis et Amandine ne se connaissent pas !

Par contre, Francis et moi avons fait notre tout premier concert ensemble, le 3 février 1971 au Lycée Claude Bernard, et nous sommes restés amis depuis. En 1975 j'ai produit le premier disque du label GRRR, Défense de de Birgé Gorgé Shiroc, devenu culte grâce à la Nurse With Wound List (Nurse With Wound est présent sur In Fractured Silence avec The Strange Play of the Mouth). Un an plus tard nous fondions Un Drame Musical Instantané avec Bernard Vitet. Francis l'a quitté en 1992, mais nous l'avons ressuscité l'année dernière en enregistrant Plumes et poils avec l'écrivain Dominique Meens, et un nouvel album autour de Philip K. Dick est sur les rails. Nous avions tout de même commis ensemble des centaines de concerts et une vingtaine d'albums. Souffle Continu Records a publié le vinyle Avant Toute, enregistrement de 1974 qui a précédé et permis Défense de, et récemment le label GRRR a édité Très toxique en tirage limité, celui de 1976 qui avait précédé Trop d'adrénaline nuit, le premier disque du Drame, le jour où nous sommes rencontrés tous les trois au studio. C'est formidable et exceptionnel de découvrir ces deux moments préhistoriques, la fondation de ce que nous allions devenir alors que nous avions vingt ans et des poussières.

Si le Drame a duré jusqu'en 2008, ses plus belles années furent celles du trio. J'ai rarement ressenti autant de complicité avec un musicien comme avec Francis. Lorsque nous avons enregistré Plumes et Poils, nous ne nous étions pas rencontrés en studio depuis trente ans, or les quinze pièces furent toutes des premières prises. Lors de nos improvisations, j'avais l'habitude de dire qu'il était capable de rattraper mes plus mauvaises balles. Si je pratique toujours ce sport, Francis gravit pourtant d'autres pentes musicales. C'est comme la bicyclette, cela ne s'oublie pas !

Entre temps, Francis a joué avec les clowns Macloma, le metteur en scène Pierre Debauche, le Celestrial Communication Orchestra d'Alan Silva, la chanteuse Colette Magny, les chorégraphes Mark Tompkins, Jean Gaudin et Karine Saporta, le magicien Abdul Alafrez, les poètes Jacques Demarcq et Dominique Meens, Hélène Sage (dont Frissons sur la cochlée figure aussi sur In Fractured Silence), etc. En 1996, expert QuickTime, il a créé avec Brieuc Ségalen la société multimédia Briq spécialisée en réalité virtuelle. Fan de musique française, de Rameau aux Impressionnistes, il a récemment publié deux disques pour lesquels il a orchestré numériquement Debussy et Ravel, choisissant les timbres autant musicalement qu'en fonction du sens.

jeudi 28 septembre 2023

David Fray, héritier de Glenn Gould


Comment faire partager ses émotions avec des lecteurs qui n'ont encore rien vu, rien entendu, surtout lorsqu'il s'agit d'un interprète de musique classique ? Ce fut aisé pour Pascale qui me prêta simplement le DVD de David Fray dirigeant trois concertos de Bach (en la majeur BWV 1055, en fa mineur BWV 1056, en sol mineur BWV1058) depuis son piano tandis que Bruno Monsaingeon le filme comme il le fit dans le passé avec Yehudi Menuhin, Paul Tortelier, Nadia Boulanger, Piotr Anderszewski... Et évidemment Glenn Gould. C'est justement à ce pianiste incomparable que l'on associe le jeune David Fray. Et la comparaison est troublante. Heureusement Fray s'en inspire sans le copier.


Plein d'entrain communicatif, faisant totalement corps avec la musique, visionnaire affuté, Fray possède aussi un jeu qui rappelle celui de Gould, varié et nuancé, coloré, militant. C'est la seconde fois en effet que Bach m'emporte au delà de ce que j'imaginais. Le travail de Monsaingeon transforme les répétitions en une vertigineuse leçon de musique, que ce soit avec la Deutsche Kammerphilarmonie de Brême ou chez Fray, seul à Paris. Le DVD publié par Virgin Classics / Medici Arts fin 2008 mérite bien son titre : Swing, Sing & Think (Swinguez, chantez et réfléchissez). Pourquoi les grands interprètes, de Granados à Gould, des Busch au Kronos, de Bruno Walter à Toscanini, me paraissent toujours swinguer comme des jazzmen ? Fray cherche sans cesse à se rapprocher du chant comme s'il était l'essence même de la musique et les instruments de l'orchestre une transposition outillée, comme le geste prolonge la pensée. Son approche intelligente de Bach lui laisse la liberté d'inventer, de se l'approprier, de le rendre vivant.
Que les filles (ou les garçons) ne rêvent pas, le jeune trentenaire beau comme un cœur est marié à à l'actrice italienne Chiara Muti, fille du célèbre chef d'orchestre Ricardo Muti qui s'est illustré [...] en mouchant Berlusconi en direct à la télévision italienne, et en musique ! Il y a d'ailleurs de la révolte chez le jeune pianiste et chef, un désir de s'affranchir de la partition sans la trahir. Chaque époque a proposé des interprétations différentes des classiques. Celle de David Fray porte la marque de son temps.

Article du 2 septembre 2011

vendredi 22 septembre 2023

Toujours le Haut-Karabagh


Je republie cet article du 7 octobre 2020, parce que l'Azerbaïdjan continue de bombarder le Haut-Karabagh, enclave arménienne en territoire azéri, et que j'ai regardé Aurora, l'étoile arménienne, un très beau documentaire d'animation, moins larmoyant que d'habitude sur le sujet du génocide arménien. La jeune réalisatrice Inna Sahakyan intègre des documents d'archives, des séquences animées et des extraits de Auction of Souls, fiction muette de 1919 adaptée du livre Ravished Armenia, autobiographie d'Aurora Mardiganian dont Aurora, l'étoile arménienne est l'histoire. Après son évasion, la rescapée est devenue une actrice célèbre aux États-Unis en jouant les épisodes tragiques de sa vie.


Alors que la guerre a repris au Haut-Karabagh, enclave arménienne en territoire azéri, je constate que le CD Haut-Karabagh, Musiques du front, paru chez Silex en 1995 et dont j'avais assuré la direction artistique, n'est plus disponible depuis fort longtemps. Récupéré par Auvidis, lui-même racheté en 1999 par Naïve qui à son tour en 2017 tombe dans l'escarcelle de Believe, le disque comme toute la formidable collection de musiques du monde Silex (ainsi que la collection non moins extraordinaire Zéro de Conduite) finira au pilon à l'orée du nouveau siècle. Cette constatation me désole, d'autant que le field recording de l'ingénieur du son Richard Hayon est exceptionnel et que je suis très fier du montage que j'en ai réalisé alors.

Le Haut-Karabagh est un territoire arménien attribué à l'Azerbaïdjan en 1921 par l'Union Soviétique. Relié à l'Arménie au sud-ouest par le corridor de Latchine, il a toujours été la proie d'invasions : arabes, turque, mongole, turkmène, persane et russe. Depuis le début du siècle, le Haut-Karabagh, dans un rapport de force de 1 contre 10, est en situation d'autodéfense face a l'Azerbaïdjan. Toutes les propositions pacifistes faites aux Azéris par l'Arménie pour l'indépendance du Karabagh se sont toujours soldées par la violence et des massacres. Après la dissolution en 1989 du bloc soviétique, le Haut-Karabagh s'auto-proclame République en septembre 1991. Depuis, c'est l'inévitable escalade d'une guerre de principes pour les uns et de survie pour les autres.

J'avais rencontré Richard Hayon à Sarajevo pendant le siège. Il avait auparavant enregistré au Haut-Karabagh musiques et vie quotidienne en direct sous les bombes, dans les tranchées et les ruines. Je lui avais demandé d'écrire à la main les notes de pochette comme le journal de bord de son aventure où il avait rencontré le célèbre Commandant Avo tué sur le front d'Aghdam en juin 1993. Des cartes manuscrites et des photos illustrent les 24 pages de ses descriptions. Silvio Soave avait mixé ce disque qui représente pour moi une de mes plus belles réussites dans ce domaine, après l'album collectif Sarajevo Suite la même année. Juste après le siège de la ville martyre, les Bosniaques, plutôt liés aux musulmans de Turquie, n'avaient pas compris que je prenne la défense d'orthodoxes, les Arméniens. Les Justes n'étant pas toujours les mêmes, j'ai choisi de toujours prendre parti pour les opprimés, que ce soit en Palestine ou dans mon propre pays.
Vous pourrez donc écouter ici les 21 index de ce disque qui, à ma connaissance, est le seul à avoir été enregistré au Haut-Karabagh. Au delà de son intérêt musical, ce CD présente un témoignage historique. Il s'ouvre sur les pleurs d'une femme sur la tombe de son fils au cimetière de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh. Ce Jour des Morts, un violoniste accompagne son chant de douleur et de chagrin. C'est un disque poignant. Comme dans tous les films qui racontent le génocide dont ils furent victimes, les Arméniens n'en finissent jamais de pleurer.

mercredi 20 septembre 2023

Feuilles de Joris Rühl, promenade


Pour le maximaliste que je suis, tout véritable minimalisme est une aubaine. Comme lorsque je passais d'hyperactif à contemplatif le mois d'été en montagne, en pleine nature, loin de toute machine communicante. Depuis que j'ai entendu La Monte Young et Marian Zazeela à la Fondation Maeght en 1970, j'apprécie les grands espaces que ces musiques suggèrent. J'ai malgré tout toujours un peu d'appréhension avec les drones, mais c'est comme pour tous les genres, il existe tout un éventail entre le génial et l'arnaque. Feuilles, composé par le clarinettiste Joris Rühl, n'est pas de la musique de drone ; ce serait plutôt du temps qui passe, une promenade en forêt où l'on prend celui de l'observation, à pas lents, en humant l'humus, branché par les branches, pourquoi pas effeuillé parmi les feuillages puisque nous sommes seul devant cette représentation sonore du paysage. Peut-être avons-nous mangé le même champignon qu'Alice ? Nous enjambons alors les brins d'herbe ou nous nous abritons sous son chapeau...
Pour cette promenade, Joris Rühl a invité un autre clarinettiste, Xavier Charles. Leurs sons multiphoniques sont délicats, sauf à un moment où les stridences sont telles que je dois baisser le volume de l'ampli ! La forêt est parfois menaçante. Il aurait fallu surveiller la météo. Se joignent à eux l'accordéoniste Jonas Kocher et le percussionniste Toma Gouband, donc d'autres anches, battantes cette fois, et des sons organiques : galets, feuillage, peaux, métaux. L'ensemble est si riche qu'il donne envie de refaire un tour aussitôt revenu à son point de départ, chez moi le murmure de la ville parce qu'il fait encore chaud et que j'ai laissé porte et fenêtres ouvertes.


Quatre parties, ni spécifiées ni indexées sur le CD : Marée, Battue, Entropie, Monnaie de pape et savonnier...

→ Joris Rühl, Feuilles, CD Umlaut, 12€, sortie le 29 septembre 2023

samedi 16 septembre 2023

Pique-nique au labo sur nato-musique


Troisième retour sur le CD sorti lundi, le premier sur le territoire, "Disque ami" ça fait du bien...

Avec Jean-Jacques Birgé, un train arrive toujours en gare de La Ciotat. Le deuxième volume des rendez-vous un peu énigmatiques du musicien déjà centenaire vient de paraître sous le titre de "Pique-nique au labo 3". Les deux premiers chapitres se révélaient sous la forme d'un double album (GRRR 2031-32) où, en duo et en trio, l'inépuisable JJ Trouvetou conviait au studio GRRR, au Triton ou à la maison de la Radio, 28 musiciennes et musiciens pour un moment de joyeuse recherche (Pique-nique "et" labo) : Vincent Segal , Ravi Shardja, Antonin-Tri Hoang, Alexandra Grimal, Edward Perraud, Fanny Lasfargues, Jocelyn Mienniel, Ève Risser, Linda Edsjö, Birgitte Lyregaard, Julien Desprez, Médéric Collignon, Sophie Bernado, Pascal Contet, Amandine Casadamont, Samuel Ber, Sylvain Lemêtre, Sylvain Rifflet, Élise Dabrowski, Mathias Lévy, Hasse Poulsen, Wassim Halal, Christelle Séry, Jonathan Pontier, Karsten Hochapfel, Jean-François Vrod, Jean-Brice Godet et Nicholas Christenson. Dans ce deuxième mais troisième opus, même principe, mais en unité de lieu (le Studio GRRR comme une sorte de Moulinsart des Bijoux de la Castafiore ou bien de quelque demeure imaginée par Agatha Christie et filmée par Straub et Huillet), la distribution (une fois encore brillante) est à chaque fois renouvelée pour chacun de ces deux duos et neuf trios. À l'exception de Mathias Lévy, aucun des invités suivants n'avait joué dans la précédente mouture : Naïssam Jalal, Fidel Fourneyron, Élise Caron, Lionel Martin, Gilles Coronado, Basile Naudet , François Corneloup, Philippe Deschepper, Uriel Barthélémi, Hélène Breschand, Gwennaëlle Roulleau, Fabiana Striffler, Csaba Palotaï, David Fenech, Sophie Agnel, Olivier Lété, Fanny Méteier, Tatiana Paris, Violaine Lochu. Les titres, souvent extraits d'œuvres littéraires, servent de partitions à tous ces drôles de drames instantanés, ces détours de passe passe, où les différents protagonistes échappent par le fait accompli à toute logique "partisane"(traduction musicale). Onze huit-clos en un pour sortir du temps dans la fusion des formes, celle des métamorphoses tourbillonnant jusqu'à mûrir un chant. Une sorte d'idée du destin.

• Jean-Jacques Birgé "Pique-nique au labo" (Grrr 2036)

jeudi 14 septembre 2023

Tomorrowstartstonight


En posant sur la platine Tomorrowstartstonight, le duo de David Fenech et Rhys Chatham, je m'attendais à une musique minimaliste, parce qu'enregistrer avec une légende comme le compositeur américain implique forcément qu'on se glisse dans ses traces, à moins d'une révolution inattendue chez celui qui dirigea des orchestres de centaines de guitaristes. À l'énoncé du nom de Chatham, lui collent à la peau ceux de La Monte Young, Morton Subotnick, Tony Conrad, Robert Ashley, Philip Glass, Meredith Monk, Pauline Oliveros, Steve Reich ou Brian Eno. Du drone donc, de l'ambient, alimentée par le mouvement brownien ! Trois longs morceaux d'à peu près dix-sept minutes chacun se succèdent sans pause. In Search of Tomorrow conforte mon a priori, mais Tomorrow Together nous invite à une sorte de rituel matinal qui réveille les hôtes de la forêt. David Fenech est un autre sorcier de la guitare, un homme du son, un musicien placide qui sait méticuleusement prendre ses distances. Aux cordes électriques se superposent la trompette et la flûte de Chatham, la percussion de Fenech, et un coq, le coq... Au fur et à mesure que passe le temps l'auditeur est absorbé par une spirale qui l'emporte loin de l'endroit où il pensait se trouver. Délais et réverbération, ces effets jouent avec la durée, un temps élastique, comme du verre qu'on file à 1200° et qui devra refroidir pour que se révèle sa transparence. Lorsque la troisième partie, Tomorrow Starts Tonight, se termine, il est difficile de lui faire succéder autre chose que le silence.
L'album de Fenech et Chatham m'interroge sur la prochaine collaboration que je dois partager avec une autre légende américaine, le guitariste Thurston Moore, co-fondateur du groupe Sonic Youth. Devrais-je casser l'icône ou me fondre dans la masse ? Lorsqu'en 1999 celui-ci fit un remix de notre groupe Un Drame Musical Instantané, il réussit à nous rendre hommage sans perdre sa pâte, mais en faisant totalement autre chose que ce dont il avait l'habitude. J'ai l'âge de Chatham, six ans de plus que Thurston, dix-sept de plus que David avec qui j'ai eu le plaisir d'enregistrer l'album Chou en trio avec la pianiste Sophie Agnel il y a tout juste un an. J'avoue aimer créer des situations où mes camarades de jeu sortent de leur zone de confort. J'attends donc les propositions de Thurston avec curiosité et impatience. En attendant, je laisse couler le silence qui a succédé au beau disque de David Fenech et Rhys Chatham, comme si le moindre bruit participait à ce minimalisme absolu habité par le murmure lointain de la ville, les machines domestiques qui sommeillent et ma propre respiration.

→ Rhys Chatham + David Fenech, Tomorrowstartstonight, CD KlangGalerie, 19€

mercredi 13 septembre 2023

Pique-nique au labo 3 in Jazz' halo


Une suite tout aussi digne du double CD 'Pique-Nique Au Labo 1-2' élaboré sur le même principe : jouer pour rencontrer et non l'inverse ou l'improvisation à l'extrême.
L'initiative revient (à nouveau) au multi-instrumentiste français Jean-Jacques Birgé, qui a pu compter cette fois sur vingt interprètes pour participer à ce jeu de rôle musical. Contrairement au premier volume, qui rassemblait des enregistrements réalisés sur une période de près d'une décennie, ici tout est allé beaucoup plus vite. En effet, tout a été mis en boîte, terminé et sorti en deux ans.
Mission accomplie en tout cas. Soixante-dix minutes au total avec les combinaisons, les sons, les effets et les créations sonores atmosphériques les plus divers. Un véritable pays des merveilles où l'on bascule d'une surprise à l'autre. Impressions à gogo a été réalisé selon un système dans lequel les musiciens impliqués ont choisi des thèmes en tirant des cartes à l'aveugle. Il en résulte une série très organique de onze chapitres. Les sons liés à la nature jouent parfois un rôle prépondérant. En outre, des paysages sonores épicés alternent avec des voix trash et des chants chamaniques. Dans ce contexte, la poésie et l'attitude punk se fondent parfaitement.
Le livret indique joliment qui joue avec qui et quel était le sujet imposé. Quelques titres pour donner une idée du caractère surréaliste des choses : "Tout abus sera puni", "Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime" et "Manger avec quelqu'un qui n'a pas d'appétit c'est discuter beaux-arts avec un abruti".
A ne pas manquer pour les amateurs du genre. Titres d'entrée de gamme pour les autres curieux : 'Exotica', 'Insurrection' et 'Give The Game Away'.
Georges Tonla Briquet in Jazz’halo (NL)

mardi 12 septembre 2023

Résurrection de l'Art Ensemble of Chicago


On aurait tort de penser que l'Art Ensemble of Chicago est de l'histoire ancienne. Lester Bowie est mort en 1999, Malachi Favors en 2004, Joseph Jarman en 2019. Or, entourés par une vingtaine de jeunes musiciens et musiciennes, Roscoe Mitchell et Famoudou Don Moye perpétuent l'esprit du groupe. Enregistré en concert au Festival Sons d'Hiver en 2020, le résultat est aussi passionnant qu'enthousiasmant. Le goût de Roscoe Mitchell (dont je chroniquai neuf disques sous son nom en 2015) pour la musique contemporaine lui a fait choisir une instrumentation où les cordes acquièrent une place de choix (violon, alto, violoncelle et 3 contrebasses) comme le chant lyrique de la soprano Erina Newkirk et de la basse Roco Córdova. Il est seul aux saxophones, sopranino et alto, secondé par la flûte de Nicole Mitchell, la trompette de Hugh Ragin, le trombone ou le tuba de Simon Sieger. Cinq percussionnistes dont DonMoye à la batterie complètent l'orchestre dirigé par Steed Cowart. Pour autant, la Great Black Music est bien présente, rappelant parfois les grands ensembles de Sun Ra ou Archie Shepp, avec la récitante Moor Mother dans la grande tradition du spoken word afro-américain. Comme jadis les disques sur le label Byg, The Sixth Decade From Paris To Paris recèle une quantité incroyable de surprises et ce double album est une merveille sortie, me semble-t-il, trop discrètement. Je l'écoute régulièrement depuis le début de l'année, me souvenant de tout ce que je dois à l'Art Ensemble depuis qu'ils me firent passer du rock au free jazz une nuit magique de 1969 sous le chapiteau du Festival d'Amougies. Je les écoute "comme à la radio", chaque fois étonné de les trouver là, comme au premier jour.
À la fin du siècle dernier je les avais filmés au Festival du Mans avec Agnès Desnos, en particulier dans les loges, et j'étais très content de ce que j'avais réussi à capturer. Hélas je ne possède pas ces rushes que je n'ai jamais revus.

→ Art Ensemble of Chicago, The Sixth Decade From Paris To Paris, 2CD RogueArt, 25€, également sur Bandcamp, 2LP 42€

lundi 11 septembre 2023

Pique-nique au labo 3 sur Bad Alchemy


Sympa de trouver cette chronique sur notre nouveau CD le jour de sa sortie officielle. Oui c'est aujourd'hui, même s'il est temps d'aller me coucher après la fête dominicale qui a réuni une trentaine des musiciens et musiciennes qui ont joué sur un ou plusieurs des trois volumes de Pique-nique au labo. Je me suis réveillé à 4h30 et il est bientôt 2h30. Si vous me connaissez, vous savez que j'ai donc tout rangé, mais nous n'avons pas tout mangé ! Formidable journée de rencontres, d'amitié et de rigolades. Un énorme merci s'ils ou elles me lisent, partie remise pour celles et ceux qui n'ont pas pu venir...

Après avoir présenté avec Pique-nique au labo 22 moments forts de ses rencontres d'improvisation de la décennie 2010-19 sous la forme d'un double CD, JJB n'a pas attendu cette fois-ci pour présenter la série du 9.3.2021 au 8.6.2023. Pique-nique au labo 3 (GRRR 2036, 09/23) propose une sélection choisie parmi les 11 rencontres avec 20 visiteurs au studio GRRR : Tout Abus Sera Puni avec la flûtiste syrienne Naïssam Jalal et le violoniste Mathias Lévy. Utilisez Une Vieille Idée avec la voix d'Élise Caron et le trombone de Fidel Fourneyron, connu par l'ONJ et Un Poco Loco sur Umlaut. Nul Ne Le Vit Débarquer Dans la Nuit Unanime avec Lionel Martin (d'Ukandanz) au saxophone ténor. Give The Game Away avec Gilles Coronado (qui a beaucoup joué avec Franck Vaillant et Louis Sclavis) à la guitare électrique, Basile Naudet au sax soprano. Exotica avec François Corneloup au sax baryton, Philippe Deschepper à la guitare électrique, tous deux avec l'expérience de Claude Tchamitchian et Henri Texier - Deschepper, né en 1949, est un des grands anciens, avec Sylvain Kassap, Yves Robert, Beñat Achiary. Insurrection avec Uriel Barthélémi à la batterie et au synthétiseur, aux côtés d'Hélène Breschand à la harpe électrique et son spectre aventureux de Ferrari, Niblock, Franck Vigroux ou Chansons Du Crépuscule avec Elliott Sharp. Kakushi Toride No San Akunin avec Gwennaëlle Roulleau à la batterie & aux effets. Manger avec quelqu'un qui n'a pas d'appétit c'est discuter beaux-arts avec un abruti avec Csaba Palotaï de Budapest à la guitare électrique, Fabiana Striffler (de l'Andromeda Mega Express Orchestra) comme surprise allemande au violon. Don't Break The Silence avec David Fenech à la guitare électrique, Sophie Agnel au piano. Un Très Court avec Olivier Lété à la basse électrique, Fanny Méteier au tuba. Et Moitié moite avec Tatiana Paris à la guitare électrique, que Violaine Lochus appelle, croassant et déclamant comme une corneille. JJB est l'hôte de ceux qui sont couronnés de feuilles d'automne et de ceux qui n'ont pas encore de claviers, le magicien du son et des samples que l'on connaît, avec parfois encore des percussions, une flûte, un piano, un kazoo, un harmonica, une guimbarde, un sifflet.
Pour un - son ! - fantastique jeu électro-acoustique-ambient, la musique contemporaine, se couvre sans complexe d'éclaboussures de classique, d'improvisation et d'electronica. Le clou, c'est que cela brille d'une espièglerie surréaliste et d'une sophistication pleine de bon sens, enfilées chronologiquement mais à la manière d'une suite de scènes quasi cinématographiques. En tout cas, cela ne me fait pas l'effet d'une simple compilation en mosaïque ou d'un train de marchandises plein de morceaux, mais plutôt, grâce aussi aux cinq guitares électriques, d'un paysage sonore, d'un jeu onirique qui s'intègre dans la tête du metteur en scène JJB, même si les joueurs ne savent pas comment leur apparition, en tant que scène cohérente, embellit un ensemble plus vaste.

Paru sur Bad Alchemy 121 sous la plume de Rigobert Dittmann, traduit de l'allemand comme j'ai pu / Image du livret du CD

mercredi 6 septembre 2023

Hommage à Neo Rauch par Birgé Duret Rinaudo


Plutôt que les cartes Stratégies Obliques que j'ai souvent utilisées ou celles de Dixit jamais encore testées, la clarinettiste Hélène Duret et la harpiste Rafaelle Rinaudo ont choisi de piocher quelques tableaux dans le catalogue de l'exposition Le songe de la raison du peintre allemand Neo Rauch comme sources d'inspiration à notre nouveau Pique-nique au labo. Le mois dernier j'avais été impressionné par cette exposition qui se tient au Mo.Co. à Montpellier jusqu'au 15 octobre 2023. Chacune, chacun à notre tour nous avons donc sélectionné un tableau, Tempête dans le jardin (1997) et L'offrande (2016) pour Hélène, Mercure (2003) et La première (2015) pour Rafaelle, Descente (2009) en ce qui me concerne. Comme j'ai souvent opté pour des cercles, ronds comme des disques, pour les pochettes de ce projet pharaonique, le tableau Plan (1994) m'a paru tout indiqué. Les connaisseurs remarqueront que nous n'avons pas choisi les plus chargés ou les plus compliqués. Sur le site drame.org j'ai reproduit en petit les cinq tableaux en face de chaque pièce musicale. Je pense que c'est le trente-cinquième pique-nique depuis le début de cette aventure où il s'agit de jouer pour se rencontrer, et non le contraire comme il est d'usage, histoire aussi de retrouver son âme d'enfant, quand il n'y avait d'autre enjeu que de s'éclater en faisant de la musique.
Le pari a une fois encore rempli sa promesse. Aucun/e de nous trois n'avons senti le temps passer. L'album Le songe de la raison, titre de l'expo de Rauch, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org, fut enregistré entre midi (le temps de s'installer, de faire les niveaux et la balance) et seize heures (rentrée des classes oblige) avec une pause déjeuner. Comme l'une de mes invitées est végétarienne, j'avais fait des légumes (courgettes, blettes, oignons) avec du riz saupoudré de furikaké. Tous les trois fans de piment, nous avons corsé le plat avec celui cuisiné par mon ami Sacha Gattino, une merveille, parfumé, sucré et costaud en unités Scoville ! Le dessert consistait en un sorbet cacao bitter ou une glace au caramel beurre salé selon les convives, tradition locale oblige (ici c'est tous les jours dimanche, et l'été toute l'année !)).
Lorsque nous étions en train de ranger j'avouai à mes camarades de jeu que je n'avais pas la moindre idée de ce que j'avais fait ni comment l'ensemble sonnait. Je craignais même d'avoir agi en somnambule, ce qui se vérifia, mais avec bonheur, lors du mixage (plutôt un rééquilibrage des voies) que je réalisai hier mardi, soit le lendemain-même de nos agapes. Rafaelle me confia qu'elle n'avait pas l'habitude de jouer avec un homme-orchestre, ce qui ne peut évidemment pas m'étonner. Ce fut une véritable partie de plaisir, un "songe" certainement, "de la raison" j'en doute tant la musique nous transporte vers des contrés irraisonnables. Quand on sait que ce titre provient de la gravure de Goya El sueño de la razón produce monstruos, on ne s'étonnera de rien !


En plus de ses clarinettes, Hélène produisit des sons graves en feuilletant un gros dico et d'autres tranchants en agitant une feuille de papier. Elle utilisa aussi discrètement sa voix et ses mains. Rafaelle traita sa harpe électrique avec des pédales et toutes sortes de techniques modernes que je n'ai pas repérées, penché sur mes instruments, les oreilles collées à mes écouteurs. Je me servis pour la première fois du Terra dont j'ai exploré les fantastiques propriétés pendant tout l'été en plus de l'Enner, un autre synthé russe à l'interface tactile aussi particulière. Mes claviers incarnent-ils la sécurité ou bien le contraire ? Il est assez fou de tenir à me renouveler à chaque rencontre. Lorsque je ne radote pas quelques uns de mes sons préférés programmés il y a des décennies sur mes vieux synthés, je valse entre plusieurs moteurs, Kontakt, UVI, Roli et Soundpaint, avec près de six terras de mémoire. Le plus compliqué est de se souvenir de cette masse encyclopédique et de charger celui qui convient le mieux à l'instant. Empoigner une trompette à anche, une flûte, une guimbarde, un instrument à cordes, quelques percussions humanise l'ensemble de ma palette de couleurs.
Prochain pique-nique au labo le 4 octobre avec la violoniste alto (et bassiste) Maëlle Desbrosses et la chanteuse (et guitariste) Isabel Sörling ! Mais pour l'instant j'écoute en boucle ce que nous avons enregistré lundi et qui me ravit. Je dois également préparer la petite fête de sortie du volume 3 en CD qui réunira plus d'une trentaine des participant/e/s de mes joyeux pique-niques depuis le début de cette aventure !

→ Birgé Duret Rinaudo, Le songe de la raison, en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org, également sur Bandcamp

mardi 5 septembre 2023

Orange Fish Tears de Baïkida E.J. Carroll


Comment se fait-il qu'après quelques secondes d'un disque ou d'un film l'on comprenne que c'est fait pour soi ? Il aura suffi de quelques clochettes et d'un soupçon de percussion, et c'était dans la poche ! J'ai toujours adorer pénétrer la jungle où l'on ne voit rien, mais où tout se devine par le son. Endossant je ne sais quelle peau de bête le saxophone d'Oliver Lake rejoint la trompette de Baïkida Carroll comme deux frères de lait. À ces deux gars du Missouri se joignent le percussionniste brésilen Naná Vasconcelos et le pianiste franco-chilien Manuel Villarroel, et là s'anime la forêt ; les arbres dansent frénétiquement, des mélodies poussent comme s'il en pleuvait, le jazz ravive ses racines profondes. Les quatre musiciens se sont retrouvés en juin 1974 à Paris, capitale du free jazz depuis quelques années, et ils ont enregistré pendant trois jours au Studio Palm, grâce à Jef Gilson, pianiste, compositeur, mais également ingénieur du son et producteur. C'est un des très rares disques signés Baïkida Carroll. Sur la seconde face le trompettiste et le saxophoniste dialoguent comme deux drôles d'oiseaux qui se prennent au jeu. Ils l'ont pourtant appelé rue Roger, une petite rue du 14ème arrondissement. Hommage au même quartier, ils retrouvent leurs camarades Porte d'Orléans. La cuica de Naná est simiesque, les percussions bruissent, la trompette wah-wah, le piano scande, le saxophone se dé(h)anche, l'un après l'autre brisent le silence. La première face se partageait entre Orange Fish Tears et Forest Scorpion affirmant l'exotisme. On sent évidemment le cousinage avec l'Art Ensemble of Chicago qui sont à moins de 500 kilomètres de Saint Louis, une broutille au pays des grands espaces. La flûte nous ramène à la forêt du début. Début du monde. Monde de liberté et de rêves éveillés.

→ Baïkida E.J. Carroll, Orange Fish Tears, LP (25€) ou CD (12€) Souffle Continu Records, en numérique (7,90€) sur Bandcamp