Harry Partch [archives]
Par Jean-Jacques Birgé, jeudi 11 juin 2020 à 06:54 :: Musique :: #4463 :: rss
Articles des 20 octobre 2006 et 16 juin 2016
Première découverte à la boutique Downtown Music Gallery sur la Bowery entre la 2ème et la 3ème rue, un dvd d'Harry Partch édité par Innova à St Paul, ville jumelle de Minneapolis. J'avais acheté le coffret Columbia Delusion of the Fury en 1971 chez Givaudan, boulevard Saint-Germain. Les deux 33 tours étaient accompagnés d'un troisième où Harry Partch décrivait 27 des instruments uniques qu'il construisit pour créer son propre univers musical. Combien d'heures ai-je rêvé devant les photos qui montraient d'énormes marimbas, des arbres où pendaient des cloches de verre, des claviers de bambous et ses Chromelodeons, harmoniums accordés comme tout le reste selon un principe d'octave à 43 microtons !
Leur beauté sculpturale respirait le bois ciré et la musique rappelait un monde perdu entre l'Asie et l'Océanie. Leurs noms mêmes étaient facteurs de rêve : Crychord, Marimba Eroica, Boo, Cloud Chamber Bowls, Spoils of War... Leur accord s'approchait d'un système naturel, loin du tempérament que Partch trouvait complètement faux.
Dans la foulée, je dénichai ses précédents enregistrements parus sur le label CRI (dont certains depuis édités en CD). The Letter, chantée par le compositeur lui-même de sa voix de vieil homme, m'impressionna particulièrement. Partch dirigeait le Gate 5 Ensemble, tandis que son dernier opéra suivait la baguette de son disciple, le percussionniste Danlee Mitchell, qui continue encore à jouer ses œuvres.
Partch (1901-1976) est un de ces américains iconoclastes, souvent autodidactes, qui se sont inventés un monde à part, comme Conlon Nancarrow ou Sun Ra. Comme Nancarrow construisait ses pianos mécaniques, il dût se fabriquer ses propres instruments pour jouer sa musique microtonale dont les rythmes rappellent souvent d'obscurs rituels. Il appartient aux pionniers dans la lignée d'un Edgar Varèse (Ionisation !) ou Charles Ives (pièces en quarts de ton) et influença d'autres Californiens comme Henry Cowell, Lou Harrison et John Cage.
Quelle surprise de découvrir 35 ans plus tard, les images de Delusion of the Fury: A Ritual of Dream and Delusion filmé en 1969 et le Portrait que lui consacre Stephen Pouliot (1972). Les bonus sont aussi exceptionnels, puisqu'on retrouve le commentaire de Partch sur ses instruments, illustré de nombreuses photos (1969), des extraits de Revelation in the Courthouse Park (1960) et la recette gourmande de la confiture de pétales de rose par le compositeur en cuisine (1972). Le documentaire The Dreamer that Remains (1972) est exceptionnel par les documents qu'il propose. Partch parle, joue, chante, construit, scande... Le compositeur propose une vision contemporaine du monde allant chercher ses racines dans la Grèce Antique, les rythmes du gamelan et les sables du désert.
Alors fan de Frank Zappa et Sun Ra, j'ai découvert Harry Partch en 1971 avec l'enregistrement de l'opéra Delusion of the Fury grâce à François qui tenait le magasin de disques Givaudan au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue de Luynes. J'ai depuis acquis la majorité de sa discographie et les deux DVD passionnants qui lui sont consacrés. Je suis également Heiner Goebbels depuis le Festival de Victoriaville au Québec où nous jouions tous les deux en 1987. C'est un des rares compositeurs du label ECM avec Michael Mantler qui attire encore ma curiosité. C'est dire si je suis impatient de découvrir cette re-création rendue possible par la fabrication de copies des instruments originaux, dans une mise en scène différente de celle de Partch, sous la responsabilité du compositeur allemand.
L'œuvre présentée samedi soir en création française à la Grande Halle de La Villette par l'Ensemble Musikfabrik porte en sous-titre A Ritual Of Dream And Delusion. Toute la musique de Partch semble un rituel pour conjurer ses déceptions. Avec cette farce il fustige l'injustice et le rejet dont il fut victime une grande partie de sa vie tout en se moquant de la colère humaine. Après la dépression de 1929, il partit sur les routes pendant une dizaine d'années, ou plutôt sur les rails puisqu'il partagea la vie des hobos, SDF vagabondant de ville en ville en empruntant les trains de marchandises qui sillonnaient les États Unis. Clochard céleste sans lien direct avec Kerouac et la Beat Generation, il n'est pas sans rappeler Moondog, un autre minimaliste américain ayant influencé quantité de compositeurs répétitifs à sa suite.
Mais la musique de Harry Partch (1901-1974) est unique, d'abord parce qu'il travaille la micro-tonalité selon l'octave à 43 tons inégaux d'après les harmoniques naturelles, ensuite parce qu'il dut inventer des instruments qui permettent de la jouer. Ses chromélodéons, chambres de nuages, pertes de guerre, boos, Marimba Eroica, Marimba Mazda, Zymo-Xyl, gongs en cône, etc. me faisaient rêver. Plus tard j'eus la chance de jouer aussi sur une lutherie originale grâce aux instruments inventés par Bernard Vitet et Nicolas Bras, ou programmés par Antoine Schmitt et Frédéric Durieu. Partch note les intonations des voix du quotidien sur les portées comme le firent nombreux compositeurs avant lui et que Steve Reich reprendra avec succès. Influencé lui-même par le théâtre grec, l'Afrique et le Japon il compose des œuvres où les claviers de percussion et les cordes tiennent une place prépondérante. Delusion of the Fury est sorti la même année que l'opéra de Carla Bley, Escalator Over the Hill, mais ce dernier était cantonné au disque, tandis qu'il existait des images de celui de Partch. Les danses, le décor et la lumière participent ainsi au spectacle vertigineux du rituel païen.
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