70 Musique - mars 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 26 mars 2024

Sarajevo Suite : disparition d'Abdulah Sidran


Le poète bosniaque Abdulah Sidran est mort samedi dernier à l'âge de 79 ans.
Après les films que j'avais réalisés à Sarajevo pendant le Siège en 1993 dans le cadre de Sarajevo: a street under siege, dont Le sniper, j'avais commis deux ans plus tard avec Corinne Léonet un disque non-benefit au profit de la reconstruction de la Bibliothèque de la ville martyre. L'un comme l'autre avaient eu un succès considérable. Pour unifier les pièces du CD Sarajevo Suite auxquelles participèrent les musiciens Lindsay Cooper, Henri Texier, Dee Dee Bridgewater, le Quatuor Balanescu, Willem Breuker, Louis Sclavis, Pierre Charial, Mike et Kate Westbrook, Linda Sharrock, Wolfgang Puschnig, Un Drame Musical Instantané, Phil Minton, Bruno Chevillon, Chris Biscoe, Noël Akchoté, Sébastien Texier, Bojan Z, Tony Rabeson, Thomas Bloch, Gérard Siracusa, Michèle Buirette, Bernard Vitet et moi-même, Dean Brodrick, Brian Abrahams, Carol Robinson, Michel Godard, Emil Krsitof, Lorre Lynn Trytten, Richard Hayon, j'avais choisi les poèmes d'Abdulah Sidran comme fil conducteur. Il y dit d'ailleurs lui-même Slijepac Pjeva Svome Gradu quand ce ne sont pas Jane Birkin, Bulle Ogier ou André Dussollier qui s'y collent merveilleusement. Sur scène Claude Piéplu assumait leurs rôles à tous les trois !
Avant la guerre, le poète avait été le scénariste d'Emir Kusturica pour Te souviens-tu de Dolly Bell ? et Papa est en voyage d'affaires. Il avait ensuite coécrit celui du film Le Cercle parfait d'Ademir Kenović pour lequel Bernard Vitet et moi avions écrit la musique, mais qui fut remplacée brutalement par un jeu de pouvoir financier qui avait disparu pendant le Siège, période paradoxale où les habitants ne parlaient que philosophie et poésie. J'y avais rencontré ce qu'il y avait de plus terrible et de plus beau dans l'humanité. Abdulah a rejoint Corinne, Lindsay, Willem, Linda, Claude, Bernard et tant d'autres.

The Peacock, hommage à Zoltán Kodály


Ce n'est pas facile pour des Hongrois de rendre hommage à l'un de leurs plus célèbres compositeurs en alternant certaines de ses œuvres chorales et des pièces originales composées par des membres du big band de jazz dirigé par Kornél Fekete-Kovács, le Modern Art Orchestra, surtout lorsqu'on sait que leur héros national, Zoltán Kodály, n'appréciait pas vraiment le jazz ! Une vingtaine de musiciens donc, dont le trompettiste Gábor Subicz, les saxophonistes-flûtistes János Ávéd et Kristóf Bacsó, le tromboniste Gábor Cseke et le chef et trompettiste lui-même ont composé des pièces qui répondent à un grand chœur de près de cinquante interprètes, le Kodály Choir dirigé par Zoltán Kocsis-Holper. Ajoutez les voix de Kriszta Pocsai et Milán Szakonyi et vous aurez une vision de cet ensemble qui danse sur des œufs peints. Ce n'est pas facile parce que Zoltán Kodály est une figure de proue de l’ethnomusicologie et de l’éducation musicale hongroises. Il a donc fallu autant de courage que d'humilité pour alterner les pièces chorales du compositeur de Háry János et des instrumentaux d'un jazz plutôt classique. S'il s'agit souvent d'alterner les deux, les instrumentistes et les chanteurs se retrouvent de temps en temps, le chœur élargissant l'espace orchestral par ses harmonies célestes. On sent pourtant bien qu'il y a deux temps, deux époques, deux quartiers, deux manières d'envisager la musique, même si l'alternance fonctionne très bien. C'est d'ailleurs de plus en plus courant, à l'instar des merveilleux programmes de Patkop, la violoniste Patricia Kopatchinskaïa. Pour des publics non œcuméniques, cela tient de l'initiation, rôle pédagogique qu'endossent quelques musiciens qui n'ont aucune frontière. La démarche ne peut que me plaire.

→ Modern Art Orchestra & Kodály Choir, The Peacock - Tribute to Zoltán Kodály, 2CD BMC, dist. Socadisc

lundi 25 mars 2024

Unknown Winter pour guitare, sax ténor et trompette


Le nouveau disque composé par Hasse Poulsen porte aussi les noms du sax ténor Fredrik Lundin, un autre Danois, et du trompettiste polonais Tomasz Dąbrowski. Cet Unknown Winter est un pont entre les pièces libres du guitariste et ses chansons. Pas de voix ici, mais la guitare classique, ou éventuellement une guitare-mandole à l'archet, confèrent au trio une sonorité de musique de chambre. On oscille entre l'apaisement souvent et parfois l'énervement, pas les nôtres, mais de la musique. Retenue, faite de solos, duos, trios, toujours ensemble, elle plane au-dessus de vastes plaines enneigées, réchauffée par un feu apprivoisé. Comme un citron givré. qui fait chaud au cœur parce qu'il rappelle de vieilles histoires. Ou bien un choral instrumental moderne.

→ Hasse Poulsen - Fredrik Lundin – Tomasz Dąbrowski, Unknown Winter, CD BMC enregistré à Budapest, dist. Socadisc

samedi 23 mars 2024

La Sourde des oreilles jusqu'aux yeux


Je terminais mon article du 27 septembre 2021 sur le spectacle Concerto contre piano et orchestre par "si La Sourde (c'est le nom de cet orchestre incroyable) passe près de chez vous, ne le ratez pas !". Ils sont de retour au Théâtre de L'Athénée jusqu'au 29 mars. Alors vous savez ce qu'il vous reste à faire !

Comment faire vivre un orchestre d'une vingtaine de protagonistes sans subventions ? Comment assurer des salaires décents et préserver l'extraordinaire enthousiasme de tous les musiciens ? Quelle structure culturelle y verra l'opportunité de présenter un spectacle exceptionnel qui enchante aussi bien les petits que les grands ? Ces questions peuvent sembler bizarres sous la plume numérique d'un compositeur, mais je me souviens encore une fois de Jean Cocteau dans l'impossibilité de se comprendre avec un producteur. Celui-ci voulait parler art quand le poète ne pensait qu'à l'argent qu'il lui fallait pour mener à bien son projet. Pendant six ans j'ai fait exister le grand orchestre du Drame en réduisant le nombre de répétitions pour ne pas exploiter les musiciens au détriment de la qualité du jeu. J'admire d'autant plus la qualité de celui de La Sourde. Ils et elles sont seize sur scène, tous et toutes excellents interprètes, tous et toutes d'une extrême bienveillance les uns pour les autres, et donc pour l'ambitieuse prouesse de jouer un Concerto contre piano et orchestre de Carl Philipp Emmanuel Bach, deuxième fils survivant de Jean-Sébastien, en étendant sa douzaine de minutes initiales à un spectacle contemporain qui explose l'espace scénique et rend intemporelle la musique en en réveillant le millésime.


Ils s'y sont mis à quatre pour écrire ce nouveau spectacle. Avant l'été j'avais adoré la reprise au Théâtre de l'Aquarium à Vincennes de la pièce Le Crocodile trompeur / Didon et Enée de Samuel Achache et Jeanne Candel. Si Achache est un brillant metteur en scène qui interroge chaque fois l'espace scénique et les mouvements qui s'y déploient, on le trouve ausi à la trompette dans cet orchestre de solistes qui font corps. Antonin-Tri Hoang, ici au saxophone alto et à la clarinette basse, avait collaboré avec lui pour Chewing Gum Silence et Original d'après une copie perdue. La pianiste Ève Risser, qui forme duo avec Hoang entre autres dans Grand Bazar, participait d'ailleurs à ce dernier. Quant au clarinettiste Florent Hubert, il avait déjà collaboré avec Achache et Candel pour de nombreuses pièces de théâtre. La musique est histoire d'amitié, de partage tout au moins, et le reste de l'orchestre n'échappe pas à ces retrouvailles heureuses autour d'un projet ambitieux qui sonne si léger tant il coule de source.


La source est baroque, musique du XVIIIe siècle d'un compositeur admiré par Haydn, Mozart et Beethoven. Source encore, l'introduction parlée du percussionniste Thibault Perriard devant le rideau de fer qui s'interroge sur la musique et ce qui la meut, comme je le fais, certes avec moins d'humour, au début de cet article. Et puis les cordes entrent en scène, violons (Marie Salvat, Boris Lamerand), violes de gambe (Étienne Floutier, Pauline Chiama), violoncelles (Gulrim Choï, Myrtille Hetzel), archiluth (Thibaut Roussel), contrebasses (Matthieu Bloch, Youen Cadiou), augmenté du cor naturel (Nicolas Chedmail). Je vole à l'irremplaçable Jeff Humbert l'apparition de la pianiste, de dos, derrière la petite porte qui s'ouvre dans le rideau de fer doré. Le Théâtre de l'Athénée est évidemment rouge et or, typique d'une salle à l'italienne, avec ses cariatides et sa coupole en faux ciel, restes de l'Eden-Théâtre. Depuis une loge située derrière nous qui sommes à la corbeille, Jeff capte discrètement les mouvements de l'orchestre avec son téléobjectif. L'amateur, biologiste de profession, donne à entendre ce que les professionnels ne voient plus, comme les journalistes dont l'absence est souvent comblée par les blogueurs. Mais les belles photos en couleurs sont de Joseph Banderet. Tout au long du spectacle, Perriard tient le rôle du clown musicien. C'était mon préféré lorsque, enfant, j'allais au cirque. Il monte et démonte, mime et soutient. Ève Risser, soliste du concerto, ne se prive pas de ses préparations magiques qui transforment le piano en gamelan et percussion. Soudain, ses camarades accourent, virevoltent et lui prêtent mains fortes sur le clavier. Le concerto, pourtant joué dans l'ordre de ses trois mouvements, est déstructuré par des digressions délicatement amenées. Les cuivres s'y mettent, trompettes (Olivier Laisney, Samuel Achache), clarinettes et saxophones (Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert), flûte (Anne-Emmanuelle Davy) et le cor qu'on entend bien pour une fois qu'il ne participe pas simplement au timbre...


D'un mouvement à l'autre, l'orchestre se déploie sur scène de tant de façons que l'on se demande pourquoi les scénographies sont habituellement si pauvres quand il s'agit de placer les musiciens. Ils jouent assis, ils jouent debout, ils se déplacent et tout fait sens. Une fugue arbitraire (clin d'œil à Papa Bach ?), un menuet, oui mais aussi une sortie aylerienne de sax alto, un chorus de trompette, des illusions d'optique sonore s'insèrent dans les mouvements "bis" où la musique ancienne retrouve une nouvelle jeunesse. L'art n'a pas d'âge. Les lumières de César Godefroy et les uniformes de Pauline Kieffer participent à cet étrange ballet de musiciens qui nous entraîne loin des conventions tant théâtrales que musicales. Comme souvent j'ai cherché des cousinages : Kagel (à la récré) évidemment, Berio (son Orfeo de Monteverdi enregistré à France Musique, jamais retrouvé), le Winterreise de Schubert par Hans Zender ou la version arrangée par René Lussier et Vincent Gagnon, les dérapages d'Uri Caine... Alors, si La Sourde (c'est le nom de cet orchestre incroyable) passe près de chez vous, ne le ratez pas !

→ Concerto contre piano et orchestre de Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser avec l'Orchestre La Sourde

mercredi 20 mars 2024

Lionel Martin & Sangoma Everett s'adressent au monde


Letter To The World, rien que ça ! C'est qu'il y a de quoi. Lionel Martin & Sangoma Everett enfoncent le clou. Bien profond, avec l'urgence que leur confèrent les circonstances et la sagesse des anciens. Les références de leur nouveau disque sont nombreuses. Cela vient du choix du répertoire évidemment, même si le saxophoniste lyonnais et le batteur américain assument leurs racines bluesy avec la distance de leurs propres sentiments, favorisant de nouveaux rameaux. Leur Who Knows de Jimi Hendrix a en effet quelque chose du Band of Gypsys et Afro Blue de Mongo Santamaria a forcément un parfum coltranien. Il y a cinq ans ils enregistraient déjà Revisiting Afrique, mais sans les voix. Celle de Sangoma Everett, qui fut chanteur de soul avec The 35th Street Gang, ou celle de Sophia Companion sur un poème d'Emily Dickinson qui donne son titre à l'album. Si le passé est assumé, du poème à Polo qui est parti et force Sangoma à parler aux murs à Ni dieu ni maître, hommage de Lionel à Jean-Louis, son beau-père, l'espoir habite le futur avec No Guns ou À la recherche du temps futur qu'il a composés.


L'anarchie, une rage de vivre, souffle à nouveau depuis qu'il a rempilé avec Fanxoa, le chanteur des Béruriers Noirs, et qu'est déjà annoncé un second vinyle de No Suicide Act, un autre duo, punk rock cette fois, mixé par Disque Noir. Violence des paroles contre la violence du monde. Fanxoa n'y va pas de main morte. À La nuit noire répond Manifeste No Suicide. Sur les uns comme sur les autres, Lionel commande des machines, en nuages ou caillasses, contrepoint pluriel de son saxophone, lyrique et généreux.

→ Lionel Martin & Sangoma Everett, Letter To The World, LP Ouch!, 24€ (9€ numérique, 8€ handmade CD), sortie le 5 avril 2024
No Suicide Act, LP Ouch!, 18€ (7€ numérique)

lundi 18 mars 2024

CODEX sur Bad Alchemy #123


Article de Rigobert Dittmann traduit de l'allemand tant bien que mal par mes soins !
Après le violoniste Mathias Lévy dans Apéro Labo 1, la suite intitulée Codex (digital) accueillera le 18 février au studio GRRR MAËLLE DESBROSSES à l'alto, voix, appeaux & percussions, qui, elle-même membre des trios Suzanne et Ignatius et tête pensante de Maëlle et les Garçons, a joué et enregistré "Les Démons Familiers" de Lévy. On retrouve également FANNY METEIER au tuba et à la voix, la partenaire de Desbrosses dans le duo Météore ; elle avait déjà réalisé "Raves" avec JJB sur la base des 'Oblique Strategies'. JJB a rédigé son portrait pour Citizen Jazz dans le cadre de la Journée Internationale des Femmes et suggéré des tableaux de Paul Klee, Kandinsky ou des Delaunay comme partitions idéales pour son tuba. Mais ici, c'est le "Codex Seraphinianus" qui sert de base, l'encyclopédie de choses imaginaires de l'artiste, illustrateur et designer romain Luigi Serafini, publiée en 1981 et saluée comme "le livre le plus étrange du monde". Ce mélange détonnant du manuscrit de Voynich, de Bosch, de Borges et des Monty Python est un assemblage parfait pour alimenter et défier l'imagination. Ainsi, dans une spontanéité improthéâtrale, les trois musiciens se sont essayés à mettre en musique l'étonnant et l'incompréhensible d’après 7 illustrations choisies par le public - un véhicule-mouche qui se désagrège, un étrange jeu d'amour et de crocodiles, une écriture énigmatique, des poissons-robinet, des fleurs imaginaires, un numéro de cirque fantastique, des œufs surréalistes. Le fait que JJB ait pour cela élargi sa panoplie de jouets - clavier, Enner, Terra et Tenori-on - Le fait que l'artiste ait prêté une arbalète en laiton et plexiglas à Desbrosses, ajoutant flûte, criquet, triangle, chuchoteur, trompette à anche ne doit pas étonner. Même si l'image et le son restent droits dans leurs bottes, la recherche d'analogies sonores par des gestes, pincements, tintements, pinceaux et même en utilisant la bouche, donne à cette peinture électroacoustique de ce dimanche, à ce soundscaping miraculeux, un attrait ludique et une note extra curieuse. Le fait que JJB admire des femmes comme la compositrice Gloria Coates (1933-2023), mais surtout Hector Berlioz en tant que lien entre Rameau et Varèse, est plus qu'une simple note en bas de page. Il déclare même que ses poèmes symphoniques, ses symphonies à programme et surtout son mélologue "Lélio ou Le retour à la vie" (une mosaïque d'autocitations et un traité autofictionnel qui a révolutionné l'histoire de la musique) sont les précurseurs de sa 'musique à propos'. Et j'ai l'impression que la définition d'A.C. Danto de l'art comme 'rêves éveillés' et son 'aboutness' comme 'à-propos-de' sont sortis d'un des œufs de Serafini.

jeudi 14 mars 2024

Lélio, seconde partie de la Symphonie Fantastique


Je suis absolument enchanté d'écouter enfin une autre version de Lélio ou "le retour à la vie" que celle de Pierre Boulez avec Jean-Louis Barrault comme récitant. Il est tout à fait étonnant que cette seconde partie qui fait suite à la Symphonie Fantastique soit relativement méconnue. Hector Berlioz écrit que l’œuvre « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément. » Ce mélologue ou "monodrame lyrique pour récitant, solistes, chœurs et orchestre" a toujours figuré pour moi les prémisses du théâtre musical moderne. Il anticipe aussi la mode de l'autofiction : la musique sauve le compositeur du suicide après une nouvelle rupture amoureuse ; après l'actrice irlandaise Harriet Smithson qui lui inspire la symphonie et qu'il épousera plus tard, il se fait plaquer par Marie-Félicité-Denise Moke qui se mariera à Camille Pleyel. L'excès d'opium crée ainsi des visions terrifiantes, mais le réveil lui dicte une méditation sur Shakespeare. Le narrateur y incarne Berlioz lui-même, auteur d'un texte rageur réglant ses comptes avec la critique. Il revient sur son œuvre, se citant musicalement, scénographiant l'orchestre hors-champ avant que ne s'ouvre le rideau, allant jusqu'à donner d'astucieux conseils aux exécutants ! S'il emprunte le chœur d'hommes à la cantate La mort de Cléopâtre, la "harpe éolienne" à La mort d'Orphée, on retrouvait déjà dans la Symphonie Fantastique la cantate Herminie, la Scène aux champs et la Marche au supplice présents dans l'opéra inachevé Les francs-juges. Comme une sorte de jubilé moderne il rassemble une mélodie accompagnée au piano, des chœurs, un "chant de bonheur" pour ténor et harpe, une fantaisie avec chœurs et deux pianos à quatre mains ! Son concept de l'idée fixe fonctionne parfaitement avec sa colère. La mise en scène donne son unité à cette mosaïque de pièces musicales. On peut comprendre que Lélio soit rarement représenté comme il le devrait. Ici, peut-être plus qu'ailleurs, l'œuvre apparaît celle d'un visionnaire.
J'ai un grand attachement à Berlioz pour plusieurs raisons. J'entends les poèmes symphoniques ou ses symphonies à programme comme des antécédents à ma "musique à propos". Flûtiste et guitariste, c'est un compositeur quasi autodidacte qui devra produire lui-même ses spectacles, et réinventer l'orchestre en intégrant l'instrumentation et l'orchestration dans la composition (son Traité est un modèle qui révolutionna l'histoire de la musique). Il incarne pour moi le maillon entre Rameau et Varèse.
La version dirigée par Jean Martinon est plus fine que celle de Boulez. Jean Topart en fait moins que Barrault, il est moins exalté, mais j'aime bien les deux, Barrault correspondant bien aux exagérations romantiques de Berlioz.

samedi 9 mars 2024

Apéro Labo : Météore rencontre Birgé (Citizen Jazz)


Jean-Jacques Birgé, Fanny Meteier et Maëlle Desbrosses

Laboratoire musical le plus cool du monde.

Ne prévoyez pas d’aller chez le coiffeur avant un concert d’Apéro Labo chez Jean-Jacques Birgé. Vous risquez d’en sortir ébouriffé. Et oui, parfois la musique passe avant l’allure et les standards trépassent devant tant d’inventivité.

L’invitation ludique et poétique, un brin loufoque indiquait :
« La liberté de l’indépendance pour le plaisir des sens
Concert dans un lieu mythique
Excellentes conditions acoustiques
Délicieuses provisions de bouche
Nos compositions instantanées sont enregistrées en votre présence
Qualité disque »


Tout un programme. Cela n’est pas peu de l’écrire…
Cet évènement qui s’est déroulé par un dimanche endormi de pluie du 18 février dernier, était bien plus qu’un simple programme. Jean-Jacques Birgé recevait en polymathe flegmatique, vêtu d’une combinaison orange tonique, comme tout droit sorti d’une prison où il serait interdit… de ne rien toucher !
Cet homme de l’art, des arts et des sons pleins de surprises, invitait Maëlle Desbrosses à l’alto et Fanny Meteier au tuba. Ce binôme espiègle de musiciennes forme le duo Météore, qui se produira par ailleurs le 2 mai 2024 prochain à l’Atelier du Plateau à Paris.

Le maître mot du maître de maison : « C’est moins que se rencontrer pour jouer que jouer pour se rencontrer ».

Cet Apéro Labo # 2, performance unique et singulière, atypique et follement expérimentale s’est déroulée autour de pages tirées, par quelques mains sollicitées au hasard, du Codex Seraphinianus, un codex écrit vers la fin des années 1970 par Luigi Serafini, auteur de cet ouvrage rédigé en une écriture non déchiffrée et indéchiffrable et illustrée de planches toutes plus fascinantes les unes que les autres.


Les improvisations de ce trio d’un jour se sont ouvertes sur la page des fourmis ailées, puis, une sur planche présentant un étrange jeu d’amour et de crocodile, en passant par des fleurs imaginaires, des œufs surréalistes, des robinets à poissons…

Comment décrire ces images en musique ?
« Ma recherche musicale et ma musique tendent un peu à faire du cinéma pour les aveugles » souffle Jean-Jacques Birgé. On a le plaisir d’assister à une inénarrable envolée de rythmes, de sons et autres onomatopées où toutes sortes d’instruments et d’objets sonores se sont prêtés à une polyphonie, atonale et atemporelle : terra, crécelle, triangle, pomme musicale, hygiaphone, trompette à anche, jusqu’au violon arbalète, instrument hybride et unique… La console de son et les claviers apportent leur rythmes, leur résonances et leur couleurs sous l’oreille avisée et hautement imprévisible de Jean-Jacques Birgé.

L’alto de Maëlle Desbrosses au jeu riche et varié, se laisse même caresser le dos par son archet et chatouiller ses angles. L’embouchure de Fanny Meteier va titiller le pavillon du tuba qui glougloute, soupire, répond, s’afflige, et se laisse explorer de mille façons par la fantaisie de son interprète.

On reste médusé devant leur infatigable curiosité pour les sons et leur exploration. En deux mots, il n’en restera qu’un : encore !

par Vanessa Paparella // Publié le 8 mars 2024

P.-S. : Codex, l'enregistrement du concert sur Bandcamp

vendredi 8 mars 2024

Fanny Meteier, la Marianne 2024 du jazz


J'attendais que Citizen Jazz mette en ligne mon article KUNG FU TUBA sur Fanny Meteier que le magazine en ligne m'a commandé, portrait de la jeune tubiste choisie pour représenter la France lors de cet International Women's Day. Comme il serait indélicat de leur couper l'herbe sous le pied en le reproduisant ici avant eux et que nous sommes le 8 mars, je vous renvoie aux sept autres sites européens qui l'ont traduit. Oui, je sais bien qu'un jour sur 366 pour fêter les femmes (cette année est bissextile), c'est un peu has been (là, pas très bissex). Mon texte est donc aussi en français sur JazzMania (Belgique) et traduit dans six autres langues sur Jazz'halo (Belgique), London Jazz News (Grande-Bretagne), Jazz-Fun (Allemagne), Giornale della musica (Italie), In&Out Jazz (Espagne) et Donos Kulturalny (Pologne). Même chose pour les belles photographies d'Aurore Fouchez ou France Paquay qui l'illustrent... Ainsi ai-je opté pour une autre photo que j'aime beaucoup. JJGFREE l'a prise lors du concert que nous avons partagé avec Fanny, Maëlle Desbrosses et moi-m'aime le 18 février dernier au Studio GRRR. L'album, inspiré par l'ouvrage de Luigi Serafini, s'intitule Codex.
Mais Fanny Meteier n'est pas toute seule ce 8 mars. Dans le cadre de ces Giant Steps : Women to the Fore IWD#2024 elle partage l'affiche avec sept autres musiciennes, chacune sélectionnée par son propre pays : les saxophonistes Alejandra Borzyk, Matylda Gerber, Asha Parkinson, la batteuse Evita Polidoro, la chanteuse Miriam Ast et la contrebassiste Alejandra López.


Lorsque vous pourrez lire mon texte, comme les sept autres, sur Citizen Jazz, il sera probablement accompagné d'un petit article rédigé par Vanessa Paparella, dans le même numéro, concernant le concert qui a donné naissance à l'album Codex ! Mais j'ignore si KUNG FU TUBA sera mis en ligne aujourd'hui, jour commémoratif de la portion congrue accordée à la gente féminine ou lundi, jour de parution de chaque nouveau numéro de l'excellent et incontournable magazine. J'ajoute que le nombre de musiciennes jouant d'absolument tous les instruments possibles et imaginables ne fait qu'augmenter de jour en jour, qu'elles y développent des voix personnelles, que la création artistique s'en porte d'autant mieux et que Citizen Jazz n'a pas attendu ce jour pour les glorifier.

P.S.: À 14h pétantes, Citizen Jazz mettait en ligne le dossier Fanny Meteier ! À commencer, par mon article intitulé KUNG FU TUBA. Mais également le compte-rendu de notre Apéro Labo, concert avec l'album Codex à la clef, et mes parties de campagne avec le CD Pique-nique au labo 3...

jeudi 7 mars 2024

Bernard Vitet trompette dans Jazz magazine


Une photo de Bernard imberbe que je ne connaissais pas illustre l'article de Stéphane Ollivier dans le numéro spécial TROMPETTE de mars 2024 de Jazz Magazine. Il fait partie du chapitre "Hard-bop, avant-garde, évolution & révolution".

Bernard Vitet
1934-2013
Styliste élégant aux phrases magnifiquement équilibrées mais surtout grand aventurier de la musique sous toutes ses formes, Bernard Vitet, en quête toujours de nouveaux espaces et moyens d’expression, aura été de toutes les métamorphoses du jazz français. Abandonnant peu à peu le bebop des clubs pour le free jazz naissant et les séances de requin de studio (Bardot, Gainsbourg) au profit d’artistes plus marginaux (Brigitte Fontaine, Colette Magny), Vitet participera successivement et simultanément aux hybridations du jazz avec la musique contemporaine (avec Parmegiani, Aperghis et pour son propre compte dans son disque culte “La Guêpe”), la musique improvisée la plus radicale (au sein notamment du Unit de Michel Portal), jusqu’à prendre définitivement la tangente en 1976 en créant avec Jean-Jacques Birgé et Francis Gorgé, Un Drame Musical Instantané. Au sein de ce petit laboratoire ludique ce grand inventeur de forme (et d’instruments !) trouva finalement l’espace idéal où donner libre cours à ses plus géniales fantaisies.

3 DISQUES ESSENTIELS
François Tusques Free Jazz IN SITU, 1965
Bernard Vitet : La Guêpe FUTURA, 1971
Un Drame Musical Instantané : Machiavel GRRR, 1998
3 SOLOS CULTES
Trop d’adrénaline nuit Un Drame Musical Instantané : Trop d’adrénaline nuit GRRR, 1977
No No But It May Be Michel Portal Unit : Châteauvallon 1972 EMARCY 2003
Le silence éternel des espaces infinis m’effraie Un Drame Musical Instantané : Mehr Licht GRRR, on line 2012 / Tchak ! à paraître sur Klanggalerie

mercredi 6 mars 2024

Gloria Coates, compositrice américaine


Le DJ saturait les enceintes. Ma tête ressemblait à une citrouille. Je suis descendu dans le jardin rejoindre les fumeurs, quitte à attraper la crève. [...] Au clair de lune, devant les bambous, je rencontre Alex qui partage mon goût pour Ives, Ligeti, Scelsi et quelques autres atypiques... En rupture d'avec ses études classiques il a plongé dans la composition instinctive. Ma démarche aboutit au même point, mais en passant par le terrain ! Dans la conversation il évoque une compositrice américaine dont il est fan et dont je n'ai jamais entendu parler, Gloria Coates.


Née en 1938 dans le Wisconsin, vivant aujourd'hui à Munich [depuis cet article du 9 mai 2012, Gloria Coates y est décédée le 19 août 2023 à 89 ans], elle affectionne particulièrement les glissandi chers à Penderecki (première période) et Xenakis, les timbales venant souvent donner du gras aux cordes. Sa musique n'a pas la froideur des férus de mathématiques. Les sentiments dramatiques flottent au-dessus d'un océan lugubre. Les pièces pour orchestre, à la fois minimalistes et aux textures insaisissables, conviennent particulièrement à sa critique du monde. Gloria Coates joue des dissonances, quarts de ton, canons et palindromes sans ne jamais négliger de susciter de fortes émotions. On pense au Hongrois et à l'Italien évoqués plus haut ainsi qu'aux Américains qu'elle se charge de faire connaître en Allemagne. À son actif, quinze symphonies, neuf quatuors, des pièces vocales et chorales, de la musique électronique, quantité d'autres alliages et les tableaux qui ornent ses pochettes. Je me suis fié à mon interlocuteur et j'ai commandé tout ce qui était disponible. S'annonce un festival Coates en ma demeure.