70 Musique - novembre 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 novembre 2020

Zappa 2020


A deux ou trois moments du film qu'Alex Winter a consacré à Frank Zappa je n'ai pu retenir mes larmes. Son documentaire est certainement le plus proche de la personnalité du compositeur américain qui déclencha ma vocation. En 1968 le disque We're Only In It For The Money provoqua sur moi un choc identique à celui qu'il ressentit à l'écoute de celui d'Edgard Varèse. Bien que rien ne semblait nous y préparer, tout se mettait en place, par la grâce de l'imagination fébrile d'adolescents rebelles. Autodidactes, encyclopédistes, archivistes, workaholics, producteurs indépendants, suite logique, la comparaison s'arrêtera là. En regardant ce nouveau documentaire je comprends l'attention qu'il me porta lorsque, ayant enjambé les barrières au Festival d'Amougies, je l'alpaguai en lui posant question sur question. Le cinéaste Bruce Bickford avait lui-même épaté mon idole en escaladant le mur de sa propriété avec deux bobines de ses incroyables animations. M'étant ensuite occupé de lui au Festival de Biot-Valbonne et saisissant sa personnalité complexe, je choisis le partage et l'amitié plutôt que la tour d'ivoire dans laquelle il allait s'enfermer.
Je savais qu'il n'avait pas d'amis, mais il avait beau revendiquer sa famille, femme et enfants, il ne leur épargnera pas d'absurdes fâcheries après sa mort en 1993, et il profita largement de sa vie de musicien en tournée en utilisant les filles d'une manière qui ne passe plus aujourd'hui. Si Winter dresse un portrait honnête de Zappa, il ne peut froisser la famille, et en particulier Gail, veuve intransigeante, disparue depuis. iI y a quatre ans j'avais déjà été emballé par le film de Thorsten Schütte, Eat That Question, mais ce Zappa millésimé 2020 ne néglige ni l'homme seul, ni le citoyen engagé politiquement, ni évidemment le musicien génial. Il faut le temps parfois pour que les langues se délient. Mike Keneally, Ian Underwood, Steve Vai, Pamela Des Barres, Bunk Gardner, Scott Thunes, Ruth Underwood témoignent. David Harrington, le violoniste du Kronos Quartet qui interprète ici None of The Above, me surprend lorsqu'il souligne le point commun qui unit Zappa, Charles Ives, Harry Partch ou Sun Ra, mes propres références en matière d'expérimentation...


La narration est de Zappa lui-même, travail de montage de haute-voltige. Les archives découvertes dans sa chambre forte située à la cave sont passionnantes, surtout lorsqu'il s'agit des films de famille du jeune Frank. Des plans mitraillette de la vie américaine, très courts, ponctuent les séquences, pour donner au film une coloration de film créatif, à l'image de l'humour corrosif de Zappa. Il est néanmoins étonnant que Captain Beefheart soit si peu présent dans ce panorama où la chronologie est malmenée fort à propos. Il faut certainement plusieurs films, d'innombrables témoignages, étudier son implication politique dans la vie américaine, écouter les 62 disques de son vivant et 53 qui suivront, pour embrasser véritablement le personnage de Frank Zappa, mais le film d'Alex Winter en réalise une bonne approche, sincère et relativement fidèle.
Je suis plus mitigé sur le triple CD qui prétend en livrer la bande-son. C'est une bonne compilation avec une douzaine d'inédits, mais les ponctuations musicales de John Frizzell, qui a coproduit le film, développées dans le troisième CD, m'ont semblé superfétatoires et il manque beaucoup de choses. Cet article n'étant pas plus objectif que d'habitude, j'ajoute que ce sont les débuts avec les premiers Mothers of Invention et les pièces symphoniques, en particulier à la fin de sa vie, donc celles interprétées par l'Ensemble Modern, qui m'ont séduit, alors que sa période plus "commerciale" (voir Valley Girls), très rock, m'a toujours profondément ennuyé, ce qui ne surprendra pas ceux et celles qui me connaissent. Il n'empêche que mon émotion est probablement due à l'époque, fin des années 60, où je ne jurais que par Frank Zappa avec un immense sentiment de solitude, en comparaison de la reconnaissance dont il commence seulement à jouir aujourd'hui.

vendredi 27 novembre 2020

Julie Driscoll, la voix du Swinging London


Article du 2 septembre 2007

Dès les premières mesures de Tropic of Capricorn, je reconnais l'orgue de Brian Auger que je n'ai pas entendu depuis des décennies. Lorsque Julie Driscoll attaque Czechoslovakia, je revois les chars entrer dans Prague. Le bref A Word About Colour m'attrape par surprise, je sens des larmes couler sur mes joues. Je remettrai le morceau plusieurs fois sur la platine et, chaque fois, mes poils se redresseront comme un seul homme. En commandant le cd Streetnoise, je ne m'attendais pas à ce qu'autant de souvenirs enfouis remontent à la surface. 1969 : le Jim Morrisson de Light My Fire, l'Indian Rope Man de Richie Havens (vidéo ci-dessus), When I was a Young Girg arrangé par Jools elle-même, la comédie musicale Hair dont j'assistai à la première parisienne, et toutes les autres chansons rappellent cette époque de révolte adolescente où nous avancions debout sous un soleil qui nous réchauffait le cœur à tous, ensemble, petits soldats de la paix en costumes de clowns. Streetnoise réfléchit particulièrement cet enthousiasme. La musique progressive se construisait sans préjugé comme un éclat de voix rayonnant. Les utopies croisaient l'engagement politique et la sexualité explosaient par tous les pores de la peau.


On retrouvera Julie Driscoll qui, en épousant Keith Tippett, deviendra Julie Tippetts, dans le mythique Centipede de son mari produit par Robert Fripp (orchestre de 55 musiciens parmi lesquels Ian Carr, Mongesi Fesa, Mark Charig, Elton Dean, Dudu Pukwana, Gary Windo, Alan Skidmore, Karl Jenkins, Nick Evans, Paul Rutherford, Maggie Nicols, Mike Patto, Zoot Money, Roy Babbington, trois batteurs dont John Marshall et Robert Wyatt, etc.), le Spontaneous Music Ensemble, Tropic Appetites de Carla Bley ou aux côtés de Robert Wyatt, Maggie Nicols, Phil Minton... Elle s'orienta alors vers une musique plus expérimentale, souvent improvisée. Brian Auger and The Trinity n'accompagnait pas Julie Driscoll, mais à eux cinq (le guitariste Gary Boyle, le bassiste Dave Ambrose et le batteur Clive Thacker ne sont curieusement pas cités sur le livret) ils formaient un groupe qui faisait le pont entre le jazz et le rhythm 'n blues avec ce son très Canterbury que je n'identifiai pas encore, un parfum très proche de Soft Machine.




Je brûle d'impatience de recevoir leurs autres albums pour retrouver leurs reprises de This Wheel's on Fire de Dylan, Seasons of the Witch de Donovan ou Save Me d'Aretha Franklin, alors je clique et je claque !

jeudi 26 novembre 2020

La marche des lucioles


Longtemps les lucioles me firent essentiellement penser à leur Tombeau, chef d'œuvre filmé par le réalisateur japonais d'animation Isao Takahata, évocation génialement déprimante de la guerre traversée par deux enfants après le bombardement de la ville de Kōbe. Et l'article des lucioles de Pier Paolo Pasolini ne nous remontera pas le moral. Pour mon soixantième anniversaire le photographe Michel Séméniako m'offrit heureusement un merveilleux tirage issu des lettres d'amour des mouches à feu qui m'accueille aujourd'hui chaque fois que je rentre à la maison. Le vent tournerait-il ? Ce n'est hélas pas l'impression que donne le climat politique de notre pays qui glisse dans l'horreur autoritaire, dérive honteuse au pays qui fut jadis celui des Droits de l'Homme.
Tandis que nous subissons la gestion criminelle de la crise dite sanitaire, paraît en Bretagne La marche des lucioles. Il est vrai que cette région a été relativement épargnée par le virus et, en jouant au chat et à la souris avec les Robocops décervelés, certains purent continuer à admirer l'horizon dégagé de l'océan, voire s'y baigner de lumière. Le disque des clarinettistes Étienne Cabaret et Christophe Rocher me fait justement penser à une gloire traversant les nuages. Si les lucioles sortent la nuit, leur métaphore représenterait-elle un photophore ? Leur album est lumineux, entraînant, joyeux, sautillant, il avance en faisant fi des mauvaises nouvelles.


Les clarinettes traditionnelles de Cabaret sont droites, celles de Rocher arrondies par le jazz. Ensemble ils forment Cabaret Rocher, de quoi danser en bord de mer, surtout en faisant des vagues. Sur le blog qu'ils consacrent à La marche des lucioles, ils évoquent les musiques engagées qui ont traversé l’histoire et invitent des artistes à s'inspirer chacun, chacune d'une des onze pièces qu'ils ont jouées en duo. La vidéaste Oona Spengler plonge, la graphiste Olivine Véla ajoute une image à celles qu'elle a créées pour la pochette, leur amie chinoise Luyi se rapproche des lucioles, Eric Legret photographie une danseuse, le compositeur et artiste visuel Rob Mazurek leur envoie un tableau, l'artiste vidéo Pierre Bussière traverse la forêt, Guy Le Querrec retrouve une photographie du soixantième anniversaire de ses parents prise à Rostrenen chez les parents d'Étienne Cabaret (!), l'illustration du chanteur breton et producteur de miel Jean-Daniel Bourdonnay souligne la colère des lucioles, la graphiste Sara Garagnani revient vers l'utopie...
Le temps que j'écrive mon article, la musique cède soudain la place au silence, le jour à la nuit, mais dans mon jardin les seules lucioles que je vois sont celles qui apparaissent en me frottant les yeux, incrédule, comme celles d'Étienne et Christophe font briller nos oreilles...

→ Cabaret Rocher, La marche des lucioles, CD Musiques Têtues, dist. L'autre distribution, 15€

vendredi 20 novembre 2020

Plagieurs de plages


Article du 30 juillet 2007

Lorsque j'étais petit, j'écoutais chaque dimanche Francis Blanche démasquer les plagieurs dans son émission Marions-les. Les auditeurs appelaient pour débusquer les chansons originales des copies. Aujourd'hui, le site vinylmaniaque.com donne une liste de chansons "à marier" et un forum d'Audiofanzine.com traque d'étranges coïncidences.
Il y a deux jours, Franck Vigroux me montrait le blog samples.fr qui recense les plagiats musicaux, compare des morceaux à la mode avec d'anciennes versions et, surtout, recherche les morceaux d'où sont issus les samples de nos tubes du jour. Daft Punk ou Justice, par exemple, s'en trouvent démasqués. Ce sont carrément des passages entiers qui sont pompés. Mais boostés avec quel talent, ah, les beaux compresseurs à lampes ! Cela me rappelle un musicien "électronique" très en vue qui jouait de ses machines sans qu'elles soient branchées pendant que ses sbires jouaient les parties en fond de scène ou qu'une bande défilait en playback. Ces commerçants ont fait du vol un art de l'esbroufe, mais est-il possible de les appeler des musiciens ? Quand on pense que ça fait la couve de Télérama...
Il ne faut pas confondre plagiat et démarquage. Il n'y a pas de génération spontanée. Chaque créateur s'inspire, consciemment ou in consciemment, des œuvres qui l'ont précédé. Patrimoine et culture sont le terreau des créations les plus révolutionnaires. Mais la copie ou l'utilisation d'un passage pour produire les mêmes effets que l'original s'apparente à un délit.
En termes légaux, un plagieur s'en sortira pourtant sans problème s'il peut prouver que l'œuvre dont il s'est "inspiré" est elle-même issue d'un précédent morceau. La loi favorise donc les nids ! Un plagiat non dénoncé ouvrirait la porte à tous les abus ? Mais attention tout de même, le sampleur n'est pas sans reproche : si copier Gainsbourg n'est ainsi souvent pas trop risqué, le sampler (le terme "échantillonner" n'est pas passé dans les mœurs des pays colonisés) est une autre paire de manches, car l'enregistrement appartient à l'éditeur qui est alors beaucoup mieux protégé par la législation sur le droit d'auteurs que le compositeur mort depuis des décennies. En d'autres termes, même lorsque la musique est passée dans le domaine public, l'enregistrement est souvent encore protégé.
S'il y a des coïncidences troublantes, il y a aussi des récidivistes dont le métier est de voler, parce qu'ensuite ils seront mieux équipés pour vendre le fruit de leur larcin que les auteurs réels n'auront été capables de défendre leurs œuvres. Drôle d'histoire, l'histoire de l'art !

mercredi 18 novembre 2020

Quelques images de Boby Lapointe


Lorsqu'un disque, un film, un livre (qui plus est, un catalogue d'exposition), est publié, j'ai appris qu'il ne fallait pas attendre qu'il soit épuisé s'il me faisait vraiment envie. Fut un temps où je n'en avais pas les moyens et je ferai des années plus tard les bouquinistes jusqu'à ce que je retrouve l'objet tant convoité. Aujourd'hui il m'arrive d'arpenter eBay ou LeBonCoin à condition que sa cote ne l'ait pas rendu prohibitif... C'est pire avec les instruments de musique électroniques les plus bizarres, donc les plus inventifs : comme ils sont peu demandés, ils disparaissent très vite du marché avant même d'être tout à fait mis au point ! Pour le Boby Lapointe j'ai vérifié qu'il existe encore ici ou là...

Article du 30 juin 2007

À côté des centaines de VHS enregistrées sur les chaînes de télévision qui occupent la rangée de derrière sur mes étagères, j'ai conservé quelques éditions que je remplace au fur et à mesure des sorties DVD. Ainsi Le dévédé de Boby Lapointe, remasterisé comme il se doit (avec options sonores dont je ne vois pas vraiment l'intérêt : 5.1, DTS, stéréo), vient colorer un début d'été bien gris (c'est vrai, L'été où est-il ?). Ce n'est pas que Boby soit une bête de scène, loin de là, sa timidité ne lui permettant que de hocher la tête ou les épaules, mais une grande tendresse se dégage de sa prestation minimaliste. À le regarder si sobre, j'ai l'impression de redécouvrir ses jeux de mots ferroviaires (un sens peut en cacher un autre) que nous croyions connaître par cœur. Les réalisations s'améliorent un peu avec Jean-Christophe Averty (From Two to Two) et la couleur vient rehausser le ton de la deuxième version d'Aragon et Castille ou Saucisson de cheval n°1. C'est probablement la première fois que l'on peut apprécier son étonnant duo avec Anne Sylvestre (Depuis le temps) qui ne figurait sur aucun des 33 tours originaux et que je ne retrouve pas non plus sur les deux doubles rééditions, dites L'intégrale et En public.


Ce dernier CD, live tranche avec les clips vidéo tous en playback. Y figurent en plus quelques inédits savoureux : une pub refusée pour une crème dessert (Jockey, c'est pas mauvais !), Lena par Fernand Raynaud, La Youpi... Allez !, Toto le tigre, Georges Perec s'étranglant de rire en lisant le texte Grimace ratatinée en rime à grasse matinée...
Les suppléments du dévédé constitueront pour les fans son véritable intérêt : un documentaire de 52 minutes Comprend qui veut. Comprend qui peut, Boby chantant Bruant (À Montparnasse, Camomille, C'est nous les joyeux), plein de petites raretés comme Place du Parvis, Le tube de toilette avec au porte-voix Pierre Doris sous-titré et un orchestre de plateau, l'extrait de Tirez sur le pianiste, etc.


Les paroles ont été publiées par Encre en 1983, bouquin réédité par Domens en 2000, avec son système bibinaire. Comme Raymond Queneau, Boby Lapointe avait de sérieuses bases mathématiques. Son système s'inspirait déjà du binaire et de l'hexadécimal. Il s'éteint le 29 juin 1972. L'absence de crédits sur le DVD est choquante, on ignore les auteurs, les arrangeurs, les dates, les réalisateurs, aucun livret quand ne se glissent pas quelques erreurs. Ce n'est pas ainsi qu'on lutte en faveur des supports matériels. Le héros de Pézenas aurait mérité que l'éditeur fasse correctement son travail. Dommage !
C'est bon de rire et de sourire de temps en temps. Ça réchauffe, et puis ça détend, comme bailler ou faire des galipettes. L'un n'empêche pas l'autre. Là Youpi... Allez !

mardi 17 novembre 2020

Spots de pub et annonces radio psychédéliques


Psychedelic Promos & Radio Spots est une collection de 8 CD contenant des centaines d'annonces de pub pour des clubs, des disques, des concerts, des films de 1966 à 1968. Mais le pompon, ce sont des pubs pour des produits de consommation portées par les plus grands groupes pop de l'époque. Ainsi les Cream vantent la bière Falstaff, Jefferson Airplane ou Canned Heat les pantalons Levi's, Frank Zappa les rasoirs électriques Remington, les Rolling Stones les Rice Krispies, Quicksilver la Chevy Camaro, les Who la US Air Force, James Brown le Department of Labor, les Turtles le Pepsi, les Troggs, les Moody Blues ou les Bee Gees le Coca, etc.


Si Frank Zappa fait la promo du film Cérémonie secrète ou d'un concert de Spirit, il y aussi beaucoup d'annonces moins compromettantes pour des disques (Beatles, Zappa, John and Yoko, Velvet Underground, Monkees, Neil Young, Byrds, Joni Mitchell, Steppenwolf...), des concerts (Monterey Pop Festival, Janis Joplin, Stooges, Grateful Dead, Fugs, Donovan...), des films (Easy Rider, Chappaqua). Dans tous les cas, ces extraits radiophoniques dessinent un étonnant portrait de cette époque "Peace & Love" quand l'expérimentation, la liberté et l'utopie étaient de saison ! C'est aussi une intéressante collection de jingles radiophoniques où la voix, la musique et le montage forment une trinité exemplaire. Goûtez donc le volume 1, déjà 1h13 (ci-dessus) !

lundi 16 novembre 2020

Musiques du monde arabe


Je ne me suis rarement senti aussi ignare en abordant un continent musical comme celui que Coline Houssais nous fait découvrir dans l'anthologie des Musiques du monde arabe qui vient de paraître. L'éditeur Le Mot et Le Reste s'est fait une spécialité d'ouvrages musicaux de référence(s) comme celui-ci. Si j'attends d'avoir tout lu pour en parler, cela risque de nous emmener loin. Chacun des 100 articles relatifs à un artiste mériterait qu'il soit connecté à une base de données sonores nous offrant d'en écouter quelques extraits. Cela reste assez abstrait au vu de l'éventail qui ne se contente pas de la musique strictement arabe, mais aborde les domaines berbère, kurde, nubien, libanais, etc., donc le Moyen Orient et l'Afrique du Nord. Les textes introductifs sont déjà passionnants, en termes d'histoire et de géographie, cherchant ce qu'il y a de commun à ces musiques si diverses. D'origine traditionnelle, elles évoluent aussi avec le temps, passant des campagnes à la ville, traditions orales et musique savante se retrouvant dans un panarabisme aux parfums très variés. Elles nous sont parvenues grâce à des passeurs qui ont voué une partie de leur vie à les faire connaître, particulièrement en France, conséquence critique du colonialisme. Depuis les années 50, les disques (et les cassettes, très en vogue dans leurs pays) leur ont permis de voyager. Coline Houssais préfère le concept de florilège à celui d'anthologie, et son approche sociohistorique n'est pas pour me déplaire, bien au contraire. Tant d'articles évitent de replacer les œuvres dans leur contexte qu'on n'y comprend rien du tout.
Je suis allé jeter un œil à ma vidéothèque (le cinéma égyptien, par exemple, fourmille de comédies et drames musicaux, sans compter Oum Kalsoum, Natacha Atlas et Transes de Nass El Ghiwane) ainsi qu'à ma discothèque, mieux fournie que je ne pensais : Fayrouz, Marcel Khalifé, Nassir Shamma, Mohammed Abdu, Kazem El Saher, Mohammed Abdel, Wahab, Asalah, Nagat, Abboud Abdel 'Ral, Abdel Kalim Hafez, Idir (sur lequel j'ai réalisé un film), Lili Boniche, Line Monty, Reinette L'Oranaise, Amina Alaoui, Laayoun El Kouchi, Dahmane El Harachi, Ahallil de Gouraba, Hasna El Becharia, Cheikha Rimitti, Khaled, Cheb Mami, Sofiane Saidi, Omar El Maghribi, Cirrus, Amazigh, Tartit, des compilations algériennes, mauritaniennes, soudanaises, éthiopiennes, de très vieilles archives et de jeunes musicien/ne/s comme Wassim Halal, Naïssam Jalal ou le Fanfaraï Big Band... D'autant que c'est la musique qu'écoutent mes chats lorsque je suis absent !
Je n'en reconnais qu'une dizaine dans le choix de Coline Houssais. C'est dire que je n'ai plus qu'à lire une fiche de temps en temps, puis googliser chaque artiste pour l'entendre si je veux faire mon chemin parmi l'immense nébuleuse qui se déploie devant mes yeux, et bientôt mes oreilles. Je vais évidemment commencer par sélectionner celles et ceux dont la description semble s'approcher de mes goûts. Mais cet ouvrage risque fort de m'en faire changer au fur et à mesure de la découverte...

→ Coline Houssais, Musiques du monde arabe, ed. Le Mot et le Reste, 22€

dimanche 15 novembre 2020

Le Haut-Karabagh en musique, en chant, en lamentations sur France Musique


À l'occasion des évènements dramatiques récents, Aliette de Laleu diffusait hier samedi le disque qu'avait enregistré sur place Richard Hayon et dont j'avais assuré la direction artistique, le montage et supervisé le mixage avec Silvio Soave, ainsi que la mise en forme des notes de pochette que j'avais demandé à Richard d'écrire à la main comme un journal de campagne. C'est une évocation bouleversante où la musique se joue sous et malgré les bombes...

Podcast de l'émission (5 minutes)
Disque épuisé, mais en ligne sur drame.org (55 minutes)
Article du 7 octobre 2020

mardi 10 novembre 2020

Le Kronos Quartet et leurs amis célèbrent Pete Seeger


Le dernier album du Kronos Quartet tombe à pic en cette période où le capitalisme n'a rien trouvé de mieux pour se régénérer que d'isoler les individus les uns des autres sous prétexte d'une pandémie qui n'est ni la première, ni hélas la dernière, et certes pas le plus meurtrier des fléaux qui s'abattent sur l'humanité et la planète. Sur le point de s'écrouler, le capitalisme international a choisi une manière habile de rebattre les cartes, laissant sur le carreau des dizaines, voire des centaines de millions de personnes, évidemment les plus pauvres. En choisissant les chansons de Pete Seeger, le violoniste David Harrington se réfère explicitement à l'incontournable best-seller d'Howard Zinn publié en 1980, Une histoire populaire des États-Unis. Sa vision alternative de l'histoire de son pays, loin des mythes des Pères fondateurs, rappelle que les fake news les plus énormes ont toujours été proférées par les États et non par les résistants qui pensent par eux-mêmes, s'élevant contre la Fabrique du consentement.
"S'il reste encore un monde dans un siècle, il sera sauvé par dix millions de petites choses. Le pouvoir peut briser n'importe qsuel gros truc. Ils peuvent le corrompre ou le coopter de l'intérieur, ou ils peuvent l'attaquer de l'extérieur. Mais que peuvent-ils contre dis millions de petites choses ? En briser deux ou trois, et trois autres jailliront !" (Pete Seeger)
Pionnier de la musique folk avec Woody Guthrie, Pete Seeger a toujours valorisé l'union et la solidarité pour lutter contre l'exploitation dont les travailleurs sont victimes. "Beaucoup de petites pierres ensemble construisent une arche, une toute seule pas grand chose... Des gouttes d'eau font tourner un moulin, une seule ne rime à rien." Et Zinn de répondre à Harrington que l'on peut tous changer le monde si l'on est nombreux et ensemble, ajoutant que les puissants craignent les musiciens et les artistes. Cette parole explique le saccage en règle dont ceux-ci sont les victimes en cas de putsch réactionnaire.
Je ne me souvenais pas que Seeger avait participé à l'élaboration de If I Had a Hammer (dont la traduction française avait gommé l'aspect subversif), Waist Deep in The Big Muddy (reprise en français par Graeme Alwright sous le titre Jusqu'à la ceinture), Kisses Sweeter Than Wine (sublime version de Nana Mouskouri dans une traduction de Boris Vian), Mbube (Wimoweh/The Lion Sleeps Tonight), l'hymne pacifiste Where Have All The Flowers Gone? (écrit avec Lee Hays)... Pete Seger a donc souvent repris des traditionnels qu'il a adaptés ou chantés comme We Shall Overcome, Jarama Valley, Anda Jaleo de Federico Garcia Lorca, Turn, Turn, Turn dont il a composé la musique sur des paroles issues du livre biblique de l'Ecclésiaste et repris par les Byrds... Avec Which Side Are You On?, The President Sang Amazing Grace, Raghupati Raghav Raja Ram, Garbage, Step By Step, le recueil constitue un hommage exceptionnel au musicien américain sur des arrangements très réussis de Jacob Garchik. L'empreinte entraînante du Kronos Quartet reste indélébile. À mi-parcours, dans la pièce de montage très radiophonique composée par Garchik, Storyteller, que j'apprécie particulièrement et pour cause, on entend Pete Seeger et l'ethnomusicologue Alan Lomax, et l'on reconnaît l'influence du producteur Hal Willner, récemment disparu, à qui le disque est dédié.
Le livret anglophone de 44 pages, qui reproduit les paroles des folk songs (portées par Sam Amidon, Maria Arnal, Brian Carpenter, Nikky Finney, Lee Knight, Meklit, Aoife O’Donovan et les écoliers des classes élémentaires de Francis Scott Key and Monroe à San Francisco) les resitue dans leur contexte politique, mais aussi musical, sans omettre l'apport de la musique classique que Seeger connaissait bien. Le Kronos a toujours soutenu les musiques traditionnelles et les compositeurs contemporains de tous les continents, créant un melting pot respectant les diverses cultures tout en se les appropriant

→ Kronos Quartet & Friends Celebrate Pete Seeger, Long Time Passing, CD Smithsonian Folkways Recordings

lundi 9 novembre 2020

Lionel Martin en situation


Si le premier envoi s'est égaré, entendre qu'il a fait le bonheur d'un postier indélicat, j'ai réussi à récupérer le second à la Poste des Malassis. Les vinyles ne rentrant pas dans les boîtes aux lettres homologuées et les lettres, contrairement aux Colissimo, ne possédant pas de numéro de suivi, c'est chaque fois une galère, d'autant qu'il faut que je fasse un bon bout de chemin jusqu'à l'une des succursales et la queue pour que l'on me réponde qu'on m'appellera lorsqu'ils auront retrouvé l'objet !
Lorsque je dis que le premier envoi a fait le bonheur d'un postier indélicat, c'est à prendre au pied de la lettre (non suivie, on l'a déjà dit). Sous une belle pochette de Robert Combas qui s'ouvre sur deux autres peintures, se cache un projet du saxophoniste Lionel Martin et de Bertrand Larrieu en charge des prises de son. Solos a été enregistré in situ dans des lieux publics : sous un pont à Goussainville, dans le métro à Paris, les champs de la Beauce, le long de la Loire... Or le paysage s'imprime sur les compositions overdubées (les saxophones et la batterie joués par Martin se superposent pour composer un petit orchestre où Larrieu s'ajoute, synthé, batterie et surtout le mixage). Arthur Rimbaud y va de son "Je est un autre" pour souligner la schizophrénie de l'exercice. Et le temps de laisser passer les nuages, puisque, enregistrés en 2019, Introduction Vibration, Fiction, 11h13 Éternité et Réalité ont été retravaillées l'année suivante. La face B du vinyle se clôt sur un morceau technoïde, La chute Hello Mr Gaga. Mais toutes les pièces sont chantantes et peut-être dansantes, or comme je ne suis un empoté je fais banquette pendant que les filles se trémoussent. En tout cas, c'est soigné et l'ensemble, pour une fois, justifie vraiment le format.


Dans le même paquet était glissé un CD live de l'anthologie Louis Moreau Gottschalk, précurseur du ragtime et du jazz, intitulée Jazz before Jazz 2 que Lionel Martin partage avec le pianiste Mario Stantchev. On retrouve les influences diffuses du new orleans que j'avais chroniquées il y a 5 ans. Mais là c'est en concert, un plaisir qui se perd par temps de confinement débile où l'on a le droit de s'entasser dans le métro, mais pas de garder ses distances dans une salle de spectacle. C'est frais, à la fois historique et moderne. Gottschalk a écrit toutes ses pièces entre 1842 (il avait 13 ans) et 1869 (il est mort à 40). Le duo leur instille un élixir de jouvence.

→ Lionel Martin, Solos, LP Ouch!Records, 24€ (version numérique sur Cristal Recods)
→ Mario Stantchev & Lionel Martin,Jazz Before Jazz 2 - Live at Opera Underground, CD Ouch!Records, 7,99€

lundi 2 novembre 2020

Birgé invite 28 zikos à improviser sur son "Pique-nique au Labo"


Premier article sur le double CD qui vient de paraître, dû à Jean-Pierre Simard dans L'Autre Quotidien...

La vie n’est pas simplement une lutte contre l’ennui. Elle est aussi création et envie de faire la fête. Pour ce faire, Jean-Jacques Birgé a invité 28 musiciens en studio, ne leur donnant comme indication que le thème du titre avant d’improviser. A boire, à manger, à partager : un pique-nique quoi…

Sur trois pattes

Ici, la liste des invités : Samuel Ber, Sophie Bernado, Amandine Casadamont, Nicholas Christenson, Médéric Collignon, Pascal Contet, Elise Dabrowski, Julien Desprez, Linda Edsjö, Jean-Brice Godet, Alexandra Grimal, Wassim Halal, Antonin-Tri Hoang, Karsten Hochapfel, Fanny Lasfargues, Mathias Lévy, Sylvain Lemêtre, Birgitte Lyregaard, Jocelyn Mienniel, Edward Perraud, Jonathan Pontier, Hasse Poulsen, Sylvain Rifflet, Eve Risser, Vincent Segal, Christelle Séry, Ravi Shardja et Jean-François Vrod.

Je pense à ton cul

Là, le moto du projet : Il s'agit de jouer pour se rencontrer et non le contraire, comme il est d'usage. Le double CD rassemble 22 pièces composées dans l'instant entre 2010 et 2019, la plupart enregistrées par Jean-Jacques Birgé au Studio GRRR, toutes inédites en CD. La thématique de chacune est tirée au sort juste avant d'appuyer sur le bouton.

Là itou, c’est la foire aux idées, le bordel joyeux d’une idée de la culture qui fait son chemin entre, contemporain, jazz et le reste (Zappa, Eno, Stockhausen, etc.) Dans l’œuvre et hors d’œuvre pour mieux faire la nique (et le pique) à des idées de culture qui ne servent à rien - ou presque- de celles véhiculées par notre actuelle troupe de branquignols qui ne peuvent l’envisager que comme statique et sans prise sur la vie, le quotidien et l’envie. Honte à eux qui ne viennent d’un autre temps passé que pour mieux nous le faire subir. Ici, on parle d’autre chose, de choses qui fusent, laissées libres et qui décollent - ou pas - mais qui se donnent à vous, en vie et en partage. Avec une certaine allégresse et un certain chien… et même Une petite pièce dans la poche

Remember Those Quiet Evenings

On n’est pas obligé d’accrocher à tous les titres, on peut aimer et trier. Mais, il y a une vraie continuité conceptuelle pour re-citer Zappa, c’est là et bien là, ça fuse, ça diffuse. A vous d’infuser. Il est ici question aussi d’espace de création et de retrouvailles, de se lancer dans le vide sans filet, en sachant, sans savoir comment, qu’on va bien quelque part, à plusieurs et étant ensemble dans le jeu qui fait le son, le morceau et la musique. Vous avez dit libertaire (Je pense à ton cul). Je dis : juste essentiel pour se mettre entre les oreilles des propositions musicales, abouties ou non, plaisantes ou pas (selon vos goûts), mais un effort pour susurrer, crier ou s’ébahir du son, du résultat et de l’idée. Et puisque l’époque est au glissement, à l’évacuation, à l’éradication du vivant non balisé - une idée quand vous regardez le Dharma nain, pensez plutôt au son caribéen de Toussaint Louverture ; ça détend et ça console d’une pareille vacuité téléguidée par les pieds.

Double CD vendu au prix d’un simple, une occase, une vraie…

Jean-Pierre Simard le 29/10/2020
Jean-Jacques Birgé - Pique-nique au labo - GRRR/Orkhestra


Et sur Bandcamp...