70 Musique - août 2023 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 30 août 2023

La harpe éolienne


Bernard Vitet conçut de nombreux instruments extraordinaires au cours de sa vie, des flûtes chromatiques en plexiglas et des faisceaux de trompes accordées, des claviers de limes, de poêles, de pots de fleurs et des marimbas géants, la célèbre trompette à anche ou le cor multiphonique, le frein (contrebasse à tension variable) et l'alto à sillets, et bien d'autres dont les plus étonnants furent le pyrophone (orgue à feu) et une vielle à roue construite dans un caddy qui nécessitait qu'on le pousse pour en jouer ! J'en possède quelques vestiges. Mais la harpe éolienne est restée au stade du projet.
Or je découvre la sculpture sonore de Thomas Ward McCain sur un disque enregistré en 1972. Les séquences évoluent d'abord selon les saisons, puis les éléments s'en mêlent, mais j'ai l'impression que ce nouveau cycle joue plutôt sur les titres, Robert Archer, Garlo et Sverre Larsen prêtant main forte au concepteur, une bande de hippies prônant le retour à la nature ! Le Vermont est plus au nord que la Nouvelle Angleterre, mais ce projet aurait plu aux Transcendantalistes. Après quelques années d'émerveillement pour celles et ceux qui s'allongèrent dessous, la Chelsea Wind Harp fut abîmée par des gamins s'amusant à grimper dessus et, McCain devenu moine bouddhiste, plus personne n'étant là pour l'accorder et la réparer, elle finit en pièces détachées quelque part dans une grange. Il semble qu'elle ait été reconstruite récemment à Hopkinton dans le New Hampshire. Comme à l'époque, des vaches paissent autour à Owen Farm.
Cet instrument géant surplombant une colline me rappelle d'une part le son céleste du pyrophone de Bernard, et d'autre part la machine construite par Michael Snow, dans la région Côte-Nord du Québec, pour filmer La région centrale. Assister aux trois heures de ce film incroyable dans le sous-sol du Théâtre du Ranelagh avait été pour moi une expérience déterminante lorsque j'avais 19 ans, étudiant à l'Idhec. The Wind Harp, song from the hill, au pouvoir apaisant, est un album incontournable pour les amateurs de drone. Un CD est ressorti en 2012 sous le titre The Vermont Wind Harp.

lundi 28 août 2023

Étienne Mineur découpe le Poudingue


Étienne Mineur raconte qu'il "travaille sur le design de la pochette d’un vinyle (!), et, maintenant que l’utilisation des intelligences artificielles génératives est totalement intégrée dans mes outils graphiques, je travaille de plus en plus « à la main », avec du papier découpé, de la photocopie, du collage, du papier déchiré… bref je retourne vers le tangible (en opposition au numérique) avec grand plaisir."
C'est la pochette du vinyle La preuve du groupe de rock POUDINGUE composé de Nicolas Chedmail, Frédéric Mainçon et moi-même. Étienne s'est inspiré de la musique et d'une gravure que Nicolas a choisie (Les gros poissons mangent les petits de Pieter van der Heyden, d’après un dessin de Bruegel l’Ancien, lui-même inspiré par Hieronymus Bosch). Comme quoi, bien avant l'IA, on créait déjà du neuf avec du vieux...
La preuve est dans le pudding est une expression de Friedrich Engels qui signifie que la valeur, la qualité ou la vérité de quelque chose doit être jugée sur la base d'une expérience directe ou de ses résultats. L'expression est une modification d'un ancien dicton qui rend le sens un peu plus clair : la preuve du pudding, c'est qu'on le mange.
Vu que ça rime et que j'ai devant les yeux les premiers essais qui en découlent, je suis aux anges !
Étienne avait déjà réalisé les pochettes du CD du trio El Strøm, de celui de mon Centenaire (chez GRRR comme La preuve) et de la réédition de L'homme à la caméra (chez Klanggalerie). C'est le premier vinyle que nous faisons ensemble. 30x30cm c'est tout de même plus sympa pour les graphistes 😉
Tirage limité à 300 exemplaires.
Sortie prévue fin novembre car les presseurs demandent 3 mois de délai minimum, et encore on en a trouvé un génial, certains demandent 13 mois...

vendredi 25 août 2023

Buenaventura Durruti : Vivan las utopias !


Elsa avait onze ans. Nous lui avions fait chanter ¡ Vivan las Utopias ! en référence au ¡ Vivan las Cadenas ! (Vive les chaînes ! À bas la liberté !) anti-napoléonien repris par Luis Buñuel au début de son film Le Fantôme de la liberté. Bernard Vitet avait mis mes paroles en musique. J'aimais le décalage entre la voix d'enfant, la détermination du texte et la musique festive.

Quinze ans plus tard [soit 27 ans après sa première publication, puisque cet article date du 10 juin 2011], le label nato réédite l'album Buenaventura Durruti, œuvre collective à l'initiative et sous la houlette de Jean Rochard. Un superbe livret de 136 pages accompagne le double CD : nouveaux textes, nouvelle présentation, mise en page noire et rouge pour ce sublime hommage à l'anarchiste espagnol mort à Madrid en 1936. La musique est la même, trente six plages où viennent naître et mourir les vagues de la révolution espagnole.

Mon père s'était engagé dans les Brigades Internationales, mais une crise de rhumatismes articulaires aigus l'empêchèrent de partir. Aucun de ses camarades n'en est revenu. Nous avons boycotté l'Espagne jusqu'à la mort de Franco en 1975. En souvenir de sa jeunesse et de la Résistance je n'ai jamais eu d'autre choix que de m'engager lorsque les occasions se sont présentées.

Si je sens plus de nostalgie que de rage dans ces deux heures incandescentes, n'est-ce pas à cause de l'occasion manquée, du gâchis impardonnable dont sont responsables les "démocraties" européennes et, pire, la trahison de Staline ? Hitler en conclut qu'il aurait les coudées franches. Il n'empêche que les artistes présents sur les deux galettes sont merveilleusement inspirés. Les nommer tous est impossible, alors je me souviens des voix d'Abel Paz, Violetta Ferrer, Nathalie Richard, Lucia Récio, Anna Vilás, Beñat Achiary, Phil Minton, Kader L'Aktivist, des pianos de Tony Hymas et Benoît Delbecq, des guitares de Noël Akchoté, Marc Ducret, Jean-François Pauvros et Raymond Boni, des clarinettes de Tony Coe, Carol Robinson et Sylvain Kassap, des saxophones d'Evan Parker et Guillaume Orti, des instruments basques de Michel Etchecopar, du oud d'Alla, des contrebasses d'Hélène Labarrière et Dave Green, des percussions de Steve Argüelles et Mark Sanders, du duo Pifarély Couturier, du Ladybones Trombone Quartet et de la Marmite Infernale... Sans compter ceux qui accompagnèrent Elsa au sein d'Un Drame Musical Instantané : François Corneloup au soprano et au baryton, Herné Legeay à la guitare, Michel Godard au tuba, Xavier Desandre-Navarre aux percussions, Bernard à la trompette et moi rythmant tout cela à la machine à écrire, chatouillant ma fille qui épata tout le monde en filant la chanson d'une traite, mais demandant à reprendre le troisième pied de tel vers qu'elle ne trouvait pas assez juste !... Près d'une centaine de musiciens célèbrent la résistance, des auteurs aussi, de Durruti, Emma Goldman, Carl Einstein, George Orwell, Lucia Sánchez Saornil à Philippe Carles, Stéphane Ollivier, etc. Mais il est une chose terrible, je suis incapable de me souvenir du nom de tous les Espagnols présents sur les deux disques. L'oubli est criminel.

Buenaventura Durruti est un album incontournable, une des plus belles réalisations de nato dont les compilations sont légendaires, œuvres à thème rassemblées par MC JR, tels Godard ça vous chante ?, Vol pour Sidney, Les BO du journal Spirou, Les films de ma ville, Joyeux Noël, la trilogie amérindienne de Tony Hymas et mon préféré, nouvellement réédité également, Les voix d'Itxassou de Tony Coe, sans oublier Le Chronatoscaphe, livre-objet d'une densité inégalée dont je réalisai les cinquante interludes !



En bonus, les paroles de ¡ Vivan las Utopias ! en tapant sur "Lire la suite"...

Lire la suite

mercredi 23 août 2023

L'album "Par terre" sur la revue allemande Bad Alchemy


À peine rentré du Maroc (où sa fille Elsa et Linda Edsjö, soit leur duo Söta Sälta, se produisaient à Tétouan dans un spectacle du Spat’ sonore), JJB avait déjà de nouveaux invités, pour une nouvelle série d'Oblique Strategies. Le 11/7 le voilà donc avec le saxophoniste MATTHIEU DONARIER, qui avait rejoint Alban Darche et Yolk Records à Nantes, où d'ailleurs il est né en 1976, et qui a improvisé Bestiaire #01 | Explorations en quartet avec Eve Risser, et EMMANUELLE LEGROS, qui souffle dans sa trompette à Lyon au sein du Very Big Experimental Toubifri Orchestra et avec son trio, Tatanka. Les consignes sont du genre : 'La chose la plus importante est la chose qu'on oublie le plus facilement', 'Trois couleurs inacceptables', 'Continuez comme ça' ou 'Dans l'obscurité ou une très grande salle, silencieusement' [In the dark or a very large room, silently]... C'est ainsi qu'est né Par terre (07/23, digital), Legros jouant aussi du bugle et d’une trompe africaine, Donarier d’un piano-jouet, et les deux aux percussions, et Birgé aquarellant une palette de couleurs sonores avec ses claviers, sa trompette à anche, des flûtes, une guimbarde et différents violons, et où les oiseaux se mettent même à gazouiller. La guimbarde évoque des grillons marocains, le son du triangle est chatoyant, les cuivres claironnent dans le bleu, JJB fait apparaître comme par magie des sons orchestraux, joue de la flûte, frappe les clés comme s'il jouait du xylophone, il flirte avec un groove de basse électrique fantôme, expulse des nuages d'électronique comme une pieuvre. Legros vocalise sur une boîte à musique, rampe et manipule des percussions, se fondant aux couleurs jazzy ou classiques, de manière séduisante et décontractée. Soit un art brut fragile et des tonalités surréalistes, rêvées les yeux ouverts. [BA 121 rbd] Traduction de l'article de Rigobert Dittmann comme j'ai pu !

→ Birgé Donarier Legros, Par terre, également sur Bandcamp
Article du blog à l'occasion de la sortie de l'album !

mardi 22 août 2023

Quand les musiciens de jazz (s')écrivent


Quand les musiciens de jazz (s')écrivent, l'ouvrage publié sous la direction de Pierre Fargeton et Yannick Séité, sort enfin aux Éditions Hermann après quelques années de glanage qui auront permis de remplir ce recueil de 400 pages où l'on découvrira leur travail, mais aussi des textes de journalistes, d'historiens et de musiciens. Si les autres contributeurs se nomment Philippe Baudoin, Christian Béthune, Adriana Carrillo, Vincent Cotro, Brent Hayes Edwards, Ludovic Florin, Martin Guerpin, Yohan Giaume, Philippe Gumplowicz, Pim Higginson, Frederico Lyra de Carvalho, Leïla Olivesi, Alexandre Pierrepont, Alyn Shipton, Benoît Tadié et Cyril Vettorato, on trouvera des traductions de textes de Lennie Tristano, Charlie Christian et William Parker. Et comme aux autres musiciens littérateurs, Didier Levallet, Dan Vernhettes, Raphaël Imbert, Jacques Siron et Laurent Cugny, Fargeton et Séité m'ont posé la question "Pourquoi écrivez-vous?". Je livre plus bas le texte intitulé Je n’ai pas le choix ! que j'ai amendé ici pour les raisons que j'y invoque, à savoir que contrairement au papier la publication en ligne permet les corrections et l'immédiateté, et qu'après trois ans, à la relecture, je préfère en améliorer le style !
L'ouvrage a beau être universitaire, il n'en demeure pas moins accessible à tous et toutes. Il s'articule en quatre parties, Les musiciens de jazz et la presse, Les musiciens de jazz par le texte (correspondances, chroniques, [auto]biographies), Pédagogues et théoriciens, Écriture du jazz et poetry. On croise ainsi la rivalité de Jerry Roll Morton contre W.C. Handy, l'autobiographie de Louis Armstrong, Duke Ellington entendu par Claude Carrière, la question des ghostwriters (dans le temps appelés nègres !) autour de Danny Barker et Doc Cheatham, de Jelly Roll Morton, Mezz Mezrow et Billie Holiday, la correspondance de Bobby Jaspar et André Hodeir, les essais pédagogiques de Jimmy Giuffre, Dave Liebman, Jef Gilson, Bill Russo, Roger Chaput, Pierre Cullaz, George Russell ou Chick Corea...
La préface esquisse nombreuses ouvertures développées par les uns ou les autres, y compris des voies passionnantes qui n'ont pas forcément été creusées ici. Quatre cents pages de cette densité ne se dévorent pas en un jour. Je vais y mettre le temps, commençant par les sujets qui résonnent naturellement en moi : Albert Ayler et le basculement du free jazz, la défense de la guitare électrique par Charlie Christian en personne, les voyages de Louis Moreau Gottschalk, le mystère qu' a toujours représenté pour moi (j'avoue) l'attrait de tant de mes camarades pour Steve Coleman, la boussole de Pierrepont, le Black Case de Joseph Jarman, la poésie de Sun Ra, etc. Donc plutôt la dernière partie du bouquin, car j'ai toujours l'habitude de commencer par ce qui m'est le plus proche pour remonter le temps afin de comprendre comment on en est arrivés là. Détail de taille, les illustrations en couleurs sont des petites madeleines qui font rêver...

JE N'AI PAS LE CHOIX !
L’écriture peut revêtir des formes très variées. La littérature est cousine de la composition musicale. Pratiquant celles-ci, mais aussi d’autres qu’on affuble des adjectifs « cinématographique » ou « interactive », j’imagine que ma déception du monde tel qu’il m’était offert m’a poussé à en inventer un nouveau, critique ou fruit de mon imagination.
En ce qui concerne celle qui nous occupe ici, je pense qu’à l’origine ma timidité m’entraîna d’abord à m’exprimer en vers pour avouer mes émois sentimentaux. J’ai commencé aussi par des chansons, car j’étais un des rares élèves de mon lycée à parler anglais, puis, à partir de 1981 je me suis mis à écrire sur des tas de sujets. Une question me taraudait. Pourquoi faisions-nous cette musique-là ? Cela m’a obligé à réfléchir et donc écrire. J’ai besoin d’articles profonds sur la musique, mais où les trouver aujourd’hui ?
J’ai toujours voulu être utile, faire des choses qui soient liées à un travail militant. J’ai cherché des musiciens qui étaient engagés politiquement, dès mes débuts. Si je parle politique, c’est parce que tout mon travail est militant.
Je suis en colère contre la presse spécialisée et généraliste, car il y a peu de journalistes qui font correctement leur travail, Peut-être est-ce trop mal payé, et il y a si peu d’endroits où écrire aujourd'hui. J’ai travaillé 10 ans comme co-rédacteur-en chef du Journal des Allumés du jazz, j’ai aussi écrit dans Jazz Mag, Muziq, le Monde Diplomatique, aux Cahiers de l’Herne, etc. En général je choisis des sujets que les autres n’évoquent pas. Un article de journaliste est toujours un portrait en creux, c’est la raison pour laquelle je rédige explicitement mes articles à la première personne du singulier. J’ai toujours essayé de développer un point de vue qui me soit personnel, sinon je m'abstiens.
Ce qui m’intéresse, c’est de défendre les jeunes musiciens (ceux qui ont entre 20 et 55 ans), mais aussi les méconnus. C’est pour cette raison que j’écris. Pas seulement sur la musique et le jazz, mais sur tout et n’importe quoi, comme ça vient ! Il faut bien cela pour tenir le rythme quotidien.
Le délai entre la rédaction et sa lecture me permet de surmonter cette fébrilité de l'instant tanné. La musique est pour moi une autre manière de raconter des histoires en laissant à l’auditeur le soin de se faire son cinéma. Plus tard la rédaction de demandes de subvention m’entraîna à penser à la place de celle ou celui qui me lit ! J'ai heureusement abandonné ce sport administratif il y a trente ans, mais cela constitua un bon entraînement.
L’entrée en blog, comme on entre en littérature, marqua une étape décisive dans cette aventure. Parallèlement à ma contribution à de nombreuses publications papier, en 18 ans j’y ai partagé plus de 5000 articles, tous titrés et illustrés. Cette pratique quotidienne, qui occupe trois heures de ma journée, est un mélange de militantisme solidaire, d’auto-analyse et de laboratoire encyclopédiste. Assumant ma subjectivité, j’essaie d’insuffler du personnel dans l’universel, et réciproquement, tout en privilégiant des sujets non traités ou mal traités par la presse généraliste ou spécialisée. Ignorant la page blanche, je n’écris que lorsque cela vient tout seul.
Ne pouvant empiéter plus sur mon travail de compositeur, je choisis la forme du feuilleton lorsque j’eus envie d’écrire mes deux premiers romans. Fiction et documentaire font la paire. Avoir déjà produit quelque chose lorsque je commence ma journée génère une fluidité où mon enthousiasme coule de source. Comme lorsqu’on siphonne un réservoir !
J'avais de qui tenir. Lorsqu’ils se sont rencontrés, mon père était agent littéraire, il a aidé à lancer le Fleuve Noir, initié la collection de science-fiction Métal, et ma mère était vendeuse en librairie. Mon père avait également été journaliste à France Soir, été correspondant du Daily Mirror à Paris, il avait appartenu au Hot Club de France et il avait produit l'opérette Nouvelle Orléans au Théâtre de l'Étoile avec Sidney Bechet. C'est ainsi qu'à cinq ans j'eus la chance de souffler dans son saxophone soprano sur ses genoux. Un demi-siècle plus tard, j'eus envie de faire une œuvre à partir d’un blog et la meilleure manière d’y arriver était d’en tenir un. Mon blog, qui est publié en miroir sur Mediapart, est devenu un lien social, un lieu d’échange qui m'octroie un lectorat extrêmement large et varié. Il est génial de pouvoir écrire au jour le jour et d’être publié, sans correction intempestive ni rature. Je n’ai aucune aversion pour le papier, bien au contraire, Internet n'étant pour moi qu'un outil parfaitement adapté.
Si je reste très attaché à cette association de producteurs indépendants, j’ai quitté le Journal des Allumés du jazz après un clash : je trouvais qu’on aurait plus d’impact sur Internet avec un journal bilingue, avec des articles postés tous les jours, plutôt que ce que coûtait le papier, en particulier les frais de poste. Cela reste à faire, même si Citizen Jazz remplit partiellement cette fonction.
Je ne pense pas être un musicien "de jazz", bien que certaines méthodes que j'utilise (improvisation libre, valorisation du discours individuel dans une création collective) s'en rapprochent, comme les musiciens et musiciennes avec qui je travaille et m'épanouis. Lorsqu’on me demande de quelle nature sont mes compositions, je réponds que je fais de la musique « barjo », mais que j’en vis depuis 50 ans. J’ignore si mes écrits sont aussi barjos, mais j’essaie toujours de soigner le style.

Quand les musiciens de jazz (s')écrivent, sous la direction de Pierre Fargeton et Yannick Séité, Éditions Hermann, 29€, sortie le 30 août 2023

vendredi 18 août 2023

Le label hongrois BMC nous gâte


BMC sont les initiales de l'excellent label de disques hongrois Budapest Music Center Records fondé en 1998. Il est aujourd'hui ce que fut l'allemand ECM dans le passé, la réverbération omniprésente en moins et de belles pochettes graphiquement plus recherchées ! Le producteur László Gőz, à l'origine tromboniste et enseignant, pioche parmi les plus intéressants musiciens européens actuels qu'il enregistre dans son studio de Budapest, le plus souvent concert à l'appui à l'Opus Jazz Club. Tout a commencé deux ans plus tôt par une bibliothèque musicale chargée de diffuser la nouvelle musique hongroise, sans renier pour autant ses racines profondes dans la musique traditionnelle. Pour la Hongrie ces trois entités gérées conjointement équivalent à une sorte de soft power qui redore le blason d'un pays plus connu pour sa dérive populiste autoritaire aux mains du détestable Viktor Orbán. C'est dans cette perspective catastrophique que se révèlent souvent les mouvements de création les plus prolifiques.
Il y a quelque temps une amie, évoquant son goût pour le jazz, cita Biréli Lagrène comme un des meilleurs jazzmen français. Tout en acquiesçant sur les qualités du guitariste d'origine manouche je ne pus m'empêcher de suggérer que son jazz, certes millésimé, est donc très daté, même pour mon père, né en 1917, qui avait adhéré au Hot Club de France ! C'est hélas une image régulière pour la plupart du grand public qui oscille entre Louis Armstrong et Miles Davis. Je lui expliquai que les jazzmen européens actuels se sont largement démarqués du modèle afro-américain et du swing pour inventer une pléthore de musiques créatives qui n'ont de commun avec le jazz que la liberté individuelle de chaque interprète au sein du groupe. Cela le différencie du rock qui est essentiellement une musique de groupe où l'improvisation tient rarement autant de place. L'enseignement de ces nouveaux jazz prodigué dans les Conservatoires y est pour beaucoup, même si les autodidactes sont nombreux. C'est dans ce vivier de jeunes musiciens et musiciennes talentueux/ses que va puiser László Gőz qui a déjà produit plus de 200 références allant du classique contemporain aux musiques les plus innommables, à savoir qu'aucun nom ne peut les résumer. C'est probablement aussi ce qui les cantonne à des niches appréciées par des afficionados beaucoup moins nombreux qu'ils ne le devraient.
Ainsi quatre CD sortent en septembre. Parmi la quinzaine de disques publiés par BMC que j'ai déjà chroniqués, y figuraient deux du trio Velvet Revolution constitué par le saxophoniste ténor allemand Daniel Erdmann, le violoniste français Théo Ceccaldi et le vibraphoniste anglais Jim Hart. Leur troisième album, Message in a Bubble, m'enthousiasme autant que les précédents, d'autant qu'il offre à Ceccaldi et Hart la possibilité de composer à parts égales, ce qui était essentiellement l'apanage d'Erdmann jusqu'ici. La musique est légère comme du Champagne sans oblitérer la gravité qui nous prend pour des pommes. Parce que l'humour est là, discret, sautillant. Le timbre chaleureux du ténor, la variété timbrale du violon et les rythmiques pointues du vibra forment une pièce montée qui renverse Newton. Un régal !
Le trio formé par le guitariste hongrois Csaba Palotaï, le Français Simon Drappier ici à la guitare baryton et le batteur britannique Steve Argüelles nous gratifie d'un album de pop instrumentale me rappelant les facéties de Dick Dale (célèbre pour son interprétation de Misirlou utilisée par Quentin Tarantino dans Pulp Fiction). Tempo plus lent, mais le mélange des deux guitares et le choix de la réverbération dans le grave participe à cette évocation cinématographique. À leurs côtés, Argüelles reste un des batteurs les plus élégants grâce à une retenue où jamais aucune frappe n'est superflue ni hasardeuse. Il n'y a pas que des références cinématographiques, même si Sunako (l'enfant des sables) est le titre d'un film de Hiroshi Shimizu de 1933. Ricerca renvoie à Ligeti et la Messe Notre Dame de Guillaume de Machaut (épeler : aime assez à chahuter), si chère à mon camarade Bernard Vitet, a des accents de western. Et bien voilà, on y revient, il y a des images de grands espaces en Technicolor dans cette musique où l'improvisation mène le jeu.
Je préfère les CD physiques aux dématérialisés parce que les graphistes peuvent encore faire rêver, et parce que le livret offre souvent des informations ou un texte de présentation qui éclairent la musique ou font ressortir ses ombres. Ainsi lire la prose de Guillaume Malvoisin accompagnant Woodlands, le second album de La Litanie des Cimes, m'a plu tandis que j'écoutais le violoniste Clément Janinet qui l'a composée, la clarinettiste Élodie Pasquier et le violoncelliste Bruno Ducret. Ailleurs bassiste ou guitariste, le jeune Ducret chante ici une vieille mélodie américaine, Triplett Tragedy, pleine d'émotion. Et c'est parti, les compositions de Janinet se laissent fléchir par les improvisateurs. Malvosin évoque le blues comme je parlais plus haut du jazz. On n'en suit plus les canons, d'ailleurs formatés bien après qu'ils soient nés, on en partage l'essence. Une manière de vivre. C'est ce que devrait toujours être la musique. Ni un métier, ni un art. Juste une manière de vivre. Dans l'instant où elle se joue, mais, pourquoi pas, dans le reste du temps, lorsque l'on rêve, éveillé ou endormi. C'est un peu le sentiment que m'a produit la musique de chambre de La Litanie des Cimes. Comme si leurs alliages sonores avait envahi ma maison, des ondes se propageant dans l'air en faisant oublier les machines qui les véhiculent.
De Velvet Revolution j'avais donc écrit sur A Shift Moment of Zero G et Won't Put No Flag Out, sans parler de mes articles sur Das Kapital. La Litanie des Cimes avait excité ma curiosité du temps de leur Jazz Migration et Clément Janinet avait suscité trois articles, pour le premier O.U.R.S., pour le second et pour les Space Galvachers. La Cabane Perchée de Csaba Palotaï et Steve Argüelles fait aussi partie de la mémoire de ce blog avec tous ses trémas. Mais Gábor Gadó et le Veronika Harcsa Sextet sont nouveaux pour moi, même si Gadó fut l'un des premiers artistes à avoir enregistré sur BMC. Retour aux artistes hongrois, même si (il y a beaucoup de même si dans cet article), même s'il vit en France, comme Palotaï, Erdmann, Argüelles d'ailleurs, à croire que notre pays n'a pas perdu tous ses attraits de terre d'accueil, malgré les coups que lui portent régulièrement les gouvernements pourris qui s'y succèdent. Le chant lyrique de Veronika Harcsa, qui a écrit les paroles et jazzwoman par ailleurs, et l'absence de section rythmique confèrent à l'album Shekhinah une coloration plus musique contemporaine que jazz, mais comme je l'expliquais plus haut, cela ne veut plus rien dire. Du jazz il y en a aussi. Et d'la pomme ! Avec le trompettiste belge Laurent Blondiau, le saxophoniste-flûtiste János Ávéd et la guitare de Gadó... La violoniste Éva Csermák et le violoncelliste Tamás Zétényi sonnent plus classiques, ou contemporains, les monodies de Gadó rappelant parfois l'École de Vienne. Mouvements unanimes, accords larges, économie de moyens, poèmes évanescents, sobriété des accompagnements vont dans le même sens, alors que l'ensemble crée un univers riche et varié qui dresse un pont entre le baroque et le jazz, deux traditions qui se rejoignent souvent dans la modernité...

→ Velvet Revolution, Message in a Bubble, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 8 septembre 2023
→ Csaba Palotaï / Simon Drappier / Steve Argüelles, Sunako, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 8 septembre 2023
→ Clément Janinet / La Litanie des Cimes, Woodlands, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 22 septembre 2023
→ Gábor Gadó / Veronika Harcsa Sextet, Shehinah, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 22 septembre 2023

mardi 15 août 2023

Frank Zappa, la Freak-Out List


Pour un aficionado le titre est alléchant. En 1966 sort Freak Out!, le premier album des Mothers of Invention. Y figure la liste des "personnes ayant contribué matériellement de diverses manières à rendre la musique des Mothers of Invention ce qu'elle est", et la mère supérieure d'ajouter "SVP ne le retenez pas contre eux".
En 2004 je terminai mon article pour Jazz Magazine intitulé Les M.O.I., l'émoi et moi par "J’ai toujours considéré Zappa comme le père de mon récit, du moins pour la musique. Chaque fois que je « découvrais » un nouveau compositeur, je courrais voir s’il appartenait à la liste d’influences que Zappa donne dans son premier album. Ainsi, depuis 1968, j’ai vérifié les noms de Schoenberg, Kirk, Kagel, Mingus, Boulez, Webern, Dolphy, Stockhausen, Cecil Taylor, et mon favori, Charles Ives… Je suis surpris aujourd’hui de ne pas y lire les noms de Conlon Nancarrow, Harry Partch ou Sun Ra (...)."
Rob Johnstone [a publié] en DVD son film qui prétend aborder la liste de rêve. Le but est en fait d'initier le public anglais à la musique du compositeur américain, mais le réalisateur ne s'intéresse hélas qu'aux influences "classique" les plus connues (Schönberg, Stravinski, Varèse), au doo-wop (témoignage de deux membres des Cadillacs) et au jazz de Miles Davis (digression hors-sujet suspecte). Pour quiconque est peu familier avec la musique de Frank Zappa, The Freak-Out List est d'un intérêt certain, mais les autres n'y trouveront pas de quoi se nourrir. La forme du reportage est fidèle au style plan-plan de ce genre d'exercice, les documents trop courts alternent avec des interviews découpées en rondelles. Trois anciens Mothers, Ian Underwood, Don Preston et George Duke, les biographes Ben Watson et Greg Russo, celui de Varèse, Alan Clayson, l'historien David Nicholls et le spécialiste de R&B Robert Pruter s'y conforment. C'est dommage.
Je suis déçu. Le film reste à faire. Il irait à la pêche aux archives pour nous révéler les merveilles qui ont fait saliver Zappa et peut-être quelques énigmes de son inspiration. Les 179 noms s'égrènent dans un apparent désordre, 23 environ pour chacune des 8 colonnes. Malgré mon érudition en la matière je n'en connais pas la moitié. L'enquête devrait être exhaustive, systématique. La liste continuera-t-elle à susciter des vocations ? Est-elle le fruit d'un brain storming ? Quels secrets y sont cachés ? Zappa contrôle-t-il déjà tout ce qu'il livre au public ? Sur la Wiki Jawaka un détective électrique tente l'opération, la liste est là, classée méthodiquement, chaque nom renvoyant à un nouvel article de l'encyclopédie contributive, mais il reste quelques inconnu(e)s.
Le carton de mon pressage américain est deux fois plus épais qu'un européen. C'est un des premiers doubles, un album-concept qui a influencé le Sergent Pepper's des Beatles. Son producteur, Tom Wilson, a également à son actif Sun Song de Sun Ra, The Times They Are a-Changin’, Another Side et Bringing It All Back Home de Bob Dylan, Wednesday Morning, 3 A.M. de Simon & Garfunkel, Chelsea Girl de Nico et White Light/White Heat du Velvet Underground. À cette époque il y avait des types qui avaient du nez et prenaient des risques. Freak Out! n'eut aucun succès à sa sortie aux USA et resta confidentiel ailleurs.
En 2006, pour le quarantième anniversaire du vinyle, le Zappa Family Trust a publié The MOFO Project/Object, un quadruple CD qui passionnera les fans, playbacks instrumentaux, prises alternatives, remix ultérieurs, documents d'archives, etc. Les autres pourront acquérir le petit chef d'œuvre sous sa forme originale, plus simple.
Mélange de chansons pop et de rock, d'expérimentations hirsutes et facéties vocales (Freak Out!, Absolutely Free et We're Only In It For The Money), de pièces symphoniques (Lumpy Gravy), de doo-wop (Ruben & The jets), de blues, de jazz (Uncle Meat), les premiers albums de Zappa sont tous incontournables, tous brassant toutes ces influences en un melting pot unique qui ne ressemble qu'à son auteur, compilateur de génie, arrangeur visionnaire, citoyen engagé, compositeur emblématique de la seconde moitié du XXe siècle dont la popularité ne cessera de grandir.

Article du 18 avril 2011

lundi 14 août 2023

Souffler n'est pas jouer


Souffler n'est pas jouer. Depuis cet article du 28 avril 2011, mon camarade Bernard Vitet [n'est plus là], mais je me souviens des conseils avisés qu'il nous glissa à l'oreille il y a [47] ans. Penser la note avant de l'émettre. Faire comme si l'on crachait un petit brin de tabac déposé sur la lèvre inférieure. Imaginer une flèche qui file de l'occiput à l'embouchure. Toujours sans effort. Comme si l'on disait le "ich" allemand. Laisser tomber le "bin". Je suis. Bernard griffonne un croquis où le point du "ich" joue le rôle d'un miroir incliné qui renverrait l'image du souffle venant d'en bas. Remonté à la maison sur mon destrier à deux roues, je retrouve des dessins qu'il avait réalisés au début des années 70 pour une animation pédagogique. Je recopie "L'embouchure est posée sur les lèvres, sans s'y appuyer. Les lèvres, tendues sans contraction, vibrent et produisent le son. On sélectionne les harmoniques émises en contrôlant la tension de la colonne d'air et celle des lèvres. La langue reste souple et arquée ; position haute : vers l'aigu ; position basse, vers le grave. Le diaphragme contrôle la régularité de la colonne d'air." Bernard m'explique les vocalises qu'il a imaginées, modales pour ne pas se lasser, en décalant le premier temps à chaque répétition, on glisse ainsi d'une tonalité à l'autre, toujours sans effort. Souffler n'est pas jouer ? Je mets la radio et j'improvise comme ça vient. Miracles. Lorsque le timbre ne me plaît pas j'enfonce une de mes deux sourdines Harmon dans le pavillon [...]

mardi 8 août 2023

Pique-nique au labo, volume 3


Le volume 3 de Pique-nique au labo est déjà sur Bandcamp, les premiers exemplaires sont envoyés à la presse, mais la sortie officielle est le 11 septembre 2023. Les deux précédents volumes rassemblés en un double CD présentaient 22 pièces avec 28 invité/e/s enregistrées de 2010 à 2019. Participaient aux agapes Samuel Ber, Sophie Bernado, Amandine Casadamont, Nicholas Christenson, Médéric Collignon, Pascal Contet, Élise Dabrowski, Julien Desprez, Linda Edsjö, Jean-Brice Godet, Alexandra Grimal, Wassim Halal, Antonin-Tri Hoang, Karsten Hochapfel, Fanny Lasfargues, Mathias Lévy, Sylvain Lemêtre, Birgitte Lyregaard, Jocelyn Mienniel, Edward Perraud, Jonathan Pontier, Hasse Poulsen, Sylvain Rifflet, Eve Risser, Vincent Segal, Christelle Séry, Ravi Shardja, Jean-François Vrod ! La relève est cette fois assurée par Sophie Agnel, Uriel Barthélémi, Hélène Breschand, Élise Caron, François Corneloup, Gilles Coronado, Philippe Deschepper, David Fenech, Fidel Fourneyron, Naïssam Jalal, Olivier Lété, Mathias Lévy, Violaine Lochu, Lionel Martin, Fanny Meteier, Basile Naudet, Csaba Palotaï, Tatiana Paris, Gwennaëlle Roulleau, Fabiana Striffler, soit 11 pièces interprétées par 20 nouveaux/elles invité/e/s de 2021 à 2023. Un quatrième volume est sur le grill puisque sont programmées de nouvelles rencontres dès septembre.

En général j'invite un musicien ou une musicienne en lui demandant de choisir à son tour un ou une troisième avec il ou elle n'a jamais joué, mais en a fort envie, et autant que possible quelqu'un/e avec qui je n'ai jamais joué non plus librement. À chaque séance qui dure une journée complète, il s'agit de jouer pour se rencontrer et non le contraire comme il est d'usage. Une manière aussi de retrouver nos premiers émois de musicien/ne, avant que nous en ayons fait notre métier, lorsqu'il n'y avait d'enjeu que le plaisir pur. Ce n'est pas un hasard si l'une de mes cartes de visite reprenait la phrase de Cocteau "Le matin ne pas se raser les antennes". Je fais tout mon possible pour que mes invités se sentent à l'aise, confortables, libres de créer comme au premier jour. Le déjeuner est un moment aussi convivial. La thématique de chaque pièce est tirée au sort juste avant de jouer. Je mixe le lendemain pour égaliser les niveaux, mais je ne coupe rien. Rarement je retire un morceau qui fait doublon. À la fin de la journée nous avons enregistré un album complet qui sera mis gratuitement en ligne quelques jours plus tard.

Les CD Pique-nique au labo rassemblent une pièce de chacun de ces albums virtuels. Toutes ces compositions instantanées sont inédites en CD. Ce sont donc 32 albums qui ont été ainsi compilés pour faire sens, ce mix racontant une nouvelle histoire. Une rencontre des participants des trois volumes est d'ailleurs prévue à la rentrée, mais cette fois autour d'un verre et de victuailles, pour fêter cette nouvelle sortie !


Si la plasticienne mc gayfflier avait orienté ses graphismes sur le pique-nique du double album, elle s'est cette fois inspirée du labo, peut-être parce que ces pièces post-confinement sont plus noires. Un labo radioactif en hommage à Pierre et Marie Curie, "avec la lumière inquiétante que les deux savants retrouvaient contempler le soir dans leur laboratoire". J'imagine que la peinture à l'intérieur est une référence au Tombeau des Lucioles...


Tout cela pour dire que je suis super content.
Il vaut mieux écouter fort pour profiter de toutes les nuances.
De plus, j'ai récupéré mon ordinateur, réparé en quelques heures par SOSMaster rue Turbigo, et je peux donc filer vers le sud l'esprit tranquille...

→ Jean-Jacques Birgé + 20 invités, Pique-nique au labo 3, CD GRRR, dist.Orkhêstra et Les Allumés du Jazz, également sur Bandcamp

jeudi 3 août 2023

Le florilège d'Hélène Breschand


J'ignore quand Hélène Breschand a ajouté une corde à sa harpe, mais j'ai récemment découvert sa caverne d'Ali Baba hébergée sur la Toile. Son site Création&Liberté, créé au départ pour les étudiants de l'Atelier de Création du Conservatoire de Musique, Danse et Art Dramatique du 6eme arrondissement à Paris, offre un Salon de musique, quelques liens et des repères chronologiques "subjectifs" de 1912 à nos jours. L'année 2006 est y représentée par Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins cosigné avec Antoine Schmitt, c'est ainsi que je suis tombé sur cette mine d'or. Ce choix m'a évidemment flatté, mais j'apprécie le travail d'Hélène depuis plus de vingt ans. En 2013 je l'avais engagée à Arles pour accompagner sur scène le photographe Hiroshi Sugimoto du temps où j'assumais le rôle de directeur musical des Soirées au Théâtre Antique. Je chroniquai aussi certaines de ses créations comme son autoportrait La vie est un roman. Nous n'avions jamais joué ensemble jusqu'à il y a exactement deux ans où nous avons enregistré l'album Only Once en trio avec le percussionniste Uriel Bathélémi.
Mais revenons à nos moutons électriques. Après une introduction de Joseph Beuys, son Salon de musique est classé en dossiers s'ouvrant exclusivement sur des extraits vidéo. On trouve ainsi Chansons engagées, Qu'est-ce que le bruit !, Slam hip hop & poésie sonore, Transes, Objets sonores & sculptures, Une chanson et ses reprises, Bruitages, Yodels Beatbox & Cie, Pour le peps ! et la tendresse..., Musique et cinéma, Dans le désordre !, Danses : les chants du corps, Citation ou reprise ?, Pépites !, Fusion, La fée électricité, Inspirations pour de nouvelles formes d'écriture, Théâtre musical, Univers singuliers et poétiques, Musique minimaliste répétitive... maximaliste !, Clip, Inspiration et création, Art cinétique, Turntablism & DJ. C'est dire que tout le champ de la création musical est couvert, même si j'y note des absences cruelles, ce qui est le propre de toutes les listes, par choix ou méconnaissance. Dans ce dernier cas je les appelle "des biscuits pour l'hiver", et vous en découvrirez forcément tant l'offre est généreuse.
Hélène Breschand est une encyclopédiste œcuménique ! Se retrouvent Brassens, Bob Marley, Violetta Parra, Nina Simone, Patti Smith, Boris Vian, Daniel Waro / Russolo, Varèe, Kagel, Stockhausen, Schaeffer, Cage / Laurie Anderson, Kurt Schwitters, Bobby Lapointe, Tazartès / Drouet, Tinguely, Baschet, Pierre Bastien, Ikeda, Boursier-Mougenot, Puce Muse / Opium, My Way, Only You / Tom Waits, Phil Minton, Janis Joplin, Bobby McFerrin, Nina Hagen, Meredith Monk / James Brown, Bashung, Harry Belafonte, Otis Redding, Ute Lemper, Violetta Parra, Trust / Zappa, Nono, Berio, Ligeti, Part, Scelsi, Webern, Ferrari / Merce Cunningham, Pina Bausch, Israël Galvan, Anne Teresa De Keersmaeker, Kitsou Dubois / Klaus Nomi, The Platters, Herbie Hancock / The Residents, Jimi Hendrix, Spike Jones, Diamanda Galas, Chuck Berry, Daevid Allen / La Monte Young, Eliane Radigue, Pauline Oliveiros, Kraftwerk, Test Dept, Pauvros, Klaus Schulze / Christian Marclay / Robert Ashley, Georges Aperghis, Cathy Berberian, Thierry de Mey / Gavin Bryars, Terry Riley, Tom Johnson, Glenn Branca / etc. etc. Il n'y a qu'à piocher pour se faire plaisir, parce que la musique c'est avant tout du plaisir, bien au delà de la connaissance...

mardi 1 août 2023

Trente ans après, la suite de Bad Alchemy


Après celui de juin dernier, Rigobert Dittmann m'envoie la suite du texte qu'il a rédigé en allemand pour sa revue Bad Alchemy #120. Je le traduis vite fait mal fait, car je suis incapable de suivre son style...

Depuis fin 2014, Birgé accumule les rendez-vous galants encore plus accros au jeu qu'Ivo Perelman ou Udo Schindler. Le doit-il à son statut de retraité lorsqu'il eut 62 ans ? À découvrir les Oblique Strategies ? "Raves" (05/23, numérique) le montre stratège-obligé avec Fanny Méteier au tuba et Olivier Lété à la basse électrique. Elle, on l'a entendue en énorme et sombre coup de vent - musicalement seulement - avec le trompettiste Timothée Quost sur "Flatten the Curve" (Carton, 2021), à jouer sous la direction d'Alice Laloy dans la pièce de théâtre musical "Death Breath Orchestra". Lété a gratté ses cordes avec Louis Sclavis sur ECM, avec Emmanuel Scarpa sur Coax, avec Fidel Fourneyron sur le chant d'Élise Dabrowski ou dans le groupe de Marjolaine Reymond qui entonne des poèmes romantiques jazzés. Ici ils suivent les instructions du clavier échantillonneur de Birgé, comme 'Do something boring' (ronflant, avec des boucles et des sillons sans fin), 'Don't break the silence' (avec un son de timbre percussif et cuivres, un tuba discret), 'Turn it upside down' (avec des voix d'opérette paranormales, des bruits et des claquements contenus, guimbarde, guitare fantôme, gémissements de gorge de Fanny), 'Don't be afraid of things because they're easy to do' (enfantin, 'monotone' de manière détournée, avec boîte à musique), 'Retrace your steps' - jusque dans le berceau ? (avec un chant voilé, le contraste entre le pennywhistle et le tuba grincheux, des clés qui tremblent doucement)... Céleri & chou-rave, onirique et surréaliste, soigneusement mixé par JJB et perçu lui-même comme une succession de rêves éveillés [ainsi sur son blog le 6 juin].

Quel est ce magnétisme qui attire tout le monde au studio GRRR ? "Moite" (06/23, digital) reprend le jeu de cartes de Birgé avec Tatiana Paris à la guitare électrique (comme dans le Red Desert Orchestra d'Eve Risser ou en solo avec "Gibbon" sur Carton). Violaine Lochu est une chanteuse qui, sur les traces de Diamanda Galas, Luce Irigaray et Donna Haraway, a interprété Abécédaire vocal, Babel Babel, E.V.E. ou Meat Me. Elle propage ce dernier avec Meat me, meet me, I am made of meat, I am made of scream, I am nude, I am mud, I am blood and shit, I am not myself anymore : I am all of you, I am suffering. I am Bacon - et le résout de manière scandaleuse. Les cartes demandent des choses comme : 'Cède à ta pire impulsion', 'Autorisez un relâchement (c'est l'abandon d'un texte sacré)'. Paris rampe, gronde, ratisse comme Westerhus, comme Desprez. Lochu chante de manière chamanique et sacrée, elle jappe, crie ou croasse comme un corbeau. Birgé joue des percussions ou des vents avec ses boîtes magiques, ses synthétiseurs, il manipule sa guimbarde, frappe des cloches tubulaires, monte la radio, chante de la flûte. Ils nous emmènent ainsi dans des jungles tropicales humides, comme peintes par Rousseau, en faux ethno et langue postcoloniale. Il me vient à l'esprit "Ou Bien Le Débarquement Désastreux" et à nouveau le parallèle avec Heiner Goebbels. Lochu s'adonne pour cela à l'impulsion excessive de la férocité et de la colère, mais aussi du chagrin enfantin et de la souffrance animale, entrecoupés de lignes de Monique Wittig (Les guérillères), Christophe Tarkos (L'argent) et Sylvie Kandé (La quête infinie de l'autre rive) et de jeux de cordes 'africains'. Qui autorise ensuite l'évocation de Dowland, la marche arrière de la guitare dans le liquide amniotique, les frottements et les piaillements d'oiseaux ? Enfin, comme le suggèrent les cartes, Lochu est rongée par un soupçon sifflant (comme dans 'La Jalousie' de Robbe-Grillet ? - je n'arrive pas à me défaire de Goebbels), qu'elle rejette en vain dans son soliloque.

Ce que Birgé rêve et vit comme un métissage esthétique, c'est un monde qui définit le 'bien vivre' de manière radicalement différente. Il l'anticipe déjà à petite échelle dans le grand Paris, dans son ermitage, son auberge, en tant que cuisinier, épicurien, jardinier, cinéaste et mixeur hypercréatif, éloquent et sociable, dans lequel l'art de vivre - comme Dieu en France - se condense de manière attrayante. Pour qui le ciel n'est pas toujours bleu face à un monde qui marche sur la tête, et à qui j'aimerais donner la parole : "Les dérives du monde ne me surprennent pas tant j'y vois une poésie de l'absurde. Les ventres vides ne l'entendent pas de ce ton-là. La misère pousse à la révolte. La solidarité à la révolution. En face s'exprime l'arrogance qui de tout temps a sonné le glas de l'oppression. Leur violence ne peut les protéger éternellement. Mon immense tendresse est mise à mal. À cet instant je ne sais plus écrire. Il est tard. C'est flou. Le cri a supplanté les mots." [La difficulté d'être, 23.3.]