70 Musique - décembre 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 décembre 2023

Toni Tani, roi délirant du mambo japonais


Ladies and Gentlemen and Ottosan okkasan ! This is Mister Toni Tani zansu ! Difficile de trouver des informations sur les chanteurs japonais du siècle dernier lorsque l'on ne parle ni ne lit la langue. Comme sur place, il faut apprendre à deviner. Il y a vingt ans [en 1990] j'avais recopié sur cassette un disque de Toni Tani (トニー谷), sorte de Spike Jones du soleil levant, comédien et chanteur populaire dans les années 50 qui mélangeait mambo, cha-cha-cha, musique traditionnelle, effets sonores et une tchatche de marchand à la sauvette. Il s'accompagnait souvent d'un soroban (boulier japonais) en guise de percussion.


J'ai toujours adoré les comiques que j'appelle les chanteurs du dimanche matin : Bobby Lapointe, Dario Moreno, Spike Jones ou Toni Tani me collent une pêche incroyable. Malheureusement l'album Saizansu World Of Tony Tani n'est trouvable qu'à un prix [souvent] prohibitif, mais on peut découvrir quelques morceaux en fouillant YouTube [Ma fille Elsa reprend celui-ci avec le Spat' sonore dans le spectacle Des madeleines dans la galaxie !]...

Article du 23 décembre 2011

mardi 26 décembre 2023

Improvisações Cristalizadas de Nuno Rebelo


J'ai la chance de connaître des amis curieux de fouiller dans les bacs virtuels de la Toile discographique en quête de musiques bizarres méconnues. Chaque jour David Fenech y met le nez et publie. De temps en temps Jean-Jacques Palix s'y colle. Cette fois Sacha Gattino me suggère d'écouter un disque du Portugais Nuno Rebelo enregistré en 1989-1990, masterisé en 2019 et finalement sorti cette année. Improvisações Cristalizadas se rapproche à la fois des pianos mécaniques de Conlon Nancarrow et des timbres rythmés de Harry Partch, avec l'exquise petite raideur des logiciels de l'époque. En effet, ces 21 courtes pièces électroniques ont toutes été enregistrées sur le logiciel Steinberg Pro24 installé sur un ordinateur Atari 1040ST, les sons provenant exclusivement de deux synthétiseurs Yamaha, le TX81ZX et le TG55. C'est le même matériel que nous utilisions dans Un drame musical instantané avec Francis Gorgé dans ces années-là. Hélas les fonctions aléatoires qui permettaient des variations infinies ont disparu un jour de Cubase après qu'il ait remplacé Pro24. Nous mélangions souvent le résultat avec d'autres instruments, tandis que Rebelo ne se sert de rien d'autre. En fait, en amont il improvise un petit truc sur le clavier midi d'un Mirage Ensoniq pour s'inspirer ensuite de la méthode initiée par J.S. Bach et utilisée par Schönberg, renversant la mélodie, la rétrogradant, rétrogradant le renversement et transposant tout cela ! Il attribue des timbres amusants, plutôt percussifs, à toutes ces voix. Et voilà le travail !
Plus tard Nuno Rebelo jouera avec d'autres musiciens adeptes de ce qu'on appelle bizarrement l'improvisation libre tels Peter Kowald, Shelley Hirsch, Damo Suzuki, Le Quan Ninh, Eric M, Carlos Zingaro, Jean-Marc Montera, DJ Olive, etc. J'ai toujours trouvé bizarre d'appeler improvisation "libre" des musiques où toute mélodie consonante ou rythme dansant est interdit, encore que certains des musiciens cités s'y autorisent heureusement de temps en temps ! Ce guitariste autodidacte participera aussi à des groupes à géométrie variable dirigés par Evan Parker, John Zorn ou Fred Frith, et composera pour Philippe Genty, François Confino et de gros évènements. Il est certain que ses études d'architecture lui auront été profitables pour composer ces petites pièces montées comme lorsque, enfants, nous jouions au Meccano, spécialité d'un autre pervertisseur de ces drôles de machines, l'ami Pierre Bastien.

→ Nuno Rebelo, Improvisações Cristalizadas, LP/CD Holuzam, sur Bandcamp, LP 24€ / CD 12€ / numérique 10€

jeudi 21 décembre 2023

Kassandra de François-Bernard Mâche


Je pédalais au deuxième étage en suivant le coach vidéographié sur un sentier enneigé près de Fairbanks en Alaska. Pneus larges, épreuve fractionnée. Identifiant sur Shazam la musique diffusée par le poste de radio placé devant moi sur un pupitre pour musicien géant, je découvre qu'il s'agit de Kassandra de François-Bernard Mâche, compositeur indépendant qui m'a souvent étonné. Le mélange de sons enregistrés avec les 14 musiciens de l'Ensemble Instrumental du Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Boris de Vinogradov m'est extrêmement familier. C'est le même orchestre qui créa La Bourse et la vie d'Un drame musical instantané en 1985 en même temps qu'une pièce de Vinogradov et une de Charles Ives, mon compositeur fétiche avec Varèse.


Mais nous sommes en 1977. Mâche a alors 42 ans, il en a 88 aujourd'hui. Impression que j'aurais pu écrire cette pièce. Les bruits de la nature (orage, ruisseau, feu), les voix de langues rares (kannada, grec, amharique, tibétain, géorgien, fidjien, telugu et basque), les instruments exotiques (mandouras, pungis, surnas bataks, shanaïs indiens, magrounas) ou anciens (cervelas, cromornes, bombardes, hautbois du Poitou) se mêlent à l'écriture contemporaine. C'est extrêmement vivant. Le naturalisme de sa future zoomusicologie s'y déploie magiquement. Si je l'avais entendue alors, et c'est peut-être le cas, cela m'aurait fortement influencé. Ou bien je partage tout simplement ce goût pour l'encyclopédisme. Ancrer la musique actuelle dans l'histoire du monde, tant géographiquement qu'historiquement. Un mille-feuilles quantique. Kassandra est suivi par une pièce d'Alvin Lucier et un des derniers quatuors de Beethoven. Cela me réconcilie un peu avec Radio Libertaire qui a également remplacé son jingle insupportable par une annonce simple et courte.
Le reste de la journée consiste essentiellement à régler des questions d'intendance. Tracasseries administratives, les impôts, la banque, l'assurance, aspirer les feuilles tant qu'elles sont sèches, faire raccorder le nouveau poêle dans le sauna, courir après le plombier et le couvreur, travailler mes instruments, répéter le texte que je devrai interpréter en m'accompagnant musicalement à la mi-janvier à Montpellier, annoncer la première du nouveau cycle de concerts enregistrés en public dans le studio, cela s'appellera Apéro Labo, pas plus de 30 spectateurs, et puis écrire, heureusement. Réécouter tout de même Kassandra depuis le début.

lundi 18 décembre 2023

Labyrinthe d'une ligne


Imaginer la musique concrète de ses débuts avec les instruments et le savoir d'aujourd'hui tout en improvisant aboutit à une sorte de science-fiction musicale où le temps est pulvérisé tant à son abscisse qu'à son ordonnée. Dans l'espace de l'instant, le passé est recomposé pour conjuguer l'avenir. C'est le pari réussi de Labyrinthe d'une ligne, projet rassemblant Xavier Garcia (échantillonneur, ordinateur), Lionel Marchetti (magnétophone à bande, textes), Caroline Gesret et Laura Tejeda Martin (voix). À l'origine, un texte poétique et la matière sonore, un texte sur la matière que les musiciens malaxent à leur gré, selon les représentations. Les instruments actuels permettent le temps réel, le jeu physique, alors que la musique concrète de Pierre Schaeffer se cuisinait en laboratoire. Les voix tricotent avec le bruit des machines qui, à leur tour, les passent à la moulinette. Ça gratte, frotte, grince, roule, tape et retombe lourdement avant de retrouver la légèreté de l'écoute. Va-et-vient. Silence. Cris et chuchotements, parlé et chanté, les voix sont comme les sons de la matière noire, d'une richesse narguant le réel. Labyrinthe d'une ligne est un disque de musique concrète fondamentalement de maintenant. Héritage et grand écart.

Labyrinthe d'une ligne, CD Arfi, dist. Inouïe, 13,60€, sortie le 19 janvier 2024

vendredi 15 décembre 2023

Moger Orchestra


Le Moger Orchestra se revendique d'un melting pot œcuménique le plus sympathique, jazz, folk, pop-rock, musique improvisée et spoken word, avec des paroles anglophones sur des thèmes de la sorcellerie et du dérèglement climatique. De plus, il fait le choix très politique de composer collectivement, quitte à confier les arrangements au chanteur-bassiste Dylan James, au batteur Nicolas Pointard, à la guitariste Christelle Séry, à la violoncelliste Pauline Willerval. Pour constituer cet octuor, on appréciera tout autant les saxophonistes Sakina Abdou à l'alto et Régis Bunel au baryton, le clarinettiste basse Étienne Cabaret et la violoniste Floriane Le Pottier. Les ensembles laissent de la place aux voix solistes. On sent l'aventure humaine derrière l'entreprise orchestrale. Les textes de Griselda Drouet et Dylan James fonctionnent bien avec ce pop-rock formellement progressif qui rappelle de loin les années 70 de Carla Bley et Michael Mantler période The Hapless Child quand les jazzmen s'ouvraient à l'électricité, s'inspirant des courants alternatifs du monde entier. There Must Be A passage fait du bien, parce que ces chansons rappellent de vieux souvenirs tout en assumant une stature actuelle qui ne baisse pas les bras, mais se lève ou se relève pour affronter un avenir bien incertain. Oui, c'est une musique pleine d'allant, positive, fermement volontaire, aux couleurs de la résistance. Ce n'est pas un hasard si cela se passe en Centre Bretagne. C'est bien à l'ouest de notre territoire que les consciences s'aiguisent.


→ Moger Orchestra, There Must Be A passage, CD Musiques Têtues, dist. L'autre distribution, également sur Bandcamp

jeudi 14 décembre 2023

Barbe-Bleue de Bartók par Michael Powell


Michael Powell est un de mes cinéastes préférés. Épaté par tous ses films, je le considère l'équivalent anglais de Jean Renoir, à l'égal de Jacques Becker ou Jean Grémillon. J'ai écrit des articles sur Les chaussons rouges, Colonel Blimp et classé I Know Where I'm going parmi mes 20 films résonnants, mais j'aurais pu aussi bien m'étendre sur Peeping Tom (Le voyeur), Black Narcissus, A Matter of Life and Death, Le voleur de Bagdad, 49th Parallel, A Canterbury Tale, The Edge of the World et bien d'autres. Je croyais les avoir tous vus, lorsque je découvre que Powell a filmé l'unique opéra de Béla Bartók, en Allemagne, après le scandale de Peeping Tom, un diamant noir qui l'obligea à s'exiler. Plus tard Coppola lui offrira même de diriger les Studios Zoetrope et il épousera à la fin de sa vie Thelma Schoonmaker, monteuse notamment des films de Scorsese. Son autobiographie en deux tomes, Une vie dans le cinéma et Million Dollar Movie, est carrément sensationnelle.


Son adaptation du Château de Barbe Bleue est une merveille, rêve ou cauchemar en couleurs, c'est peu de le dire tant la couleur et l'abstraction des décors nous entraînent dans les profondeurs de deux névroses, Barbe-Bleue évidemment qui ne peut se détacher de ses précédentes femmes, et Judith, jalouse qui le forcera à ouvrir la septième porte, quitte à s'y condamner. Le livret original de Bela Balazs était en hongrois, mais la version interprétée par le baryton-basse Norman Foster (qui a produit le film) et la soprano Ana Raquel Satre (qui ressemble aux autres héroïnes de Powell) est chantée en allemand. Une seconde piste, forcément désynchronisée, peut s'écouter en anglais, et Powell a choisi de résumer plutôt que de tout traduire pour les sous-titres anglais. Je possédais une version vidéo récente de cet opéra d'une heure, qui figure parmi mes préférés également, mis en scène par Krzysztof Warlikowski avec John Relya et Ekaterina Gubanova sous la direction d'Esa-Pekka Salonen. Celle de Powell, tournée en 1964, bénéficie des décors néoprimitifs de Hein Heckroth qui avait réalisé, du temps des Archers où Powell cosignait tous ses films en duo avec Emeric Pressburger, ceux de Une question de vie ou de mort, Le narcisse noir, Les Chaussons rouges, The Small Back Room, The Elusive Pimpernel, Gone To Earth, Oh ! Rosalinda ! et les Contes d'Hoffman.


Or justement, Bertrand Tavernier, grand admirateur de Michael Powell, considère ce film réalisé pour la télévision allemande comme le lien manquant entre les Contes d'Hoffman et Peeping Tom. Pour lui "il combine l'incroyable inventivité visuelle, les décors surréalistes du premier et la rigueur morale, le ton péremptoire, inéluctable et pourtant profondément compatissant du second. Barbe-Bleue est le frère jumeau de Mark. Tous deux vivent dans un univers de mort et de désolation, hantés par les souvenirs terrifiants de leurs crimes et de leurs rêves brisés. Les fleurs et les nuages sont teintés de sang comme les images filmées par Karl Boehm ou les bandes magnétiques sur lesquelles il enregistrait les cris de ses victimes et ses propres cris d'effroi. Dans ce monde funèbre, les victimes semblent attendre leur destin ou le mettre en scène."
Ma seule réserve tient à la langue allemande qui fait perdre les intonations hongroises sur lesquelles Bartók appuie sa composition. Cela comptait énormément pour lui. Il voulait faire chanter la langue parlée, comme Debussy le fit avec Pelléas et Mélisande pour le français. Bernard Vitet travaillait ainsi lorsque nous composions des chansons. Il s'agissait d'augmenter légèrement les intervalles du parlé. J'ai toujours pensé que Demy et Legrand avait procédé également ainsi pour Les parapluies de Cherbourg...

lundi 11 décembre 2023

Palix, un autre Jean-Jacques


Nous n'en avons pas que le prénom. Jean-Jacques Palix est un autre moi-même comme je suis un autre pas lisse. Né la même année, le sculpteur sonore, venu me rendre visite au Studio GRRR, avait apporté quelques disques de son cru. Or l'on sait à quel point la phrase cocktail "ne pas être admiré, être cru" fait partie de mes axiomes de base. Nous avons en commun d'avoir un mal fou à nous définir, et en particulier à répondre à l'inévitable question "ah vous êtes musicien, et de quoi jouez-vous ?". Nous jouons des sons, parfois de la lumière. "Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse", écrivit Alfred de Musset dans La Coupe et les Lèvres en 1831 ; le vers précédent est important : "Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse". La musique, sans aucun doute. Dans tous les cas. La coupe est merveilleusement pleine, d'où les murmures susurrés du bout des lèvres. Histoire de matheux rêveurs, car à jouer avec les mots des autres, quand on n'a pas l'x on a du moins l'y pour prendre la tangente.
J'avais raconté à Palix mon amusement à me risquer parfois aux exercices de style. C'était avant d'écouter ses 16'33" sous fausse pochette Colombia. Ce CD tiré à seulement 33 exemplaires numérotés et signés enchaîne sans pause 33 hommages de 30 secondes à 33 compositeurs. Ces "à la manière de", enregistrés en 2007, échappent aux poncifs en s'appropriant ce qui lui plaît vraiment chez Brian Eno, Christian Marclay, Alvin Lucier, Conlon Nancarrow, Marc Ribot, Robert Wyatt, Giacinto Scelsi, Karlheinz Stockhausen, Mauricio Kagel, Pierre Schaeffer, Ennio Morricone, Robert Ashley, John Cage, Yasuaki Shimizu, Aphex Twin, Moondog, György Ligeti, Luigi Russolo, Steve Reich, Ryoji Ikeda, Cornelius Cardew, Einsturzende Neubauten, Throbbing Gristle, Perotin, Tony Conrad, Erik Satie et quelques autres que je ne connais pas encore, Ekkehard Ehlers, Eleni Karaindrou, Holger Czukay, Alastair Galbraith, Amiel Balester, Bruce Russell, Holger Hiller. Cette énumération en dit long sur cet autre encyclopédiste. Palix est comme moi d'un tempérament partageur. Son blog musical Beyond The Coda fait partie des incontournables pistes sioux si l'on souhaite découvrir des paysages incroyables, des îles désertes, des peuplades cachées. À raison de 6 articles par mois il fouille et propose des voies parallèles pour qui ne se satisfait pas des sentiers battus et des entiers rabattus. Un puzzle, une mine, qui vous explose à la figure dès qu'on y glisse les oreilles. Les titres des 33 œuvres sont des citations des compositeurs à qui Palix rend hommage. On peut écouter le disque en suivant la liste, ou essayer de deviner, ou encore considérer l'ensemble comme une œuvre en soi, un zapping tranquille fort bien articulé.
Maquette du groupe Push Pull est un live enregistré quinze ans plus tôt, en 1992, avec le violoncelliste Vincent Segal, David Coulter à la guitare, la basse ou au violon, Igal Foni à la batterie et Jean-Jacques Palix à l'échantillonneur, au scratch CD ou vinyle et à la guitare. On le retrouve en 2000 à cet instrument en duo de guitares avec Jeff Rian, pour Everglade plus homogène que Push Pull qui empruntait son inspiration à différents styles ou cultures. Mais les deux sonnent rock, le premier plus brut, avec Vic Moan, Ghédalia Tazartès et Aaron "Sharp" Goodstone en invités, le second plus minimaliste, plus doux aussi, des ritournelles qu'on pourrait appeler pop de ce côté de l'océan.
Le plus récent (il y en eut d'autres entre temps), Émergence(s), rassemble des pièces enregistrées de 2012 à 2022, dont certaines en collaboration avec la violoniste Juliette Sedes, pour une chorégraphie de la poétesse Laurine Rousselet, un film d'Estelle Fredet et André S. Labarthe ou une performance de Christine Laquet. C'est forcément le plus actuel, le plus libre, le plus inventif avec 16'33". Les paysages sonores sont riches et variés, plages étendues, timbres rares, images mentales au gré de chaque auditeur, de chaque auditrice. J'ignore les secrets de fabrication de Palix, mais je reconnais ici ou là mes couleurs, tableaux où la perspective et le hors-champ fictionnalisent la pièce montée. Tout est question de poids et de mesures dans l'architecture musicale. Celle-ci est à la fois ferme et délicate.

vendredi 8 décembre 2023

Escalator Over The Hill, le film de l'enregistrement !


Je suis sans cesse surpris par les fouilles quasi géologiques qui creusent l’histoire de la musique, du cinéma ou de la littérature. Plus on avance dans le temps plus le passé refait surface. Des documents apparaissent dont on ignorait totalement l’existence. Et comme souvent lorsque l'on me fait remarquer que c'est bizarre que je ne connaisse pas telle ou telle œuvre, je raconte (avec l'accent) cette histoire corse que m'avait transmise mon maître, Jean-André Fieschi. " Un vieux Corse est arrêté pour avoir assassiné un couple d'Anglais sur une plage de l'île de Beauté. Comme la police ne comprend son geste, le vieux Corse explique que la raison est qu'ils ont brûlé Jeanne d'Arc. Les enquêteurs lui répondent, incrédules, que c'était tout de même il y a très très longtemps ! Le vieux rétorque alors sur un ton lancinant : peut-être, mais moi je l'ai su qu'hier".


Grâce à Robert Wyatt qui m’avait confié une cassette de Mark Kidel, j’avais par exemple découvert les workshops d’Edgard Varèse auxquels participèrent, entre mars et août 1957, Charlie Mingus, Art Farmer, Teo Macero, Eddie Bert, Don Butterfield, Ed Shaughnessy et quelques autres jazzmen. Assistaient à ces jam-sessions dominicales l'arrangeur George Handy, le journaliste Robert Reisner, les compositeurs James Tenney, Earle Brown et John Cage, le chorégraphe Merce Cunningham. C'est du free jazz quelques années avant son invention ! (partition ci-dessus)


Hier est apparue une sorte de making of du chef d’œuvre de Carla Bley, l’opéra Escalator Over The Hill. Une heure vingt-trois minutes filmées pendant l’enregistrement du coffret de 3 disques avec Viva, Jack Bruce, John McLaughlin, Don Cherry, Gato Barbieri, Don Preston, Charlie Haden, Paul Motian, Enrico Rava, Michael Snow, Roswell Rudd, Leroy Jenkins, Jeanne Lee, Paul Jones, Sheila Jordan, etc., ainsi que Michael Mantler qui coordonne l’ensemble et dont l’influence est évidente à l’écoute de ses compositions personnelles. Carla Bley, disparue récemment, dirige, joue du piano, de l’orgue, chante et risque de se faire briser les doigts par sa fille Karen qui a agrippé le couvercle du piano… Il est à la fois passionnant et bouleversant de découvrir les images d’une œuvre que j’ai usée jusqu’au fond des sillons.


J’ignore d’où vient la copie du film tourné par Steve Gebhardt et sorti en 1999. Elle circule probablement sous le manteau toilé. Une amie qui connaît l’importance que revêt pour moi cette œuvre clef me l’a envoyée hier. J’avais déjà eu le plaisir d’en discuter à Arles avec Tod Papageorge il y a quelques années. Le film, qui ne respecte pas l’ordre de la chronotransduction (un néologisme !), est un témoignage fabuleux de cette œuvre majeure du XXe siècle, composée entre 1968 et 1971. Espérons qu’il soit accessible à tous et toutes très bientôt.


Sur arte.tv/blow-up, Trufo, qui a certainement aussi bénéficié d'une bonne âme pour lui communiquer le film, raconte l'histoire de ce long métrage qui fait surface aujourd'hui...

jeudi 7 décembre 2023

La Fanfare au Carreau


Aujourd'hui les fanfares accompagnent souvent les luttes sociales ou les manifestations pour le climat. Cette pratique le plus couramment amatrice est toujours festive. On les croise ainsi lors d'une fête de quartier, marchant comme les Black Indians de la Nouvelle-Orléans. La Fanfare au Carreau est issue d'un atelier organisé par l'Orchestre National de Jazz en 2014, confié au tromboniste Fidel Fourneyron. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce fut une excellente initiative, puisque dix ans plus tard les inscrits au Carreau du Temple sont passés de 20 à 80, de toutes les générations, avec une instrumentation qui s'est étendue aux cordes, et que les compositions originales de Fourneyron dégagent une belle énergie. Chaque titre aux consonances gastronomiques (Pudding, Currywurst, Burger, Brûlot du Bayou) ou arboricoles (Guayacan, Tilleul) se réfère à un style différent, mais on sent une forte influence d'Amérique Centrale ou du Sud. D'ailleurs l'album se nomme Vamos Andando, en brésilien "on continue d'avancer". Cela n'interdit heureusement pas une valse, typique de notre héritage. Ailleurs la fanfare évoque l'Angleterre, Berlin, Hollywood, la Louisiane, le Venezuela ou la Colombie. Les fanfares sont bien histoires d'amitié et de solidarité, réchauffant le cœur et les jambes.
Je ne peux m'empêcher d'évoquer quelques orchestres, eux professionnels, qui me sont chers comme le Liberation Music Orchestra ou l'Umlaut Big Band qui distillent cette joie collective et communicative. Mais le merveilleux d'une fanfare comme celle du Carreau prouve que l'amateurisme vient étymologiquement du verbe aimer.
En 2021 j'avais eu le plaisir d'enregistrer L'air de rien, un album avec Fidel Fourneyron et la chanteuse Élise Caron, et à chaque projet le tromboniste se donne corps et âme, changeant de registre tout en conservant son propre style. Il partage ici son enthousiasme avec une soixantaine de musiciens et musiciennes.


→ La Fanfare au Carreau sous la direction de Fidel Fourneyron, Vamos Andando, CD Uqbar Records, sur Bandcamp

mardi 5 décembre 2023

Du piano-jouet


Un vent d'archives souffle sur la famille. Mon cousin Serge m'envoie notre arbre généalogique...
[Depuis cet article du 11/11/11, j'ai fait pousser cet arbre avec plus de 3000 personnes sur des branches plus ou moins proches ou lointaines, remontant jusqu'à la Révolution de 1789 pour trois de mes grands parents et jusqu'au IXe siècle pour le quatrième ! Mais ça c'est une autre histoire…].
Dans un tiroir de ma mère ma sœur Agnès retrouve de vieilles diapositives prises par mon père...
[Là aussi le paysage s'est découvert à la mort de ma mère avec les archives en haut de l'armoire. Mais revenons où nous en étions ce jour-là...]
Elsa avait quelques mois. Le petit piano n'est pas un Michelsonne comme celui que j'utilisai dès 1975 (disque Défense de), mais cela tombe à pic pour l'émission de ce soir. Pascal Ayerbe, Patrice Elegoet et moi-même participons à L'atelier du son, une émission de Thomas Baumgartner consacrée au petit piano Michelsonne et diffusée sur France Culture ce 11 novembre 2011. Y [fut] diffusé un inédit de quatre minutes avec le violoncelliste Vincent Segal que nous avions enregistré comme partition pour le film sur le tableau de Chirico, Composition métaphysique, réalisé par Pierre Oscar Lévy. En plus d'un clone de Michelsonne, j'y joue de la guimbarde, du ballon de baudruche, du violon et d'un carillon. Au Studio 118 de Radio France je fais aussi le zouave pendant que mes deux collègues pianotent pour un bœuf improvisé... Qu'il est doux de ne pas toujours se prendre au sérieux et de se laisser aller à ces gamineries qui touchent pourtant à l'essence même de notre inspiration ! Si nous jouons comme des mômes, que rêver de mieux ?


Se mettre à plat ventre pour partager des jeux d'enfant nous fait glisser vers un temps que nous avions souvent oublié. Il tient autant du passé que du futur. Cet angle sous lequel alors nous regardons le monde a quelque chose de déjà vu. L'avenir n'est qu'une projection de ces images sur une toile plus grande. Un simple changement de repères.

lundi 4 décembre 2023

Extrait du concert de vendredi soir au Café de Paris


Extrait YT du concert au Café de Paris vendredi dernier. Le son n'est vraiment pas à la hauteur des belles images de Ben Lx, dommage, mais ça laisse une trace d'une rencontre merveilleuse avec Élise Dabrowski, Gwennaëlle Roulleau, Lionel Martin et Mathias Lévy !



Photo N&B © JJGFREE

samedi 2 décembre 2023

Du gâteau


Nuit presque blanche après le concert au Café de Paris. J'ai tout rebranché dans le studio. Je pense souvent à Jean Renoir qui disait que ses films n'étaient pas une tranche de vie, mais une tranche de gâteau. Hier soir nous avons été particulièrement gourmands. On en a repris trois fois.
Merci à Mathias Lévy, Élise Dabrowski, Lionel Martin, Gwennaëlle Roulleau qui ont partagé ces agapes. Merci au public qui a joué le jeu en tirant les cartes prétextes à nos compositions instantanées et dont la présence m'a beaucoup touché. Merci à Arnaud et Manon qui m'ont offert cette carte blanche. Merci à Vincent et Hervé qui ont assuré la technique et l'intendance. Merci à Tom Val qui a joué le jeu en nous rejoignant sur scène. Merci à Jérôme Jawaka Janvrin pour la photo. Merci à Ben Lx qui a tout filmé (même si le son y est un carnage 😉 ). Merci à toutes celles et tous ceux qui m'ont inspiré depuis tout ce temps.
Et maintenant, en route vers de nouvelles aventures...

vendredi 1 décembre 2023

C'est ce soir (vendredi) !


Si vous avez réussi à échapper à ma communication invasive, c'est la dernière annonce pour le concert de ce soir, exceptionnel car je ne joue plus beaucoup en public. C'est un véritable plaisir, et je réponds autant que possible aux invitations chaleureuses des programmateurs, souvent des jeunes gens curieux qui ne se sont pas encore cantonnés à reprogrammer éternellement leurs vieux potes. Aujourd'hui merci à Arnaud et Manon de Sport National qui organisent depuis 2015 des concerts de musicien/ne/s aux pratiques expérimentales, depuis avril 2023 au Café de Paris, et qui m'ont confié cette carte blanche. Ils clament justement "saute-mouton : quand Sport National confie la programmation d'une soirée de concerts à un.e "autre", les yeux fermés, mais les oreilles, en éventail." Ayant pendant longtemps attendu le coup de téléphone de Monsieur De Mesmaeker, voilà 25 ans que je laisse cette initiative aux amateurs, entendre à celles et ceux qui aiment. De temps en temps le téléphone sonne, un mail tombe dans la boîte et cela me ravit. Comme vous en jugez régulièrement, je suis loin d'être désœuvré. Jouer avec des musiciens et des musiciennes aussi sympathiques qu'imaginatifs que le violoniste Mathias Lévy, la contrebassiste-chanteuse Élise Dabrowski, l'électroacousticienne Gwennaëlle Roulleau, le saxophoniste Lionel Martin, est un plaisir sans mélange. Une élévation ! J'ai plutôt l'habitude de partager ces agapes en studio, quitte à produire deux albums, CD Pique-nique au labo vol.1/2 et vol.3), mais le réaliser devant et avec vous décuple l'excitation de la rencontre. Je n'ai pas la moindre idée de la musique que nous produirons ce soir. La surprise sera partagée.
L'évènement est sur FaceBook.